Liquidation judiciaire et disposition des biens du débiteur

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Liquidation judiciaire et disposition des biens du débiteur
Ce point juridique est utile ?

Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens, même de ceux qu’il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée. 

Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur. Les actes accomplis en violation de cette règle sont inopposables à la procédure collective.


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

2ème chambre

N° RG 21/03965 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OMGB

IMM/CO

Décision déférée du 15 Juillet 2021 – Tribunal de Commerce de TOULOUSE – 2020J00627

M.CHEFDEBIEN

S.A.S. TREEZOR

C/

[M] [D]

S.A. ANYTIME

S.E.L.A.S. EGIDE

***

ARRÊT DU DIX MAI DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTE

S.A.S. TREEZOR agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 4]

[Localité 8]

Assistée de Me Agathe AUMONT de l’AARPI PRISM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

Représentée par Me Ophélie BENOIT-DAIEF, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEES

Madame [M] [D]

[Adresse 1]

[Localité 3]

avocat non constitué

S.A. ANYTIME agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 6]

[Localité 7]

Représentée par Me Agathe AUMONT de l’AARPI PRISM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

Représentée par Me Ophélie BENOIT-DAIEF, avocat au barreau de TOULOUSE

S.E.L.A.S. EGIDE SELAS EGIDE es qualité de mandataire liquidateur de la SARL [D] KHAMPHANH, prise en la personne de Maître [P] domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me Regis DEGIOANNI de la SCP DEGIOANNI – PONTACQ – GUY-FAVIER, avocat au barreau D’ARIEGE

MINISTERE PUBLIC

Monsieur le procureur Général , [Adresse 9]

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant V.SALMERON, présidente, I. MARTIN DE LA MOUTTE, Conseiller , chargés du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

V. SALMERON, présidente

I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseiller

F. PENAVAYRE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

Greffier, lors des débats : A. CAVAN

MINISTERE PUBLIC:

Représenté lors des débats par M.JARDIN,substitut général , qui a fait connaître son avis.

ARRET :

– DEFAUT

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par V. SALMERON, présidente, et par C.OULIE , greffier de chambre.

Exposé du litige

Exposé des faits et procédure :

La société Treezor est un établissement de monnaie électronique au sens de l’article L 526-1 du code monétaire et financier. Elle est agréée par l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution et a notamment pour activité la fourniture de services de paiement.

La société Anytime intervient comme mandataire de la société Treezor.

Le 31 janvier 2019, sur assignation de l’Urssaf, le tribunal de commerce de Toulouse a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la Sarl [D] Khamphanh, ayant pour gérante Madame [M] [D] et a désigné la Selas Egide en qualité de mandataire judiciaire.

Le 4 avril 2019, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la Sarl [D] Khamphanh et désigné la Selas Egide en qualité de liquidateur judiciaire.

Il est apparu dans le cadre des opérations de liquidation que la Sarl [D] Khamphanh bénéficiait d’un compte de paiement dans les livres de la société Treezor en sa qualité de bénéficiaire d’une convention tripartite la liant tant à Treezor qu’à Anytime.

Le 30 octobre 2019, la Selas Egide a informé la Sas Treeezor de |’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la Sarl [D] Khamphanh, demandé la clôture du compte, la communication des relevés du compte ainsi que le versement du solde créditeur.

Par virement du 13 novembre 2019, la société Treeezor a versé à la Selas Egide Ia somme de 33.691,04 € correspondant au solde créditeur du compte de Ia société en liquidation.

Le 11 décembre 2019, la Selas Egide ayant constaté que le compte avait continué à fonctionner malgré le dessaisissement du débiteur, que de nombreuses écritures avaient été portées au débit du compte, et que des sommes avaient au contraire été créditées, a demandé, sur Ie fondement de l’article L.641-9 du Code de commerce, le versement de la somme de 133.761,30 €, soit le solde créditeur du compte au jour du prononcé de Ia liquidation judiciaire : 19.134,85 € ajouté aux sommes portées sur le compte postérieurement à la liquidation judiciaire, soit 147.817,49€, déduction faite de la somme de 33.391 ,04 € déjà versée.

Par exploit du 27 octobre 2020, le liquidateur a assigné la SA Anytime et Ia SAS Treezor devant le tribunal de commerce de Toulouse afin d’obtenir leur condamnation in solidum au versement de Ia somme de 133 761,30 € avec intéréts au taux légal et capitalisation.

Le 19 janvier 2021, Ia SAS Treezor et Ia SA Anytime ont assigné en intervention forcée Mme [M] [D], aux fins de la voir condamner à la relever et garantir de toute éventuelle condamnation qui pourrait étre prononcée a l’encontre des deux sociétés demanderesses.

Par jugement du 15 juillet 2021, Ie tribunal de commerce de Toulouse a – joint Ies deux procédures,

– condamné in solidum Ies sociétés Treezor et Anytime à payer à la Selas Egide, ès qualités la somme de 133.761,30 € augmentée des intéréts au taux légal a compter du 30 octobre 2020 ,

– Ordonné Ia capitalisation des intérêts selon les dispositions de l’article 1343-2 du code civil,

– Condamné Mme [M] [D] à relever et garantir Ies sociétés Treeezor et Anytime de leur condamnation.

– Débouté les sociétés Treezor et Anytime de leur demande de condamnation an titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

– Prononcé l’exécution provisoire,

– Condamné in solidum les sociétés Treezor et Anytime et Madame [M] [D] aux entiers dépens.

Par déclaration du 17 septembre 2021, la société Treeezor a interjeté appel contre Ie jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 15 juillet 2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a condamné Mme [M] [D] à la relever et garantir de ses condamnations.

La clôture est intervenue le 16 janvier 2023

Moyens

Prétentions et moyens des parties :

Vu les conclusions notifiées le 12 Janvier 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de la société Treeezor et la société Anytime demandant, au visa des articles L.641-4 alinéa 3, L.622-20 et L.641-9 I du Code de commerce, L.133-6 I du Code monétaire et financier et L. 223-22 du Code de commerce de :

– Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Toulouse du 15 juillet 2021 en ce qu’il a :

– Condamné in solidum la SAS Treezor et la SA Anytime à payer à la Selas Egide prise en la personne de Maître [P] en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [D] Khamphanh, la somme de 133.761,30€ augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2020,

– Ordonné la capitalisation des intérêts selon les dispositions de l’article 1343-2 du Code civil ;

– Condamné in solidum la SAS Treezor et la SA Anytime à payer à la Selas Egide prise en la personne de Maître [P] en sa qualité de mandataire liquidateur de la Sarl [D], la somme de 1.500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Debouté la SAS Treeezor et la SA Anytime de leur demande de condamnation au titre de l’article 700 du Code de procédure civile à l’encontre de Madame [M] [D] ;

– Condamné la société Treeezor et la SA Anytime aux entiers dépens de l’instance ;

Statuant à nouveau de ces chefs infirmés :

A titre principal :

Déclarer la Selas Egide, prise en la personne de Maître [P] en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [D] Khamphanh, irrecevable à solliciter de la société Trezor et de la société Anytime une somme supérieure au passif demeuré impayé de la société [D] Khamphanh, chiffré, au regard de l’état des créances du 12 janvier 2021, à 30.181,80 € , sous réserve du montant de l’actif reconstitué et réalisé de la société [D] Khamphanh ;

– Enjoindre à ce titre, à la Selas Egide, prise en la personne de Maître [P] en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [D] Khamphanh, de justifier du montant de l’actif reconstitué et réalisé de la société [D] Khamphanh ;

En conséquence,

– Limiter la créance de la Selas Egide, prise en la personne de Maître [P] en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [D] Khamphanh, au montant du passif demeuré impayé de la société [D] Khamphanh, chiffré, au regard de l’état des créances du 12 janvier 2021, à 30.181,80 € .

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour estimait que la Selas Egide, prise en la personne de Maître [P] en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [D] Khamphanh, était recevable à solliciter le paiement, par les sociétés Treezor et Anytime, d’une somme supérieure au passif demeuré impayé de la société [D] Khamphanh :

– Debouter la Selas Egide, prise en la personne de Maître [P] en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [D] Khamphanh, de sa demande de condamnation in solidum des sociétés Treezor et Anytime à la somme de 133.761,30 € ;

– Déclarer opposables à la procédure collective, les ordres de paiement consentis et initiés, pour un montant total de 3.600 € , par la société [D] Khamphanh antérieurement au 4 avril 2019, date de sa liquidation judiciaire, et inscrits au débit de son compte le 4 avril 2019 – Réduire le montant de la condamnation des sociétés Treezor et Anytime au regard de l’erreur commise dans son calcul (133.261,30 euros et non 133.761,30 euros) et du montant de 3.600 € correspondant aux opérations de paiement opposables à la procédure collective.

En tout état de cause :

– Rejeter les demandes d’intérêts au taux légal et de capitalisation formées par la Selas Egide, prise en la personne de Maître [P] en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [D] Khamphanh, à l’égard des sociétés Treeezor et Anytime;

– débouter la Selas Egide prise en la personne de Maître [P] en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [D] Khamphanh de l’ensemble de ses plus amples demandes, fins et prétentions,

Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné Madame [M] [D] à relever et garantir les sociétés Treezor et Anytime de toute éventuelle condamnation prononcée à leur égard ;

En toute hypothèse :

Ordonner la restitution à la société Treezor des sommes qu’elle a versées en vertu du jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 15 juillet 2021 assorti de l’exécution provisoire, avec les intérêts au taux légal Condamner la Selas Egide prise en la personne de Maître [P] en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [D] Khamphanh à régler aux sociétés Treezor et Anytime la somme 6.000 euros en application des dispositions de l’article.

Vu les conclusions notifiées le 9 janvier 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de la Selas Egide demandant à la cour au visa de l’articleL. 641-9 du Code de Commerce, de:

Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Toulouse en date du 15 juillet 2021.

Condamner in solidum les sociétés Treeezor et Anytime à lui payer à la Selas Egide la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Madame [M] [D] assignée par acte signifié en l’étude, n’a pas constitué avocat.

Le ministère public, qui a pris connaissance du dossier a sollicité par avis du 12 avril 2022, communiqué aux parties par le RPVA, à la confirmation de la décision.

Motivation

Motifs 

La cour est saisie par la voie de l’appel, ainsi que par les dernières écritures des sociétés Treezor et Anytime, des seules dispositions ayant condamné in solidum ces sociétés au profit du liquidateur, ès qualités.

L’article 641-9 du code de commerce dispose que ‘ le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens, même de ceux qu’il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur’.

Les actes accomplis en violation de cette règle sont inopposables à la procédure collective.

L’appelante fait valoir en premier lieu que la qualité et I’intérêt à agir du liquidateur agissant au visa du texte susvisé trouvent leur limite dans I’intérêt de l’ensemble des créanciers, et qu’il appartient donc au liquidateur de justifier préalablement du montant du passif demeuré impayé.

Elle ajoute que l’état des créances du 12 janvier 2021 mentionne un passif s’élevant à 30.181, 80 € et que les demandes plus amples doivent donc être rejetées.

Elle soutient enfin que les opérations effectuées par la société [D] Khamphanh antérieurement à la liquidation judiciaire sont bien opposables.

Le liquidateur soutient au contraire qu’agissant tant dans l’intérêt des créanciers qu’en représentation du débiteur, il a qualité à agir et que son intérêt à agir n’est pas limité au montant du passif.

L’action du liquidateur tend à la restitution des fonds figurant au crédit du compte bancaire du débiteur, eu égard à l’inopposabilité des opérations effectuée par le débiteur dessaisi.

Dans ce cadre, le liquidateur n’agit pas en représentation du débiteur mais dans le seul intérêt des créanciers. Son action tend à la reconstitution du patrimoine du débiteur et non à l’indemnisation d’un préjudice.

Contrairement à ce que soutient la société appelante, la recevabilité de l’action n’est donc pas conditionnée à la démonstration préalable de l’existence d’une insuffisance d’actif, ni limitée au montant de cette dernière, qui en l’espèce n’était d’ailleurs pas connue à la date ou l’instance a été introduite.

Il n’y a donc pas lieu d’ordonner au liquidateur de justifier du montant de l’actif.

Le liquidateur a bien qualité mais aussi intérêt à agir pour solliciter l’inopposabilité à la procédure collective de l’ensemble des opérations réalisées en violation du dessaisissement du débiteur.

Son action sera en conséquence déclarée recevable.

Le liquidateur est fondé en application de l’article L 641-9 du code de commerce à faire valoir que les écritures au crédit du compte profitent à la liquidation alors que les écritures passées au débit lui sont inopposables et la bonne foi de la banque, résultant de son ignorance de l’ouverture de la liquidation judiciaire, est indifférente.

Les éléments débattus démontrent qu’à l’ouverture de la procédure collective, le compte était créditeur de la somme de 19 134, 85 € et que les crédits postérieurs s’élèvent à 147 817, 49 €.

La société Treezor justifie néanmoins que 4 opérations pour un total de 3.600 € au débit du compte le jour de l’ouverture de la procédure collective ont été passées en exécution d’ordres de virement du 3 avril 2019, soit la veille du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire, à une date ou le débiteur n’était pas dessaisi. Ces opérations sont donc opposables à la procédure collective.

La société Treezor qui a déjà reversé à la liquidation la somme de 33 691, 04 € doit donc restituer celle de 19 134, 85 € + 147 817, 49 €- 33 691, 04 € – 3.600 €, soit 129 661 €.

Le jugement sera donc confirmé, sauf en ce qui concerne le montant de la condamnation prononcée à l’encontre des sociétés Treezor et Anytime.

Parties perdantes en cause d’appel, les sociétés Treezor et Anytime supporteront les dépens d’appel et devront indemniser le liquidateur des frais irrépétibles qu’il a été contraint d’exposer en cause d’appel.

Dispositif

Par ces motifs

Statuant dans les limites de l’appel,

Confirme le jugement sauf en ce qu’il a condamné in solidum Ies sociétés Treeezor et Anytime à payer à la Selas Egide, ès qualités la somme de 133.761,30 € augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2020,

Statuant à nouveau du chef infirmé,

Condamne in solidum Ies sociétés Treeezor et Anytime à payer à la Selas Egide, ès qualités la somme de 129 661 € augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2020,

Y ajoutant,

Déboute les sociétés Treezor et Anytime de leur demande tendant à voir enjoindre au liquidateur de justifier du montant de l’actif.

Condamne in solidum Ies sociétés Treeezor et Anytime aux dépens d’appel.

Condamne in solidum Ies sociétés Treeezor et Anytime à payer à la Selas Egide ès qualités la somme de 2.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le greffier La présidente


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