L’indemnité d’éviction due au salarié

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L’indemnité d’éviction due au salarié

L’indemnité d’éviction due au salarié dont le licenciement est annulé est égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration, et être calculée sur la base du salaire qu’aurait perçu le salarié sur cette période s’il avait continué à travailler au poste qu’il occupait au moment de la rupture du contrat de travail.

Il iconvient d’apprécier l’augmentation de sa rémunération non pas sur la base du bilan social lesquels intègrent les promotions et la situation des salariés qui entrent et sortent en cours d’année, mais sur celle des augmentations de salaires générales effectivement mises en oeuvre par l’employeur.

Résumé de l’affaire :

Contexte de l’Affaire

La société Dell a embauché M. [B] en tant que Business Analyst le 15 juin 2004. Après près de 15 ans de service, il a été licencié pour insubordination par une lettre datée du 6 mai 2019. Le licenciement a été justifié par des éléments considérés comme constitutifs d’une insubordination, aggravés par la séniorité du salarié.

Actions en Justice

M. [B] a contesté son licenciement en saisissant le conseil de prud’hommes de Montpellier le 15 novembre 2019, invoquant des faits de harcèlement moral et demandant la nullité de son licenciement. Le jugement rendu le 23 mai 2022 a déclaré ses demandes irrecevables et a débouté le salarié de toutes ses demandes, tout en laissant les dépens à la charge de chaque partie.

Appel et Décision de la Cour

M. [B] a interjeté appel de cette décision le 28 juin 2022. Par un arrêt partiellement avant dire droit en date du 25 janvier 2024, la cour a confirmé le jugement en ce qui concerne les demandes reconventionnelles de la société Dell, mais a infirmé le jugement pour le surplus. La cour a reconnu que la société Dell avait commis des actes de harcèlement moral à l’encontre de M. [B] et a annulé son licenciement, ordonnant sa réintégration.

Indemnités et Remboursements

La cour a condamné la société Dell à verser à M. [B] 8 000 euros pour harcèlement moral et a ordonné le remboursement des indemnités de chômage éventuellement perçues par M. [B] dans la limite de six mois. La cour a également ordonné la réintégration de M. [B] et la reprise de son salaire.

Indemnité d’Éviction

M. [B] a demandé une indemnité d’éviction de 232 794,66 euros, tandis que la société Dell a proposé un montant de 174 833,56 euros. Les parties ont divergé sur les augmentations salariales à appliquer et sur la prise en compte des frais de carburant liés à l’utilisation d’une carte carburant.

Calcul de l’Indemnité

La cour a statué que l’indemnité d’éviction devait être calculée sur la base du salaire que M. [B] aurait perçu s’il avait continué à travailler. Après avoir examiné les arguments des deux parties, la cour a fixé l’indemnité d’éviction à 184 103,20 euros, en tenant compte des augmentations salariales et des frais de carburant.

Conclusion de la Décision

La cour a condamné la société Dell à verser à M. [B] la somme brute de 184 103,20 euros au titre de l’indemnité d’éviction, ainsi que 2 500 euros pour les frais irrépétibles. La société a également été condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

31 octobre 2024
Cour d’appel de Montpellier
RG
22/03427
ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 31 OCTOBRE 2024

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 22/03427 – N° Portalis DBVK-V-B7G-PO7B

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 23 MAI 2022

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER

N° RG F 19/01265

APPELANT :

Monsieur [P] [B]

né le 20 Février 1973 à [Localité 5] (Italie)

de nationalité Française

Domicilié [Adresse 4]

[Localité 3]

Représenté par Me Guilhem DEPLAIX, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

S.A. DELL

Domiciliée [Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Olivier BONIJOLY de la SELARL CAPSTAN – PYTHEAS, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 24 Juin 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 01 JUILLET 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Monsieur Jean-Jacques FRION, Conseiller

Monsieur Patrick HIDALGO, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Naïma DIGINI

ARRET :

– contradictoire

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Naïma DIGINI, Greffier.

*

* *

PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société Dell a embauché M. [P] [B] suivant contrat de travail à durée indéterminée du 15 juin 2004 en qualité de « Business Analyst », statut cadre, classe VIII, échelon 3.

Le salarié a été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre du 6 mai 2019, se concluant comme suit :

«  […] Tous ces éléments, encore aggravés par votre séniorité, sont constitutifs d’une insubordination nous conduisant à décider, par la présente, de votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Votre préavis, d’une durée de trois mois, prendra effet le lendemain de la première présentation de la présente notification. Pour faciliter votre recherche d’un nouvel emploi, nous vous dispensons d’exécuter votre préavis qui vous sera payé dans son intégralité. À l’issue de cette période de préavis, nous tiendrons à votre disposition votre solde de tout compte ainsi que votre certificat de travail et votre attestation Pôle Emploi. Veuillez noter qu’à la fin de votre contrat de travail, vous serez libéré de votre clause de non-concurrence. »

Se plaignant notamment de harcèlement moral et sollicitant la nullité du licenciement, le salarié a saisi le 15 novembre 2019 le conseil de prud’hommes de Montpellier, lequel, par jugement rendu le 23 mai 2022, a statué comme suit :

Dit que les demandes du salarié sont irrecevables ;

Déboute le salarié de la totalité de ses demandes principales et subsidiaires et de sa demande relative aux frais irrépétibles ;

Déboute l’employeur de ses demandes reconventionnelles ;

Laisse les dépens à la charge de chacune des parties.

Cette décision a été notifiée le 20 juin 2022 à M. [B] qui en a interjeté appel suivant déclaration du 28 juin 2022.

Par arrêt partiellement avant dire droit en date du 25 janvier 2024, la présente cour a statué comme suit :

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société Dell de ses demandes reconventionnelles.

L’infirme pour le surplus.

Statuant à nouveau,

Dit que la société Dell a commis des actes de harcèlement moral au préjudice de M. [B].

Condamne la SA DELL à payer à M. [B] la somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

Déboute M. [B] de ses demandes de dommages-intérêts pour manquement aux obligations de sécurité, de formation et d’exécution loyale du contrat de travail, de sa demande d’annulation du forfait en jours et de paiement d’heures supplémentaires ainsi que d’une indemnité pour travail dissimulé.

Annule le licenciement de M. [B].

Ordonne la réintégration de M. [B] à compter du présent arrêt ainsi que la reprise du paiement de sa rémunération.

Déboute M. [B] de ses demandes relatives à la clause de non-concurrence.

Ordonne le remboursement par la société Dell aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement payées à M. [B] dans la limite de six mois.

Dit que conformément aux dispositions des articles L. 1235-4 et R. 1235-2 du code du travail, une copie du présent arrêt sera adressée par le greffe au Pôle Emploi du lieu où demeure le salarié.

Avant dire droit, ordonne la réouverture des débats pour permettre à M. [B] d’indiquer les revenus qu’il a perçus du 8 août 2019, date de la fin du délai de préavis rémunéré, au 25 janvier 2024, date de sa réintégration, ainsi que ses périodes d’emploi qui seront exclusives de congés payés afférents à l’indemnité d’éviction, et à la société Dell de discuter ces indications.

Dit que M. [B] devra communiquer les éléments utiles et ses observations pour le 25 mars 2024, auxquels la société Dell devra répondre pour le 27 mai 2024 afin que la clôture intervienne le 10 juin 2024 et que la cause soit plaidée à l’audience du 1er juillet 2024 à 9h00.

Sursoit à statuer sur les autres demandes.

Réserve les dépens.

‘ Aux termes de ses conclusions n°2 remises au greffe le 7 juin 2024, M. [B] demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de ses demandes en paiement d’une indemnité d’éviction et d’une somme au titre des frais irrépétibles et de condamner la société Dell à lui verser la somme de 232 794,66 euros à titre d’indemnité d’éviction, celle de 2 500 euros au titre des frais irrépetibles ainsi qu’aux entiers dépens.

‘ Suivant ses dernières conclusions remises au greffe le 10 juin 2024, la société Dell demande à la cour de fixer à titre principal l’indemnité d’éviction à la somme brute de 174 833,56 euros et à titre subsidiaire, à la somme brute de 184 103,20 euros, si par extraordinaire, la cour prenait en compte les frais de carburant alors qu’ils sont déjà intégrés dans l’avantage en nature.

Pour l’exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé, conformément à l’article 455 du Code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.

La procédure a été clôturée par une ordonnance en date du 24 juin 2024.

MOTIVATION

Les parties s’accordent pour considérer que le salarié dont le licenciement est nul en raison du harcèlement moral subi, et qui demande sa réintégration a droit au paiement d’une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé, dont il convient de déduire, d’une part les salaires perçus durant cette période et les indemnités chômage versées par Pôle emploi, devenu France Travail, auxquels il convient d’ajouter « les congés payés, sauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant cette période » (Cass. soc. 1-3-2023 n° 21-16.008).

Elles conviennent par ailleurs que le salaire moyen de M. [B] au jour du licenciement lequel s’établissait à 94 498,23 euros/12 mois, soit 7 874,85 euros.

Nonobstant, les parties ne parviennent pas à s’accorder sur le montant revenant au salarié à ce titre en application de l’arrêt susvisé, en indiquant être opposées sur les deux points suivants :

En premier lieu, les augmentations annuelles à appliquer au salaire moyen :

‘ M. [B] indique solliciter l’application des taux suivants, sur la base des augmentations figurant dans le bilan social :

– le 1 er février 2020 : +3,35 %

– le 1 er février 2021 : +5,50 %

– le 1 er février 2022 : +3,40 %

– le 1 er février 2023 : +3,40 %

‘ tandis que la société Dell propose de retenir l’application des taux suivants :

– pour l’année 2020 : zéro, aucune augmentation n’ayant été pratiquée compte tenu de la crise sanitaire due au Covid,

– pour l’année 2021 : 3,18%, correspondant à l’enveloppe d’augmentations qui a finalement été distribuée,

– pour l’année 2022 : 3,33% correspondant à l’enveloppe d’augmentations qui a finalement été distribuée,

– pour l’année 2023 : 3,15%, correspondant à l’enveloppe d’augmentations qui a finalement été distribuée.

En second lieu, l’incidence de l’avantage en nature :

‘ M. [B] sollicite la prise en compte des frais de carburant de ses déplacements personnels, lesquels étaient pris en charge par la société dans le cadre d’une ‘carte carburant’ dans la limite de 600 litres par mois, non couverts par l’évaluation forfaitaire de l’avantage en nature.

‘ tandis que la société Dell soutient que le salarié ne saurait prétendre au paiement, en sus de sa rémunération brute intégrant l’avantage en nature de 296 euros, de 600 litres de carburant, plafond de sa carte carburant, sauf à être indemnisé à un double titre de ce chef.

L’indemnité d’éviction due au salarié dont le licenciement est annulé est égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration, et être calculée sur la base du salaire qu’aurait perçu le salarié sur cette période s’il avait continué à travailler au poste qu’il occupait au moment de la rupture du contrat de travail.

À juste titre, l’employeur fait valoir qu’il convient d’apprécier l’augmentation de sa rémunération non pas sur la base du bilan social lesquels intègrent les promotions et la situation des salariés qui entrent et sortent en cours d’année, mais sur celle des augmentations de salaires générales effectivement mises en oeuvre par l’employeur.

Observation faite qu’il n’est pas discuté qu’au cours de l’année 2020 correspondant à la crise sanitaire du Covid, aucune augmentation salariale n’est advenue, le salaire de base de M. [B] sera donc revalorisé pour l’année 2021 du taux de 3,18%, de 3,33% pour l’année 2022 et de 3,15% pour l’année 2023, ces taux correspondant aux enveloppes d’augmentations que l’employeur a finalement distribuée à ses salariés.

Au demeurant, le calcul détaillé produit par le salarié est bien calculé sur la proposition formulée par l’employeur (pièce salarié n°16-1) retenant un salaire perdu réévalué à 8 138,66 euros à compter de février 2021, 8 586,29 euros à compter de février 2022, et 8 878,22 euros à compter de février 2023.

La différence en réalité entre les chiffrages de l’indemnité d’éviction réside en réalité simplement sur la prise en compte de l’avantage relatif à la carte carburant, dont il n’est pas discuté que le salarié pouvait l’utiliser pour ses seuls besoins personnels, dans la limite de 600 litres par mois, dont M. [B] sollicite l’indemnisation sur la base de 600 litres de gasoil au mois multiplié par le prix du carburant, ce poste s’élevant sur la période, en fonction du prix moyen du carburant, à la somme globale de 51 498 euros.

Le salarié fait valoir que l’ensemble de l’avantage en nature peut être évalué à 40% du coût global annuel pour la location du véhicule si ce dernier est également utilisé pour des fins professionnelles ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisqu’il ne l’utilisait qu’à des fins personnelles et que la perte de cet avantage en nature ne saurait se faire, comme le soutient à titre subsidiaire l’employeur, sur la base de sa consommation moyenne des 18 derniers mois, mais sur celle du plafond dont il bénéficiait, à savoir 600 litres/mois.

La société objecte que le salaire mensuel de référence sur lequel les parties s’accordent est le salaire brut soumis à cotisation lequel intègre l’avantage en nature véhicule d’un montant de 296 euros (cf. rubrique 3852 des bulletins de salaires). Elle s’oppose au calcul du salarié consistant à rajouter à son salaire mensuel brut la valorisation du plafond de 600 litres de carburant dont il bénéficiait avec la carte carburant mise à sa disposition, en soulignant que l’intéressé n’en utilisait en moyenne que 270 litres. Elle fait valoir que rajouter à l’indemnisation les frais de carburant dans son indemnité d’éviction, reviendrait à les prendre en compte 2 fois.

Toutefois, lorsque comme en l’espèce, l’employeur prend en charge les frais de carburant du véhicule de fonction lequel n’est utilisé qu’à des fins personnelles, ce qui n’est pas contesté par l’employeur, le forfait annuel prévu par le BOSS-AN-780, ne correspond pas au forfait de 40% de la location appliqué par l’employeur, mais de 30% du coût global annuel pour la location (location, entretien, assurances) auquel s’ajoutent les ‘frais réels sur facture de carburant utilisé à des fins personnelles’. Il s’ensuit que les frais de carburant exposés à titre personnel par M. [B] n’étaient pris en compte dans le cadre de l’avantage en nature figurant au salaire brut qu’à hauteur de 10 des 40% du forfait, soit 74 euros mensuels [(296 x 100/40) x 10/100] lequel ne couvre pas la consommation réelle du salarié, dont il a été privé de la date de son licenciement au jour de sa réintégration, consommation qui s’établissait en moyenne à 270 et non à 600 litres par mois.

L’appelant est bien fondé à solliciter, dans ces limites, un complément d’indemnisation de ce chef.

Application faite de ces principes, et conformément au calcul subsidiaire l’indemnité d’éviction sera fixée à la somme de la somme brute de 184 103,20 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Vu l’arrêt partiellement avant dire droit rendu le 25 janvier 2024,

Condamne la société Dell à verser à M. [B] :

– la somme brute de 184 103,20 euros au titre de l’indemnité d’éviction,

– la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Dell aux dépens de première instance et d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas Le Monnyer, Président, et par Madame Naïma Digini, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


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