Location de matériel : 1 février 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/06024

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Location de matériel : 1 février 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/06024
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1 février 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
21/06024

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRÊT N°

N° RG 21/06024 – N° Portalis DBVL-V-B7F-SBZM

[K] [I]

[F] [I]

[L] [I]

C/

Société [15]

Compagnie [14]

CPAM D’ILLE ET VILA INE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 01 FEVRIER 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Aurélie GUEROULT, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 30 Novembre 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 01 Février 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats ;

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 12 Août 2021

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal Judiciaire de Rennes – Pôle Social

Références : 21/00406

****

APPELANTES :

Madame [K] [I] née [S]

[Adresse 11]

[Localité 3]

représentée par Me Lara BAKHOS, avocat au barreau de RENNES substituée par Me Marie-Gaëlle BERNARD, avocat au barreau de RENNES

Madame [F] [I]

[Adresse 11]

[Localité 3]

représentée par Me Lara BAKHOS, avocat au barreau de RENNES substituée par Me Marie-Gaëlle BERNARD, avocat au barreau de RENNES

Madame [L] [I]

[Adresse 11]

[Localité 3]

représentée par Me Lara BAKHOS, avocat au barreau de RENNES substituée par Me Marie-Gaëlle BERNARD, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉES :

La Société [15]

[Adresse 17]

[Localité 4]

représentée par Me Fabienne MICHELET de la SELARL ARES, avocat au barreau de RENNES

La Compagnie [14]

[Adresse 12]

[Adresse 12]

[Localité 5]

représentée par Me Elodie TORNE CELER de l’AARPI SATORIE, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Marine ROUPIE, avocat au barreau de PARIS

LA CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’ILLE ET VILAINE

[Adresse 7]

[Localité 2]

représentée par Monsieur [Z] [E] en vertu d’un pouvoir spécial

*****

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 21 août 2017, la société [15] (la société), spécialisée dans le commerce de matériel agricole et gérée par M. [Y], a déclaré un accident du travail mortel concernant l’un de ses salariés, [X] [I], monteur embauché en 2014, en mentionnant les circonstances suivantes :

Date : le 18 août 2017 ; Heure : 13 heures 45 ;

Lieu de l’accident : départementale n°24 à [Localité 13] en direction de [Localité 6] ;

Au cours d’un déplacement pour l’employeur ;

Activité de la victime lors de l’accident : se rendait auprès de l’entreprise [9] situé [Adresse 1] pour y chercher du matériel depuis le chantier de [Localité 13]. Accident de voiture, le salarié était à bord d’un Citroën Jumper 3 immatriculé DS – 001 – XV. Le véhicule a été déporté sur la gauche. Le véhicule a percuté un arbre.

Objet dont le contact a blessé la victime : les circonstances exactes du décès sont, au jour de la présente déclaration, inconnues ;

Siège des lésions : tout le corps, membres inférieurs et supérieurs touchés ;

Nature des lésions : nombreuses fractures ;

Horaire de travail de la victime le jour de l’accident : de 8 heures à 12 heures et de 13 heures 30 à 16 heures 30 ;

Accident connu le 18 août 2017 à 14 heures par l’employeur.

Le 18 août 2017, le docteur [C], médecin urgentiste à l’hôpital de [Localité 8], a constaté le décès de [X] [I], survenu le même jour à 14 heures 10, dans la commune de [Localité 13] ‘des suites immédiates d’un accident de la voie publique, avec polytraumatisme et traumatisme crânien sévère. Rebelle à toute tentative de réanimation’.

Par décision du 5 décembre 2017, après enquête administrative, la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine (la caisse) a pris en charge le décès au titre de la législation professionnelle.

Le 11 janvier 2018, la caisse a notifié à Mme [K] [I] une rente de conjoint survivant à effet au 19 août 2017, ainsi qu’une rente pour chacune des deux enfants du couple.

Par lettre du 18 décembre 2018, Mme [I] a formé une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur auprès de la caisse qui a dressé un procès-verbal de non-conciliation le 9 octobre 2019.

Le 23 décembre 2019, elle a porté le litige devant le pôle social du tribunal de grande instance de Rennes.

Par jugement du 12 août 2021, celui-ci, devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes, a :

– débouté Mme [I], ès nom et ès qualités de ses filles mineures (sic) [L] et [F] [I], de toutes ses demandes, y compris celle formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– constaté que l’appel en déclaration de jugement commun est sans objet ;

– condamné Mme [I], ès nom et ès qualités de ses filles mineures (sic)[L] et [F] [I], aux dépens.

Par déclaration faite par communication électronique au greffe le 27 septembre 2021, Mme [K] [I], ès nom et ès qualités de représentante légale de ses deux filles, a interjeté appel de ce jugement, notifié à une date qui ne ressort pas du dossier mais qui est nécessairement postérieure au 31 août 2021 mentionnée sur le jugement comme étant la date de transmission de la copie certifiée conforme aux parties ; l’appel a donc bien été interjeté dans le délai d’un mois suivant la notification.

Par ses écritures parvenues par le RPVA le 18 octobre 2021 auxquelles s’est référé et qu’a développées son conseil à l’audience, Mme [K] [I] et ses deux filles majeures reprenant l’instance en leur nom aux côtés de leur mère, demandent à la cour :

– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a :

* débouté Mme [I] ès nom et ès qualités de ses filles mineures [L] et [F] [I], de toutes ses demandes à savoir :

– dire et juger que la société a commis une faute inexcusable à l’origine de l’accident mortel dont a été victime [X] [I] le 18 août 2017 ;

– ordonner la majoration des rentes versées à Mme [I] ainsi qu’à ses deux filles, [L] et [F] [I] à son maximum;

– indemniser les préjudices moraux de Mme [I] et de ses deux filles comme suit :

‘ 30 000 euros pour Mme [I],

‘ 30 000 euros pour [L] [I],

‘ 30 000 euros pour [F] [I],

– dire que l’avance en sera faite par la caisse ;

* débouté Mme [I] ès nom et ès qualités de ses filles mineures [L] et [F] [I], de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

* condamné Mme [I] ès nom et ès qualités de ses filles mineures [L] et [F] [I], aux dépens.

Statuant à nouveau, de :

– dire et juger que la société [15] (sic) a commis une faute inexcusable à l’origine de l’accident mortel dont a été victime [X] [I] le 18 août 2017 ;

– ordonner la majoration des rentes versées à Mme [I] ainsi qu’à ses deux filles, [L] et [F] [I], à son maximum ;

– indemniser les préjudices moraux de Mme [I] et de ses deux filles comme suit :

‘ 30 000 euros pour Mme [I],

‘ 30 000 euros pour [L] [I],

‘ 30 000 euros pour [F] [I],

– dire que l’avance en sera faite par la caisse ;

– condamner la société [15] (sic) à verser à Mmes [K] [I], [L] [I] et [F] [I] une indemnité de 4 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en appel ;

– la condamner aux entiers dépens.

Par ses écritures parvenues par le RPVA le 17 décembre 2021 auxquelles s’est référé et qu’a développées son conseil à l’audience, la société [15] demande à la cour de :

A titre principal,

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

– dire et juger que les circonstances de l’accident de [X] [I] restent indéterminées ;

– dire et juger que la conscience du danger de la société [15] n’est pas démontrée ;

– dire et juger que l’accident est dû à la faute inexcusable commise par [X] [I] ;

En conséquence,

– débouter Mme [K] [I], agissant ès noms et ès qualités de ses deux filles mineures [L] et [F] [I] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en l’absence de faute inexcusable de la société [15] ;

– condamner Mme [I] à régler à la société [15] une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Mme [I] aux dépens ;

A titre subsidiaire,

– constater la faute inexcusable de [X] [I] et en conséquence réduire massivement la majoration de la rente d’ayant droit à laquelle peuvent prétendre Mme [I] et ses deux filles mineures (sic) et réduire massivement leur demande au titre de leur préjudice moral ;

– déclarer le jugement commun et opposable à [14] (sic) ;

– dire et juger n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Mme [I] à lui régler une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Mme [I] aux dépens.

Par ses écritures parvenues par le RPVA le 18 janvier 2022 auxquelles s’est référé et qu’a développées son conseil à l’audience, la société [14] demande à la cour de :

– déclarer Mme [K] [I] en son nom personnel et ès-qualités de ses deux filles, [L] et [F] [I] (sic) mal fondée en son appel ;

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

En conséquence,

– débouter Mme [K] [I] en son nom personnel et ès-qualités de ses deux filles, [L] et [F] [I] (sic) de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, plus amples ou contraires ;

– condamner Mme [K] [I] en son nom personnel et ès-qualités de ses deux filles, [L] et [F] [I] (sic) aux dépens en cause d’appel ;

A titre subsidiaire :

– déclarer que [X] [I] a commis une faute inexcusable qui, en tant

que telle, doit avoir pour conséquence de réduire la majoration des rentes versées à ses ayants droit ;

– ramener à de plus justes proportions les sommes réclamées par les consorts [I] à titre de préjudice moral ;

En tout état de cause :

– déclarer la compagnie [14] recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions ;

– débouter Mme [K] [I] en son nom personnel et ès-qualités de ses deux filles, [L] et [F] [I] (sic) de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ses écritures parvenues au greffe le 3 octobre 2022 auxquelles s’est référé et qu’a développées son représentant à l’audience, la caisse demande à la cour de :

– lui décerner acte de ce qu’elle déclare s’en remettre à justice pour statuer sur l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur à l’origine de l’accident du travail mortel dont [X] [I] a été victime le 18 août 2017 ;

Dans l’hypothèse où la faute inexcusable de l’employeur serait reconnue :

– lui décerner acte de ce qu’elle s’en remet à justice sur les demandes de l’assurée relatives :

* à la majoration des rentes AT/MP ;

* à l’indemnisation des préjudices moraux ;

* à la provision (sic) ;

– condamner la société [15] à lui rembourser toutes les indemnités et provisions dont elle sera amenée à faire l’avance auprès de l’assurée y compris les frais d’expertise.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la faute inexcusable de l’employeur

Les premiers juges ont écarté l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur en considérant que la cause de la sortie de route du véhicule conduit par [X] [I] restait indéterminée et que rien ne permettait d’établir que le taux d’alcoolémie retrouvé dans l’organisme du salarié avait influé sur la réalisation du dommage.

Mmes [I] reprochent au tribunal d’avoir ainsi jugé alors que, selon elles, les circonstances de l’accident sont bien déterminées ; que leur époux et père n’était en effet pas du tout en état de conduire avec 1,79 grammes d’alcool par litre de sang ; que les allégations concernant une vitesse excessive, une ceinture non attachée ou l’utilisation d’un téléphone portable ne sont aucunement établies ; que l’accident est par conséquent en lien avec une consommation excessive d’alcool.

Les appelantes font valoir pour l’essentiel que :

– il relevait de la responsabilité de l’employeur d’interdire dans son réglement intérieur la consommation d’alcool dès lors que les salariés se livraient à des activités potentiellement dangereuses ;

– les collègues et l’employeur de [X] [I] présents ce jour-là sur le chantier savaient que ce dernier prévoyait de récupérer après le déjeuner une machine auprès de l’entreprise [10] pour remplacer un engin défectueux ;

– dans le cadre de la pause déjeuner, la famille de M. [Y] a apporté au moins un cubis de vin rosé, du Ricard et de la bière ;

– la thèse selon laquelle les ouvriers du chantier n’auraient bu qu’une seule bière chacun n’est pas crédible ;

– [X] [I] a quitté le chantier après le déjeuner avec un véhicule de son employeur pour se rendre à [Localité 16] chez [9] ;

– à 1,5 km seulement du chantier, le véhicule est sorti de la route et a percuté un arbre.

Elles considèrent par conséquent que l’employeur, qui n’ignorait pas la présence d’alcool sur le chantier au cours d’un repas qu’il avait lui-même organisé ce jour-là ni l’intention de [X] [I] de prendre un véhicule de l’entreprise après le déjeuner, avait conscience du risque auquel son salarié était exposé, dont le comportement n’avait rien d’imprévisible.

Elles contestent par ailleurs toute faute inexcusable de leur conjoint et père, dont elle rappelle qu’elle n’a pas en toute hypothèse pour effet d’exonérer l’employeur des conséquences de sa propre faute inexcusable. Selon elles, en effet, l’employeur ne démontre pas la volonté du défunt de mettre sa vie en danger et s’il est établi que ce dernier a consommé de l’alcool, c’était sur incitation de l’employeur qui en avait apporté sur le lieu de travail pour le déjeuner.

La société, qui rappelle que l’affaire a fait l’objet d’un classement sans suite au pénal, réplique que rien ne permet d’établir que l’accident mortel dont son salarié a été victime a pour origine une consommation excessive d’alcool ; que la perte de contrôle du véhicule pouvait aussi bien être due à une vitesse élevée (l’épouse a déclaré qu’il avait tendance à rouler vite), un obstacle inattendu ou un appel téléphonique (le téléphone fait apparaître un appel à l’entreprise [9] à 13h32) ; qu’en outre, le taux d’alcoolémie relevé par les gendarmes, correspondant à 9/10 verres d’alcool, n’est pas cohérent avec le comportement du salarié avant son départ en voiture, personne n’ayant constaté une telle consommation de sa part ; que les circonstances de l’accident sont donc bien indéterminées.

La société ajoute que :

– le code du travail n’interdit pas la présence d’alcool sur le lieu de travail dans le cadre d’une consommation ne mettant pas en danger la santé et la sécurité des travailleurs (cf article R. 4228-20) ; que le vin, la bière, le cidre et le poiré sont ainsi admis ; que son absence d’opposition à la bière proposée en fin de matinée ce jour-là par les propriétaires du chantier aux salariés présents n’est donc pas constitituve d’une faute ;

– rien ne démontre qu’elle ait été informée ou ait pu constater une consommation excessive d’alcool de la part de [X] [I] ; que ses collègues n’ont eux-même observé aucun état d’ivresse ;

– rien non plus ne démontre la présence de quatre cubis de vin comme allégué par les consorts [I] ou même encore de Ricard selon les dires d’un seul salarié ;

– il ne peut être exclu qu’à son insu, d’autres alcools que de la bière aient été apportés par les salariés eux-mêmes ;

– s’agissant d’un chantier important et compte tenu de la chaleur, il avait été décidé d’un déjeuner ‘sur le pouce’ de 30 mn au cours duquel chacun se servait en fonction de la tache qu’il avait à accomplir ; que cette configuration ne permettait pas de surveiller le comportement et la consommation de chaque salarié ;

– M. [Y] est un employeur sérieux et soucieux de la sécurité de ses salariés ; aucune consommation d’alccol n’a été constatée sur ses chantiers et il est faux de dire qu’il a toujours considéré comme normal de boire sur un chantier et de prendre ensuite le volant ;

– [X] [I] est parti de sa propre initiative après le déjeuner sans en référer à M. [Y], lequel, en tout état de cause, n’avait, encore une fois, constaté aucun état d’ivresse chez ce salarié qui, à sa connaissance, n’avait bu qu’une seule bière.

Enfin, la société soutient que la victime a commis une faute inexcusable en conduisant sous l’emprise de l’alcool, à une vitesse de surcroît excessive, sans avoir attaché sa ceinture de sécurité et vraisemblablement en utilisant son téléphone portable.

La société [14] s’associe à l’argumentation de son assurée, la société [15], sur l’absence de faute inexcusable de celle-ci et fait elle aussi valoir l’existence d’une faute inexcusable de la victime réduisant la majoration de rente qui serait allouée, au regard de la conduite sous l’empire d’un état alcoolique, de la vitesse excessive et du défaut de port de la ceinture de sécurité.

Sur ce :

Selon l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle ci.

Des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, il résulte que l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en veillant à éviter les risques, à évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités et à adapter le travail de l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production.

Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n°18-25.021 ; Soc., 2 mars 2022, pourvoi n° 20-16.683).

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident. Il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que sa responsabilité soit engagée.

La faute inexcusable ne se présume pas et il appartient à la victime ou ses ayants droit, invoquant la faute inexcusable de l’employeur de rapporter ‘la preuve que celui-ci… n’a pas pris les mesures nécessaires pour [la] préserver du danger auquel elle était exposée’.

Le juge n’a pas à s’interroger sur la gravité de la négligence de l’employeur et doit seulement contrôler, au regard de la sécurité, la pertinence et l’efficacité de la mesure que l’employeur aurait dû prendre.

Enfin, la faute de la victime n’a pas pour effet d’exonérer l’employeur de la responsabilité qu’il encourt en raison de sa faute inexcusable. Il ne peut être opposé au salarié que sa propre faute inexcusable au sens de l’article L.453-1 du code de la sécurité sociale. Celle-ci qui s’entend comme une faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience, n’a pas d’autre effet que de permettre de réduire la majoration de la rente à laquelle il peut prétendre (2e Civ., 17 janvier 2007, pourvoi n° 05-17.701).

Il n’est pas discuté que l’accident mortel dont [X] [I] a été victime constitue un accident du travail.

Il ressort de l’enquête de gendarmerie versée aux débats qu’aucun témoin n’a assisté à l’accident dans lequel seul le véhicule conduit par [X] [I] était impliqué ; ce véhicule type Citroen Jumper était encastré dans un tronc d’arbre, couché sur le côté passager ; le corps de [X] [I] pendait en dehors le long du véhicule, le bras pris dans la ceinture de sécurité qui n’était pas attachée lors de l’arrivée des gendarmes ; les conditions météo étaient bonnes, la route sèche, les traces de trajectoire partaient du bord de la chaussée sur le bas côté herbeux pour s’arrêter à hauteur du tronc déraciné sous l’effet du choc ; le levier de vitesse était enclenché en 5ème position. Les analyses de sang ont révélé un taux d’alcoolémie de 1,79 grammes par litre.

Des auditions réalisées au cours de cette enquête, il apparaît que :

– [X] [I] est arrivé tôt sur le chantier le 18 août 2017 pour commencer vers 6-7 heures du matin, tout comme ses collègues de travail;

– en milieu de matinée, entre 10 h 30 et 11 h, les salariés ont consommé des boissons alcoolisées, bière et/ou vin (cf auditions des salariés MM. [V], [B], [G] et [J]), puis ont repris le travail avant de faire une pause déjeuner rapide vers 12 h 30 au cours de laquelle, là encore, selon les témoignages concordants des salariés entendus, des boissons alcoolisées (bière, vin, voire du Ricard selon M. [B]) ont été consommées par tous avec les galettes saucisses apportées par la mère de M. [Y] ;

– M. [B] indique très clairement avoir vu [X] [I] consommer de la bière et du rosé en milieu de matinée puis de nouveau de la bière et du Ricard lors du repas du midi ;

– si les versions divergent quant à la provenance de ces boissons, dont certains salariés indiquent, s’agissant du vin, qu’il a été apporté en cubis par les proches de M. [Y], lesquels contestent ces allégations, il n’en demeure pas moins que l’alcool a été consommé de manière importante en l’espace de quelques heures ;

– les dénégations de M. [Y] quant à la présence de cubis de vin alors qu’il était présent sur place depuis le début de la matinée et qu’il est mis en cause par M. [V] auquel il a demandé de ne pas dire qu’il y avait de l’alccol sur le chantier, sont peu crédibles face aux déclarations contraires des salariés ;

– la consommation d’alcool sur le chantier était habituelle ; M. [B] précise en effet que les clients leur offraient de la bière et/ou du Ricard tous les jours précédents vers 10 h 30, puis de nouveau en fin de journée vers 17 h30 ; que lui-même consommait également de la bière au restaurant le midi avec ses collègues ;

– la soeur de [X] [I] indique quant à elle que depuis son embauche par M. [Y], son frère prenait régulièrement l’apéritif chez ce dernier le soir ; que le jour des faits, selon les confidences que M. [Y] lui a faites, quatre cubis de vin avaient été apportés sur le chantier, dont un par son beau-père, et qu’il avait bu ce jour-là deux apéritifs avec son frère ;

– Mme [I] confirme elle aussi que M. [Y], venu la voir après son audition, lui a indiqué qu’il y avait quatre cubis de vin le jour des faits.

MM. [V], [B] et [J] ont maintenu leurs déclarations devant l’Inspection du travail en indiquant qu’il y avait bien du vin et de la bière sur le chantier le jour des faits et qu’ils avaient commencé à boire vers 10 h 30. M. [B], à cette occasion, a confirmé que deux cubis de vin avaient été apportés par deux membres de la famille de M. [Y] venus ‘apporter un coup de main’ et que les clients agriculteurs avaient mis à leur disposition de la bière et du Ricard comme les jours précédents, ajoutant que l’employeur venait régulièrement sur le chantier.

Il est ainsi suffisamment établi que l’alcool était présent en quantité sur le chantier le jour des faits et que l’ensemble des salariés, y compris [X] [I], en ont consommé à plusieurs reprises au cours de la matinée et de la pause déjeuner, suivant en cela une pratique observée les jours précédents.

Le taux d’alcoolémie relevé sur [X] [I] peu de temps après l’accident (1,79 gramme par litre) est cohérent avec cette situation. Certes, l’analyse n’a porté que sur le premier flacon, le second étant réservé à l’hypothèse d’une demande de nouvelle analyse du conducteur ou de l’autorité judiciaire, laquelle n’a pas été faite en l’espèce. La cour observe néanmoins que :

– l’état du scellé est noté comme étant ‘parfait’ par le biologiste l’ayant reçu le 22 août 2017 ;

– rien ne laisse supposer que le taux relevé révèlerait manifestement une erreur et serait à l’évidence disproportionné au regard du comportement du salarié. A supposer qu’avant de partir [X] [I] n’ait pas présenté les signes d’un état d’ivresse caractérisé (élocution pateuse, difficulté à tenir debout, etc), il demeure qu’il avait consommé en quantité importante de l’alcool sur le chantier.

M. [Y], présent sur les lieux, ayant reconnu devant la soeur et la veuve de son salarié qu’il y avait des cubis et qu’il avait lui-même bu avec lui au moins deux apéritifs, n’ignorait pas les conséquences que cette consommation régulière et importante d’alccol sur le chantier pouvait avoir sur la santé et la sécurité des salariés y travaillant.

La tolérance dont il faisait preuve, pour ne pas dire plus, à l’égard de cette consommation alcoolisée excessive sur ce chantier a eu ce jour-là pour conséquence que [X] [I] a pris le volant du véhicule d’entreprise en étant manifestement sous l’emprise de l’alcool.

S’agissant de ce dernier point, il ressort de l’audition de M. [B] par les gendarmes que c’est bien M. [Y] qui a demandé à [X] [I] après le déjeuner de se rendre chez [9] pour remplacer un ‘hélicoptère’ défectueux ; M. [B] indique en effet avoir entendu M.[Y] formuler cette demande à l’intéressé. Cette version contredit celle de M. [Y] indiquant que [X] [I] est parti sans l’informer. Du reste, la cour observe qu’il est peu probable qu’un salarié, quand bien même disposerait-il d’une certaine autonomie, prenne l’initiative d’engager une dépense financière de location de matériel sans en avoir préalablement informé son employeur lui-même présent sur place.

Il suffit de constater que l’employeur avait connaissance de la présence de boissons alcoolisées sur le chantier, qu’il n’en a pas à tout le moins limité la consommation et a pris au final la décision de demander à [X] [I] de conduire le véhicule d’entreprise tout en sachant qu’il avait consommé de l’alcool. L’employeur, qui avait ou aurait dû avoir conscience du risque d’accident auquel était ainsi exposé son salarié et n’a pas pris les mesures destinées à l’en préserver, a, ce faisant, commis une faute inexcusable.

Il importe peu que la procédure pénale ait été classée sans suite par le Procureur de la République, que [X] [I] ait en outre roulé à une vitesse dépassant la limite autorisée, n’ait pas attaché sa ceinture de sécurité et/ou ait utilisé son téléphone en conduisant. Seul en cause, l’action publique s’est éteinte avec son décès. Le taux d’alcoolémie relevé est à lui seul éloquent quant à la quantité d’alcool consommée par le salarié présent sur le chantier depuis le tout début de la matinée.

Dans ces conditions, à supposer que les fautes commises par l’employeur ne sont ni la cause unique ni la cause déterminante de l’accident, elles en sont bien une cause nécessaire, en ce que ledit employeur, qui avait les moyens d’empêcher une consommation excessive d’alcool sur le chantier et devait interdire dans ces circonstances à [X] [I] de prendre le volant, n’en a rien fait. L’alcoolisation excessive du salarié suffit en effet à elle seule à expliquer le défaut de maîtrise du véhicule à l’origine de l’accident.

Il s’ensuit que la décision entreprise sera infirmée et que la faute inexcusable de la société sera retenue.

Sur les conséquences

– sur la majoration de rente

Comme indiqué supra, la faute inexcusable de la victime au sens de l’article L. 453-1 du code de la sécurité sociale, s’entend comme une faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ; elle n’a pas d’autre effet que de permettre de réduire la majoration de la rente à laquelle la victime peut prétendre (2e Civ., 17 janvier 2007, pourvoi n° 05-17.701).

Il n’est démontré en l’espèce aucune faute de cette nature imputable à [X] [I].

La vitesse excessive et l’utilisation du téléphone portable ne reposent sur aucun élément probant ; le non port de la ceinture de sécurité ne résulte pas non plus de manière indiscutable de l’enquête ; les gendarmes ont tout au plus noté que la 5ème vitesse était enclenchée.

Quant au taux d’alcoolémie important relevé dans les suites immédiates de l’accident, les circonstances de cette consommation d’alcool sur le lieu de travail telles qu’elles résultent de l’enquête de gendarmerie précitée et de la présence du salarié au volant du véhicule d’entreprise permettent d’écarter toute faute inexcusable de la victime.

Il s’ensuit que les consorts [I] sont bien fondés à solliciter la majoration de la rente servie au conjoint survivant et à ses enfants, par application des dispositions de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale.

[X] [I] est décédé à l’âge de 42 ans, laissant son épouse et leurs deux filles, âgées à l’époque de 14 ans.

En réparation du préjudice moral supporté par Mme [I] et ses deux filles, la cour trouve dans la cause les éléments suffisants pour leur allouer chacune une indemnité d’un montant de 30 000 euros.

Les consorts [I] seront renvoyés devant la caisse à laquelle incombe l’obligation de verser ces indemnités.

Sur l’action récursoire de la caisse contre l’employeur

Selon l’article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3.

Il sera donc fait droit au recours de la caisse dans les termes de sa demande.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il n’apparaît pas équitable de laisser à la charge de Mmes [I] leurs frais irrépétibles.

La société [15] sera en conséquence condamnée à leur verser à ce titre la somme de 4 000 euros.

S’agissant des dépens, l’article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.

Il s’ensuit que l’article R.144-10 précité reste applicable aux procédures en cours jusqu’à la date du 31 décembre 2018 et qu’à partir du 1er janvier 2019 s’appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile relatives à la charge des dépens.

En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la société [15] qui succombe à l’instance et qui de ce fait ne peut prétendre à l’application des dispositions l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris ;

Dit que l’accident du travail de [X] [I] du 18 août 2017 est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [15] ;

Ordonne la majoration à son taux maximum des rentes d’ayant droit versées à Mmes [K] [I], [F] [I] et [L] [I] ;

Fixe le préjudice moral de Mme [K] [I] à la somme de 30 000 euros ;

Fixe le préjudice moral de Mme [F] [I] à la somme de 30 000 euros ;

Fixe le préjudice moral de Mme [L] [I] à la somme de 30 000 euros ;

Dit que la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine fera l’avance de la majoration des rentes et des préjudices complémentaires ;

Condamne la société [15] à payer à la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine les sommes ainsi avancées ;

Renvoie Mmes [I] devant la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine pour la mise en paiement de leurs droits ;

Condamne la société [15] à verser à Mmes [I] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déclare le présent arrêt commun à la société [14] ;

Condamne la société [15] aux dépens exposés postérieurement au 31 décembre 2018.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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