L’obligation de restitution de matériel informatique par le salarié
L’obligation de restitution de matériel informatique par le salarié

Le salarié licencié a l’obligation de restituer à l’employeur l’ensemble de son environnement informatique de travail ainsi que l’ensemble des documents et fichiers créés dans le cadre de l’exercice de ses fonctions ainsi que de lui remettre toutes copies de sauvegarde.

Au cas d’espèce, l’employeur reproche à son salarié d’avoir, malgré sa demande de restitution des deux ordinateurs mis à sa disposition par son employeur par courriel, supprimé d’un des ordinateurs son environnement de travail, avec une intention de lui nuire, puisque l’ayant empêché, ensuite, d’effectuer toute correction ou adaptation de son logiciel VISUAL LEADER, notamment en corrigeant d’éventuels bugs ou de procéder à des mises à jour’; ce qui a conduit, indique-t-elle, à la multiplication des résiliations de contrat de maintenance par des clients et à la nécessité d’exposer un montant très important pour développer, à nouveau, le logiciel.

Toutefois, il résulte de l’expertise judiciaire réalisée que le salarié n’a effectué aucune manipulation préjudiciable sur le disque dur.

La faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise. La charge de la preuve de la faute lourde pèse exclusivement sur l’employeur.

Or, l’employeur n’a pas établi de manière certaine qu’en procédant à cet effacement, le cas échéant pour un motif présumé légitime visant à effacer ses données à titre personnel, le salarié savait que la société se trouverait dans l’impossibilité de pouvoir corriger le logiciel et de développer des mises à jour.  En conséquence, la société ne rapporte pas la preuve suffisante de la faute lourde qu’elle reprochait au salarié.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 20 MAI 2021

Appel d’une décision (N° RG F13/2196) rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRENOBLE en date du 21 mai 2015 suivant déclaration d’appel du 11 juin 2015 sous le N° RG 15/02487

radiation le 5 décembre 2018

et réinscription le 25 janvier 2019

APPELANTE :

SAS B, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

représentée par Me Thierry CHEYMOL de l’AARPI LMT AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

INTIME :

Monsieur E X

de nationalité Française

[…]

[…]

représenté par Me Laure GERMAIN-PHION, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Blandine FRESSARD, Présidente,

M. Frédéric BLANC, Conseiller,

M. Antoine MOLINAR-MIN, Conseiller,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

DÉBATS :

A l’audience publique du 17 mars 2021,

Monsieur BLANC, Conseiller, chargé du rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs observations.

Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.

EXPOSE DU LITIGE’:

Selon contrat à durée indéterminée en date du 1er septembre 1998, Monsieur E X a été embauché par la SA B en qualité de responsable produit, statut cadre pour une durée hebdomadaire de travail de 39 heures, soit 169 heures par mois.

Son salaire mensuel brut est de  … euros auquel s’ajoute une rémunération variable, fonction de la marge brute des affaires réalisées.

Il a pour mission la conception et la réalisation de logiciels après études du service marketing à la demande de client et la gestion d’un centre de profits.

Selon avenant en date du 17 décembre 2007, les parties ont convenu de modifier la clause initiale de non-concurrence.

Son embauche est intervenue à la suite du rachat de la société EURELYS par la société B, dirigée par Monsieur F G, alors que Monsieur X était salarié de la société EURELYS depuis 1994.

Il est par ailleurs actionnaire de la SA B.

Au dernier état de la collaboration, Monsieur X perçoit un salaire brut de 4860,14 euros et est cadre technique position 3.2 de la convention SYNTEC applicable.

Par courrier du 13 avril 2011, Monsieur E X a été convoqué par son employeur à un entretien préalable à son licenciement éventuel pour motif économique fixé au 26 avril 2011.

Il a signé une convention de reclassement personnalisé le 11 mai 2011 et le contrat de travail a pris fin le 18 mai 2011.

Monsieur X a sollicité, le 11 mai 2011, les critères d’ordre retenus par son employeur, qui lui a répondu le 20 mai 2011 et lui demandant, par ailleurs, la restitution de son matériel.

Par requête en date du 26 mai 2011, Monsieur E X a saisi le conseil de prud’hommes de GRENOBLE aux fins de contester son licenciement pour motif économique.

Par courrier du 27 juin 2011 de son conseil à l’avocat de la partie adverse, la société B a renouvelé sa demande de restitution du matériel informatique.

Les deux ordinateurs en possession de Monsieur E X ont été remis à l’étude d’huissier de Me A qui a dressé, le 13 juillet 2011, un procès-verbal aux termes duquel il décrit les opérations d’extractions des données desdits ordinateurs effectuées par Monsieur Y pour le compte de la société LCI, mandatée par la société B.

Par courrier du 9 septembre 2011, la société B a mis en demeure Monsieur X de s’expliquer sur les manipulations faites sur l’ordinateur, de lui restituer l’ensemble de l’environnement de travail du logiciel VISUAL EXPERT qui, selon elle, a été intégralement détruit sur les ordinateurs restitués ainsi que l’ensemble des documents et fichiers créés dans le cadre de l’exercice de ses fonctions ainsi que de lui remettre toutes copies de sauvegarde.

La société B a conclu au rejet des prétentions adverses relatives au licenciement pour motif économique et aux critères d’ordre et a formulé une demande reconventionnelle à hauteur de 783770 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la destruction volontaire de données informatiques, sur le fondement allégué d’une faute lourde de son salarié qui engage sa responsabilité, en application l’article 1382 du code civil.

Par jugement en date du 21 mai 2015, le conseil de prud’hommes de GRENOBLE a’:

— dit que le licenciement pour motif économique de Monsieur E X repose sur une cause réelle et sérieuse

— dit que les critères fixant l’ordre des licenciements n’ont pas été appliqués de bonne foi par la SAS B

En conséquence,

— condamné la SAS B à régler à Monsieur E X les sommes suivantes’:

—  40000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation des critères d’ordre de licenciement

—  1200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

lesdites sommes avec intérêts de droit à la date du présent jugement

— débouté Monsieur E X du surplus de ses demandes

— débouté la SAS B de ses demandes reconventionnelles

— dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Par LRAR du 11 juin 2015, la SAS B a interjeté appel à l’encontre dudit jugement.

Selon ordonnance en date du 19 mai 2016, la présidente chargée de l’instruction de l’affaire de la

chambre sociale de la cour d’appel de GRENOBLE a’:

— ordonné une expertise et commis Monsieur H C, expert près la cour d’appel de Versailles, […], 92300 LAVALLOIS-PERRET, pour :

— se rendre à l’étude de Maîtres Z et A située au numéro 23-29 rue de la Belle Feuille à Boulogne-Billancourt afin d’y réaliser une copie des copies des disques durs en possession de cette dernière pour les besoins de l’expertise ;

— organiser une réunion d’expertise dans les locaux de la société B, après avoir convoqué les parties à cette fin et tout éventuel sachant, dont la présence lui apparaîtrait nécessaire ;

— analyser la copie des disques durs réalisés en l’étude de Maîtres Z et A ;

— dire si ces disques ont fait l’objet de manipulations postérieurement au 18 mai 2011,

— le cas échéant, décrire et dater les manipulations effectuées en précisant si les fichiers et l’environnement de travail préexistant à ces manipulations peuvent être restaurés ;

— Dit que la société B devra consigner à la régie des avances et des recettes de la cour d’appel de Grenoble (à l’attention de Mme le Régisseur) la somme de 3300 euros dans le délai de deux mois à compter de la présente ordonnance ;

— Dit que l’expert devra déposer son rapport dans le délai de six mois à compter de sa saisine ;

— Dit que l’affaire sera rappelée à l’audience de la mise en état du 28 novembre 2016 ;

— Réservé les dépens.

Monsieur H C a déposé son rapport d’expertise au greffe le 23 février 2017.

L’affaire a fait l’objet d’une décision de radiation de la cour, lors de l’audience du 5 décembre 2018.

L’affaire a été réinscrite au rôle le 25 janvier 2019.

La SAS B s’en est rapportée oralement à ses conclusions transmises au greffe le 15 mars 2021 et entend voir’:

— dire et juger qu’elle a fait une exacte application des règles gouvernant la détermination et l’application des critères d’ordre des licenciements et débouter, en conséquence, Monsieur X de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour violation des critères d’ordre des licenciements

— dire et juger qu’en détruisant délibérément le fruit de son travail stocké sur les disques durs des ordinateurs mis à sa disposition, mettant ainsi l’employeur dans l’impossibilité d’exercer ses droits patrimoniaux et poursuivant l’explication du logiciel VISUAL EXPERT, Monsieur E X a commis une faute lourde engageant sa responsabilité civile et condamner en conséquence, Monsieur E X à verser à la société B la somme de 783770 euros à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice financier et commercial qu’elle a subi

— condamné Monsieur X à verser à la société B la somme de 10000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

— condamné Monsieur X aux entiers dépens, en ce inclus les frais d’expertise (3284,85

euros).

Monsieur E X s’en est rapporté oralement à ses conclusions remises au greffe le 22 février 2011 et entend voir’:

A titre principal,

— INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a retenu que le licenciement de Monsieur X repose sur une cause réelle et sérieuse.

Statuant à nouveau,

— DIRE ET JUGER que le licenciement de Monsieur X est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

— CONDAMNER en conséquence la Société B à verser à Monsieur X la somme de 82 622,38 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

A titre subsidiaire,

— CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a retenu que l’employeur n’a pas respecté les règles encadrant les critères de fixation de l’ordre des licenciements,

— L’INFIRMER sur le quantum des dommages et intérêts alloués.

Statuant à nouveau,

— CONDAMNER, en conséquence, l’employeur à verser à Monsieur X la somme de 82 622,38 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi.

En tout etat de cause,

— INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Monsieur X de sa demande tendant à l’indemnisation des frais engagés ensuite du télétravail.

Statuant à nouveau,

— CONDAMNER la Société B à verser à Monsieur X la somme de 16850,10 euros au titre d’indemnisation des frais engagés ensuite de sa situation de télétravail leur,

— CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la Société B de ses demandes reconventionnelles,

— DEBOUTER la société B de sa demande reconventionnelle tenant à la condamnation de Monsieur X à lui verser la somme de 783770 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier et commercial,

— DEBOUTER la société B de sa demande reconventionnelle tenant à la condamnation de Monsieur X à lui verser la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 €, ainsi qu’au remboursement de la somme de 3 284,85 € au titre des frais d’expertise,

— CONDAMNER la Société B à verser à Monsieur X la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance, lesquels devront nécessairement inclure les frais d’expertise que la société B conservera à sa

charge.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures sus-visées.

EXPOSE DES MOTIFS’:

Sur le licenciement’:

Sur le motif économique’:

L’article L 1233-3 du code du travail dans sa version antérieure au 1er décembre 2016 prévoit que’:

Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants, résultant de l’une des causes énoncées au premier alinéa.

Au cas d’espèce, quoique la procédure soit orale, la Cour observe que la société B, qui s’en est remise oralement, à l’audience des plaidoiries, à ses conclusions écrites, ne développe aucun moyen quant à l’appel incident de Monsieur X visant à voir infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de ses prétentions tendant à voir déclarer sans cause réelle et sérieuse son licenciement pour motif économique et de sa demande subséquente de dommages et intérêts de sorte que la société B est réputée s’approprier les motifs du jugement entrepris au visa de l’article 954 du code de procédure civile. (cass.soc.30 novembre 2010, pourvoi n°09-66200).

La convocation à l’entretien préalable au licenciement indique que celui-ci est envisagé à raison de la suppression de son emploi suite à une réorganisation de l’activité consécutive à des difficultés économiques.

S’agissant des difficultés économiques, il est précisé que la société enregistre sa quatrième année consécutive de perte au 31 décembre 2010 à hauteur de 370000 euros, avec une perte cumulée sur les 4 dernières années de 1300000 euros, qu’elle explique par une diminution du chiffre d’affaires réalisé avec le produit VISUAL EXPERT depuis les 5 dernières années.

Elle ajoute que le plan de réduction des charges avec des suppressions de postes ne s’est pas avéré suffisant de sorte qu’elle a décidé de concentrer ses efforts et investissements sur le logiciel VISUAL GUARD et sur son activité de services qui est en croissance.

S’agissant de l’élément matériel, elle indique qu’elle a décidé de supprimer un des deux postes de responsable produit pour ne garder qu’un poste de responsable de VISUAL GUARD.

La motivation du conseil de prud’hommes a porté sur la stagnation voire la régression du chiffre d’affaires global de la société de 2006 à 2011 et des résultats d’exploitation déficitaires de 2007 à 2011, rappelant les précédentes mesures prises, et considérant que ces difficultés économiques justifient la suppression d’un poste d’ingénieur dans les effectifs.

Sur ce, il appert que c’est à bon droit que le conseil de prud’hommes ne s’est pas limité à apprécier l’indicateur du chiffre d’affaires à la seule diminution des ventes pour un des produits vendus par la

société dès lors que l’appréciation doit se faire sur la globalité du chiffre d’affaires.

Pour autant, Monsieur X indique, à juste titre, que le chiffre d’affaires entre l’exercice 2009 et l’exercice 2010 a progressé de manière significative en passant de 1439139 euros à 1559000 euros de sorte que cet indicateur ne reflète pas de difficultés économiques contemporaines à la procédure de licenciement pour motif économique initiée en avril 2011.

Par ailleurs, dès lors que la juridiction n’a pas à se substituer à l’employeur pour apprécier le bien-fondé de ses choix de gestion, les moyens développés par Monsieur X, qui ne se prévaut pas d’une faute de la société NOVALIS qui aurait été à l’origine des difficultés économiques allégués, sur des efforts qu’il juge insuffisants mis par l’entreprise pour résoudre la chute des ventes du logiciel VISUAL EXPERT, sont sans portée.

L’indicateur du résultat d’exploitation retenu par le conseil de prud’hommes apparait, en revanche, plus pertinent puisqu’il s’est établi à – 468648 euros en 2010 et se trouvait, dès lors, fortement déficitaire.

Toutefois, Monsieur E X produit le rapport de l’assemblée générale ordinaire de la société statuant sur les comptes clos le 31 décembre 2010 et s’appuie, à juste titre, sur les explications circonstanciées données par le Président de la société pour considérer que ce résultat d’exploitation déficitaire n’est pas en l’espèce un élément suffisant permettant de retenir l’existence de difficultés économiques réelles puisqu’il ressort de ce document’:

«’le résultat de ces investissements est une prise de position durable sur ces nouveaux marchés, une offre de produit renforcée, un portefeuille d’affaires en cours plus important et un accroissement du chiffre d’affaires significatif dès l’exercice 2009 et 2010, malgré des conditions de marché rendues plus difficiles par la situation économique actuelle.

Pour restaurer sa rentabilité, la société a lancé un plan de réduction de charges dont la mise en oeuvre a été réalisée au long de l’année 2010.

(‘)

Divers éléments exceptionnels affectent les comptes 2010′: les développements des logiciels réalisés en 2006 et en début 2007 devront prochainement faire l’objet d’une réécriture. Ils ont fait l’objet d’un amortissement complémentaire pour la totalité de leur valeur nette immobilisée, soit 57976 euros.

L’accueil fait au savoir-faire et à la fiabilité de l’équipe B continue à être favorable, et la situation en cette fin d’exercice permet de dire que très régulièrement de grands utilisateurs font confiance à nos produits et à notre compétence.

L’EXPLOITATION’:

(‘)

La comparaison avec le précédent exercice de 12 mois montre une hausse de 8,3 % du chiffre d’affaires, ainsi qu’une hausse limitée à 1,43 % des charges d’exploitation les mesures exposées ci-dessus ne prenant leur plein effet qu’en 2011.

Les produits récurrents continuent à progresser régulièrement.

(‘)

Les besoins de financement de l’exercice résultent principalement du résultat déficitaire et de l’amortissement assumé des développements de la recherche antérieure.

(‘)

L’emprunt obligatoire convertible a conduit à une augmentation de capital de 18190 euros assorti d’une prime d’émission de 1126678 euros sur laquelle a été imputée les pertes antérieures. La situation nette s’est trouvée reconstituée à hauteur du capital.

(‘)

PERSPECTIVE POUR LE NOUVEL EXERCICE’:

L’activité pour le nouvel exercice semble se développer conformément au plan de prospection prévu, en poursuivant l’effort d’adaptation de la structure au volume de production actuel, sauf modification intervenant au second semestre. Le plan de développement des ventes mis en place devrait permettre d’assurer un développement satisfaisant de l’exploitation en utilisant au mieux les ressources financières engagées, sauf engagements imprévus.

La poursuite de l’activité durant l’exercice pourrait, si elle se confirme, permettre d’atteindre globalement avec une bonne certitude le budget fixé en termes de chiffres d’affaires. (‘)’».

Il s’en déduit qu’il n’est exprimé aucune inquiétude sur la pérennité de l’entreprise, nonobstant des indicateurs de résultats d’exploitation et de résultats nets négatifs depuis plusieurs années, étant noté que les pertes sont moins élevées en 2010 qu’en 2011 et que le Président de la société donne des explications circonstanciées sur chacun des indicateurs, notant en particulier une progression du chiffre d’affaires nettement supérieure à celles des charges d’exploitation.

Aucune pièce utile, la liasse fiscale 2011 ne donnant pas le détail de l’évolution par trimestre des indicateurs précités mais la situation au 31 décembre 2011 (la pièce n°13 de l’appelant étant de surcroit uniquement un prévisionnel), n’est produite aux débats et les motifs du jugement entrepris ne révèlent aucune raison permettant d’établir qu’à l’issue du premier trimestre 2011, les indicateurs se seraient brutalement dégradés dans des conditions de nature à remettre en cause l’appréciation globalement optimiste des résultats de l’entreprise à l’issue de l’exercice précédent.

En conséquence, infirmant le jugement entrepris, il convient de déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour motif économique de Monsieur E X, notifié par la SAS B dès lors que l’élément causal du motif économique n’est pas établi.

Sur les prétentions afférentes à la rupture injustifiée du contrat de travail’:

Au jour de son licenciement injustifié, Monsieur X avait un salaire de l’ordre de 4860,14 euros bruts, hors rémunération variable et une ancienneté importante mais ne justifie aucunement de sa situation postérieure au regard de l’emploi alors que la partie adverse met en évidence qu’il a, dès le mois de juillet 2011, exercé une activité indépendante de conseil en systèmes et logiciels informatiques.

Dans ces conditions, il lui est accordé la somme de 40000 euros nets titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et il est débouté du surplus de sa demande de ce chef.

Sur la demande d’indemnisation des frais engagés dans le cadre du télétravail’:

Les frais qu’un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’employeur doivent être remboursés sans qu’ils puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due, à moins qu’il n’ait été contractuellement prévu qu’il en conserverait la charge

moyennant le versement d’une somme fixée à l’avance de manière forfaitaire et à la condition que la rémunération proprement dite du travail reste au moins égale au SMIC, étant relevé que Monsieur X se prévaut, à tort, de l’article L 1222-10 du code du travail, repris par les premiers juges, dès lors que ces dispositions ne sont entrées en vigueur que le 24 mars 2012, à une date où le contrat de travail était déjà rompu.

Par ailleurs en application de l’article L1121-1 du code du travail, le salarié n’est tenu ni d’accepter de travailler à son domicile ni d’y installer ses dossiers et instruments de travail. L’occupation, à la demande de l’employeur du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue en effet une immixtion dans la vie privée de celui-ci et n’entre pas dans l’économie générale du contrat de travail.

Si le salarié accepte de travailler à son domicile, l’employeur est tenu de l’indemniser de cette sujétion particulière, ainsi que des frais engendrés par l’occupation à titre professionnel du domicile.

L’indemnisation ne peut être écartée que dans l’hypothèse où le salarié sollicite ou fait usage de la faculté de travailler à son domicile alors qu’il dispose effectivement d’un local professionnel mis à sa disposition par l’employeur, lequel ne peut, en conséquence, être condamné à supporter une charge supplémentaire.

La SAS B n’a développé aucun moyen sur l’appel incident de Monsieur X sur la disposition du jugement ayant rejeté sa demande de remboursement de frais professionnels de sorte que l’appelante principale est réputée s’être approprié les motifs du jugement dont appel.

Les premiers juges ont relevé, dans un premier temps, que Monsieur X était fondé à solliciter le remboursement de frais d’électricité exposés pour son activité professionnelle mais qu’il ne justifiait pas de leur montant.

Les mêmes motifs ont été retenus pour le remboursement de la location d’un bureau de 30 m2, outre le fait qu’il n’y avait pas eu d’accord sur ce point avec l’employeur.

Enfin, le conseil de prud’hommes a jugé que l’abonnement téléphonique et internet était pris en charge par l’employeur.

Au cas d’espèce, les pièces produites ne permettent aucunement de remettre en cause le fait que Monsieur X a travaillé en télétravail comme il l’affirme et corroborent, au contraire, ce fait puisque deux ordinateurs ont été mis à sa disposition par son employeur à son domicile, la société B produit une facture téléphonique de janvier 2011 justifiant qu’elle a pris en charge les abonnement et communications internet et téléphone de Monsieur B et le siège social de l’entreprise se trouve à BOULOGNE-BILLANCOURT alors que Monsieur X est domicilié à NOYAREY dans l’ISERE.

Or, l’employeur n’allègue et encore moins ne justifie avoir mis à la disposition du salarié un local professionnel.

Monsieur X est, dès lors, fondé, sur le principe, à solliciter le remboursement des frais d’électricité et de la location de bureau qu’il dit avoir exposés et ce, s’agissant de ce dernier, peu important l’absence d’accord de l’employeur qui ne justifie avoir mis un local professionnel à la disposition du salarié.

Toutefois, Monsieur X ne produit, en pièce n°26, comme justificatifs des frais exposés, qu’un tableau qu’il a lui-même dressé, sans la moindre pièce justificative.

Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Monsieur E X de sa demande de remboursement de frais professionnels.

Sur la faute lourde’:

La faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise.

La charge de la preuve de la faute lourde pèse exclusivement sur l’employeur.

Au cas d’espèce, l’employeur reproche à son salarié d’avoir, malgré sa demande de restitution des deux ordinateurs mis à sa disposition par son employeur par courriel du 16 mai 2011 puis par courrier du 20 mai 2011, supprimé d’un des ordinateurs son environnement de travail, avec une intention de lui nuire, puisque l’ayant empêché, ensuite, d’effectuer toute correction ou adaptation de son logiciel VISUAL LEADER, notamment en corrigeant d’éventuels bugs ou de procéder à des mises à jour’; ce qui a conduit, indique-t-elle, à la multiplication des résiliations de contrat de maintenance par des clients et à la nécessité d’exposer un montant très important pour développer, à nouveau, le logiciel.

Il résulte de l’expertise judiciaire, réalisée par Monsieur C , que Monsieur X n’a effectué aucune manipulation préjudiciable sur le disque 235 mais que sur le disque 617, il a, entre le 18 mai 2011 et le 26 juin 2011, effacé volontairement les données contenues en écrivant un caractère (la lettre x) sur la quasi-totalité de l’espace du disque dur, qu’il a réinstallé, le 26 juin 2011, le système d’exploitation WINDOWS CP à neuf et a, ensuite, copié, le même jour, depuis une source de données extérieure, contenant les codes sources du logiciel (CORTEX, PAD, SYNTAX, VE).

L’expert indique que la mise à disposition des codes sources est une condition nécessaire mais pas suffisante pour s’assurer de la reconstitution et de la maintenance du logiciel VISUAL EXPERT, indiquant, dans la conclusion de son expertise, que la méthode d’effacement du disque dur mise en oeuvre le 26 juin 2011 ne permet pas de restaurer l’environnement de travail préexistant au 18 mai 2011.

Monsieur C a, certes, par ailleurs, constaté sur le poste 617′:

— l’absence de logiciel de compilation et de facto l’absence de paramètres de configuration de ce logiciel

— l’absence d’explications de méthodologie pour recompiler le logiciel (fiche réflexe des actions à mener par exemple)

— l’absence de test de compilation.

Toutefois, il n’a pas tranché le différend technique opposant les parties, puisque la société B a soutenu, devant l’expert, et toujours devant la présente Cour qu’un environnement technique lui fait défaut alors que Monsieur X a évoqué et continue de le faire dans le cadre de ses conclusions qu’il n’y a besoin de que deux logiciels (INSTALLSHIELD) et d’un savoir que tout programmateur devrait détenir.

S’agissant du motif allégué par Monsieur X pour expliquer cette manipulation informatique, il a indiqué qu’elle avait pour finalité de supprimer toutes données personnelles.

L’expert a, certes, considéré que la méthode employée n’était pas couramment usitée mais confirme pour autant sur un plan technique qu’il s’agit de la seule solution pour aboutir à la suppression des données à titre personnel.

En tout état de cause, la société B ne parvient pas à établir de manière certaine qu’en

procédant à cet effacement, le cas échéant pour un motif présumé légitime visant à effacer ses données à titre personnel, Monsieur X savait que la société B se trouverait dans l’impossibilité de pouvoir corriger le logiciel et de développer des mises à jour’; ce que Monsieur X a contesté devant l’expert, avançant une explication technique que Monsieur C n’a ni infirmé ni confirmé, étant relevé qu’une telle connaissance était de nature à caractériser une intention de nuire préjudiciable.

Or, les échanges de courriels de novembre/décembre 2010 portant sur des difficultés de récupération et compilation des codes sources du logiciel VISUAL EXPERT ne permettent pas de confirmer de manière certaine la position de la société puisqu’à tout le moins, elle admet, dans ses écritures, que Monsieur D a pu éditer une version du logiciel fin mars 2011.

Elle affirme dans ses conclusions (page 19 § 4 et 5), sans le moindre élément pour l’étayer, autre que l’attestation parfaitement insuffisante de Monsieur D, très générale, ne donnant aucun détail technique, non circonstanciée s’agissant des faits qu’elle expose, n’évoquant même pas l’édition de l’ultime version de mars 2011 du logiciel que «’chaque fois, Monsieur X réalisait des modifications sur le serveur et l’ordinateur de Monsieur D, puis demandait de tester à nouveau le processus. L’opération n’a abouti qu’une fois, fin mars 2011. Lorsque Monsieur D a souhaité ultérieurement la réitérer, des erreurs ont a nouveau bloqué le processus (signe que Monsieur X, lors de l’opération de fin mars 2011, n’avait corrigé les problèmes bloquants que sur l’ordinateur de Monsieur D, et non simultanément sur le serveur, de sorte que ces corrections ont été détruites dès qu’une nouvelle copie du serveur a été effectuée)’», alors que Monsieur X lui oppose que l’employeur avait une copie de sauvegarde sur son serveur.

La société B ne produit, en particulier, aucun élément technique sur les sauvegardes successives du logiciel VISUAL EXPERT faites sur son serveur.

Enfin, il est intéressant de noter qu’elle affirme qu’elle a dû redévelopper le logiciel mais ne fournit que des éléments financiers, très parcellaires, mais aucune donnée technique explicitant ce que les salariés et prestataires ont dû techniquement faire pour procéder à cette opération.

En conséquence, la société B ne rapporte pas la preuve suffisante de la faute lourde qu’elle reproche à Monsieur X, de sorte que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a débouté la première de sa demande indemnitaire de ce chef à l’égard du second.

Sur les demandes accessoires :

L’équité commande de confirmer l’indemnité de procédure de 1200 euros allouée en première instance à Monsieur X et de lui accorder une indemnité complémentaire de procédure de 1800 euros en cause d’appel au titre des frais irrépétibles dès lors que ceux-ci ont été majorés par l’assistance aux opérations d’expertise judiciaire.

Le surplus des prétentions des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile est rejeté.

Au visa de l’article 696 du code de procédure civile, confirmant le jugement entrepris et y ajoutant, il convient de condamner la SAS B, partie perdante, aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais d’incident et d’expertise judiciaire.

PAR CES MOTIFS’:

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a’:

— débouté E X de sa demande de remboursement de frais professionnels,

— débouté la société B de sa demande indemnitaire pour faute lourde,

— condamné la société B à payer à E X une indemnité de procédure de 1200 euros

— condamné la SAS B aux dépens

L’INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DECLARE sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Monsieur E X par la société B

CONDAMNE la SAS B à payer à Monsieur E X la somme de quarante mille euros (40000 euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

DEBOUTE E X du surplus de sa demande indemnitaire au titre du licenciement

CONDAMNE la SAS B à payer à E X une indemnité complémentaire de procédure de 1800 euros

REJETTE le surplus des prétentions au titre de l’article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la SAS B aux dépens d’appel, dont les frais d’expertise judiciaire et d’incident.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Antoine MOLINAR-MIN, conseiller ayant participé au délibéré, pour Mme Blandine FRESSARD, Présidente empêchée, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Conseiller


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