Licencier un journaliste audiovisuel pour divergence éditoriale
Licencier un journaliste audiovisuel pour divergence éditoriale

Le licenciement d’un chef de rubrique au service des sports de Canal Plus a été jugé sans cause réelle et sérieuse.

Mésentente entre le journaliste et sa hiérarchie

Le motif du licenciement était la mésentente entre le journaliste et sa hiérarchie, celle-ci ayant causé, selon l’employeur, une détérioration des relations de travail et des difficultés relationnelles nuisant aux intérêts du service.

La mésentente, qui fonde le licenciement litigieux, ne constitue une cause de licenciement non disciplinaire que si elle repose sur des faits objectifs imputables au salarié, et ayant une incidence sur la bonne marche de l’entreprise. En cas de doute sur l’imputabilité de la mésentente, le doute profite au salarié.

Preuve de la mésentente

Pour justifier de cette mésentente, l’employeur a versé aux débats :

—l’entretien individuel dans lequel le responsable éditorial indique : « J’ai eu le sentiment, et J Y aussi, d’une année marquée par la contestation quasi-systématique des choix éditoriaux et des moyens mis en oeuvre »;

—l’entretien individuel du salarié dans lequel il s’opposait à la ligne éditoriale du service sports;

—l’entretien individuel dans lequel le responsable éditorial précise : « A doit comprendre que certains sujets sont moins sympas que d’autres, mais qu’il faut les faire, si possible sans grogner »;

—un échange de courriels dans lesquels le salarié ne souhaite pas réaliser un tournage eu égard à sa charge de travail.

Aucun des éléments versés aux débats par la société Canal Plus ne justifiait de faits objectifs manifestant une détérioration des relations de travail et des difficultés relationnelles et ayant une incidence sur la bonne marche de l’entreprise, les seuls éléments invoqués ayant trait à une seule demande et un seul refus par le salarié sur près de quatre années, et le fait de «grogner» ou de contester les moyens alloués pour réaliser certains reportages ne ressortant que des évaluations annuelles, à l’exclusion de toute autre pièce, aucun terme injurieux, diffamatoire ou excessif ne lui étant reproché.

La juridiction a considéré que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, et accordé au journaliste la somme de 35000 € au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au vu de son ancienneté (18 années), de son âge (45 ans) et de son salaire mensuel moyen (5777 € en y ajoutant les heures supplémentaires accordées).

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 7

ARRET DU 07 JANVIER 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/04138��N° Portalis 35L7-V-B7C-B5KHS

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Février 2018 -Conseil de Prud’hommes–Formation paritaire de PARIS–RG n° F 17/00866

APPELANTE

SA SOCIETE D’EDITION DE CANAL PLUS

[…]

[…]

Représentée par Me Marie-Hortense DE SAINT REMY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0286

INTIME

Monsieur A X

[…]

[…]

Représenté par Me Géraldine LEPEYTRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0108

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 Octobre 2020, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre, et Madame Bérengère DOLBEAU, Conseillère, chargées du rapport.

Ces magistrats, entendus en leur rapport, ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre,

Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de Chambre,

Madame Bérengère DOLBEAU, Conseillère.

Greffier, lors des débats : Madame Lucile MOEGLIN

ARRET :

— CONTRADICTOIRE,

—mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

—signé par Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre, et par Madame Lucile MOEGLIN, Greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Par contrat à durée déterminée du 30 septembre 1991 au 31 décembre 1996 puis renouvelé une fois jusqu’au 31 mars 1997, M. X a été engagé en qualité de journaliste par la société d’éditions Canal Plus.

Les relations de travail se sont poursuivies par la signature d’un contrat à durée indéterminée le 1er avril 1997.

La convention collective applicable est celle des journalistes.

En dernier état, M. X exerçait les fonctions de chef de rubrique au service des sports.

Par lettre en date du 20 avril 2014, M. X a été convoqué à un entretien préalable fixé le 15 juillet 2014.

Par courrier en date du 5 août 2014, M. X a été licencié pour motif personnel.

M. X a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 7 mai 2015, saisine ré-enrolée le 6 février 2017 après radiation, de demandes de natures salariales et indemnitaires.

Par jugement du 16 février 2018, le conseil a condamné la société d’édition de Canal Plus à payer à M. X les sommes suivantes :

* 25.000 euros au titre de rappel des heures supplémentaires;

*2.500 euros à titre de congés payés afférents;

*1.000 euros au titre du droit au repos;

*35.000 euros au titre du licenciement sans cause réelle sérieuse;

*34.662 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé;

*1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

*Ordonné le remboursement à Pole emploi par la société d’éditions Canal plus des indemnités de chômage versées à M. X du jour de la rupture de son contrat de travail au prononcé du jugement dans la limite de six mois d’indemnité de chômage.

Pour statuer ainsi, le conseil a considéré que les pièces versées aux débats ne caractérisaient pas une exécution déloyale. Sur la convention de forfait annuel de travail en jours, le conseil a jugé la convention nulle, l’employeur se révélant dans l’incapacité de fournir l’avenant écrit stipulant celle-ci. Le conseil a considéré que les données transmises par le salarié étaient suffisantes pour évaluer le nombre d’heures supplémentaires et la réparation de la violation de son droit au repos. Sur le licenciement, le conseil a considéré que les griefs pris isolément ou conjointement ne constituaient pas une cause réelle et sérieuse de licenciement.

La société d’éditions Canal Plus a interjeté appel du jugement le 13 mars 2018.

PRETENTIONS ET MOYENS

Par conclusions transmises le 16 mars 2020, la société d’éditions Canal Plus demande à la Cour d’infirmer le jugement sauf en ce qu’il déboute M. X de ses demandes au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail et au titre de l’exécution déloyale de la convention de forfait jours, et de condamner M. X à lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens.

Sur la convention de forfait jours, elle soutient qu’aucun texte prévoyant la nullité de la convention de forfait jours n’est visé, que cela soit par M. X dans ses conclusions ou par le conseil de prud’hommes pour motiver sa décision et que par conséquent le conseil de prud’hommes ne pouvait pas prononcer l’annulation. Elle fait valoir que si un salarié assujetti au forfait jours dispose effectivement d’une autonomie dans l’organisation de son travail, cela ne le dispense pas de rendre des comptes à sa hiérarchie, de remplir les objectifs fixés par sa hiérarchie, et encore moins de recevoir des directives, notamment en termes de sujets traités. Elle soutient que les plannings versés constituent un outil de décompte des jours travaillés conformément à l’article D.3171-10 du Code du travail et sont donc un outil de suivi.

Sur la validité de la convention, elle rappelle que la jurisprudence considère qu’un salarié ne peut se prévaloir de l’absence d’un écrit lors de la mise en place de la convention de forfait pour conclure à l’inopposabilité de celle-ci, ladite convention ayant été conclue avant l’entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008 créant cette obligation légale d’écrit.

Elle soutient que le salarié n’a jamais remis en cause le principe du forfait en jours durant 16 années.

Sur la demande d’heures supplémentaires, elle conteste les élements versés et fait valoir que le tableau a été établi par estimation a posteriori par le salarié lui-même. Elle fait valoir que si la Cour de cassation considère que l’accord de l’employeur est implicite, le salarié doit tout de même démontrer que les heures supplémentaires ont été imposées par la nature ou la quantité du travail demandé, et que cette démonstration fait défaut.

Sur le droit au repos, elle rappelle la convention de forfait de M. X et soutient que l’accord de 1999 instituant le forfait jours des journalistes autorise le dépassement de ce forfait.

Sur le travail dissimulé, elle soutient que le salarié ne justifie pas d’heures supplémentaires ni du potentiel caractère intentionnel nécessaire à la constitution de l’infraction.

Sur l’exécution du contrat de travail, elle soutient que le salarié n’a pas subi de réduction de ses fonctions, ni un environnement hostile.

Sur le licenciement, elle soutient que le salarié a contesté la ligne éditoriale ce qui n’est pas un fait anodin pour un journaliste et pose une réelle difficulté quant à la cohésion globale de l’ensemble de contenu publié. Elle fait valoir que le salarié a également contesté les plannings.

Par conclusions transmises le 11 septembre 2018, M. X sollicite la confirmation du jugement du conseil de prud’hommes de Paris ayant condamné la société d’édition de Canal Plus au paiement des sommes suivantes :

—Rappel de salaires au titre des heures supplémentaires : 25.000 €;

—Congés payés sur heures supplémentaires : 2.500 €;

—Droit au repos : 1.000 €;

—Indemnité du licenciement sans cause réelle et sérieuse : 35.000 €;

—Indemnité au titre du travail dissimulé : 34.662 €.

M. X sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, et la condamnation de la société d’édition de Canal Plus au paiement de la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, outre la capitalisation des intérêts et la somme de 2.500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail, il soutient que le fait d’exercer des pressions sur un salarié en vue de le contraindre à rompre son contrat constitue une exécution déloyale du contrat de travail et fait valoir que ses fonctions ont été réduites et que son environnement professionnel était hostile.

Sur l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, il rappelle que le motif doit être exact, objectif, vérifiable, précis et avéré, et soutient que le motif de son licenciement est évasif puisque fondé sur une prétendue mésentente ayant eu lieu durant la saison 2013/2014, grief d’ailleurs prescrit. Il soutient que celui-ci n’est pas sérieux, ni vérifiable.

Sur le rappel de salaire lié au défaut de validité de son forfait jours, il soutient qu’il ne bénéficiait d’aucune autonomie et qu’aucune des conditions de validité de recours à un forfait jours n’a été respectée. Il fait valoir ne jamais avoir conclu de forfait, qu’aucun système de contrôle de la charge de travail n’a été mis en place et qu’il a dû travailler pendant ses temps de repos.

Sur le rappel des heures supplémentaires, il verse un tableau détaillé et fait valoir que les temps de préparation et de finalisation d’un reportage n’ont jamais été pris en compte.

Sur la violation du droit au repos, il verse un tableau et les messages alertant sa hiérarchie.

Sur le travail dissimulé, il soutient que son employeur connaissait le nombre d’heures de travail réellement effectuées.

Pour plus ample présentation des faits, moyens et demandes des parties, la Cour renvoie aux pièces et écritures versées.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 30 septembre 2020

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail :

En application de l’article L. 1222-1 du Code du Travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

La bonne foi se présumant, la charge de la preuve de l’exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur incombe au salarié.

M. A X, chef de rubrique au service sports de Canal Plus, fait valoir que l’employeur a tenté de le pousser à la démission en lui réduisant ses fonctions, et en l’entourant d’un environnement hostile source de stress.

S’agissant de la réduction de ses fonctions, M. A X verse aux débats :

—l’entretien individuel du 17 janvier 2014 au cours duquel M. X indique qu’il a rencontré des difficultés liées à certaines pertes de droits et aux moyens consentis sur certains projets;

—l’attestation du 25 octobre 2016 de M. C D, responsable de production, qui atteste des manques de moyens de production ou des impératifs de programmation;

—un échange de courriels en mars 2013 entre M. X et Mme Y dans lequels M. X refuse un projet, en indiquant «là, je bouche des trous»;

—le compte-rendu de l’entretien préalable du 15 juillet 2014 dans lequel M. X indique « E Z n’a pas hésité à me retirer certaines tâches correspondant à mes qualifications pour lancer des personnes débutantes en me basculant simultanément sur des activités totalement aléatoires d’une semaine sur l’autre ».

Il résulte des éléments versés aux débats que M. X ne démontre pas la diminution de ses fonctions pour laquelle il ne fournit aucun exemple ou aucune précision, les pertes de droits relatifs à certains événements sportifs étant générales et ne le concernant pas exclusivement, et certaines pièces (échange avec Mme Y) démontrant son refus d’exécuter certaines tâches en raison du manque de moyens.

Ce grief n’est donc pas justifié par le salarié.

S’agissant de l’environnement hostile, M. X indique qu’il ne bénéficiait pas des mêmes avantages que les autres salariés, qu’il n’avait aucune possibilité d’organiser sa vie professionnelle et personnelle, que son départ volontaire a été évoqué à plusieurs reprises, et qu’il ne pouvait s’exprimer librement, et verse aux débats pour en justifier :

—ses plannings pour les années 2012 à 2014;

—un échange de courriels du mardi 12 novembre 2013 avec M. E Z, qui lui demande de s’occuper du lundi-basket le week-end suivant, plutôt que la NHL;

—l’entretien individuel du 17 janvier 2014, déjà cité, au cours duquel M. X rappelle deux événements qui lui ont demandé beaucoup de temps et d’investissement;

—le compte-rendu de l’entretien préalable du 15 juillet 2014, déjà cité, dans lequel M. X indique : « depuis cet entretien, je subis une forme de harcèlement. On est dans la menace (…). Deux mois plus tard, on me met une pression impossible pour que je parte de l’entreprise ».

M. A X ne verse aux débats aucun élément extérieur à ses propres déclarations dans les entretiens et compte-rendus pour justifier des différents éléments qu’il rapporte. Aucun élément ou attestation ne vient corroborer ses affirmations.

Le second grief n’est donc pas justifié par le salarié.

En l’absence de tout élément probant, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la validité du forfait annuel en jours :

La société Canal Plus produit le protocole d’accord sur la réduction et l’aménagement du temps de travail daté du 23 juin 1999, et prévoyant dans son article III 6) que « les journalistes professionnels seront par conséquent régis par une convention de forfait tout horaire qui fera l’objet d’un avenant au contrat de travail des collaborateurs concernés ». Cet avenant écrit était donc prévu de manière contractuelle, antérieurement à la loi du 20 août 2008 qui a imposé cette obligation légale à l’ensemble des conventions de forfait.

M. A X faisait partie de cette catégorie de journalistes professionnels au vu de son contrat de travail du 1er avril 1997, et de ses fiches de paie.

Or, la société d’éditions Canal Plus ne produit aucun avenant conclu avec M. X, et justifiant du respect du protocole d’accord sur la réduction et l’aménagement du temps de travail.

Il n’existe donc aucune convention de forfait à l’égard de M. X.

Le jugement de première instance sera infirmé en ce qu’il a prononcé la nullité de la convention forfait-jours, aucune convention de forfait n’ayant été conclue avec M. X. Il est donc soumis à la réglementation de droit commun sur la durée du travail.

Sur les heures supplémentaires :

De manière générale, selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’occurrence, M. A X invoque le fait qu’il a effectué de très nombreuses heures supplémentaires.

Ainsi, il produit un tableau détaillant les heures supplémentaires qu’il dit avoir réalisées jour par jour, et précisant qu’il a effectué les heures supplémentaires suivantes de juin 2012 à juillet 2014:

— 149 heures supplémentaires majorées à 125% et 208 heures supplémentaires majorées à 150 % en 2012,

— 195 heures supplémentaires majorées à 125% et 395 heures supplémentaires majorées à 150 % en 2013,

— 118 heures supplémentaires majorées à 125% et 194 heures supplémentaires majorées à 150 % en 2014.

Il produit également des courriels pour justifier des horaires effectués, ainsi que l’attestation du 17 juin 2016 de Mme F G, chef monteur, indiquant qu’en 2013, elle a collaboré à deux reprises avec M. X, et que leurs horaires se sont étalés du 20 au 22 mars de 8h00 à 2h00 du matin, et qu’en juillet 2013, ils ont travaillé le 5 juillet de 10h00 à 2h00 du matin, et le 6 juillet de 10h00 à 6h00 du matin, et une attestation du 25 octobre 2016 de M. C D, responsable de production, qui indique que pour un documentaire tourné à Montréal, les montages étaient programmés de 20h00 à 4h00 du matin du 22 au 27 janvier, et qu’il n’était pas rare de voir M. X en salle de montage en-dehors des heures de bureau.

Il verse également aux débats l’attestation du 16 juin 2016 de M. H I-la-Loi, journaliste, qui précise que les tournages donnaient lieu à des amplitudes de travail extrêmes, et que par exemple, un tournage du 20 février au 3 mars 2014 aux Etats Unis a représenté 167 heures de travail concentrés sur 12 jours, soit une moyenne de 14 heures par jour.

Il s’en déduit que M. A X présente, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement. Dès lors, il incombe à la société Canal Plus, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, de formuler ses observations, laquelle ne peut se borner à critiquer les éléments produits par le salarié et doit verser aux débats des documents objectifs sur les temps effectivement travaillés.

En l’espèce, la société Canal Plus fait valoir que le temps de travail de M. A X n’était pas décompté, s’agissant d’un forfait jours, et se contente de critiquer les éléments versés aux débats.

Elle ne verse aux débats aucun élément sur les temps effectivement travaillés par le salarié.

Au regard des éléments fournis par l’une et l’autre des parties, la cour évalue à 23897,42 euros bruts la somme devant être retenue au titre des heures supplémentaires effectuées outre les congés payés afférents à hauteur de 2389,74 €, le montant alloué étant moindre que celui réclamé dans la mesure où l’examen des éléments produits par les parties a révélé des heures décomptées à tort ou non justifiées par le salarié (temps de voyages, de préparation…).

Le jugement sera confirmé sur le principe et infirmé quant au quantum.

Sur la violation du droit au repos :

M. X soutient que ses repos journaliers et hebdomadaires n’ont pas été respectés, et indique qu’il a travaillé 234 jours sur l’année 2013, ce que ne conteste pas l’employeur, indiquant toutefois que le salarié a bénéficié de 31 jours de congés de récupération du fait de ce dépassement.

Par ailleurs, il résulte des attestations ci-dessus mentionnées que les amplitudes horaires pouvaient être extrêmement importantes durant les montages ou les tournages, le plafond de la durée maximale de travail journalier ayant été dépassé à de nombreuses reprises.

Il y a donc lieu de constater que des violations des repos journaliers et hebdomadaires ont eu lieu, notamment dans le cadre des tournages des documentaires ou des reportages au cours des années 2013 et 2014, et de confirmer le jugement en ce qu’il a accordé à M. X la somme de 1000 € de ce chef.

Sur l’indemnité pour travail dissimulé :

L’article L.8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l’article L.8221-3 du même code relatif à la dissimulation d’activité ou exercé dans les conditions de l’article L.8221-5 du même code relatif à la dissimulation d’emploi salarié.

Aux termes de l’article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l’employeur a recours dans les conditions de l’article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L’article L.8221-5, 2°, du code du travail dispose notamment qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.

En l’espèce, il n’est établi par aucune pièce le caractère intentionnel de la dissimulation par l’employeur des heures supplémentaires, d’autant qu’un protocole d’accord sur la durée du travail était appliquée depuis 1999 au sein de la société Canal Plus.

Il y a donc lieu de rejeter la demande de M. X au titre de l’indemnité de travail dissimulé. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur le bien-fondé du licenciement :

Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

La lettre de licenciement du 5 août 2014, qui fixe les limites du litige, est ainsi motivée :

«Dans le cadre de votre fonction de journaliste auprès de M. E Z, rédacteur en chef au sein de la rédaction Omnisport, vous avez eu une saison 2013/2014 assez chaotique en termes de divergences de vue éditoriales, d’organisation du travail et de difficultés relationnelles et ce, malgré les remarques à l’écrit et à l’oral qui ont ponctué ces derniers mois. A plusieurs reprises, des divergences de vue sont apparues dans le traitement éditorial des sujets qui vous étaient confiés. Il n’est en effet pas rare que vous remettiez en cause systématiquement la manière de gérer des sujets en ce qui concerne soit l’équipe mise à disposition, soit les moyens techniques alloués, soit l’angle éditorial. Cela a été le cas pour les X Games, pour certains reportages dédiés à Lundi Basket, pour Wimbledon ou pour des bandes annonces. Votre attitude et vos remarques n’ont pas été constructives, mais elles ont plutôt démontré un sentiment de défiance permanente face aux décisions de vos responsables ce qui rend la gestion d’une équipe complexe et le dialogue impossible. En termes d’organisation du travail, vous n’avez cessé de remettre en cause les plannings hebdomadaires qui vous ont été proposés (…). Entre les jours de préparation que vous réclamez et les jours de récupération que vous souhaitez poser comme bon vous semble, la gestion unique de votre dossier est devenue ingérable pour les équipes, vos managers ou les équipes du planning. Ces difficultés ont abouti à une impasse relationnelle générant une situation conflictuelle devenue inacceptable au fil du temps. En effet, votre posture vous a isolé du reste de la rédaction. Votre habitude à rechigner de manière quasi-systématique aux demandes de votre rédaction en chef a abouti à un climat délétère et à un désaccord permanent.(…) En conséquence, nous nous voyons contraints de mettre un terme à notre relation de travail pour motif personnel, la détérioration des relations de travail nuisant aux intérêts de la direction des Sports ».

Le motif du licenciement est donc la mésentente entre M. X et sa hiérarchie, celle-ci ayant causé, selon l’employeur, une détérioration des relations de travail et des difficultés relationnelles nuisant aux intérêts du service.

La mésentente, qui fonde le licenciement litigieux, ne constitue une cause de licenciement non disciplinaire que si elle repose sur des faits objectifs imputables au salarié, et ayant une incidence sur la bonne marche de l’entreprise. En cas de doute sur l’imputabilité de la mésentente, le doute profite au salarié.

Il y a lieu tout d’abord d’écarter la prescription soulevée par M. X, le licenciement pour mésentente n’étant pas un motif disciplinaire, et l’article L.1232-4 du code du travail n’étant pas applicable en l’espèce.

Pour justifier de cette mésentente, l’employeur verse aux débats :

—l’entretien individuel du 17 janvier 2014, dans lequel M. E Z indique : « J’ai eu le sentiment, et J Y aussi, d’une année marquée par la contestation quasi-systématique des choix éditoriaux et des moyens mis en oeuvre »;

—un courriel du 21 juillet 2010, dans lequel M. X demande de voyager en business au vu des conditions de tournage;

—l’entretien individuel du 23 janvier 2012, dans lequel M. X s’opposait à la ligne éditoriale du service sports;

—l’entretien individuel du 4 février 2013, dans lequel M. Z précise : « A doit comprendre que certains sujets sont moins sympas que d’autres, mais qu’il faut les faire, si possible sans grogner »;

—un échange de courriels avec Mme Y en mars 2013, dans lesquels M. X ne souhaite pas réaliser un tournage eu égard à sa charge de travail.

Aucun des éléments versés aux débats par la société Canal Plus ne justifie de faits objectifs manifestant une détérioration des relations de travail et des difficultés relationnelles et ayant une incidence sur la bonne marche de l’entreprise, les seuls éléments invoqués ayant trait à une seule demande et un seul refus par M. X sur près de quatre années, et le fait de «grogner» ou de contester les moyens alloués pour réaliser certains reportages ne ressortant que des évaluations annuelles, à l’exclusion de toute autre pièce, aucun terme injurieux, diffamatoire ou excessif ne lui étant reproché.

Aussi, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, et accordé à M. X la somme de 35000 € au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au vu de l’ancienneté de M. X (18 années), de son âge (45 ans) et de son salaire mensuel moyen (5777 € en y ajoutant les heures supplémentaires accordées).

Sur l’article 700 du code de procédure civile :

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de M. X la totalité des frais qu’il a dû supporter au cours de la présente procédure.

Il y a donc lieu de lui accorder la somme de 1000 € au titre de l’artcile 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement en ce qu’il a dit que la convention de forfait était nulle, accordé une indemnité pour travail dissimulé, et sur le quantum des heures supplémentaires et des congés payés afférents;

CONFIRME pour le surplus;

Et statuant à nouveau,

CONSTATE qu’aucune convention de forfait jours n’a été signée entre la société Canal Plus et M. A X;

CONDAMNE la société d’éditions Canal Plus à payer à M. A X les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes pour les sommes à caractère salarial, et avec capitalisation des intérêts :

— 23897,42 euros bruts au titre des heures supplémentaires outre les congés payés afférents à hauteur de 2389,74 €,

— 1000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile;

DÉBOUTE M. A X de sa demande au titre de l’indemnité de travail dissimulé;

CONDAMNE la société d’éditions Canal Plus au paiement des dépens d’appel.

LA GREFFIERE

LA PRESIDENTE


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