Avis n° 24-6 relatif à une demande d’avis d’un cabinet d’avocats sur l’application de l’interdiction de revente à perte aux produits imparfaits
La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 12 janvier 2024, sous le numéro 24-1, par laquelle un cabinet d’avocats interroge la Commission sur les modalités d’application des dispositions de l’article L. 442-5 du code de commerce, relatif à l’interdiction de la revente à perte, aux produits « imparfaits » : dégradés ou présentant un ou plusieurs défauts.
Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;
La rapporteure entendue lors de sa séance plénière du 21 mars 2024 ;
Concernant les modalités d’application de la législation sur l’interdiction de la revente à perte aux produits dégradés ou présentant des défauts, il convient de distinguer les produits qui lors de leur achat par le commerçant comportaient déjà des défauts de ceux qui auraient été dégradés après cet achat.
Lorsqu’un produit comporte déjà un ou plusieurs défauts lors de son achat par le commerçant à son fournisseur, la législation sur l’interdiction de revente à perte est applicable et le prix d’achat effectif ne peut être minoré. Dans ce cas de figure, la bonne pratique consisterait donc davantage pour le commerçant à renvoyer à son fournisseur les marchandises.
En revanche, dans l’hypothèse où un produit a été dégradé après son acquisition par le commerçant, il apparaît raisonnable de considérer que ce produit n’est pas revendu en l’état au sens de l’article L. 442-5 du code de commerce et que l’interdiction de revente à perte ne trouverait donc pas à s’appliquer.
1. Objet de la saisine et contexte
La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie d’une demande d’avis concernant les modalités d’application des dispositions de l’article L. 442-5 du code de commerce, relatif à l’interdiction de la revente à perte, aux produits « imparfaits », c’est-à-dire aux produits dégradés ou présentant un ou plusieurs défauts.
Le demandeur souhaite ainsi savoir :
- si l’interdiction de revente à perte prévue au I de l’article L. 442-5 du code de commerce s’applique aux produits « imparfaits » ou bien si ces derniers entrent dans le cadre des exceptions prévues au II du même article ;
- si, dans le cas où ces produits « imparfaits » entreraient dans le champ d’application de l’interdiction de la revente à perte, le prix d’achat effectif servant au seuil de revente à perte peut être déprécié.
Cette saisine s’inscrit dans un contexte où les distributeurs de produits non-alimentaires, et notamment de produits textiles, feraient face à des difficultés pratiques pour écouler ce type de produits, leur valeur étant dépréciée de manière significative aux yeux des consommateurs, qui ne seraient disposés à les acheter qu’à un prix très bas et donc potentiellement inférieur au seuil de revente à perte.
Le demandeur précise également que sa demande s’inscrit dans le prolongement de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, qui prévoit notamment l’interdiction de la destruction des invendus non-alimentaires.
2. Analyse de la saisine
Le I de l’article L. 442-5 du code de commerce prévoit notamment que « le fait, pour tout commerçant, de revendre ou d’annoncer la revente d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif est puni de 75 000 € d’amende. ».
Le II du même article énumère les exceptions à l’interdiction de la revente à perte[1]. Néanmoins, aucune ne parait de nature à soustraire la revente de produits comportant des défauts ou détériorés à cette interdiction compte tenu de la formulation de ces exceptions.
L’éventuelle marge d’interprétation, dans un tel cas de figure, a donc trait uniquement à la notion de « revente d’un produit en l’état ». Au sens de l’article L. 442-5 du code de commerce, cette notion implique sans conteste une absence de transformation significative du produit acheté par le revendeur.
Par conséquent, il convient, au cas particulier, de distinguer les produits qui, lors de leur achat, comportaient déjà un ou plusieurs défauts, ou étaient abimés, des produits qui auraient été dégradés après leur achat par le commerçant ou les consommateurs, à l’occasion des essayages concernant les vêtements, par exemple.
- Les produits achetés par le commerçant avec défaut ou abimés
Dans le cas où le produit comportait déjà un ou plusieurs défauts lors de son achat par le commerçant à son fournisseur (par exemple, une chaussure avec une trace de colle), ce produit doit alors être considéré comme revendu en l’état au sens de l’article L. 442-5 du code de commerce.
La législation sur l’interdiction de revente à perte est alors applicable.
Par ailleurs, le prix d’achat effectif est défini par cet article comme « le prix unitaire net figurant sur la facture d’achat, minoré du montant de l’ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et majoré des taxes sur le chiffre d’affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport. » Ainsi, ce prix d’achat effectif ne peut être minoré du fait que le produit comportait, lors de son achat, un défaut de fabrication ou était abimé.
Cela étant, dans une telle hypothèse, la bonne pratique consisterait davantage pour le commerçant à renvoyer à son fournisseur les marchandises qui lui ont été livrées dégradées ou affectées de défauts qu’à revendre ses produits à perte en s’exposant à des sanctions pénales.
- Les produits dégradés après leur acquisition par le commerçant
La Commission d’examen des pratiques commerciales n’a pas connaissance de décisions de jurisprudence ayant déterminé si un produit revendu dégradé, par exemple suite à son exposition dans le magasin, ou reçu et revendu abimé pouvait ou non être considéré comme revendu en l’état au sens du I de l’article L. 442-5 du code de commerce.
Il semble cependant raisonnable de considérer qu’un produit acheté intact et qui aurait ensuite subi une dégradation ou une certaine usure, par exemple du fait de son exposition dans le magasin ou d’essayages répétés par les consommateurs, ne serait pas à proprement parler revendu en l’état au sens de cet article.
Dans ce cas de figure, l’interdiction de revente à perte ne trouverait donc pas à s’appliquer, puisqu’elle ne porte que sur la revente de produits en l’état.
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 21 mars 2024, présidée par Madame Agnès MOUILLARD
Fait à Paris, le 9 avril 2024
La vice-présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales
[1] Le II de l’article L. 442- du c ode de commerce prévoit : « Les dispositions du I ne sont pas applicables :
1° Aux ventes volontaires ou forcées motivées par la cessation ou le changement d’une activité commerciale ;
2° Aux produits dont la vente présente un caractère saisonnier marqué, pendant la période terminale de la saison des ventes et dans l’intervalle compris entre deux saisons de vente ;
3° Aux produits qui ne répondent plus à la demande générale en raison de l’évolution de la mode ou de l’apparition de perfectionnements techniques ;
4° Aux produits, aux caractéristiques identiques, dont le réapprovisionnement s’est effectué en baisse, le prix effectif d’achat étant alors remplacé par le prix résultant de la nouvelle facture d’achat ;
5° Aux produits alimentaires commercialisés dans un magasin d’une surface de vente de moins de 300 mètres carrés et aux produits non alimentaires commercialisés dans un magasin d’une surface de vente de moins de 1 000 mètres carrés, dont le prix de revente est aligné sur le prix légalement pratiqué pour les mêmes produits par un autre commerçant dans la même zone d’activité ;
6° A condition que l’offre de prix réduit ne fasse l’objet d’une quelconque publicité ou annonce à l’extérieur du point de vente, aux produits périssables à partir du moment où ils sont menacés d’altération rapide ;
7° Aux produits soldés mentionnés à l’article L. 310-3. »