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Dès lors qu’un annonceur a été en relation régulière avec la société Google France sur la suppression d’une annonce Google Ads ainsi que cela ressort des échanges intervenus par emails (1), la société Google France peut être maintenue dans la cause voir condamnée in solidum avec Google Inc. La juridiction a déduit dudit échange par emails que la société Google France était intervenue dans le refus d’annonce opposé à la société annonceur.
(1) « Pour ce qui est des annonces refusées’ nous n’avons pour l’instant pas d’informations complémentaires. Je vais essayer de voir avec nos équipes « Trust and Safety » (pièce BCG n°8 – échanges des 22 et 23 juin 2020 avec le chargé de compte de Google France)]; ‘Hello X, Je vais creuser de mon côté. Ça m’étonne que ce soit définitif sans qu’on n’ait reçu aucune communication en interne. Je reviens vers toi dès que j’ai du nouveau. A très vite, Y ».
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 3
ARRET DU 28 AVRIL 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/04568 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDIC3
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 22 Février 2021 -Président du TC de PARIS – RG n° 2021003531
APPELANTES
Société GOOGLE IRELAND LTD. société de droit irlandais prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
[…]
[…]
Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
Assistée par Me Delphine MICHOT, avocat au barreau de PARIS, toque : J21
S.A.R.L. GOOGLE FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[…]
[…]
Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
Assistée par Me Delphine MICHOT, avocat au barreau de PARIS, toque : J21
INTIMEE
S.A.R.L. BUREAU CARTE GRISE
[…]
[…]
Représentée par Me Hervé LEHMAN de la SCP LEHMAN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0286
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 06 Avril 2021, en audience publique, rapport ayant été fait par Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre
Carole CHEGARAY, Conseillère
Edmée BONGRAND, Conseillère
Greffier, lors des débats : Olivier POIX
ARRÊT :
— CONTRADICTOIRE
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— signé par Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre et par Olivier POIX, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
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La société Bureau Carte Grise (BCG), qui effectue, pour le compte de clients, auprès du ministère de l’intérieur, les démarches nécessaires à l’obtention des certificats d’immatriculation de véhicules automobiles, a acquis, pour la promotion de son activité, des ‘mots-clés’ via le service de publicité Google Ads, permettant d’afficher ses annonces sur les pages de résultats du moteur de recherche Google.
Le 19 mars 2020, Google a informé la société Bureau Carte Grise de la modification des conditions générales de son service AdWords (ou Google Ads), afin de proscrire la diffusion de publicités pour des services relatifs à des documents officiels directement accessibles auprès d’une administration publique.
Se prévalant de ce que ses annonces étaient désormais refusées, la société Bureau Carte Grise a, par acte du 20 janvier 2021, fait assigner les sociétés Google Ireland et Google France en référé d’heure à heure devant le président du tribunal de commerce de Paris aux fins de les voir condamner à rétablir, sous astreinte, la publication et la diffusion de ses annonces, et à lui payer une provision sur dommages et intérêts de 100.000 euros.
Par ordonnance contradictoire rendue le 22 février 2021, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :
— condamné solidairement les sociétés Google France et Google Ireland Limited, sous astreinte in solidum de 10.000 euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la signification de la présente décision, au rétablissement de la publication et de la diffusion des annonces et mots-clés de la société Bureau Carte Grise en lien avec le service de la délivrance des cartes grises et certificats d’immatriculation, ou jusqu’à ce qu’il soit statué au fond par le tribunal ;
— condamné solidairement les sociétés Google France et Google Ireland à payer à la société Bureau Carte Grise la somme de 100.000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts ;
— condamné solidairement les sociétés Google France et Google Ireland à régler à la société Bureau Carte Grise la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
— les a condamnées solidairement aux entiers dépens, de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 48,63 € TTC dont 7,89 € de TVA ;
— dit que, faute pour la société Bureau Carte Grise de saisir le tribunal au fond dans une procédure à bref délai dans le délai d’un mois suivant la signification de la présente ordonnance, celle-ci sera caduque.
Les sociétés Google Ireland Limited et Google France ont interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 12 mars 2021.
Par conclusions remises le 12 mars 2021, elles demandent à la cour, au visa des articles 31, 122 et 873 du code de procédure civile, de :
— infirmer l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 22 février 2021 ;
statuant à nouveau,
— prononcer la mise hors de cause de Google France ;
— débouter la société Bureau Carte Grise de l’intégralité de ses demandes ;
— la condamner à verser aux sociétés Google Ireland et Google France la somme de 10.000 euros chacune en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Elles sollicitent la mise hors de cause de la société Google France aux motifs que Google Ireland est la seule entité juridique en charge du service Google Ads et que Google France n’est pas impliquée dans la relation commerciale avec les annonceurs, ce que ne peut ignorer Bureau Carte Grise et ce que constatent régulièrement les juridictions.
Elles soutiennent que le premier juge, pour retenir un trouble manifestement illicite, n’a pas explicité la règle de droit qui aurait été violée par Google. L’abus de position dominante, avancé par l’intimée pour justifier d’un tel trouble, n’est pas caractérisé dès lors qu’au moins deux de ses trois conditions cumulatives ne sont pas remplies :
— Google n’a adopté aucun comportement abusif, mais n’a fait qu’appliquer, de manière non arbitraire et non discriminatoire, la nouvelle règle adoptée à la suite des injonctions de l’Autorité de la concurrence visant à interdire les publicités de sites comme Bureau Carte Grise qui vend un service administratif gratuit en usant de procédés trompeurs, celle-ci ayant été rapidement informée de la non-conformité de ses annonces ;
— aucune restriction sensible de concurrence sur le marché – qui n’est pas défini par Bureau Carte Grise – n’est à déplorer, puisque l’intimée n’a pas été évincée et continue à opérer et à être référencée sur Google. Elles soulignent que Bureau Carte Grise ne relève pas des exceptions à l’interdiction dès lors que cette société n’est pas un prestataire délégué de l’administration, nonobstant son habilitation, mais simplement un intermédiaire qui ne délivre aucun document officiel.
Elles invoquent également l’absence de dommage imminent, en ce que le refus des annonces de Bureau Carte Grise ne constitue par une violation évidente d’une règle de droit et n’entraine pas de préjudice illégitime car l’activité de cette société est illicite, celle-ci devant en principe être liée à la vente de véhicules, ce que ne fait pas Bureau Carte Grise. Elles soulignent que l’intimée justifie d’autant moins un dommage imminent qu’elle a attendu plusieurs mois avant d’assigner après l’entrée en vigueur de la nouvelle règle, et qu’elle ne prouve pas sa situation financière.
Subsidiairement, elles demandent que l’éventuelle injonction prononcée soit précisée, et considèrent que la provision devrait être réduite dès lors que Bureau Carte Grise ne produit pas d’élément comptable propre à prouver la perte de marge brute qu’elle aurait subie.
La société Bureau Carte Grise, par conclusions remises le 1er avril 2021, demande à la cour, au visa des articles 102 TFUE, L.420-2 et 873 du code de commerce et 1240 du code civil, de:
— confirmer l’ordonnance rendue le 22 février 2021 par le président du tribunal de commerce de Paris ;
— condamner solidairement les sociétés Google France et Google Ireland à régler à la société Bureau Carte Grise la somme de 20.000 Euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Elle soutient que, contrairement à ce qu’affirme Google dans le cadre de sa stratégie de défense malveillante, construite pour les besoins de la cause – aucun reproche ne lui ayant été adressé préalablement à l’assignation – elle est un professionnel de l’automobile exerçant son activité dans des conditions claires et transparentes. Elle affirme bénéficier d’un mandat de l’administration pour la délivrance des certificats d’immatriculation, que Google n’est pas apte à remettre en cause. Elle expose que son site n’est pas trompeur mais transparent quant à la circonstance qu’il n’est pas officiel et aux tarifs pratiqués, qui sont par ailleurs justifiés par des prestations supplémentaires par rapport à la plateforme officielle. Elle souligne également que ses clients sont très satisfaits, comme en attestent les avis du site Trustpilot, qui ne sont pas faux contrairement à ce qu’affirme Google ; et qu’à l’inverse de Google, qui fait l’objet de beaucoup de procédures notamment quant à ses clauses illicites, elle n’a jamais fait l’objet d’une procédure en relation avec son site.
Elle fait en outre valoir qu’en tant que mandataire de l’Administration pour la fourniture des certificats d’immatriculation, elle rentre parfaitement dans l’exception – concernant les ‘prestataires délégués’ de l’Administration – à l’interdiction des publicités pour des services relatifs à des documents officiels directement accessibles auprès d’une administration publique. Elle fait valoir que les nouvelles règles de Google ne sont pas claires et montrent une opacité délibérée, de manière à ce qu’elles puissent être appliquées arbitrairement et de manière discriminatoire ; et que cette pratique est courante chez Google, régulièrement condamnée pour ses règles non objectives, non transparentes et évolutives. Elle précise qu’en l’espèce, Bureau Carte Grise s’est trouvée victime de telles pratiques discriminatoires, puisque d’autres annonceurs qui lui sont pourtant similaires et font la promotion de documents officiels peuvent, quant à eux, toujours diffuser leurs annonces. Elle ajoute que l’interdiction qui lui est faite de diffuser ses annonces est d’autant moins légitime que son activité est licite et encouragée par l’Etat, qui lui a délivré un mandat, et qu’elle exerce son activité en France en toute transparence.
Elle prétend justifier d’un dommage imminent au regard des pratiques anticoncurrentielles mises en place par Google et ayant entrainé son éviction du marché. Elle explique en effet qu’elle est introuvable en référencement naturel et ne peut exister sans Google, comme la plupart des e-commerçants en raison de la position dominante de cette société. Elle expose que son modèle économique a été anéanti – toute activité étant devenue impossible jusqu’à ce que Google rétablisse, en exécution de l’ordonnance de référé, ses annonces – ce qui a engendré un important préjudice financier.
Elle soutient enfin que Google France doit être condamnée solidairement car c’est elle, et non Google Ireland, qui est directement impliquée dans la relation commerciale et dans le litige, comme a pu le relever l’Autorité de la concurrence en estimant que Google France est partie prenante dans l’application des règles de la plateforme Google Ads.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
MOTIFS
L’article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile dispose que ‘le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.’
Il est constant que la société Bureau Carte Grise, qui a ouvert le compte Google Ads n° 263-749-2149 le 21 septembre 2018 pour faire la promotion de son site bureau-carte-grise.fr., s’est vue retirer le droit de faire diffuser des annonces (pièce BCG n°16 PVC 5 février 2021- refus d’annonces de Google du 25 novembre 2020) par suite de l’adoption, par Google, d’une nouvelle règle Google Ads ciblée sur les ‘Documents officiels et services publics’ aux termes de laquelle Google n’autorise plus désormais la diffusion d’annonces faisant la promotion de documents et/ou de services pouvant être obtenus directement auprès d’une administration publique ou d’un prestataire délégué.
Sur la demande de mise hors de cause de la société Google France
Il résulte des éléments de la procédure que BCG a été en relation régulière avec la société Google France sur cette suppression ainsi que cela ressort des échanges intervenus en juillet 2020 :
— ’Pour ce qui est des annonces refusées’ nous n’avons pour l’instant pas d’informations complémentaires. Je vais essayer de voir avec nos équipes « Trust and Safety » (pièce BCG n°8 – échanges des 22 et 23 juin 2020 avec le chargé de compte de Google France)];
— ’Hello Yohann, Je vais creuser de mon côté. Ca m’étonne que ce soit définitif sans qu’on n’ait reçu aucune communication en interne. Je reviens vers toi dès que j’ai du nouveau. A très vite, Bastien’ (pièce BCG n° 9 – échanges du 29 juillet 2020)
Il s’en déduit que la société Google France est intervenue dans le refus d’annonce opposé à la société BCG. En conséquence, la cour, ajoutant à l’ordonnance entreprise qui n’a pas statué sur cette demande, déboutera les appelantes de leur demande de mise hors de cause de la société Google France.
Sur le dommage imminent
La société Bureau Carte Grise sollicite le rétablissement de la publication et de la diffusion de ses annonces et mots-clés ; elle fait valoir que :
— elle relève, en tant que prestataire délégué de l’Administration, des exceptions à l’interdiction des publicités ;
— la mesure de refus d’annonce lui cause un dommage imminent en ce que, compte tenu de la position largement dominante de Google sur le marché de la publicité en ligne, elle lui interdit de pratiquer le e-commerce.
Pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle la cour statue et avec l’évidence qui s’impose à la juridiction des référés, l’imminence d’un dommage, d’un préjudice ou la méconnaissance d’un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines.
Le 19 mars 2020, Google a informé les annonceurs Google Ads qu’elle allait mettre à jour son Règlement le 26 mai suivant, imposant de nouvelles règles sur les « documents officiels et les services publics » : ‘Google n’autorisera plus la diffusion d’annonces faisant la promotion de documents et/ou de services pouvant être obtenus directement auprès d’une administration publique ou d’un prestataire délégué, y compris les offres d’assistance pour obtenir ces documents ou services.
Un prestataire délégué est défini comme une entreprise officiellement déléguée ou mandatée par le prestataire d’origine (l’administration publique) pour fournir en son nom et pour son compte certains documents ou services, qui sont généralement fournis par l’administration publique elle-même ou dont celle-ci se chargeait auparavant. Les publicités proposées par les prestataires ou revendeurs bénéficiant d’un simple agrément/habilitation de l’administration seront interdites. Ce règlement s’appliquera quel que soit le montant facturé par l’annonceur pour le document ou le service.’ (pièce BCG n°6).
Si, aux termes des conditions générales et de leur article 13 (‘), Google a le pouvoir de modifier unilatéralement le contrat entre les parties, force est de constater que la modification unilatérale applicable depuis mai 2020 remet en cause les droits jusqu’alors accordés à ce prestataire.
Les sociétés Google se prévalent des invitations à la modification de ses règles Ad Words émanant de :
— la DGCCRF, selon son courriel à Google du 29 mai 2020, qui indique : ‘ La DGCCRF, mais aussi la DINUM (Direction Interministérielle du Numérique), continuent de recevoir de nombreuses plaintes consécutives à la recherche par les internautes des modalités d’obtention de documents administratifs, gratuits ou délivrés par l’autorité publique suivant des tarifs règlementés. En effet, de nombreux sites apparaissent dans les annonces publicitaires et proposent, moyennant le paiement d’un montant généralement compris entre 30 et 40 €, leurs services d’intermédiation pour obtenir ces actes administratifs, dont la délivrance est pourtant effectuée gratuitement par les services de l’Etat (…). Ces sites d’intermédiation à titre onéreux (1) entretiennent généralement sciemment une confusion avec ceux de l’administration française, (2) l’information sur leur caractère privé et leur véritable intention commerciale n’est pas immédiatement perceptible par le consommateur. (3) Leurs tarifs, qui sont rarement communiqués de façon visible d’emblée, ne sont le plus souvent indiqués qu’à contretemps, au terme du tunnel de conversion.’ (pièce Google n°43) ;
— l’Autorité de la concurrence, selon sa décision du 19 décembre 2019, qui :
— souligne l’ambiguïté de la règle ‘Vente d’articles gratuits’, aux termes de laquelle Google interdisait de ‘facturer des produits ou services alors que l’offre principale est disponible gratuitement, ou à un prix réduit, auprès d’une source gouvernementale ou publique’ (pièce Google n°12, § 392 et s.) ;
— fait injonction à Google de ‘clarifier la rédaction des Règles Google Ads qui ont pour objet de protéger les utilisateurs de son moteur de recherche en ligne Google Search contre les annonces et les sites malveillants’ (pièce Google n°12, § 566).
Selon la nouvelle règle édictée, les publicités proposées par les prestataires ou revendeurs bénéficiant d’un simple agrément/habilitation de l’administration sont désormais interdites ; cette règle est toutefois assortie de l’exception suivante : ‘Si vous êtes un organe gouvernemental ou un prestataire délégué, vous n’êtes pas concerné par cette restriction publicitaire. Un prestataire délégué est défini comme une entreprise officiellement déléguée ou mandatée par le prestataire d’origine (l’administration publique) pour fournir en son nom et pour son compte certains documents ou services, qui sont généralement fournis par l’administration publique elle-même ou dont celle-ci se chargeait auparavant. Les prestataires délégués ne comprennent pas les entités qui sont des prestataires ou des revendeurs agréés.’ (pièce BCG n°7).
La société Bureau Carte Grise établit être :
— d’une part, habilitée par l’Etat français pour lui permettre d”effectuer les formalités administratives listées aux opérations d’immatriculation d’un véhicule neuf ou d’occasion’ (pièce BCG n°3 – article 1 de la convention du 15 février 2018), habilitation qui la conduit à procéder à l’instruction de la demande d’immatriculation qui, sans l’intervention de ce prestataire, relèverait de l’Administration ;
— d’autre part, agréée par l’administration des finances, avec la qualité de ‘commis de l’administration’, pour procéder à l’encaissement des taxes et de la redevance sur les certificats d’immatriculation des véhicules payés par les titulaires des cartes grises (‘Le professionnel est agréé par l’administration des finances dans les conditions prévues par le décret d’application de l’article 1723 ter-0 B du code général des impôts.’ – article 1er de l’agrément – pièce BCG n° 4), le recouvrement de tels fonds incombant, en principe, à la seule Administration.
Ces éléments accréditent que la société Bureau Carte Grise intervient bien pour le compte de l’Administration. Il convient, de plus, de constater que Google n’a pas été en mesure, en juillet 2020, d’adopter une position claire sur le point de savoir si les refus d’annonces étaient ou non applicables à BCG (échanges de courriels des 29, 30 et 31 juillet 2020 – pièces BCG n° 9 et 11).
La notion de prestataire délégué étant, en l’espèce, insuffisamment définie et Google n’établissant pas, avec l’évidence requise, que Bureau Carte Grise ne relève pas de la catégorie des prestataires pouvant diffuser leurs annonces et mots-clés, l’intimée est fondée à invoquer la méconnaissance de ses droits.
Les sociétés Google n’opposent, par ailleurs, aucun élément aux affirmations de la société Bureau Carte Grise selon laquelle d’autres prestataires intervenant sur les mêmes créneaux que BCG restent autorisés à diffuser leurs annonces (pages 36 à 44 des conclusions de BCG et pièce BCG n°15), situation propre à accréditer le caractère discriminatoire de la mise en oeuvre des nouvelles règles.
Il n’est enfin pas sérieusement contestable qu’eu égard à la situation plus que dominante de Google sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches – l’Autorité de la concurrence soulignant, dans sa décision du 19 décembre 2019, que Google détenait, en 2015, une part de marché de 80 à 90 % (pièce Google n°12, § 310 et s.) – la suspension des annonces de BCG est de nature à avoir un impact déterminant sur le fonctionnement de cette société – ainsi que cela est confirmé par la baisse drastique des transactions à partir d’août 2020 (page 50 des conclusions de BCG) et par la reprise des transactions lorsque la diffusion des annonces a été rétablie en mars 2021 (pièce BCG n°26) – et à faire encourir à ce prestataire un risque réel d’éviction du marché.
Ces éléments établissent l’imminence du dommage qu’il convient de prévenir. L’ordonnance entreprise sera, en conséquence, confirmée en ce qu’elle a condamné solidairement les sociétés Google France et Google Ireland Limited, sous astreinte in solidum de 10.000 euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la signification de l’ordonnance, au rétablissement de la publication et de la diffusion des annonces et mots-clés de la société Bureau Carte Grise en lien avec le service de la délivrance des cartes grises et certificats d’immatriculation, sauf à dire que ce rétablissement est ordonné au titre du compte n°263-749-2149 et jusqu’à ce qu’il soit statué au fond par le tribunal de commerce de Paris. Il n’y a pas lieu de limiter la mesure aux annonces existant avant le prononcé de l’ordonnance entreprise, le rétablissement ordonné de l’accès de BCG à la publicité en ligne liée aux recherches étant complet.
Sur la provision
Il ressort des précisions communiquées par la société Bureau Carte Grise, auxquelles les sociétés Google n’opposent aucun élément contraire, que, pour un volume moyen de 3.264 connexions par mois jusqu’en juillet 2020, et un seuil de rentabilité à 2.845 connexions par mois, le nombre moyen de connexions est tombé à 1.153 par mois entre août et décembre 2020 (page 50 des conclusions de BCG). L’intimée établit, dans ces conditions, la réalité du préjudice subi entre août 2020 et mars 2021. Le montant de la provision de dommages et intérêts allouée à la société Bureau Carte Grise n’apparait pas hors de proportion avec le préjudice de l’intimée, au regard de la période – de six mois – pendant laquelle elle a été privée de diffusion de ses annonces. La cour confirmera sur ce point l’ordonnance entreprise.
PAR CES MOTIFS
Ajoutant à l’ordonnance entreprise,
Déboute les sociétés Google France et Google Ireland Limited de leur demande de mise hors de cause de la société Google France ;
Confirme l’ordonnance entreprise, sauf à dire que le rétablissement de la publication et de la diffusion des annonces et mots-clés de la société Bureau Carte Grise en lien avec le service de la délivrance des cartes grises et certificats d’immatriculation est ordonné au titre du compte n°263-749-2149 et jusqu’à ce qu’il soit statué au fond par le tribunal de commerce de Paris ;
Déboute les sociétés Google France et Google Ireland Limited du surplus de leurs demandes ;
Condamne in solidum les sociétés Google France et Google Ireland Limited aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile;
Les condamne in solidum à payer à la société Bureau Carte Grise la somme de 15.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT