Licenciement pour faute grave : preuves insuffisantes

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Licenciement pour faute grave : preuves insuffisantes
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Nos Conseils:

– Assurez-vous de disposer de preuves solides pour justifier un licenciement pour faute grave, notamment en ce qui concerne les faits reprochés au salarié.
– Respectez les procédures internes et les règles en vigueur dans l’entreprise lors d’une procédure de licenciement pour faute grave.
– En cas de doute, le bénéfice du doute doit profiter au salarié, ce qui peut remettre en question la validité d’un licenciement pour faute grave.

Résumé de l’affaire

Madame [Y] a été engagée en tant que directrice de magasin par la SAS Sephora en juin 2017. Elle a été licenciée pour faute grave en février 2019, accusée de vol. Contestant son licenciement, elle a saisi le conseil de prud’hommes d’Angoulême en décembre 2019. Le conseil de prud’hommes a condamné Sephora à verser à Madame [Y] diverses indemnités, dont une somme pour la rupture abusive et vexatoire de son contrat de travail. Sephora a fait appel de cette décision, demandant à la cour de reconnaître la légitimité de son licenciement. Les parties n’ont pas pu trouver un accord lors d’une médiation et l’affaire a été fixée à une audience en avril 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 juin 2024
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
21/03914
COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

————————–

ARRÊT DU : 12 JUIN 2024

PRUD’HOMMES

N° RG 21/03914 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MGO6

S.A.S. SEPHORA

c/

Madame [U] [Y]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 avril 2021 (R.G. n°F 19/00302) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANGOULÊME, Section Encadrement, suivant déclaration d’appel du 07 juillet 2021,

APPELANTE :

SAS Séphora, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 393 712 286

représentée par Me Jean-david BOERNER de la SELARL BOERNER & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX, assistée de Me Caroline COLET, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

Madame [U] [Y]

née le 21 juin 1984 à [Localité 3] ([Localité 3]) de nationalité française, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Ophélie TARDIEUX de la SELARL BERNERON & TARDIEUX, avocat au barreau de CHARENTE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 avril 2024 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente, et Madame Sylvie Tronche, conseillère chargée d’instruire l’affaire

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [U] [Y], née en 1984, a été engagée en qualité de directrice de magasin par la SAS Sephora, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er juin 2017 comportant une convention de forfait annuel en jours travaillés.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de Mme [Y] s’élevait à la somme de 3.748 euros.

Par lettre datée du 21 janvier 2019, Mme [Y] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 8 février 2019 avec mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 22 janvier 2019, Mme [Y] a contesté cette mesure et a demandé à en connaitre la raison.

Mme [Y] a ensuite été licenciée pour faute grave par lettre datée du 21 février 2019, l’employeur lui reprochant des faits de vol.

A la date du licenciement, Mme [Y] avait une ancienneté de 1 an et 8 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Par courrier du 7 mars 2019 adressé le 18 mars suivant par courriel, Mme [F], déléguée syndicale Sud commerces et services qui avait assisté Mme [Y] lors de l’entretien préalable, a demandé des explications sur le licenciement pour faute grave de la salariée à l’employeur qui n’a pas répondu.

Le 18 décembre 2019, Mme [Y] a saisi le conseil de prud’hommes d’Angoulême

contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, dont une somme au titre de la mise à pied à titre conservatoire ainsi qu’au titre de la rupture abusive et vexatoire de son contrat de travail.

Par jugement rendu le 26 avril 2021, le conseil de prud’hommes a :

– condamné la société Sephora à verser à Mme [Y] :

* 11.244,07 euros au titre de son préavis de trois mois,

* 1.124,40 euros au titre des congés payés sur préavis,

* 1.561,04 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

* 3.307,86 euros au titre de la mise à pied,

* 330,78 euros au titre des congés payés sur mise à pied,

* 5.000 euros pour la rupture abusive et vexatoire de son contrat de travail,

– dit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire en ce qui concerne les dommages et intérêts,

– condamné la société Sephora à payer à Mme [Y] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Sephora aux entiers dépens.

Par déclaration du 7 juillet 2021, la société Sephora a relevé appel de cette décision, notifiée par lettre adressée aux parties par le greffe le 8 juin 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 30 septembre 2021, la société Sephora demande à la cour, outre de la déclarer recevable et bien fondée en son appel à l’encontre du jugement entrepris, d’infirmer le jugement en ce qu’il’:

– a écarté l’existence de la faute grave,

– a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– l’a condamnée au paiement au titre de rappel de la mise à pied et congés payés afférents,

– l’a condamnée à supporter les frais irrépétibles et les dépens,

Et statuant à nouveau, de :

A titre principal,

– dire que le licenciement pour faute grave de Mme [Y] est bien fondé,

En conséquence,

– débouter Mme [Y] de l’intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire,

– dire que le licenciement de Mme [Y] repose sur une cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

– limiter strictement l’indemnisation de Mme [Y] au versement de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés y afférents ainsi qu’à l’indemnité légale de licenciement, outre un rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire,

– débouter Mme [Y] de toutes ses autres demandes,

A titre infiniment subsidiaire, si par impossible, la cour devait juger que le licenciement de Mme [Y] est dénué de cause réelle et sérieuse,

– constater que Mme [Y] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l’étendue et de la réalité de son préjudice,

– limiter en conséquence strictement l’indemnisation du préjudice allégué à hauteur de 1 mois de salaire soit la somme de 3.748 euros,

– débouter Mme [Y] de toutes ses autres demandes,

– condamner Mme [Y] aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 21 janvier 2022, Mme [Y] demande à la cour, outre de la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes, de :

– déclarer irrecevable la demande de la société Sephora portant sur les congés payés sur mise à pied pour 330,78 euros, comme n’étant pas mentionnée sur sa déclaration d’appel,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Sephora à lui payer :

* une indemnité compensatrice de préavis : 3 mois de salaire soit 11.244,07 euros,

* les congés payés sur préavis pour 1.124,40 euros,

* une indemnité de licenciement ¿ x 3 748 x 20 mois/12 = 1.561,04 euros,

* le paiement de rappel de salaire au titre de sa mise à pied : 3.307,86 euros, * les congés payés sur mise à pied pour 330.78 euros,

* une indemnité pour rupture abusive et vexatoire du contrat de travail : 5.000 euros,

* 1.500 euros au titre de l’article 700 euros pour les frais irrépétibles de 1ère instance,

Y ajoutant,

– condamner la société Sephora aux dépens et au paiement d’une somme complémentaire de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à son profit,

– déclarer l’appel interjeté par la société Sephora non fondé,

En conséquence,

– débouter la société Sephora de toutes ses demandes.

La médiation proposée aux parties le 6 décembre 2023 par le conseiller de la mise en état n’a pas abouti.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 avril 2024 et l’affaire a été fixée à l’audience du 30 avril 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement pour faute grave

Sollicitant l’infirmation de la décision entreprise qui a considéré le licenciement de Mme [Y] dépourvu de cause réelle et sérieuse et sa condamnation à verser à cette dernière des sommes à titre d’indemnités, l’employeur affirme que la salariée a violé ses obligations contractuelles, les procédures internes ainsi que le règlement intérieur de la société.

En réplique, Mme [Y] conteste l’ensemble des faits reprochés en faisant valoir qu’aucune enquête n’a été diligentée, qu’aucune confrontation n’a été organisée avec les témoins ayant attesté sur la base d’inventaires non conformes aux procédures internes ainsi que le non-respect de la procédure de révélation de fraude.

Elle fait état d’un conflit ouvert avec son adjointe, Mme [K], et affirme que la preuve de son implication dans les produits manquants n’est pas rapportée par l’employeur qui n’a déposé aucune plainte pénale et n’a effectué aucun rappel des règles en vigueur.

***

La lettre de licenciement adressée à Mme [Y] le 21 février 2019 est ainsi rédigée :

« [‘]

Dans le cadre de l’exercice de vos fonctions, vous devez faire preuve d’exemplarité et de professionnalisme dans l’exécution de vos missions conformément à vos obligations contractuelles et aux dispositions du règlement intérieur de notre Société.

Pourtant, nous avons été amenés à constater que vous avez manqué à vos obligations professionnelles au sein du magasin dont vous avez la responsabilité.

En effet, nous avons récemment pris connaissance de faits particulièrement graves et récidivants vous concernant.

Le 21 novembre 2018 :

– Vous avez emporté hors du magasin sans aucune autorisation et justificatif d’achat un sac Sephora contenant : Un testeur Palette de la marque Benefit (d’une valeur de 40€), un testeur Gloss de la marque Chanel (d’une valeur de 32,50€), un bâtonnet de Gloss de la marque Chanel (d’une valeur de 32€).

– Vous vous êtes approvisionnée à des fins personnelles dans les cadeaux stagiaires ainsi que dans les fournitures allouées au magasin.

Le 30 novembre 2018 :

– Vous avez emporté hors du magasin sans aucune autorisation et justificatif d’achat les produits suivants : un Coffret Sakura de la marque Rituals (d’une valeur de 29,90€), un Gloss étoile de la marque Sephora (d’une valeur de 3,99€), un Parfum Narcisso Rodriguez en Beauty to Go (d’une valeur de 21€), un Kit rouges à lèvre sans transfert de la marque Sephora (d’une valeur de 29.99€]. Deux Masques pied/main Sephora (d’une valeur de 7.98€).

– Vous avez effectué une sortie caisse de 100,50€ à des fins personnelles : suite à cela, le 1er décembre 2018 une Manager appartenant à votre équipe a tenté de comprendre cette sortie caisse en vous questionnant sans succès. Il s’avère que vous avez classé le document sans justificatif d’achat.

Le 03 décembre 2018 :

Vous avez emporté hors du magasin sans aucune autorisation et justificatif d’achat, les produits suivants : une eau de toilette N°3 50ml de la marque Sisley (d’une valeur de 78€), un Parfum La Vie est Belle en Eau de parfum 30ml (d’une valeur de 58€).

Le 22 décembre 2018 :

Vous avez emporté hors du magasin sans aucune autorisation et justificatif d’achat les produits suivants : Phytocerne N°1 de la marque Sisley (d’une valeur de 60€), deux Gels douche homme de la marque Sephora (d’une valeur de 58€), un Coffret Frozen Parfum enfant (d’une valeur de 25€), un Parfum Burberry Her 30 ml (d’une valeur de 54€), un Parfum Cacharel Yes I Am 50ml (d’une valeur de 69€).

Le 24 décembre 2018 :

Vous avez emporté hors du magasin sans aucune autorisation et justificatif d’achat les produits suivants : une Baignoire de la marque Sephora (d’une valeur de 14,99€), un Coffret Capsule gel douche (d’une valeur de 10,90€), une Tasse Noel de la marque Sephora (d’une valeur de 9,99€).

Ces appropriations frauduleuses et récurrentes s’apparentent à un vol et dans tous les cas contreviennent aux règles en vigueur dans l’entreprise.

Nous ne pouvons tolérer de tels agissements compte tenu des fonctions que vous occupez, et des responsabilités attachées à votre poste.

Devant de tels faits, nous considérons que vos agissements constituent en tout état de cause :

– Un manquement caractérisé à vos obligations de loyauté et d’exécution de bonne foi du contrat de travail auxquelles vous êtes tenue

– Un manquement flagrant à vos obligations professionnelles résultant de votre contrat de travail et des dispositions de notre règlement intérieur s’agissant de l’interdiction formelle de s’approprier sans autorisation des produits appartenant à l’entreprise (article III-16 du Règlement Intérieur).

Lors de notre entretien du 8 février 2019, vous n’avez pas souhaité fournir d’explications sur les faits qui vous sont reprochés.

Compte tenu de votre ancienneté de service et de votre positionnement hiérarchique, l’adoption d’un comportement est aussi inadmissible qu’injustifiable.

Après réflexion et analyse de la situation, nous sommes contraints de rompre votre contrat, et vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave

La rupture effective de votre contrat de travail prendra donc effet immédiatement à la date d’envoi de la présente lettre, sans préavis ni indemnité de rupture.

Nous vous précisons que compte tenu de la sanction prononcée, la période de mise à pied à titre conservatoire qui vous a été notifiée à compter du 21 janvier 2019 jusqu’à la date de la présente lettre ne vous sera pas rémunérée.

[‘]. »

Il est ainsi reproché à la salariée des faits de vols commis à cinq reprises.

L’employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d’un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l’entreprise.

– S’agissant des faits du 21 novembre 2018

L’employeur affirme que Mme [Y] a dérobé un testeur de la marque Bénefit, un testeur Gloss Chanel, un Gloss Chanel pour un montant total de 104,50 euros ainsi que des cadeaux destinés aux stagiaires et des fournitures du magasin.

Il produit pour en justifier l’attestation de Mme [L], conseillère de vente, qui indique avoir vu ces produits dans un grand sac en papier posé à côté du sac à main de Mme [Y]. Elle précise qu’interrogée, Mme [K], adjointe de la directrice, lui a confirmé avoir vu Mme [Y] se servir dans les fournitures et les cadeaux destinés aux stagiaires sans autres précisions.

Ainsi que le soutient la salariée, Mme [L] n’atteste pas l’avoir vue sortir lesdits produits du magasins et Mme [K], qui a établi deux attestations, n’évoque pas les faits décrits par sa collègue.

Par ailleurs, aucun inventaire ou document comptable n’est versé au soutien de ces affirmations ni même de l’évaluation des objets en cause, notamment.

Aucun signalement adressé à la direction n’est produit alors que les procédures internes applicables relatives aux déclarations de fraude prévoient la déclaration au siège social de tels événements par le biais d’un document dédié, ce qui n’est pas contesté par l’employeur.

En l’état, ce grief ne peut donc être retenu à l’encontre de Mme [Y].

– Concernant le grief de vols du 30 novembre 2018

L’employeur fait grief à Mme [Y] d’avoir dérobé 5 produits d’une valeur totale de 92,86 euros ainsi qu’une sortie de caisse non justifiée de numéraire à hauteur de la somme de 100,50 euros.

Il produit à cet effet trois attestations :

– Mme [M], conseillère de vente, relate avoir présenté un document de sortie de caisse datant du 30 novembre 2018 d’une valeur de 100,50 euros sans justificatif à Mme [Y].

Cette dernière lui aurait répondu : « tu contrôles mon travail, tu es de la police, je te rappelle que je suis la directrice ».

Ces faits sont corroborés par Mme [K], adjointe de direction.

Il est également produit un document détaillant les entrées et les sorties de numéraire des caisses du magasin sur lequel figure une sortie de 100,50 euros correspondant à une note de frais de personnel sans que l’on puisse toutefois en identifier le responsable.

Mme [Y] qui conteste ces faits, rétorque que selon la procédure interne applicable, s’agissant des sorties de caisse qui correspondent à des remboursements de frais personnels, ce n’est jamais l’intéressée elle-même qui effectue les sorties de caisse mais une collègue sur justificatifs. Elle ajoute que dès lors, soit la sortie litigieuse a été effectuée par ses soins au profit d’une de ses collègues et le justificatif se trouve dans la caisse, soit c’est une de ses collègues qui lui a remboursé des frais et le justificatif est également mis dans la caisse.

L’employeur ne conteste pas cette procédure.

L’employeur verse aux débats l’attestation de Mme [X], conseillère de vente, affirmant que le soir du 30 novembre, Mme [Y] a pris ses sacs avant de quitter le magasin en disant qu’elle les avait déjà payés quelques jours auparavant et les avait oubliés. Elle précise l’avoir vue dans la journée préparer ses paquets cadeaux. Elle décrit de mémoire les produits retenus par l’employeur au titre du vol. Pour autant, aucun inventaire n’est versé.

En réponse, la salariée conteste ces faits et évoque ses difficultés relationnelles avec Mme [K]. Elle en justifie en produisant les échanges de courriels du 15 mars et 15 avril 2019 avec Mme [F], représentante syndicale et la direction : cette dernière confirme l’intervention d’un cabinet de médiation ensuite de la situation conflictuelle régnant au sein de l’équipe, une altercation ayant eu lieu au cours de laquelle le ton était monté entre Mme [Y] et Mme [K], qui, très agressive, mettait des coups de poings dans le mur, obligeant Mme [Y] à quitter la pièce.

Elle verse également aux débats le compte rendu de l’entretien préalable établi par Mme [F] qui a accompagné Mme [Y] lors de cet entretien et reprend les propos tenus par Mme [J], responsable des ressources humaines, ainsi : « Mme [J] m’a expliqué qu’il est possible que les salariés ne se soient pas sentis en confiance avec elle (Mme [Y]). Il y a eu beaucoup de difficultés précédemment sur ce magasin ; la prise de poste de Mme [Y] a été semée d’embuches selon elle car plusieurs salariés qui posaient problème ont été « accompagnés » et Mme [Y] avait été chargée de cette tâche [‘] il fallait remettre de l’ordre. Leur départ de l’entreprise s’est fait sous la forme d’une rupture conventionnelle ». Elle y confirme l’altercation intervenue entre Mme [Y] et Mme [K] au cours de cette période. Ce document n’est pas contesté par l’employeur.

En considération de l’ensemble de ces éléments ces griefs ne peuvent être retenus à l’encontre de Mme [Y].

– S’agissant des faits du 3 décembre 2018

Au soutien du vol de deux parfums pour un montant total de 136 euros, l’employeur verse aux débats l’attestation de Mme [H], conseillère de vente, affirmant avoir vu la directrice de magasin agenouillée devant les produits de marque Sisley et avoir constaté, quelques instants plus tard alors qu’elle se rendait au coffre, cachés sous des pochettes cadeaux Sephora, deux produits de vente et, posé sur l’écran de l’ordinateur, un post-it écrit de la main de Mme [Y], comportant le nom des deux produits et leur prix. Elle a constaté après le départ de Mme [Y] que les deux produits ne se trouvaient plus dans le bureau où ils étaient entreposés. Le lendemain, un inventaire de ces deux produits a été édité, produit à la procédure, faisant état d’un écart d’une unité pour chacun d’entre eux.

Cependant, ainsi que le relève Mme [Y], ce seul document ne suffit pas à rapporter la preuve qu’elle a emporté lesdits produits qui ont pu l’être par un autre employé, ni si cet écart se justifie par un achat en cours ou une commande internet en préparation.

Aucun signalement à la direction n’a été de surcroît émis malgré les précédents des 21 et 30 novembre 2018.

Ces faits sont dès lors insuffisamment étayés.

– Sur les faits du 22 décembre 2018

Il est reproché à Mme [Y] le vol de 6 produits, dont deux parfums, pour un montant de 324 euros.

Ce fait repose sur l’unique attestation de Mme [K], en délicatesse avec la salariée. Mme [K] explique avoir vu le 22 décembre, Mme [Y] scanner un produit Sisley, l’effacer et retirer l’anti-vol avant de se rendre dans l’arrière-boutique. Elle prétend qu’informée des précédents faits, elle s’était rendue dans le bureau pour y vérifier le contenu d’un sac dans lequel se trouvaient les 6 produits déclarés volés par l’employeur.

Elle indique qu’à la sortie, Mme [Y] avait ce sac en sa possession mais a refusé qu’elle en contrôle le contenu, comme à son habitude.

Elle ajoute en avoir avisé ses collègues afin qu’elles établissent dès le lendemain un inventaire produit à la procédure.

Pour s’assurer de la fiabilité de cette pièce, il suffit de l’examiner pour constater que les écarts pour le parfum de marque Cacharel « Yes I Am » est de 3 tandis que celui pour le parfum de « Burberry » est de 2, alors qu’il est reproché à la salariée le vol d’une unité de chaque.

Il est à noter que malgré le montant du préjudice et les antécédents allégués, aucun signalement par les salariés, dont Mme [K], n’est produit, ce qui va à l’encontre des procédures internes.

Ces faits ne peuvent en l’état être retenus à l’encontre de Mme [Y].

– Sur les faits du 24 décembre 2018

Pour étayer les faits de vol de produits à hauteur de la somme de 35,88 euros, l’employeur s’appuie sur les attestations de Mme [H] selon laquelle Mme [Y] a mis des produits de côté qu’elle a fait emballer à un salarié en indiquant qu’elle les avait réglés quelques jours plus tôt.

Ce témoin affirme que le soir, Mme [Y] a quitté le magasin avec un sac dont elle a refusé que le contenu soit contrôlé, comme à son habitude.

Mme [H] indique en avoir informé « toute la journée » Mme [K].

De son côté, Mme [N], intérimaire, affirme avoir été témoin d’un vol en compagnie de Mme [H] (ce que cette dernière ne reprend pas dans son attestation) sans en préciser les circonstances. Elle ajoute que les salariées ont commencé à surveiller Mme [Y] de plus près et se seraient rendues compte qu’elle prenait entre deux et quatre produits par semaine en moyenne.

Elle évoque également « un sérieux problème de gestion et de communication de la part de la directrice, ce qui nuit à toute l’équipe ».

Est également versé un extrait d’inventaire qui fait apparaître 3 unités en moins pour un des produits concernés alors que seul le vol d’une unité est reproché à Mme [Y].

Ces éléments sont dès lors insuffisants pour étayer ce grief.

En considération de ces éléments et dans la mesure où le doute doit profiter au salarié, il convient d’accueillir la demande de Mme [Y] tendant à voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La décision déférée sera confirmée en ce qu’elle a requalifié le licenciement pour faute grave notifié à Mme [Y] en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Mme [Y] dont le licenciement est sans cause réelle et sérieuse est légitime à solliciter les indemnités liées à cette rupture.

– Sur la demande au titre de la retenue sur salaire pendant la mise à pied à titre conservatoire

Le licenciement étant dénué de cause réelle et sérieuse, la mise à pied était dès lors injustifiée de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu’il a alloué à Mme [Y] de 3.307,86 euros à titre de rappel de salaire, la contestation de celle de 330,78 euros correspondant aux congés payés afférents n’ayant pas été mentionnée par la société dans sa déclaration d’appel.

– Sur la demande au titre de l’indemnité compensatrice de préavis

Le salaire moyen de référence doit être fixé à la somme de 3.748,02 euros au regard des bulletins de paie fournis.

Mme [Y] sollicite la confirmation de la décision qui lui a alloué la somme de 11.244,07 euros à ce titre représentant 3 mois de salaire outre une somme au titre des congés payés afférents.

L’appelant ne conclut pas sur ce point.

***

Aux termes de l’article L. 1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont le point de départ est fixé par la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement.

L’indemnité compensatrice de préavis est égale au salaire brut, que le salarié aurait reçu s’il avait travaillé pendant la durée du préavis. Elle correspond aux salaires et avantages, y compris l’indemnité de congés payés, qu’aurait perçus le salarié s’il avait travaillé pendant cette période. Elle comprend tous les éléments constituant le salaire ou s’ajoutant à celui-ci tels les avantages en nature et les gratifications.

Eu égard aux pièces produites, il sera donc fait droit aux demandes de la salariée et la décision sera confirmée sur ce point.

– Sur la demande au titre de l’indemnité de licenciement

La somme allouée à ce titre sera confirmées dans son quantum.

– Sur la demande au titre de la rupture abusive et vexatoire du contrat de travail

La salariée sollicite la confirmation de la décision entreprise qui lui a alloué la somme de 5.000 euros.

En réplique, l’employeur affirme que Mme [Y] ne peut prétendre à une indemnité d’un montant supérieur à un mois de salaire.

***

Compte tenu de la taille de l’entreprise et de son ancienneté, son indemnisation relève des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail et est comprise entre un et deux mois de salaire.

Mme [Y] précise avoir connu une période de chômage pendant de nombreux mois sans toutefois en justifier.

Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [Y], de son âge, de son ancienneté, des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, c’est à juste titre que les premiers juges lui ont alloué la somme de 5.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement abusif.

Le jugement de première instance sera confirmé.

Sur les autres demandes

La société, partie perdante à l’instance et son recours, sera condamnée aux dépens ainsi qu’à payer à Mme [Y] la somme complémentaire de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme allouée à ce titre par les premiers juges.


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