Engagement et évolution professionnelleMonsieur [K] [M] a été engagé par la S.C.E.A. Pépinières Ripoche en tant que pépiniériste le 13 septembre 1976. Au fil des années, il a évolué au sein de l’entreprise, atteignant le poste d’agent hautement qualifié, coefficient 410 selon la convention collective applicable. Arrêt de travail et reconnaissance de maladie professionnelleLe 3 février 2017, Monsieur [M] a été placé en arrêt de travail en raison d’une tendinopathie de l’épaule gauche. Cette pathologie a été reconnue comme maladie professionnelle le 26 juin 2018, avec un état de santé consolidé le 15 juillet 2019. Inaptitude et propositions de reclassementLe 5 août 2019, un médecin du travail a déclaré Monsieur [M] inapte, tout en précisant qu’il pouvait être reclassé à un poste administratif, sous certaines conditions. La S.C.E.A. Pépinières Ripoche a proposé deux offres de reclassement, que Monsieur [M] a déclinées, invoquant un manque de formation et des différences significatives avec son poste précédent. Licenciement et contestationLe 27 janvier 2020, Monsieur [M] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Il a contesté ce licenciement, arguant que ses refus d’offres de reclassement n’étaient pas abusifs. Procédure judiciaireLe 15 septembre 2020, Monsieur [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Nantes, demandant diverses indemnités et la reconnaissance d’un manquement de l’employeur à son obligation d’exécution loyale du contrat. Le jugement du 4 juin 2021 a débouté Monsieur [M] de ses demandes. Appel et décisions de la courMonsieur [M] a interjeté appel le 7 juillet 2021. La cour a infirmé le jugement en ce qui concerne le refus de reclassement, le considérant non abusif, et a condamné la S.C.E.A. Pépinières Ripoche à verser des indemnités à Monsieur [M], y compris une indemnité spéciale de licenciement et une indemnité compensatrice de préavis. Obligations de l’employeurLa cour a rappelé que l’employeur a l’obligation de rechercher un reclassement approprié et que le refus d’un poste de reclassement ne peut être considéré comme abusif si celui-ci entraîne une modification significative du contrat de travail. Indemnités et intérêtsMonsieur [M] a été reconnu en droit de percevoir des indemnités en raison de la non-abusivité de son refus de reclassement. Les créances salariales ont été assorties d’intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le conseil de prud’hommes. Documents sociaux et dépensLa S.C.E.A. Pépinières Ripoche a été condamnée à remettre à Monsieur [M] les documents sociaux rectifiés dans un délai d’un mois. De plus, elle a été condamnée aux dépens de la procédure, ainsi qu’à verser une somme à Monsieur [M] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°436
N° RG 21/04206 –
N° Portalis DBVL-V-B7F-R2CL
M. [K] [M]
C/
S.C.E.A. PEPINIERES RIPOCHE
Sur appel du jugement du 04/06/2021 du CPH de [Localité 5] – RG 20/712
Infirmation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
-Me Anne-laure BELLANGER
-Me Benoît BOMMELAER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 06 NOVEMBRE 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Nadège BOSSARD, Présidente de la chambre,
Assesseur : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Anne-Laure DELACOUR, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 13 Septembre 2024
devant Mme Anne-Laure DELACOUR, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Madame [Z] [D], médiatrice judiciaire,
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 06 Novembre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
Monsieur [K] [M]
né le 12 Juin 1960 à [Localité 4] (44)
demeurant [Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Anne-laure BELLANGER de la SARL LA BOETIE, Avocat au Barreau de NANTES
INTIMÉE :
La S.C.E.A. PEPINIERES RIPOCHE prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Chloé ARNOUX substituant à l’audience Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, Avocats postulants du Barreau de RENNES et ayant Me Julie LE BOURHIS, Avocat au Barreau de NANTES, pour conseil
Suivant contrat de travail à durée indéterminée à effet au 13 septembre 1976, Monsieur [K] [M] a été engagé par la société Pépinières Ripoche en qualité de pépiniériste.
Cette société compte moins de 10 salariés et applique la convention collective des exploitations horticoles et pépinières de Loire Atlantique.
Progressivement, M. [M] va évoluer au sein de la société et devenir, en dernier lieu, agent hautement qualifié, coefficient 410 suivant la classification de la Convention collective.
Le 3 février 2017, M. [M] a été placé en arrêt de travail suite à une tendinopathie de l’épaule gauche.
Le 26 juin 2018, la pathologie de Monsieur [M] a été reconnue à titre de maladie professionnelle avec effet rétroactif au 26 septembre 2016. Son état de santé a été consolidé avec séquelles le 15 juillet 2019 suivant avis du médecin conseil.
Le 5 août 2019, Monsieur [M] a été déclaré inapte par le médecin du travail qui précisait qu’il pouvait être reclassé en étant dispensé du port de charges de plus de 5 Kgs, de conduite d’engin, et de travail répété avec le bras gauche.
Le 25 septembre 2019, la S.C.E.A. Pépinières Ripoche a adressé une offre de reclassement à M. [M], à un poste administratif. L’intéressé l’a déclinée, invoquant une absence de formation sur ce poste.
Le 9 décembre, une nouvelle offre lui a été transmise, qu’il a de nouveau déclinée.
Le 10 janvier 2020, la S.C.E.A. Pépinières Ripoche a notifié à M. [M] l’impossibilité de le reclasser.
Le lendemain, il a été convoqué à un entretien préalable qui s’est déroulé le 23 janvier suivant.
Le 27 janvier 2020, Monsieur [M] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 29 janvier 2020, M. [M] a contesté le caractère abusif de ses refus d’offres de reclassement.
Le 15 septembre 2020, M. [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Nantes aux fins de :
‘ Dire et juger que la S.C.E.A. Pépinières Ripoche avait manqué à son obligation d’exécution loyale du contrat,
‘ Condamner la S.C.E.A. Pépinières Ripoche à lui verser :
– 25 855,94 € nets de reliquat d’indemnité spéciale de licenciement,
– 3 822,84 € bruts d’indemnité légale compensatrice de préavis,
– 10 000 € de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat,
– 2 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– Fixer le salaire moyen mensuel à la somme de 1 911,42 € bruts,
‘ Intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil pour les sommes ayant un caractère de salaire et à compter de la décision à intervenir pour les autres sommes, et capitalisation des intérêts.
‘ Remise des bulletins de salaire rectifiés conformes à la décision à intervenir ainsi que le certificat de travail et le solde de tout compte, dans les 15 jours de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 € par jour de retard passé ce délai,
‘ Exécution provisoire du jugement à intervenir,
‘ Condamner la partie défenderesse aux dépens.
La cour est saisie de l’appel régulièrement interjeté par M. [M] le 7 juillet 2021 contre le jugement du 4 juin 2021, par lequel le conseil de prud’hommes de Nantes a :
‘ Dit que la S.C.E.A. Pépinières Ripoche n’avait pas manqué à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail,
‘ Dit que le refus de reclassement proposé à M. [M] par la S.C.E.A. Pépinières Ripoche présentait un caractère abusif
‘ Débouté M. [M] de l’intégralité de ses demandes,
‘ Condamné M. [M] aux dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 22 décembre 2023 suivant lesquelles M. [M] demande à la cour de :
‘ Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes du 4 juin 2021 en toutes ses dispositions,
Statuant de nouveau,
‘ Dire que le refus de reclassement opposé par M. [M] n’est pas abusif, et que la S.C.E.A. Pépinières Ripoche a manqué à son obligation d’exécution loyale du contrat,
‘ Condamner la S.C.E.A. Pépinières Ripoche à verser à M. [M] les sommes suivantes :
– 25 855,94 € nets à titre de reliquat d’indemnité spéciale de licenciement,
– 3 822,84 € bruts au titre de l’indemnité d’un montant égal à l’indemnité légale compensatrice de préavis,
– 15 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation d’exécution loyale du contrat,
– 4 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
‘ Fixer le salaire moyen mensuel de M. [M] à la somme de 1 911,42 € bruts,
‘ Dire que les sommes ayant une nature salariale porteront intérêts à compter de la saisine du conseil et que les autres sommes porteront intérêt à compter du jugement à intervenir, avec capitalisation, en application de l’article 1343-2 du Code Civil,
‘ Ordonner la délivrance de bulletin de salaire rectifié conforme à la décision à intervenir, ainsi que le certificat de travail et le solde de tout compte, dans les 15 jours de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 € par jour de retard passé ce délai,
‘ Condamner la S.C.E.A. Pépinières Ripoche en tous les dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 27 décembre 2021, suivant lesquelles la S.C.E.A. Pépinières Ripoche demande à la cour de :
A titre principal,
‘ Confirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nantes du 4 juin 2021,
En conséquence,
‘ Débouter M. [M] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire,
‘ Réduire en de notables proportions le quantum indemnitaire,
‘ Le condamner au versement de 3 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 13 juin 2024.
Par application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties à leurs dernières conclusions sus-visées.
– sur la demande au titre de l’indemnité spéciale de licenciement et de l’indemnité compensatrice d’un montant égal à l’indemnité compensatrice de préavis :
En cas de constat d’inaptitude à reprendre l’emploi précédemment occupé, le salarié bénéficie d’un droit au reclassement affirmé dans son principe par l’article L.1226-10 du code du travail en ce qui concerne l’inaptitude relative à une maladie ou un accident professionnel.
L’obligation de reclassement est mise à la charge de l’employeur qui doit rechercher un autre emploi approprié aux capacités du salarié, en tenant compte des conclusions écrites du médecin du travail, notamment des indications qu’il formule sur l’aptitude de l’intéressé à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise.
La preuve de l’impossibilité de reclassement, à laquelle ne sont pas assimilables les difficultés de reclassement incombe à l’employeur.
L’employeur est tenu de rechercher loyalement et sérieusement un reclassement, l’obligation de reclassement étant considérée comme une obligation de moyen renforcée mais non une obligation de résultat.
Il appartient ainsi à l’employeur de proposer au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.(Cass Soc 29 mars 2023, pourvoi n°21-15.472)
La présomption instituée par les articles L. 1226-2-1 et L. 1226-12 du code du travail ne joue que si l’employeur a proposé au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en ‘uvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagements du temps de travail (Cass Soc 26 janvier 2022, n° 20-20.369).
Il en résulte que l’offre d’emploi doit être loyale, l’employeur étant tenu de proposer, à l’issue d’une recherche sérieuse accomplie en lien avec le médecin du travail, un poste concrètement adapté à la situation et aux possibilités de reclassement du salarié.
Il résulte en outre des dispositions de l’article L1226-14 du code du travail que l’indemnité spéciale de licenciement et l’indemnité compensatrice d’un montant égal à l’indemnité compensatrice de préavis, auxquelles le salarié peut prétendre en cas de rupture du contrat de travail pour inaptitude d’origine professionnelle, ne sont pas dues par l’employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif.
Selon les articles L. 1226-2-1 et L. 1226-12 modifiés par la loi du 8 août 2016, l’employeur peut rompre le contrat de travail s’il justifie du refus par le salarié de la proposition d’un poste répondant aux conditions des articles L. 1226-2 et L. 1226-10.
Le refus par le salarié d’un poste de reclassement proposé par l’employeur n’est pas abusif dès lors que la proposition entraîne une modification du contrat de travail (baisse de rémunération, changement du lieu de travail, modification de la durée du travail, qualification professionnelle), y compris lorsque l’emploi proposé est conforme aux préconisations du médecin du travail.
En l’espèce, pour infirmation à ce titre, le salarié considère que son refus n’était pas abusif en ce que le poste de reclassement proposé, administratif, différait complètement de son poste de pépiniériste occupé pendant 40 ans, et qu’aucune formation n’accompagnait l’offre. Il ajoute que le second poste proposé était en réalité le même, dépouillé de quelques missions de la précédente offre, évoquant un procédé déloyal de la part de l’employeur visant à le priver de ses indemnités de rupture.
Il précise que cette offre de reclassement emportait modification du contrat de travail, en ce qu’elle comportait des missions réalisées à domicile, et qu’elle modifiait sa qualification, de sorte qu’il était en droit de la refuser.
L’employeur rétorque qu’il a respecté ses obligations et que Monsieur [M] n’ayant pas de motif légitime pour refuser la proposition de reclassement, le refus d’un poste conforme est donc abusif. Il rappelle que deux propositions ont été faites à Monsieur [M], le 25/09/19 puis le 09/12/19, avec la même qualification, la même rémunération, le même temps de travail et un maintien à domicile.
Selon l’employeur, le poste de pépiniériste impliquait forcément des tâches de type administratif comme l’étiquetage, la gestion de commandes, peu éloignées du poste proposé.
Sur le maintien à domicile, il considère qu’il s’agit d’un argument ‘opportuniste’, dès lors que le salarié n’avait jamais fait part de cette difficulté lors de son refus, et qu’il s’agissait alors de faciliter ses conditions de travail.
En l’espèce, l’avis d’inaptitude établi par le médecin du travail en date du 5 août 2019 précise, en ce qui concerne le reclassement du salarié, ‘pas de port de charge de plus de 5Kg avec membre supérieur gauche, ‘pas de travail répété ou forcé avec le membre supérieur gauche ‘, ‘pas de conduite d’engin’ et enfin ‘possibilité de faire du travail administratif’.
Par courrier du 25 septembre 2019, la SCEA Pépinière Ripoche proposait ainsi à Monsieur [M] une possibilité de reclassement avec maintien à domicile, sans aucun déplacement au sein de l’entreprise, et réalisation des taches suivantes : – préparation d’enveloppes pour les envois en nombre (étiquetage et mise sous pli)
– préparation d’étiquettes à planter
– classement et tri de chromos
– disponibilité pour contacts téléphoniques avec la personne remplaçante sur la pépinière pour lui transmettre connaissances, expériences et informations utiles concernant l’entretien et la réparation du matériel.
Le poste était proposé sur la base de 35H par semaine et au coefficient du dernier salaire versé selon le taux horaire et les conditions de la convention en vigueur.
Suite au refus de Monsieur [M], par un courrier du 9 décembre 2019, la SCEA Pepinière Ripoche proposait alors à Monsieur [M] le même poste, mais sans réalisation de classement et tri de chromos.
Monsieur [M] a refusé ces deux postes de reclassement qu’il considère comme similaires voire identiques et ne correspondant pas au poste précédemment occupé.
Selon l’employeur, aucun autre poste n’était envisageable au sein de l’entreprise qui exerce une activité de culture pépinière en ce que tous les postes de production comportent des tâches nécessitant des gestes ou des postures de travail interdites par le médecin du travail (manutention manuelle répétée et/ou forcée avec le membre supérieur gauche), alors que l’aptitude à la réalisation d’un travail administratif n’est pas remise en cause par celui-ci.
Il n’est pas contesté qu’à la suite de l’avis émis par le médecin du travail, Monsieur [M] n’était plus en mesure d’exercer l’emploi qu’il effectuait précédemment comme pépiniériste au sein de la production, lequel impliquait nécessairement la réalisation de taches physiques avec mobilisation du membre supérieur gauche.
Selon le descriptif de poste de ‘production en pépinière d’élevage ornementale et fruitière’ communiqué par le salarié, le poste de pépiniériste comportait les taches suivantes : préparation de plants, plantations en pleine terre, greffage, tuteurage, embourgeonnage, élagage, arrachage manuel ou mécanique en racines nues ou mottes, rempotage manuel ou mécanique, préparation de commandes, chargement et livraisons, préparation de terrains, conduite d’engins, arrosage et entretien de matériel.
Il n’est pas davantage contesté que les deux postes de reclassement proposés à Monsieur [M], lesquels sont identiques si ce n’est la suppression d’une des tâches dans le second poste proposé (classement et tri de chromos), étaient conformes aux préconisations du médecin du travail.
En revanche, les postes ainsi proposés, s’il n’étaient accompagnés d’aucune modification de la qualification professionnelle, de la rémunération ou du temps de travail du salarié, modifiaient toutefois de manière significative les fonctions qui lui étaient confiées, en ce qu’il s’agit de tâches strictement administratives qu’il devait en outre accomplir à son domicile, sans déplacement sur le site de la pépinière. Les fonctions des deux emplois différaient largement.
Le fait de refuser un poste à domicile comprenant des taches administratives sans lien avec celles exercées précédemment, s’apparentant ainsi à une modification du contrat de travail, ne présentait dès lors pas de caractère abusif.
Le jugement sera ainsi infirmé en ce qu’il a considéré que le refus formé par Monsieur [M] à la proposition de reclassement était abusif.
– sur les indemnités dues à Monsieur [M] :
Monsieur [M], dont le refus du poste de reclassement proposé n’est pas considéré comme abusif, est donc en droit, en application de l’article L.1226-14 du code du travail, de percevoir l’indemnité spéciale de licenciement égale au double de celle prévue à l’article L. 1234-9 du code du travail, ainsi que l’indemnité compensatrice qui est égale à l’indemnité compensatrice de préavis de droit commun fixée à l’article L. 1234-5 du code du travail
En l’occurrence, dès lors que Monsieur [M] a perçu la somme de 25 855,94 euros au titre de l’indemnité de licenciement, il est donc bien fondé à solliciter la condamnation de la société Pépinières Ripoche à lui payer cette même somme au titre de l’indemnité spéciale de licenciement.
Concernant l’indemnité compensatrice égale à l’indemnité de préavis de droit commun, Monsieur [M], qui justifie d’une ancienneté supérieure à deux ans, pouvait ainsi prétendre lors de la rupture du contrat de travail à l’exécution d’un préavis de deux mois tel que prévu par l’article L1234-1 du code du travail.
En considération de la rémunération mensuelle à laquelle Monsieur [M] pouvait prétendre au cours de la période de préavis, s’élevant à 1 882,42 euros bruts au regard des bulletins de paie versés aux débats précédant son arrêt de travail, la société sera ainsi condamnée à lui payer la somme de 3 764,84 euros à ce titre.
– sur l’exécution déloyale du contrat de travail :
Selon l’article L1222-1 du code du travail, ‘le contrat de travail est exécuté de bonne foi’.
A l’appui de sa demande d’indemnisation pour exécution déloyale du contrat de travail, Monsieur [M] reproche à son employeur d’avoir usé de manoeuvres afin de le priver des indemnités de rupture, et ce en lui proposant un poste administratif à domicile sans accompagnement alors qu’il exerçait depuis 40 ans un travail manuel de pépiniériste.
L’employeur rétorque que monsieur [M] n’apporte aucune preuve d’une quelconque intention malicieuse de sa part, les propositions de reclassement étant sincères avec des tâches réelles correspondant aux préconisations du médecin du travail et aux compétences et qualifications du salarié.
En cas de déclaration d’inaptitude du salarié, il appartient ainsi à l’employeur de proposer à celui-ci, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.(Cass Soc 29 mars 2023, pourvoi n°21-15.472)
En l’espèce, avant d’adresser au salarié la première proposition de reclassement, la société Pepinières Ripoche justifie avoir interrogé le médecin du travail sur la nature des fonctions susceptibles d’être exercées par Monsieur [M] à la suite de l’avis d’inaptitude ayant été établi le 5 août 2019, comme cela résulte des échanges de mails versés aux débats entre juin et septembre 2019, ainsi que du courrier du médecin du travail du 12 septembre 2019.
Dès lors que les postes en production étaient incompatibles avec les préconisations du médecin du travail, la société Pépinières Ripoche, qui est une petite entreprise comportant une dizaine de salariés, a proposé à Monsieur [M] un poste administratif, dont les fonctions étaient certes différentes de celles qu’il exerçait comme pépiniériste, mais avec maintien des éléments de rémunération, classification et temps de travail.
Le seul fait qu’il s’agisse d’une fonction exercée à domicile, sans accompagnement spécifique, ne peut suffire à établir un comportement déloyal de l’employeur dans la recherche d’un reclassement, étant précisé que Monsieur [M] n’allègue pas qu’un autre poste, plus adapté et conforme aux préconisations du médecin du travail, pouvait lui être proposé.
En conséquence, aucune déloyauté n’étant établie dans la recherche de reclassement incombant à l’employeur, le jugement sera ainsi confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [M] de sa demande à ce titre.
– sur les intérêts et l’anatocisme
Conformément aux dispositions de l’article 1231-6 du code civil, les créances salariales sont assorties d’intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour celles qui étaient exigibles au moment de sa saisine.
En vertu de l’article 1231-7 du code civil, les dommages et intérêts alloués sont assortis d’intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
En vertu de l’article 1343-2 du code civil, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise.
Il convient d’ordonner la capitalisation des intérêts échus sur une année entière.
Sur la remise des documents sociaux
La demande de remise des documents sociaux rectifiés conformes à la présente décision est fondée en son principe, et la SCEA Pépinières Ripoche doit être condamnée à cette remise dans un délai d’un mois à compter de la signification du présent arrêt.
Les circonstances de la cause ne justifient pas le prononcé d’une astreinte. Cette demande est rejetée.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En application de l’article 696 du code de procédure civile, la SCEA Pepinières Ripoche, partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel, et elle sera également condamnée à payer à Monsieur [M] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt prononcé par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Monsieur [K] [M] de ses demandes d’indemnité spéciale de licenciement et d’indemnité compensatrice égale à l’indemnité de préavis et l’a condamné aux dépens,
Statuant à nouveau des chefs infirmés
Condamne la SCEA Pépinières Ripoche à payer à Monsieur [K] [M] :
– la somme de 25 855,94 euros au titre de l’indemnité spéciale de licenciement
– la somme de 3 764,84 euros au titre de l’indemnité compensatrice qui est égale à l’indemnité compensatrice de préavis de droit commun,
Dit que les créances salariales sont assorties d’intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de la présente décision, avec anatocisme à compter de la demande judiciairement formée pour les créances échues depuis une année entière,
Confirme pour le surplus le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Condamne la SCEA Pépinières Ripoche à remettre à Monsieur [K] [M] les documents sociaux rectifiés conformes à la présente décision dans un délai d’un mois à compter de la signification du présent arrêt,
Rejette la demande d’astreinte,
Condamne la SCEA Pépinières Ripoche à payer à Monsieur [K] [M] la somme de 1.500 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SCEA Pépinières Ripoche de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SCEA Pépinières Ripoche aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.