Limites de la compétence en matière de préjudice moral et de concurrence déloyale

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Limites de la compétence en matière de préjudice moral et de concurrence déloyale
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La SAS Domino Missions [Localité 4] BTP, spécialisée dans le travail temporaire, employait M. [K] et M. [N] avec des contrats contenant des clauses de loyauté et de non-concurrence. En juin 2016, ils ont demandé une rupture conventionnelle, M. [N] étant libéré de sa clause de non-concurrence, tandis que M. [K] a maintenu la sienne. M. [N] a été embauché par la société Concept intérim en septembre 2016, suivie par M. [K]. Domino Missions a alors mis en demeure M. [K] et Concept intérim pour concurrence déloyale, alléguant un détournement de clients. En 2018, Domino Missions a assigné Concept intérim en justice, obtenant une condamnation pour concurrence déloyale en mai 2019, mais sans dommages pour préjudice moral. Concept intérim a fait appel, et en octobre 2021, la cour d’appel a confirmé certaines décisions tout en infirmant d’autres. La Cour de cassation a ensuite cassé partiellement cet arrêt en mars 2023, renvoyant l’affaire à la cour d’appel. Domino Missions a alors formulé de nouvelles demandes, tandis que Concept intérim a contesté la compétence du tribunal et la validité de la clause de non-concurrence. La procédure est en cours, avec des débats fixés pour mai 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

5 septembre 2024
Cour d’appel de Lyon
RG n°
23/03178
N° RG 23/03178 – N° Portalis DBVX-V-B7H-O5NA

Décision du Tribunal de Commerce de LYON du 14 mai 2019

RG : 2018j956

S.A.S. DOMINO MISSIONS [Localité 4] BTP

C/

S.A.S. CONCEPT INTERIM

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 05 Septembre 2024

statuant sur renvoi après cassation

APPELANTE :

S.A.S. DOMINO MISSIONS LYON BTP immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Lyon sous le n° 479 531 063, représentée par son Président, dûment habilité lequel élit domicile audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Ghislaine BETTON de la SARL PIVOINE SOCIETE D’AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 619, postulant et ayant pour avocat plaidant Me Eric DAVID de la société STELLA AVOCATS AARPI, avocat au PARIS

INTIMEE :

S.A.S. CONCEPT INTERIM immatriculée au RCS de NICE sous le numéro 803 956 119, représentée par son président en exercice

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Loïc AUFFRET, avocat au barreau de LYON, toque : 1791, postulant et par Me Sandrine COHEN-SCALI, avocat au barreau de GRASSE

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 21 Mai 2024

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 29 Mai 2024

Date de mise à disposition : 05 Septembre 2024

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Patricia GONZALEZ, présidente

– Aurore JULLIEN, conseillère

– Viviane LE GALL, conseillère

assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport,

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Domino Missions [Localité 4] BTP, spécialisée dans le travail temporaire dans le secteur du bâtiment et des travaux publics employait dans son agence Liberté située à [Localité 4], M. [K] comme responsable de département bâtiment/second ‘uvre et M. [N] comme attaché commercial et de recrutement.

Les contrats de travail à durée indéterminée de M. [K] et M. [N] signés respectivement les 3 janvier 2012 et 25 septembre 2014, contenaient une clause de loyauté et une clause de non-concurrence.

Le 10 juin 2016, MM. [K] et [N] ont informé la société Domino qu’ils sollicitaient une rupture conventionnelle de leur contrat de travail, lesquelles ont été signées ; le 22 juin 2016 avec levée de la clause de non-concurrence post-contractuelle pour M. [N] et le 4 juillet 2016 avec effet au 31 août 2016 pour M. [K], avec maintien de cette clause.

La société Concept intérim, exploitant plusieurs agences de travail intérimaire, dont une à [Localité 4] immatriculée le 9 août 2016, a embauché M. [N] en qualité de chargé d’affaires par contrat signé le 1er septembre 2016, et M. [K] en qualité de responsable d’agence par contrat signé le 5 septembre 2016.

Le 14 et 15 septembre 2016, par lettre recommandée avec accusé de réception, la société Domino Missions [Localité 4] BTP a respectivement mis en demeure M. [K] de cesser son activité au profit de la société Concept intérim, et cette dernière de cesser tout acte de concurrence déloyale à son encontre.

Par la suite, la société Domino Missions [Localité 4] BTP a fait état de faits de concurrence déloyale commis par la société Concept intérim, notamment le détournement ordonné et soudain de plusieurs anciens clients et intérimaires.

Le 5 juin 2018, la société Domino Missions Lyon BTP a assigné la société Concept intérim devant le tribunal de commerce de Lyon en paiement de dommages et intérêts.

Par jugement du 14 mai 2019, le tribunal de commerce de Lyon a dit que la société concept intérim a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Domino Missions Lyon BTP et par conséquent a été condamnée à payer à cette dernière la somme de 50.000 euros au titre de la perte consécutive de marge brute. Toutefois, il a débouté la société Domino Missions [Localité 4] BTP de sa demande de dommages et intérêts au titre d’un préjudice d’actualisation et au titre du préjudice moral.

Par acte du 11 juin 2019, la société Concept intérim a interjeté appel.

Par arrêt du 14 octobre 2021, la cour d’appel de Lyon a :

confirmé le jugement déféré sauf en ses dispositions relatives à :

l’indemnisation de la perte de marge brute,

l’indemnisation des coûts liés à la procédure de constat d’huissier menée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile,

l’application de l’article 700 du code de procédure civile,

les dépens,

Y ajoutant, et l’infirmant sur ces seuls points et statuant à nouveau,

débouté la société Concept intérim de son exception d’incompétence ratione materiae,

débouté la société Domino Missions [Localité 4] BTP de ses demandes en paiement d’une indemnité au titre de la perte de marge brute et du coût de la procédure de constat menée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile,

condamné la société Domino Missions [Localité 4] BTP à verser à la société Concept intérim une indemnité de procédure de 4.000 euros,

débouté la société Domino Missions [Localité 4] BTP de sa demande en paiement de frais irrépétibles pour la première instance et l’appel,

condamné la société Domino Missions [Localité 4] BTP aux dépens de première instance et d’appel.

La société Domino Missions Lyon BTP a formé un pourvoi contre l’arrêt rendu le 14 octobre 2021 par la Cour d’appel de Lyon.

Par arrêt du 22 mars 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation a :

cassé et annulé, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande de dommages et intérêts de la société Domino Missions Lyon BTP au titre d’un préjudice moral et en ce qu’il statue sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt rendu le 14 octobre 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon,

remis, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Lyon autrement composée,

condamné la société Concept intérim aux dépens,

rejeté la demande formée par la société Concept intérim en application de l’article 700 du code de procédure civile et la condamne à payer à la société Domino Missions [Localité 4] BTP la somme de 3.000 euros,

Par déclaration de saisine du 14 avril 2023, la société Domino mission Lyon BTP a saisi la cour d’appel de Lyon.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 6 septembre 2023, la société Domino Missions [Localité 4] BTP demande à la cour, au visa de l’article 1382 du code civil et les articles 122, 145,542,700 et 954 et 1032 et suivants du code de procédure civile, de :

prendre acte des arrêts de la Cour de céans en date du 14 octobre 2021 et de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation en date du 22 mars 2023,

en conséquence,

à titre liminaire :

dire et juger recevables les demandes de la société Domino Missions [Localité 4] BTP,

dire et juger irrecevables ou, à titre subsidiaire, non fondées les demandes de la société Concept intérim sollicitant de la cour de céans qu’elle :

se déclare incompétente au profit du conseil de prud’hommes de Lyon,

déclare nulle la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail de M. [K],

dise que la société Concept intérim n’a pas participé à la violation d’une clause de non-concurrence.

À titre principal :

condamner la société Concept intérim à payer à la société Domino Missions [Localité 4] BTP la somme de 150.000 euros au titre du préjudice moral, en conséquence de la concurrence déloyale mise en ‘uvre par la société Concept intérim en violation de l’article 1382 (devenu 1240) du code civil,

en tout état de cause :

condamner la société Concept intérim à payer à la société Domino Missions [Localité 4] BTP la somme de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner la société Concept intérim aux entiers dépens de première instance et d’appel.

*

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 28 juillet 2023, la société Concept intérim demande à la cour, de :

infirmer le jugement rendu le 14 mai 2019 par le tribunal de commerce de Lyon en ce qu’il a débouté la société Concept intérim de sa demande in limine litis visant à se déclarer incompétent au profit du conseil de prud’hommes de Lyon,

se déclarer incompétent au profit du conseil de prud’hommes de Lyon pour statuer sur la validité de la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail de Monsieur [K],

dire et juger que la société Domino Missions Lyon BTP n’a formulé aucune demande tendant à la réformation ou à l’annulation du jugement rendu le 14 mai 2019 par le tribunal de commerce de Lyon dans le dispositif de ses conclusions notifiées le 7 juin 2023,

dire et juger que la cour d’appel n’est saisie d’aucune prétention tendant à obtenir la réformation ou l’annulation du jugement rendu le 14 mai 2019 par le tribunal de commerce de Lyon,

en conséquence,

déclarer irrecevable l’appel incident de la société Domino Missions [Localité 4] BTP par voie de conclusions notifiées le 7 juin 2023,

déclarer irrecevable la demande de la société Domino Missions [Localité 4] BTP de condamnation de la société Concept intérim à lui payer la somme de 150.000 euros au titre du préjudice moral,

déclarer irrecevable la demande de la société Domino Missions [Localité 4] BTP de condamnation de la société Concept intérim à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Subsidiairement :

déclarer nulle la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail de M. [K].

Plus subsidiairement :

dire que la société Concept intérim n’a pas participé à la violation d’une clause de non-concurrence,

En toute hypothèse,

confirmer le jugement rendu le 14 mai 2019 par le tribunal de commerce de Lyon en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Domino Missions Lyon BTP au titre d’un préjudice moral,

infirmer le jugement rendu le 14 mai 2019 par le tribunal de commerce de Lyon en ce qu’il a condamné la société Concept intérim à payer à la société Domino Missions Lyon BTP la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance,

débouter la société Domino Missions [Localité 4] BTP de l’intégralité de ses demandes,

condamner la société Domino Missions [Localité 4] BTP à payer à la société Concept intérim la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner la société Domino Missions [Localité 4] BTP aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 21 mai 2024, les débats étant fixés au 29 mai 2024.

Pour un plus ample exposé des moyens et motifs des parties, renvoi sera effectué à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de Procédure Civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’étendue de la saisine de la cour d’appel de renvoi

La société Domino fait valoir que :

les demandes aux fins d’irrecevabilité présentées par la société Concept Interim sont irrecevables puisque seul le dispositif de l’arrêt rendu par la cour d’appel a été partiellement cassé, ce qui ne permet pas de reprendre les critiques émises à l’encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce,

les prétentions des parties sont strictement encadrées par l’arrêt de cassation, et la cour de renvoi n’est saisie que sur les demandes concernant le préjudice moral, l’article 700 du code de procédure civile et les dépens, sans ajouter ou retirer,

l’article 954 du code de procédure civile ne vise pas la procédure sur renvoi après cassation, qui est régie par les articles 1032 et suivants du code de procédure civile,

en raison de la cassation partielle, il existe dès lors une autorité de chose jugée concernant les demandes d’irrecevabilité présentées par la société Concept Interim,

à tout le moins, en application de l’article 1037-1 du code de procédure civile, les parties qui ne respecteraient pas les délais de conclusions sont réputées s’en tenir aux moyens et prétentions soumises à la cour d’appel dont l’arrêt a été cassé.

La société Concept Interim fait valoir que :

la cour d’appel n’est pas compétente et ne peut se prononcer sans qu’au préalable soit tranchée la question de la violation de la clause de non-concurrence par M. [K], qui ressort de la compétence matérielle du Conseil de Prud’hommes qui n’a pas été saisi,

les demandes présentées par la société Domino sont irrecevables en ce que ses conclusions ne reprennent aucune demande tendant à l’annulation ou l’infirmation du jugement rendu le 14 mai 2019 par le tribunal de commerce de Lyon.

Sur ce,

L’article 631 du Code de Procédure Civile dispose que devant la juridiction de renvoi, l’instruction est reprise en l’état de la procédure non atteinte par la cassation.

L’article 632 du Code de Procédure Civile dispose que les parties peuvent invoquer de nouveaux moyens à l’appui de leurs prétentions.

L’article 633 du même code dispose que la recevabilité des prétentions nouvelles est soumises aux règles s’appliquant devant la juridiction dont la décision a été cassée.

Enfin, l’article 638 du Code de Procédure Civile dispose que l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation.

Il est rappelé que la cour de cassation a, par arrêt de la chambre commerciale rendu le 22 mars 2023, « cassé et annulé l’arrêt déféré rendu le 14 octobre 2021 par la cour d’appel de Lyon, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande de dommages et intérêts de la société Domino Missions Lyon BTP au titre du préjudice moral et en ce qu’il statue sur les dépens et l’application de l’article 700. »

En conséquence, cela signifie que l’arrêt rendu le 14 octobre 2021 par la chambre commerciale de la cour d’appel de Lyon est définitif s’agissant du rejet de l’exception d’incompétence ratione materiae soulevée par la société Concept Interim et a débouté la société Domino de ses demandes concernant l’indemnité au titre de la perte de marge brute et du coût de la procédure de constat menée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

Il est rappelé en outre que l’arrêt suscité a confirmé le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon le 14 mai 2019 en ce qu’il a retenu l’existence de faits de concurrence déloyale de la part de la société Concept Interim à l’encontre de la société Domino.

Dès lors, en application de l’autorité de chose jugée, il ne saurait être revenu sur ces points. En conséquence, les demandes présentées par la société Concept Interim visant à l’incompétence matérielle de la présente cour au profit du Conseil de Prud’hommes pour apprécier l’étendue de la clause de non-concurrence de M. [K] mais aussi au titre de la contestation de l’existence d’actes de concurrence déloyale sont irrecevables.

S’agissant de la demande relative à l’indemnisation d’un préjudice moral, il est relevé dans les conclusions de la société Domino que cette dernière sollicite la condamnation de la société Concept Interim à lui verser une indemnisation sur ce fondement, point ayant été débattu lors du premier appel.

Les conclusions versées aux débats démontre que la société Domino a bien sollicité la condamnation de la société Concept Interim à lui verser une indemnisation à ce titre qui avait été rejetée par arrêt du 22 mars 2021, la demande étant alors présentée à titre d’appel incident.

S’agissant de la présente affaire, la cour d’appel, suivant arrêt rendu par la cour de cassation, doit donc statuer à nouveau sur cet appel incident concernant l’octroi de dommages et intérêts, ainsi que sur les dépens et l’indemnisation fondée sur l’article 700 du code de procédure civile, étant valablement saisie.

L’irrecevabilité ainsi sollicitée par la société Concept Interim concernant la demande de dommages et intérêts sera donc rejetée.

Sur le préjudice moral de la société Domino

La société Domino fait valoir que :

le préjudice moral se présente sous deux aspects, l’un externe concernant l’image de l’entreprise ou sa réputation, et l’autre interne se traduisant par une dégradation diffuse du moral au sein de l’entreprise,

la société Concept Interim a utilisé son fichier d’intérimaires et de clients grâce aux deux salariés qu’elle a débauchés, ce qui s’est traduit par le départ de 18 intérimaires, et le succès immédiat de cette nouvelle agence d’intérim sur un marché hyper concurrentiel,

la société Concept Interim a fait état auprès de clients du litige existant avec la société Domino ce qui a mené plusieurs clients à prendre position notamment la société Luminem, pour indiquer la liberté de choisir une agence d’intérim, alors que la rupture des relations commerciales est encadrée, et sanctionnée en cas de rupture brutale,

son préjudice moral est à hauteur du volume d’affaire concernés par le débauchage fautif de M. [K], puisque ce dernier, chez son nouvel employeur, a repris le secteur du BTP ce qui ne pouvait que mener les clients à se questionner sur la fiabilité de la concluante,

en interne, le préjudice moral a été important au sein des équipes puisque la violation de sa clause de non-concurrence par M. [K] est intervenue alors même qu’un contentieux était ouvert devant le Conseil de Prud’hommes concernant ce même type de fait contre un ancien salarié,

la valeur des actifs de l’agence Liberté est évaluée à 10%, étant rappelé que l’agence concernée a perdu un chiffre d’affaires cumulé de 765.778 euros en 2016-2017.

La société Concept Interim fait valoir que :

la société Domino n’a souffert d’aucun préjudice moral, présentant des demandes recouvrant en fait l’indemnisation des préjudices pertes de marge brute et coûts de réorganisation qui ont été rejetés par la cour d’appel de Lyon,

dans ses dernières conclusions devant la cour d’appel, la société Domino avait fixé son préjudice moral à la somme de 50.000 euros,

en l’absence de complicité fautive de la concluante, il ne saurait y avoir d’indemnisation,

il existait dans le [Localité 4] 38 agences d’intérim tierces et que la concluante ne peut, à elle seule, être responsable de la perte de chiffre d’affaires avancée par la société Domino, étant rappelé que la preuve du détournement du listing des intérimaires n’est pas rapportée,

la société Domino ne produit pas aux débats de bilans ou liasse fiscale, le tableau versé aux débats pour les besoins de la cause étant sans valeur s’agissant d’un document interne,

la société Domino procède par allégation concernant sa situation interne qui laisserait craindre aux salariés que leur employeur est en situation de faiblesse, aucun élément n’étant versé en ce sens aux débats,

à titre subsidiaire, la somme demandée doit être ramenée à l’euro symbolique.

Sur ce,

L’article 1240 du Code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il convient de rappeler qu’un préjudice, fût-il seulement moral, s’infère nécessairement de la participation fautive à la violation d’une clause de non-concurrence et qu’en la présente espèce, ce préjudice se déduit nécessairement de la participation de la société Concept Interim à la violation par M. [K], de la clause de non-concurrence qu’il avait souscrite.

Or, il est constant à la lecture des différents éléments de l’espèce mais aussi des pièces que M. [K] avait connaissance de ce qu’il était lié par une clause de non-concurrence mais également son nouvel employeur, la société Concept Interim puisque cette dernière a fait l’objet d’une information par la société Domino, mais n’a pas mis fin pour autant au contrat de M. [K], participant dès lors à des actes de concurrence déloyale ou s’en rendant pour le moins complice.

En effet, la société Concept Interim a profité des connaissances de M. [K] concernant un marché concurrentiel, les parties s’accordant sur l’existence d’un nombre important d’agences d’intérim dans le sixième arrondissement de [Localité 4], mais aussi sur un marché particulier à savoir le BTP, qui implique une rapidité de réponse en cas de demande par les entreprises concernées.

De fait, la société Concept Interim a bénéficié du savoir et des connaissances de M. [K] concernant le marché, mais également de ses liens avec les clients, gagnant du temps et de l’argent dans le cadre de son implantation, étant rappelé qu’elle intervient sur le même segment commercial que la société Domino.

Cette dernière fait valoir que son image a été atteinte avec le départ de certains clients même s’ils sont libres de contracter avec des tiers mais aussi qu’une perte de confiance a été relevée au sein de ses équipes en raison de la situation, et notamment concernant la viabilité de l’entreprise à moyen ou long terme. Cette situation de tension ne peut que poser des difficultés quant à la motivation des équipes mais aussi mener à adopter une autre stratégie, de manière temporaire, pour redresser l’entreprise mais aussi l’ouvrir à de nouveaux segments.

Si la situation est ancienne, les éléments versés aux débats par la société Domino démontrent que la situation de préjudice moral a été temporaire et n’a pas entraîné la fermeture de l’entreprise à moyen ou long terme. Si la situation nécessite l’octroi de dommages et intérêts au titre de la concurrence déloyale, il convient toutefois d’en revoir le quantum, l’indemnisation de ce préjudice n’ayant pas vocation à couvrir d’autres préjudices non indemnisés.

En conséquence, il convient d’octroyer à la société Domino une indemnisation au titre de son préjudice moral qui est justement évaluée à la somme de 30.000 euros.

Sur les demandes accessoires

La société Concept Interim échouant en ses prétentions, il convient de la condamner à supporter l’intégralité des dépens de première instance et d’appel.

L’équité commande d’accorder à la société Domino une indemnisation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Il convient de condamner la société Concept Interim à lui payer la somme de 10.000 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine

Déclare irrecevables les demandes formées par la SAS Concept Intérim portant sur la recevabilité de la demande de dommages et intérêts formée par la SAS Domino Missions Lyon BTP et concernant l’incompétence rationae materiae de la cour d’appel de céans s’agissant de l’appréciation de la clause de non-concurrence de M. [K] et de la contestation d’acte de concurrence déloyale,

Infirme le jugement du Tribunal de Commerce de Lyon statuant sur le préjudice moral découlant de l’existence d’une concurrence déloyale au détriment de la SAS Domino Missions Lyon BTP,

Statuant à nouveau et y ajoutant

Condamne la SAS Concept Intérim à payer à la SAS Domino Missions [Localité 4] BTP la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral,

Condamne la SAS Concept Intérim à supporter les entiers dépens de la procédure de première instance et d’appel,

Condamne la SAS Concept Intérim à payer à la SAS Domino Missions [Localité 4] BTP la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


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