Le refus opposé par un prestataire, de restituer à un client une somme versée par erreur (10 500 euros) constitue une négligence fautive justifiant la résiliation du contrat.
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Résumé de l’affaire : La société People and Baby Développement a conclu un contrat avec la société Gloss pour la réservation d’un berceau, avec un acompte de 25 % du montant annuel. En décembre 2019, un prélèvement de 10 500 euros a été effectué par erreur, entraînant une réclamation de la société Gloss et l’émission d’un avoir par People and Baby. En juillet 2020, Gloss a demandé la résiliation du contrat, acceptée par People and Baby avec un préavis d’un an, réduit à quatre mois. Gloss a contesté cette résiliation et a demandé le remboursement du prélèvement. People and Baby a assigné Gloss en justice pour récupérer la somme prélevée. Le tribunal a condamné People and Baby à restituer 10 500 euros, à verser 5 000 euros pour préjudice moral et 3 000 euros au titre de l’article 700. People and Baby a interjeté appel, demandant l’infirmation du jugement. En appel, la cour a confirmé le jugement sauf pour le préjudice moral, rejetant la demande de Gloss pour dommages-intérêts et condamnant People and Baby à verser 3 000 euros à Gloss sur le fondement de l’article 700.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 5
ARRET DU 10 OCTOBRE 2024
(n° , 1 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 22/06107 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFQZL
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Janvier 2022 – Tribunal de Commerce de Paris, 13ème chambre – RG n° 2021016781
APPELANTE
S.A.S. PEOPLE AND BABY DEVELOPPEMENT, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 539 598 086
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Harmonie Renard de la SELARL GAIST & RENARD, avocat au barreau de Paris
INTIMEE
S.A.S. GLOSS, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de Brest sous le numéro 819 498 650
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Aude Blaise, avocat au barreau de Paris, toque : E0250
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Nathalie Renard, présidente de la chambre 5-5, et Mme Marie-Annick Prigent, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme Nathalie Renard, présidente de la chambre 5-5
Mme Marilyn Ranoux-Julien, conseillère
Mme Marie-Annick Prigent, magistrat à titre honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : M. Maxime Martinez, en présence de Mme Alice Nguea, greffier en formation
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Nathalie Renard, présidente de la chambre 5.5 et par M. Maxime Martinez, greffier, présent lors de la mise à disposition.
La société People and Baby Développement (ci-après la société People and Baby) est une société ayant pour activité la commercialisation de places en crèche.
La société Gloss exerce une activité de développement, montage, retouche photographique et créations numériques.
Le 6 septembre 2019, la société Gloss a souscrit auprès de la société People and Baby un contrat de prestation d’accueil d’un enfant, prévoyant la réservation d’un berceau facturé annuellement au prix de 15 000 euros. La facturation annuelle était prévue à compter de la mise à disposition du berceau. A titre de garantie de réservation pour la première année, la société Gloss a versé un acompte de 25 % du montant annuel.
Alors que la facturation ne devait débuter qu’en juin 2020, en décembre 2019, un prélèvement de la réservation annuelle a été effectué sur le compte de la société Gloss pour un montant de 10 500 euros TTC.
A la suite de la réclamation de la société Gloss demandant le remboursant de la somme prélevée, la société People and Baby Développement a émis un avoir de cette somme en mars 2020.
Par courrier recommandé en date du 24 juillet 2020, la société Gloss a sollicité la résiliation du contrat.
Par courrier du 27 novembre 2020, la société People and Baby a accepté cette demande mais a réclamé un préavis d’un an, réduit à 4 mois par geste commercial, facturant la somme de 8 700 euros pour la mise à disposition du berceau durant la durée de préavis.
Par courrier du 17 décembre 2020, la société Gloss a sollicité la résiliation sans préavis du contrat aux torts de la société People and Baby et le remboursement de la somme prélevée, au motif que le prélèvement réalisé était constitutif d’un manquement contractuel de la société People and Baby.
Par acte du 29 mars 2021, la société People and Baby a assigné la société Gloss devant le tribunal de commerce de Paris en remboursement de la somme prélevée et en indemnisation du préjudice moral.
Par jugement du 31 janvier 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
– Condamné la société People and Baby à restituer à la société Gloss la somme de 10 500 euros en compensation de l’avoir octroyé ;
– Condamné la société People and Baby à payer à la société Gloss la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral ;
– Condamné la société People and Baby à payer à la société Gloss la somme de 3 000 euros de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif
– Condamné la société People and Baby aux dépens.
Par déclaration du 22 mars 2022, la société People and Baby a interjeté appel du jugement en ce qu’il a :
– Condamné la société People and Baby à restituer à la société Gloss la somme de 10 500 euros en compensation de l’avoir octroyé,
– Condamné la société People and Baby à payer à la société Gloss la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral,
– Condamné la société People and Baby à payer à la société Gloss la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné la société People and Baby aux dépens.
Par ses dernières conclusions notifiées le 18 octobre 2022, la société People and Baby demande, au visa des articles 696 et 700 du code de procédure civile, de :
– Juger la société People and Baby recevable et bien fondée en son appel,
– Infirmer le jugement rendu le 31 janvier 2022 par le tribunal de commerce de Paris en l’ensemble de ses dispositions,
Statuant de nouveau,
– Juger que le prélèvement anticipé a fait l’objet d’un remboursement sous forme d’avoir au profit de la société Gloss,
– Juger que le prélèvement anticipé réalisé par erreur n’est pas constitutif d’un manquement aux obligations substantielles du contrat,
– Juger que la société People and Baby n’a commis aucune faute de nature à entrainer une résiliation sans préavis,
– Juger que le délai de préavis de résiliation fixé à 4 mois entre les parties est pleinement applicable,
– Juger que la demande d’indemnisation de la société Gloss au titre d’un prétendu préjudice moral est indéterminée, celle-ci ne reposant sur aucun élément probant,
– Ramener le montant de la créance de la société Gloss à la somme de 1 800 euros.
En conséquence,
– Rejeter l’intégralité des prétentions formulées par la société Gloss,
En tout état de cause,
– Condamner la société Gloss aux entiers dépens de première instance et d’appel,
– Condamner la société Gloss à verser à la société People and Baby la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions notifiées le 2 mai 2024, la société Gloss demande, au visa des articles 1101 et suivants, 1302 et suivants, 1352 et suivants du code civil, les articles 321, 559 et 700 du code de procédure civile de :
– Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris,
Statuant à nouveau
– Débouter la société People and Baby de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– Condamner la société People and Baby à payer à la société Gloss la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel, au visa de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner la société People and Baby à payer à la société Gloss la somme de 5 000 euros pour procédure abusive,
– Condamner la société People and Baby aux entiers frais et dépens d’appel.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 16 mai 2024.
La cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Sur la résiliation du contrat
La société People and Baby fait valoir que le prélèvement de la somme de 10 500 euros correspond à une erreur qui a été réparée par l’émission d’un avoir en faveur de la société Gloss, le 19 mars 2020, à hauteur de 10.500 euros, afin d’annuler la précédente facture, que la société Gloss a résilié le contrat pour des raisons financières, qu’elle devait respecter le délai de préavis contractuel.
La société Gloss réplique que le refus de la société People and Baby de lui restituer la somme de 10 500 euros constitue une négligence fautive justifiant la résiliation du contrat sur le fondement de l’article 1.2 des conditions générales de celui-ci.
L’article 1103 du code civil énonce que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Aux termes de l’article 1104 du code civil : « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ».
L’article 1.2 des conditions générales de vente stipule : « en cas de manquement d’une des parties à ses obligations substantielles, sans remédiation à l’issue d’une période de trente jours calendaires à compter de sa notification par l’autre partie par lettre recommandée avec accusé de réception, cette dernière peut résilier le présent contrat, par lettre recommandée avec accusé de réception. »
Une somme de 10 500 euros a été prélevée par la société People and Baby le 27 décembre 2019 alors qu’il résulte des conditions particulières du contrat que la « facturation de chacun des berceaux commence à la date de début de mise à disposition telle que précisée dans la notification d’attribution. » Il résulte de la notification d’attribution de berceau que la date de début de mise à disposition a été fixé au 1er juin 2020.
La société People and Baby a émis un avoir sur facture, le 19 mars 2020, à hauteur de 10 500 euros en faveur de la société Gloss, afin d’annuler la précédente facture.
Plusieurs échanges de courriels ont eu lieu entre les mois de mars et juin 2020 entre la société Gloss et la société People and Baby relatifs au prélèvement de la somme de 10 500 euros et à la demande de restitution.
Par courrier recommandé du 10 mai 2020 avec demande d’avis de réception, la société Gloss a notifié à la société People and Baby la suspension du contrat de prestation d’accueil jusqu’à la cessation de la période de force majeure résultant de la crise sanitaire et a sollicité le remboursement de la somme de 10 500 euros indûment prélevée.
Par courrier recommandé du 24 juillet 2020 avec demande d’avis de réception, le conseil de la société Gloss a résilié le contrat de berceau pour non-respect des dispositions contractuelles et a sollicité le remboursement de la somme de 10 500 euros.
Par courrier recommandé du 25 janvier 2021 avec demande d’avis de réception, la société People and Baby a pris en compte la résiliation du contrat en considérant qu’elle était motivée par des motifs financiers et que le prélèvement de la somme de 10 500 euros ne constituait pas un manquement suffisamment grave pour résilier le contrat. Elle réduisait de six mois à quatre mois le préavis applicable aux termes du contrat.
La société People and Baby émettait, le 21 janvier 2021, une facture n°010-20788 correspondant à la période de mise à disposition du berceau du 1er juin 2020 au 24 novembre 2020, date de la fin de l’engagement de la société Gloss, pour un montant de 8 700 euros TTC.
La société People and Baby proposait également à la société Gloss de déduire cette somme de 8 700 euros de l’avoir établi précédemment, d’un montant de 10 500 euros, et de lui restituer la différence, à savoir 1 800 euros, par virement bancaire.
Si la société Gloss a allégué des difficultés financières dans son courrier du 10 mai 2020, elle a renouvelé sa demande de remboursement de la somme de 10 500 euros en invoquant les conséquences financières engendrées pour son entreprise.
Aux termes du courrier du 24 juillet 2020, le conseil de la société Gloss a rappelé à la société People and Baby la violation des obligations contractuelles et la non restitution de la somme prélevée en décembre 2019. Il a précisé également que sa cliente avait sollicité l’application de l’article 8 de la convention qui prévoyait la suspension des obligations pendant une période de force majeure.
La résiliation du contrat par courrier du 24 juillet 2020, repose cependant sur la non restitution de la somme de 10 500 euros ce qui a entraîné une rupture de confiance entre les cocontractants, le conseil de la société Gloss indiquant : « enfin au regard de l’absence de respect des dispositions substantielles du contrat, de l’absence de mobilisation de vos services pour répondre à ma cliente notamment à sa correspondance recommandée du 10 mai 2020, il n’est pas concevable pour cette dernière de laisser la garde d’un enfant au sein de votre établissement. »
En prélevant cinq mois avant la date prévue la somme de 10 500 euros et en n’acceptant de la comptabiliser que sous la forme d’un avoir au lieu de la restituer, malgré des demandes renouvelées, la société People and Baby a commis un manquement à ses obligations substantielles justifiant la résiliation du contrat de prestation d’accueil par la société Gloss sans préavis.
En conséquence, le jugement sera confirmé sur la résiliation du contrat sans préavis et en ce qu’il a ordonné à la société People and Baby de restituer la somme de 10 500 euros à la société Gloss.
Sur la demande en réparation du préjudice moral de la société Gloss
La société Gloss invoque l’existence d’un préjudice moral aux motifs du stress subi du fait de la fragilisation de sa trésorerie alors qu’elle devait subir une crise sanitaire ; elle ajoute que la géante, a vécu une situation stressante alors qu’elle était enceinte.
La société People and Baby réplique que le préjudice moral lié au stress ou à l’anxiété n’est pas réparable pour une personne morale.
La société Gloss doit rapporter la preuve de l’existence d’un préjudice en lien avec le manquement reproché à sa cocontractante.
Le préjudice moral subi par une société est réparable.
La société Gloss qui allègue avoir subi un préjudice moral ne verse aucune pièce établissant l’existence du préjudice que lui aurait causé la retenue de la somme de 10 500 euros par la société People and Baby.
Le préjudice invoqué par la gérante de la société Gloss ne peut donner lieu à dommages et intérêts en faveur de la société Gloss.
La société Gloss n’établit donc pas avoir subi un préjudice moral en lien avec le manquement retenu à l’encontre de la société People and Baby.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a alloué à la société Gloss la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts.
La demande de la société Gloss au titre d’un préjudice moral sera rejetée.
Sur la demande de la société Gloss de dommages-intérêts pour procédure abusive
Il résulte de l’article 1240 du code civil, qu’une partie ne peut engager sa responsabilité pour avoir exercé une action en justice ou s’être défendue que si l’exercice de son droit a dégénéré en abus.
La société Gloss ne démontre pas le caractère abusif de l’appel interjeté par la société People and Baby ni de sa résistance au remboursement de la somme litigieuse, l’appréciation inexacte qu’une partie fait de ses droits n’étant pas, en soi, constitutive d’une faute, l’abus ne pouvant se déduire du seul rejet des prétentions par la juridiction.
La demande de la société Gloss de dommages-intérêts pour procédure abusive sera rejetée.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions de première instance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.
La société People and Baby qui demeure débitrice sera condamnée aux dépens d’appel.
Il n’est pas inéquitable de condamner la société People and Baby à verser à la société Gloss la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et de rejeter la demande à ce titre de l’appelante.
La cour,
Confirme le jugement sauf en ce qu’il a condamné la société People and Baby Développement à payer à la société Gloss la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette la demande de la société Gloss de dommages-intérêts pour préjudice moral,
Rejette la demande de la société Gloss de dommages-intérêts pour procédure abusive,
Condamne la société People and Baby Développement à payer à la société Gloss la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande de la société People and Baby Développement sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société la société People and Baby Développement aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE