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Nos Conseils:
1. Il est essentiel pour l’employeur de démontrer la réalité du motif économique allégué lors d’un licenciement pour motif économique, en fournissant des preuves tangibles telles que des bilans prévisionnels, des comptes annuels et des indicateurs économiques significatifs. 2. Lorsqu’un employeur doit opérer un choix parmi les salariés à licencier, il est impératif de respecter l’ordre des licenciements défini par la loi, en prenant en compte des critères tels que l’ancienneté, les charges de famille, la situation des salariés handicapés et âgés, et les qualités professionnelles. 3. En cas de préjudice moral allégué par le salarié, il est important de fournir des preuves tangibles de l’existence de conditions de travail dégradées ou de pressions morales de la part de l’employeur, afin de justifier une éventuelle réparation pour ce préjudice. |
→ Résumé de l’affaireMme [E] a été engagée en tant qu’employée polyvalente par la société Champa, spécialisée dans l’exploitation d’un hôtel en location-gérance. Suite à des difficultés financières, la société a été placée en liquidation judiciaire, et Mme [E] a été licenciée pour motif économique par la société Madafran, qui a repris la gestion de l’hôtel. Mme [E] conteste son licenciement devant le conseil de prud’hommes de Versailles, qui a jugé le licenciement comme étant fondé sur une cause réelle et sérieuse. Mme [E] a interjeté appel de ce jugement et demande à la cour de reconnaître que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, et de lui accorder des dommages et intérêts. La société Madafran demande quant à elle la confirmation du jugement du conseil de prud’hommes et réclame des dommages et intérêts ainsi que le remboursement des frais de procédure à Mme [E].
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-4
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 12 JUIN 2024
N° RG 22/01958
N° Portalis DBV3-V-B7G-VIRZ
AFFAIRE :
[R] [E]
C/
Société MADAFRAN
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 mai 2022 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de VERSAILLES
Section : C
N° RG : F 19/00545
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Thomas MALVOLTI
Me Marie-Caroline MARTEL
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DOUZE JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [R] [E]
née le 27 février 1989
de nationalité française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Thomas MALVOLTI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : 234
APPELANTE
****************
Société MADAFRAN
N° SIRET : 844 227 868
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Marie-Caroline MARTEL, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0397
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 3 avril 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
Mme [E] a été engagée en qualité d’employée polyvalente, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 2 décembre 2015, par la société Champa, dont son père était alors le gérant.
Cette société est spécialisée dans l’exploitation d’un hôtel en location-gérance. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de moins de onze salariés. Elle applique la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants.
En dernier lieu, elle percevait une rémunération brute mensuelle de base de 1 521, 25 euros.
Par jugement du 1er février 2018, le tribunal de commerce de Versailles a prononcé le redressement judiciaire de la société Champa, converti en liquidation judiciaire par jugement du 18 juillet 2018.
A compter d’août 2018, M. [W], propriétaire de l’hôtel, a repris la gestion de l’hôtel, et a proposé à Mme [E] la rupture conventionnelle de son contrat de travail, ce qu’elle a refusé par lettre du 11 octobre 2018.
A compter du 1er décembre 2018, la location-gérance de l’hôtel a été reprise par la société Madafran, ayant pour associé majoritaire M. [W], et pour associée gérante Mme [M].
Par lettre du 20 décembre 2018, la société Madafran a proposé à la salariée une modification de son contrat de travail pour motif économique, sur un poste de réceptionniste ou sur un poste de femme de ménage.
A compter du 14 janvier 2019, Mme [E] a été placée en arrêt de travail pour maladie, ensuite prolongé jusqu’au 22 avril 2019.
Par lettre du 16 janvier 2019, la salariée a opté pour le poste de réceptionniste.
Par lettre du 23 janvier 2019, la société l’a informé que sa s’ur, à laquelle la même proposition avait été faite, a effectué la même option, dont l’application des critères d’ordre justifiait le maintien de la proposition de modification à sa s’ur, l’employeur proposant à nouveau à Mme [E] le poste de femme de ménage figurant dans sa lettre du 20 décembre 2018, que l’intéressée a refusé par courriel du 31 janvier 2019.
Par lettre du 1er février 2019, Mme [E] a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 12 février 2019.
Le 12 février 2019, Mme [E] a refusé le contrat de sécurisation professionnelle.
Mme [E] a été licenciée par lettre du 22 février 2019 pour motif économique dans les termes suivants:
« (‘) Comme vous en avez déjà été informée, la SARL Madafran a repris en location-gérance l’hôtel du Fort depuis le 1er décembre 2018.
Cet hôtel était géré par la SARL Champa, dont votre père étant le gérant, depuis 2015. Elle a été placée en liquidation judiciaire le 5 juillet 2018.
Après analyse de la situation par la nouvelle locataire-gérante et discussion avec le propriétaire du fond, il est ressorti d’une impérative réorganisation de l’hôtel,
Ce projet de réorganisation résulte de la situation financière et structurelle particulièrement préoccupante de la société qui contraint la SARL Madafran à prendre des mesures immédiates.
En effet, il résulte du plan comptable de décembre 2018 que pour un chiffre d’affaires prévisionnel de 19 KE, la SARL Madafran va devoir faire face à des charges fixes de plus de 1.110 E et plus de 14 KE en charges de personnel. La nouvelle entité n’a pas de trésorerie pour faire face à une telle situation, les banques ont été sollicitées. A défaut d’action rapide la situation va être irréversible et le risque de ne pas pouvoir faire face au passif exigible avec l’actif disponible est certain.
L’analyse de la charge de travail pour les 17 chambres de l’hôtel démontre en outre à ce jour un sureffectif ; les besoins réels sont de :
‘ un poste de réceptionniste à temps plein ;
‘ un poste de femme de chambre à temps plein.
La nouvelle gérante étant expérimentée et polyvalente, elle va pouvoir assumer outre les tâches de gestion administrative, une partie des tâches de réception.
Dès lors sur les 5 postes actuels : 1 poste de Directrice, 2 postes de réceptionnistes polyvalentes et 2 postes de femmes de chambre, les postes suivants seraient supprimés : le poste de directrice, un poste de réceptionniste et un poste de femme de chambre. Étant précisé que les salariés occupant actuellement les postes de femmes de chambre étant en CDD, ces derniers ne seront pas renouvelés à compter de la mise en ‘uvre de la réorganisation.
En application de cette réorganisation l’un des deux postes de réceptionniste que vous occupez sera supprimé.
Par lettre en date du 20 décembre 2018, nous vous avons proposé d’être affectée à l’un des deux postes conservés à savoir celui de réceptionniste ou celui de femme de chambre. Étant précisé que si vous étiez plusieurs à solliciter un reclassement sur le même poste, des critères d’ordre seraient appliqués.
Par lettre en date du 16 janvier 2019 vous avez choisi le maintien sur votre poste de réceptionniste.
Votre s’ur, Madame [C] [E] a également choisi d’être maintenue sur le poste de réceptionniste.
Nous avons fait application des critères d’ordre et nos propositions. Il en est ressorti que c’était votre s’ur qui était maintenue au poste de réceptionniste. Nous vous avons alors proposé d’être reclassée sur le dernier poste vacant à savoir celui de femme de chambre. Vous avez refusé cette proposition par courriel du 31 janvier 2019.
Vous avez alors été convoquée à un entretien préalable qui s’est tenu le 12 février 2019, au cours duquel nous vous avons exposé les faits ayant motivé l’engagement de la procédure en cours à votre égard et avons recueilli vos explications.
Nous vous avons remis, lors de cet entretien préalable, une proposition de contrat de sécurisation professionnelle (« CSP »), accompagnée d’une lettre en précisant les modalités. Vous disposiez d’un délai de réflexion de vingt et un jours pour l’accepter ou la refuser.
Vous nous avez fait part le 12 février de votre refus d’adhérer au CSP.
En conséquence, et à défaut d’autre poste de reclassement existant, nous n’avons donc pas d’autre solution que de prononcer votre licenciement pour motif économique.
Votre contrat de travail prendra fin à l’expiration de votre période de préavis d’une durée de 2 mois courant à compter de la date d’envoi de cette lettre.
Nous vous demandons de nous restituer dans les plus brefs délais tout document ou matériel mis à votre disposition et appartenant à la société.
Par ailleurs, nous vous informons que si vous en manifestez le désir, vous aurez droit à une priorité de réembauche pendant un an à compter de la fin de votre contrat.
Si vous acquérez une nouvelle qualification et que vous nous en informez, vous bénéficierez également de la priorité de réembauche au titre de celle-ci.
Au terme de votre contrat, nous tiendrons à votre disposition votre certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et une attestation Pôle emploi, ainsi que les salaires et indemnités qui vous sont dus.
Vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les 15 jours suivant sa notification, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé.
Nous vous rappelons que, conformément à l’article L. 1233-67 du code du travail, toute contestation portant sur la rupture du contrat de travail ou son motif se prescrit par douze mois. »,
Le 18 septembre 2019, Mme [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles aux fins de contester son licenciement et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
Par jugement du 19 mai 2022, le conseil de prud’hommes de Versailles (section commerce) a :
. Dit que l’affaire est recevable en la forme.
. Dit que le licenciement de Mme [E] est fondé sur une cause à la fois réelle et sérieuse.
. Débouté Mme [E] de sa demande de dommages et intérêts aux titres de la nullité du licenciement.
. Débouté Mme [E] de sa demande de dommages et intérêt au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
. Dit que la demande liée au préjudice moral du licenciement de Mme [E] n’est pas justifié par un quelconque préjudice.
. Débouté Mme [E] de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral.
. Débouté Mme [E] de sa demande de dommages et intérêts au titre du non-respect de l’ordre des licenciements.
. Dit qu’il n’y a pas lieu à la remise de nouveaux documents de fin de contrat.
. Débouté Mme [E] de sa demande d’astreinte.
. Dit qu’il n’y a pas lieu à une quelconque exécution provisoire.
. Débouté les parties de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
. Laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
. Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration adressée au greffe le 20 juin 2022, Mme [E] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 5 mars 2024.
Les parties n’ont pas donné suite à la proposition de médiation faite par la cour à l’issue des plaidoiries.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 9 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [E] demande à la cour de :
. Recevoir l’appelante en ses conclusions et les déclarer bien fondées ;
. Rejeter toutes conclusions contraires ;
Et en conséquence,
. Infirmer le jugement rendu le 19 mai 2022 par le conseil de prud’hommes de Versailles en ce qu’il a :
. Dit que le licenciement de Mme [E] est fondé sur une cause à la fois réelle et sérieuse ;
. Débouté Mme [E] de sa demande de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
. Dit que la demande liée au titre de préjudice moral lié au licenciement de Mme [E] n’est pas justifiée par un quelconque grief sérieux et que de plus elle n’est pas fondée ;
. Débouté Mme [E] de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral ;
. Débouté Mme [E] de sa demande de dommages et intérêts au titre du non-respect de l’ordre des licenciements ;
. Dit qu’il n’y a pas lieu à la remise de nouveaux documents de fin de contrat ;
. Débouté Mme [E] de sa demande d’astreinte ;
. Dit qu’il n’y a pas lieu à une quelconque exécution provisoire ;
. Débouté les parties de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
. Laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
. Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Et rejugeant à nouveau,
. Déclarer que le licenciement de Mme [E] est dénué de toute cause réelle et sérieuse et :
A titre principal :
. Condamner la société Madafran à verser à Mme [E] la somme de 7.959,94 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
A titre subsidiaire :
. Condamner la société Madafran à verser à Mme [E] la somme de 7720,44 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’ordre des licenciements ;
En tout état de cause :
. Condamner la société Madafran à verser à Mme [E] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
. Dire que les condamnations prononcées porteront intérêt au taux légal à compter du dépôt de la requête;
. Ordonner la remise des documents de fin de contrat et bulletin de salaire conformes à la décision à intervenir ;
. Condamner la société Madafran à verser à Mme [E] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
. Condamner la société Madafran aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Madafran demande à la cour de :
. Recevoir la concluante dans ses écritures
. L’y déclarer bien fondée
. Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Versailles du 24 février 2022
En conséquence,
. Débouter Mme [E] de l’ensemble de ses demandes, fin et conclusions ;
En reconventionnellement,
. Condamner Mme [E] à payer à la société Madafran la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
. Condamner Mme [E] aux entiers dépens.
Sur le licenciement
La salariée expose que M. [W], propriétaire de l’hôtel, a adopté un comportement injurieux et agressif à compter de la liquidation judiciaire de la société Champa, qu’elle a signalé en vain les faits à l’inspection du travail, que les difficultés économiques ne sont pas établies, aucune pièce comptable de 2018 n’étant versée, que le taux d’occupation des chambres était en progression. Subsidiairement, elle invoque une fraude aux dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail.
L’employeur objecte que rapidement après la conclusion d’un contrat de location gérance en 2015 la société Champa s’est trouvée en difficulté financière, et, ne pouvant plus payer ses loyers, a dû faire l’objet d’une liquidation judiciaire, avec une déclaration de cessation des paiements le 13 avril 2018 pour une liquidation judiciaire le 13 juillet 2018, que le fonds de commerce a donc été repris par le propriétaire des lieux, M. [W], puis par la société Madafran, que le motif économique est fondé, la société accusant une perte de 30 000 euros, nécessitant la suppression de deux postes, et que la salariée a refusé son reclassement sur un poste de femme de ménage.
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Selon l’article L.1233-3 du Code du travail « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
(…)
2° A des mutations technologiques ;
3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
4° A la cessation d’activité de l’entreprise.
La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise. [‘] ».
Il appartient à l’employeur de démontrer la réalité du motif économique allégué, l’appréciation du motif économique devant se faire à la date de notification du licenciement, soit en l’espèce, le 22 février 2019.
Il ressort de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, que celle-ci est motivée par la réorganisation de l’entreprise en vue de prévenir des difficultés économiques de la société Madafran, et non sur l’existence de difficultés économiques avérées de ladite société, laquelle reste fondée à évoquer les difficultés économiques de la société Champa dont elle a repris en décembre 2018 l’activité en suite de la liquidation judiciaire intervenue courant juillet 2018.
Pour justifier le motif économique, la société Madafran se fonde sur un bilan prévisionnel (pièce 12 de la société) établi par l’expert-comptable dans un courriel du 13 décembre 2018, dont il ressort que « sur les 4 derniers mois d’exercice pour un chiffre d’affaires de 88 920 euros, les frais fixes représentaient 11 127 euros [par mois] et les frais de personnel chargés 37 208 euros [sur les 4 mois], soit un coût de 81 716 euros, ce qui représentait une perte de 7 204 euros sur 4 mois (pièce n°12), que ramenée à l’année la perte s’élèverait à près de 30 000 euros », ce qui était, selon l’intimée, de nature à conduire la société Madafran également à la liquidation judiciaire.
La société Madafran ajoute, en se fondant sur ses propres comptes annuels de l’exercice du 14/12/2018 au 31/12/2019 (sa pièce 15) et sur les comptes annuels de la société Champa pour 2016/2017 (sa pièce 8), qu’avec la suppression du poste de directrice et des deux postes d’employés polyvalents, remplacés par la création d’un poste de réceptionniste et d’un poste de femme de ménage, la situation de la société Madafran s’est améliorée, puisque :
« Le taux d’occupation sur l’année 2019 a progressé de 2%, passant de 45.85% en 2018 a 47.13% en 2019 (pièce n°14) ;
Le chiffre d’affaires est en augmentation passant de 249 470 euros sous la gérance de la famille [E] (pièce n°8, page 8) à 278 991 euros sous la gérance de Madame [M] (pièce n°15, page 7) ;
Le résultat de l’exercice 2018/2019 est pour la première fois depuis plusieurs années, bénéficiaire à hauteur de 6 568 euros (pièce n°15, page 8) »,
Il ressort en effet de la pièce 12 de la société Madafran, dont il convient ici à nouveau de rappeler qu’elle n’a repris l’activité de la société Champa qu’au 14 décembre 2018 (cf Kbis- pièce 3 S) et ne disposait donc pas de documents comptables avant cette date, qu’elle justifie d’un résultat net chiffré prévisionnel pour le mois de décembre 2018 à – 6 206 euros, et un taux d’occupation de l’hôtel en baisse constante d’octobre à décembre 2018.
Par ailleurs, la cour relève qu’au 31 novembre 2017, le résultat net de l’exercice de la société Champa, dont la société Madafran a repris l’activité, était de – 48 237 euros, soit une nette dégradation par rapport à celui de 2016, déjà négatif à -19 702 euros, même si le résultat net pour l’exercice 2019 de la société Madafran est remonté à 7 727 euros, compte tenu notamment d’une augmentation du chiffre d’affaires (passé de 249 470 euros à 278 991 euros au 31/12/2019), la masse salariale restant inchangée compte tenu de la rémunération régulièrement versée à la gérante de la société Madafran à compter de décembre 2018.
La société Madafran démontre ainsi, par ces seuls éléments, l’existence de difficultés économiques suffisamment significatives à la date de notification du licenciement de la salariée pour justifier une réorganisation dont elle fixait les modalités, afin de faire face à la situation et pérenniser son activité pour l’avenir.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a jugé que le licenciement repose sur un motif économique réel et sérieux, et débouté en conséquence la salariée de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le moyen subsidiaire de la salariée tirée de la fraude à l’article L. 1224-1 est inopérant dès lors qu’il n’est pas contesté que, dans la suite de la liquidation judiciaire de la société Champa qui l’employait, dont l’activité était reprise par la société Madafran, le contrat de travail de la salariée a bien été transféré à cette dernière société Madafran, laquelle a d’abord mis en ‘uvre la procédure de modification du contrat de travail pour motif économique prévue par l’article L. 1222-6 du code du travail, puis la procédure de licenciement économique de la salariée en raison de son refus de cette modification.
Sous couvert de l’allégation de fraude à l’article L. 1224-1 du code du travail, la salariée invoque en réalité l’absence de motif économique, lequel a été précédemment examiné par la cour.
Sur le non respect de l’ordre des licenciements
La salariée expose que sa demande est recevable car elle a un lien suffisant avec les prétentions formulées dans la requête initiale, et qu’elle est récapitulée dans le dispositif des dernières conclusions et soutenues oralement lors de l’audience, elle ajoute qu’elle a été engagée le 1er décembre 2015 soit bien avant sa soeur, laquelle a été embauchée le 1er avril 2016, que le critère de l’âge est peu sérieux s’agissant de salariées âgées respectivement de 29 ([R]) et 32 ans ([C]), que la société n’a pas respecté les critères d’ordre de licenciement qu’elle avait elle-même fixés dans son courrier du 20 décembre 2018.
L’employeur objecte, au seul visa de l’article 58 du code de procédure civile, que la requête ne comporte aucune demande de dommages-intérêts au titre du non respect des critères d’ordre de sorte que cette demande est irrecevable, que la salariée n’a pas sollicité d’explication des critères d’ordre déterminé par l’employeur, et ne démontre pas de préjudice particulier, que la salariée était plus jeune que sa s’ur, pour une ancienneté quasiment identique dans l’entreprise, sa s’ur ayant en revanche plus d’expérience dans l’hôtellerie, que les chances de Mme [R] [E] pour retrouver un emploi étaient donc plus importantes que pour sa s’ur.
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Sur la recevabilité de la demande
Il résulte des articles R. 1452-1 et R. 1452-2 du code du travail, dans leur rédaction issue du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, ainsi que des articles R. 1453-3 et R. 1453-5 du même code et de l’article 70, alinéa 1, du code de procédure civile, qu’en matière prud’homale, la procédure étant orale, le requérant est recevable à formuler contradictoirement des demandes additionnelles qui se rattachent aux prétentions originaires, devant le juge lors des débats, ou dans ses dernières conclusions écrites réitérées verbalement à l’audience lorsqu’il est assisté ou représenté par un avocat.
Ayant constaté que des demandes additionnelles, dont le lien avec les prétentions formulées dans la requête initiale n’était pas contesté, figuraient dans les chefs de demande récapitulés dans le dispositif des dernières conclusions du salarié soutenues oralement et déposées lors de l’audience devant le conseil de prud’hommes, une cour d’appel en a exactement déduit qu’elles étaient recevables (Soc., 19 octobre 2022, pourvoi n° 21-13.060, publié).
En l’espèce, la salariée a formulé dans sa requête initiale une demande de nullité du licenciement et subsidiairement de licenciement sans cause réelle et sérieuse, fondée sur l’absence de motif économique.
Il n’est pas contesté que sa demande de dommages-intérêts pour non respect des critères d’ordre du licenciement, nouvelle en cours de procédure devant le conseil de prud’hommes, a été formulée dans le cadre de conclusions remises aux premiers juges, qui l’ont d’ailleurs examinée.
Elle présente en tout état de cause un lien nécessaire avec la demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, précisément car elle constitue une alternative en cas de débouté de la salariée de ce dernier chef de demande.
En conséquence, la cour ajoutant ici au jugement qui n’a pas tranché cette fin de non-recevoir mais a seulement relevé que « cette demande apparaît bien après le dépôt de la requête », la demande de dommages-intérêts au titre du non-respect des critères doit être déclarée recevable.
Sur le fond
L’article L.1233-5 du code du travail énonce que “Lorsque l’employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l’absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique.
Ces critères prennent notamment en compte :
1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;
2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise ;
3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;
4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.
L’employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères prévus au présent article”.
Les règles relatives à l’ordre des licenciements ne s’appliquent que lorsque l’employeur doit opérer un choix parmi les salariés à licencier, et il en résulte que lorsque le licenciement concerne tous les salariés d’une entreprise relevant de la même catégorie professionnelle, il n’y a aucun choix à opérer et le respect d’un ordre des licenciements n’est pas exigé.
L’inobservation des règles de l’ordre des licenciements, qui n’a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, constitue une illégalité qui entraîne pour le salarié un préjudice, pouvant aller jusqu’à la perte de son emploi, sans cumul possible avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (cf. Soc., 16 février 2022, pourvois n° 20-14.969, 20-14.970, publié).
En l’espèce, il n’est pas contesté que l’ancienneté de Mme [R] [E] était plus importante à quelques mois près que celle de sa s’ur, et que leur différence d’âge était de trois ans, Mme [R] [E] étant la plus jeune mais aussi en conséquence la moins expérimentée dans le domaine de l’hôtellerie, comme l’admet d’ailleurs l’employeur, qui a donné la priorité à la s’ur de la salariée pour occuper le poste de réceptionniste créé dans le cadre de la réorganisation précitée.
Ainsi, dans sa lettre du 20 décembre 2018 l’employeur a indiqué à la salariée que « Si plusieurs salariés acceptaient le même poste, il serait fait application des critères suivants pour fixer l’ordre de priorité: l’ancienneté, les charges de famille, la situation des salariés présentant des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile (salariés handicapés et âgés notamment) et les qualités professionnelles. » (Pièce 5), c’est à dire les critères légaux précités.
Sur ce dernier point, Mme [E] ne conteste pas que sa s’ur avait une expérience plus importante qu’elle dans le domaine de l’hôtellerie.
Il en résulte que la salariée ne peut se prévaloir du non-respect par la société Madafran des critères d’ordre de licenciement, le jugement étant confirmé en ce qu’il l’a déboutée de ce chef de demande.
Sur le préjudice moral
La salariée expose qu’elle a, en sus des préjudices consécutifs à son licenciement, été affectée par le
comportement fautif de M. [W] et son associée Mme [M], qu’elle a été placée en arrêt maladie en raison d’un « syndrome dépressif réactionnel » inhérent à ses conditions de travail déplorables, que les nombreuses intimidations et la dégradation de ces conditions de travail doivent faire l’objet d’une réparation, qu’elle a également été privée du versement des indemnités journalières de sécurité sociale en janvier et avril 2019, faute pour l’employeur d’avoir transmis à la CPAM des attestations de salaires conformes aux exigences légales.
L’employeur objecte que M. [W] n’était pas l’employeur de la salariée lors de la rupture du contrat de travail, qu’il ne ressort pas des conclusions adverses l’existence de pressions morales de Mme [M], que la société a régularisé dès qu’elle en a eu connaissance par le conseil de la salariée la situation relative aux IJSS, que la salariée a « tenté de faire feu de tout bois pour récupérer des sommes indues de son ancien employeur pour laquelle elle n’a d’ailleurs travaillé que quelques semaines préférant se placer en arrêt de travail », que sa mère a également été placée en arrêt de travail à compter du 15 janvier 2019 comme sa s’ur, [C], du 15 janvier au 26 février 2019, ces arrêts collectifs et simultanés désorganisant profondément l’activité de l’hôtel.
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La cour relève que les allégations de pressions de la part de l’employeur lui-même sont dépourvues d’offre de preuve, les attestations produites, isolées et non circonstanciées, et les lettres rédigées par la salariée elle-même ou sa mère, n’étant à ce titre pas suffisamment probantes de l’existence de conditions de travail dégradées qu’elle invoque. Elle ne produit aucune réponse à ses lettres à l’inspection du travail ni aucune suite qui aurait été donnée à une intervention sur les lieux de la gendarmerie, décrite dans l’un de ses courriers.
En tout état de cause, la salariée n’établit pas l’existence d’un préjudice résultant du retard dans la transmission par l’employeur des salaires de janvier à la caisse primaire d’assurance maladie.
Par des motifs pertinents que pour le surplus la cour adopte, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il déboute la salariée de ce chef de demande.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Les dépens d’appel sont à la charge de la salariée, partie succombante.
L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. L’employeur est débouté de sa demande à ce titre.