Your cart is currently empty!
La société BCH HILL et la société JOTT OPERATIONS ont signé trois contrats de franchise le 24 juin 2022 pour des boutiques en Belgique, suivis de contrats de prêt en décembre 2022 et septembre 2023. BCH HILL a passé des commandes pour la saison automne-hiver 2023, mais a signalé des livraisons incomplètes. En novembre 2023, BCH HILL a assigné JOTT OPERATIONS en référé, qui a été condamnée à livrer les produits manquants sous astreinte. JOTT OPERATIONS a contesté cette décision, affirmant avoir respecté ses obligations de livraison. En juin 2024, BCH HILL a demandé la liquidation de l’astreinte, tandis que JOTT OPERATIONS a demandé son annulation ou sa réduction. Le juge a finalement liquidé l’astreinte à 250.000 euros en faveur de BCH HILL et a condamné JOTT OPERATIONS à payer des frais supplémentaires.
|
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DOSSIER : N° RG 24/01358 – N° Portalis DBW3-W-B7I-4OOI
MINUTE N° : 24/
Copie exécutoire délivrée le 12 septembre 2024
à Me LE ROLLE
Copie certifiée conforme délivrée le 12 septembre 2024
à Me LEUNG
Copie aux parties délivrée le 12 septembre 2024
JUGEMENT DU 12 SEPTEMBRE 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL
PRESIDENT : Madame DESMOULIN, Vice-Présidente,
GREFFIER : Madame KELLER, Greffier
L’affaire a été examinée à l’audience publique du 27 Juin 2024 du tribunal judiciaire DE MARSEILLE, tenue par Madame DESMOULIN, Vice-Présidente, juge de l’exécution par délégation du Président du Tribunal Judiciaire de Marseille, assistée de Madame KELLER, Greffier.
L’affaire oppose :
DEMANDERESSE
Société BCH HILL,
société de droit belge en liquidation judiciaire représentée par Me [C] [F] en sa qualité de liquidateur judiciaire
dont le siège social est sis [Adresse 3] (BELGIQUE) prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au cabinet de Maître Mathieu LE ROLLE et Maître Aksel DORUK de l’AARPI Interbarreaux MELTEM AVOCATS – [Adresse 1]
représentée par Maître Mathieu LE ROLLE et Maître Aksel DORUK de l’AARPI MELTEM AVOCATS, avocat au barreaux de MARSEILLE et de PARIS
DEFENDERESSE
S.A.S. JOTT OPERATIONS,
société au capital social de 200.000 euros, immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de Marseille sous le numéro 320 663 222,
dont le siège social est sis [Adresse 2]
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
représentée par Maître Hélène LEUNG de la SELARL FIDAL AVOCATS, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE (avocat plaidant) et Maître Olivier MANENTI, avocat au barreau de MARSEILLE (avocat postulant)
Al’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré. Le président a avisé les parties que le jugement serait prononcé le 12 Septembre 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction.
NATURE DE LA DECISION : Contradictoire et en premier ressort
La société BCH HILL et la société JOTT OPERATIONS ont conclu le24 juin 2022 trois contrats de franchise pour les boutiques sous enseigne JOTT situées en Belgique à [Localité 4] [Localité 8], [Localité 5] et [Localité 6] pour une durée de 5 ans.
Le 8 décembre 2022, la société BCH HILL et la société JOTT OPERATIONS ont signé trois contrats de prêt au titre de la collection printemps-été 2023 avec effet au 16 novembre 2022. Un plan d’apurement était prévu entre décembre 2022 et mai 2023. Les parties se sont accordées sur un nouveau plan de mars à juin 2023 puis d’août 2023 à mars 2024.
Le 13 septembre 2023, la société BCH HILL et la société JOTT OPERATIONS ont signé trois contrats de prêt au titre de la collection automne-hiver 2023 avec effet au 15 septembre 2023. Un plan d’apurement était prévu entre le 31 octobre 2023 et le 31 mars 2024.
La société BCH HILL a passé plusieurs commandes pour la saison automne-hiver 2023 auprès de la société JOTT OPERATIONS. Elle s’est plaint du fait que l’ensemble des produits commandés ne lui avait pas été livré.
Par acte d’huissier en date du 22 novembre 2023 la société BCH HILL a assigné la société JOTT OPERATIONS devant le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille.
Par ordonnance en date du 30 novembre 2023 le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille a notamment condamné la société JOTT OPERATIONS à livrer l’intégralité des commandes confirmées par la société JOTT OPERATIONS entre les 13 avril 2023 et le 18 mai 2023 conformément à l’accord du 3 novembre 2023 dans les 8 jours suivant la signification de l’ordonnance à défaut sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard pendant un délai d’un mois.
Cette décision a été signifiée à 1er décembre 2023. Aucun appel n’a été interjeté.
Selon acte d’huissier en date du 31 janvier 2024 la société BCH HILL a fait assigner la société JOTT OPERATIONS à comparaître devant le juge de l’exécution de Marseille.
A l’audience du 27 juin 2024, [C] [F], liquidateur de la société BCH HILL est intervenu volontairement à l’instance.
La société BCH HILL représentée par [C] [F] a, par conclusions réitérées oralement, demandé de
– liquider l’astreinte prononcée à la somme de 310.000 euros, compte arrêté au 9 janvier 2024
– condamner la société JOTT OPERATIONS à lui payer la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Elle a rappelé l’historique du litige liant les parties et affirmé que la société JOTT OPERATIONS avait bloqué ses livraisons au prétexte d’un retard dans le paiement des échéances prévues par les contrats de prêts et plan d’apurement. Elle a fait valoir que la société JOTT OPERATIONS refusait de se conformer à l’ordonnance de référé rendue. Elle a ainsi rappelé que cette dernière était tenue de lui livrer dans les 8 jours de la signification de l’ordonnance les pièces manquantes soit 1.536 pièces et affirmé que la société JOTT OPERATIONS n’avait procédé qu’à une livraison partielle des produits puisqu’elle n’avait livré que 234 pièces sur les 1.536 pièces manquantes (soit 15% des produits) et qu’en outre elle avait livré très peu de produits et tailles facilement commercialisables. Elle a ainsi fait valoir que ce refus d’exécuter l’obligation mise à la charge de la société JOTT OPERATIONS avait impacté de façon irrémédiable sa santé financière, entraînant ainsi sa liquidation.
Par conclusions réitérées oralement, la société JOTT OPERATIONS a demandé de
– dire et juger qu’elle s’était exécutée au regard des livraisons effectuées jusqu’en décembre 2023, prononcer l’absence de liquidation de l’astreinte et en conséquence débouter la société BCH HILL de ses demandes
– subsidiairement prononcer la suppression de l’astreinte de 310.000 euros et débouter la société BCH HILL de ses demandes
– à titre infiniment subsidiaire juger que l’astreinte est disproportionnée au regard de l’enjeu du litige et compte tenu du comportement de la société BCH HILL
– fixer en conséquence le montant de l’astreinte en proportion du reliquat des commandes visées par l’ordonnance de référé pour la saison AH2023 non livrée par elle-même en tenant compte des livraisons effectuées, des solutions proposées et des contraintes externes qu’elle a subies et du comportement de la société BCH HILL à la somme de 31.000 euros
– en tout état de cause condamner la société BCH HILL à lui payer la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Elle a souligné que l’ordonnance de référé ne listait pas les commandes concernées ni ne précisait les produits dont la livraison était attendue ; qu’il convenait donc de se référer à la pratique habituelle des parties dans le processus de passation de commande et de validation ou non de celles-ci par la société JOTT OPERATIONS précisant qu’il n’était pas d’usage de considérer que toutes les commandes passées étaient automatiquement confirmées par elle-même et ce d’autant que les commandes étaient passées généralement très en amont du début de saison et étaient soumises à la disponibilité des stocks. Elle a ajouté qu’en pratique 85% des commandes sont acceptés et effectivement livrées compte tenu des retours et annulations de commandes habituellement formulées par les franchisés. Elle a ainsi fait valoir qu’en l’espèce à la fin du mois de novembre 2023 elle avait pourtant déjà livré 78% des commandes automne-hiver 23 et ce malgré le non respect par la société BCH HILL du plan de financement ; qu’au mois de décembre 2023 elle s’était exécutée en livrant 85% des commandes et affirmé qu’elle aurait pu s’exécuter totalement si la société BCH HILL n’avait pas refusé la marchandise supplémentaire au mois de janvier 2024 ou rejeté la proposition amiable qui lui avait été faite démontrant ainsi sa bonne foi; qu’en outre elle avait rencontré des difficultés insurmontables avec son transporteur (lequel avait fait l’objet d’une procédure collective) qui avait perdu 25.000 pièces et retenu abusivement sa marchandise dans l’un de ses entrepôts ce qui l’avait contraint à saisir le juge des référés du tribunal de commerce pour obtenir la restitution de son stock; qu’enfin, le comportement de la société BCH HILL qui restait débitrice à son égard de la somme de 620.000 euros (hors application de la clause pénale et des intérêts moratoires) devait être pris en compte pour réduire le montant de l’astreinte puisque celle-ci ne pouvait à la fois solliciter le paiement d’une astreinte conséquente pour les livraisons d’une saison et s’exonérer de tout paiement en invoquant l’exception d’inexécution pour ne plus payer ses dettes échues et non contestables compte tenu des livraisons intervenues. Elle a conclu que la demande formée par la société BCH HILL était en toute hypothèse disproportionnée à l’enjeu du litige et ce d’autant que cette dernière n’avait plus intérêt à la poursuite de l’exécution de la décision de justice dans la mesure où elle avait décidé d’arrêter son activité et que le but poursuivi était en réalité de combler son passif.
Aux termes de l’article L131-4 du code des procédures civiles d’exécution, le montant de l’astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter. L’astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s’il est établi que l’inexécution ou le retard dans l’exécution de l’injonction du juge provient, en tout ou partie, d’une cause étrangère.
Il s’ensuit que le juge de l’exécution est également compétent pour supprimer une astreinte prononcée par un titre exécutoire s’il est démontré, à l’occasion de la demande de liquidation d’astreinte, l’existence d’une cause étrangère ayant empêché le débiteur d’exécuter l’injonction du juge.
S’agissant d’une obligation de faire, il appartient au débiteur de prouver qu’il a respecté son obligation. A l’inverse s’agissant d’une obligation de ne pas faire, c’est au créancier de l’obligation qu’il revient de démontrer la transgression.
Il convient par ailleurs de rappeler que selon les dispositions de l’article R.121-1 du Code des procédures civiles d’exécution le juge de l’exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l’exécution et qu’il doit respecter l’autorité de la chose jugée.
La société JOTT OPERATIONS avait jusqu’au 9 décembre 2023 pour livrer l’intégralité des commandes confirmées par la société JOTT OPERATIONS entre les 13 avril 2023 et le 18 mai 2023 conformément à l’accord du 3 novembre 2023.
Contrairement à ce que soutient la société JOTT OPERATIONS même si l’ordonnance de référé (dont elle n’a pas relevé appel) ne liste pas les commandes devant être livrées, il lui appartenait de se référer aux 165 pages de la pièce n°7 produite par la société BCH HILL, laquelle liste les produits commandés : références, coloris, tailles, quantités. En outre, il ressort de la lecture de l’ordonnance que les marchandises devant être livrées étaient principalement les Basics Saisonniers et l’Edition [U].
Or, les pièces produites par la société JOTT OPERATIONS, sur laquelle pèse la charge de la preuve et qui reconnaît elle-même avoir partiellement exécuté l’obligation mise à sa charge, à savoir le tableau récapitulatif, les bons de livraison et factures (pièces 13, 14 et 15-b) loin de démontrer l’exécution de l’obligation démontrent au contraire, comme le relève de façon pertinente la société BCH HILL, que le “reste à livrer” des commandes passées entre le 13 avril et le 18 mai 2023 à la date de l’ordonnance de référé n’a pas été livré dans le délai imparti. En effet, la lecture dudit tableau récapitulatif permet de constater que sur les 6.102 produits commandés en décembre 2023 seuls 234 produits ont été effectivement livrés. En outre, la comparaison de la liste des commandes et des bons de livraison permettent d’établir que
– certaines livraisons effectuées ne sont pas conformes à la commande : par exemple le 11 mai 2023 la société BCH HILL a commandé 9 ASPEN : référence FW22MJAC36 – H86-Noir/Anthracite: 1S, 2M, 2L, 2XL, 1XXL, 1XXXL / ont été livrés : 1S, 1L et 1XXXL
– la société JOTT OPERATIONS a livré pendant cette période des produits non commandés entre le 13 avril et le 18 mai 2023 : des casquettes ou des polos été par exemple ce qu’elle ne conteste par ailleurs pas
et il est vain pour cette dernière d’intégrer à son tableau et à ses calculs les échanges et retours de marchandises, le remplacement des produits perdus ou encore une proposition amiable dont il n’est aucunement démontré qu’ils correspondent aux “commandes passées entre le 13 avril et le 18 mai 2023″.
Il résulte ainsi des débats que la société JOTT OPERATIONS s’est conformée très partiellement à l’ordonnance de référé. En outre elle ne justifie aucunement d’une cause extérieure l’ayant empêchée de s’exécuter entre le 1er et 9 décembre 2023. En effet, les difficultés rencontrées avec la prestataire datent du mois d’octobre 2023 soit antérieurement au prononcé de l’obligation -étant souligné qu’elle n’en a aucunement fait état devant le juge des référés- mais surtout la société JOTT OPERATIONS ne démontre pas en quoi ces difficultés l’ont empêchée de se conformer à l’obligation puisque si rétention abusive des produits stockés dans les entrepôts de [Localité 7] il y a eu celle-ci est survenue au début de l’année 2024 et il n’est pas davantage démontré que les produits commandés par la société BCH HILL étaient stockés dans cet entrepôt et que la société JOTT OPERATIONS se trouvait dans l’impossibilité de faire appel à un autre transporteur.
Enfin, la société JOTT OPERATIONS ne peut sérieusement soutenir que les retards ou défaut de paiement de la société BCH HILL ont limité sa capacité de livraison des produits commandés.
Il s’ensuit que l’astreinte sera liquidée à la somme de 250.000 euros pour tenir compte de l’exécution partielle de l’obligation par la société JOTT OPERATIONS, étant ajouté que l’astreinte ne revêt aucun caractère indemnitaire et que cette somme n’est aucunement disproportionnée à l’enjeu important du litige qui était de permettre à un franchisé de vendre des produits JOTT de la collection automne-hiver au cours de cette période.
La société JOTT OPERATIONS sera donc condamnée au paiement de pareille somme.
La société JOTT OPERATIONS, succombant, supportera les dépens de la procédure, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
La société JOTT OPERATIONS, tenue aux dépens, sera condamnée à payer à la société BCH HILL une somme, qu’il paraît équitable d’évaluer à 3.000 euros au titre des frais irrépétibles qu’il a dû exposer pour la présente procédure.