Licenciement nul pour discrimination et harcèlement

·

·

,
Licenciement nul pour discrimination et harcèlement
Ce point juridique est utile ?

Nos Conseils:

– Sur la recevabilité des demandes:
– Il est important de déposer une demande d’aide juridictionnelle avant l’expiration du délai d’appel pour que celui-ci soit suspensif.
– L’employeur doit répliquer aux conclusions du salarié pour contester la recevabilité des demandes.
– La demande de sursis à statuer ne doit pas être systématique et doit être justifiée par des éléments concrets.

– Sur l’ancienneté du salarié:
– L’ancienneté d’un salarié doit être calculée à partir de la date de son dernier contrat de travail, sauf mention contraire dans le contrat.
– Il est essentiel de bien documenter et justifier l’ancienneté d’un salarié pour éviter tout litige ultérieur.
– En cas de requalification d’un contrat de mission temporaire en contrat à durée indéterminée, l’ancienneté doit être prise en compte.

– Sur la demande de nullité du licenciement:
– Il est nécessaire de prouver tout motif de nullité du licenciement, notamment en cas de discrimination ou de harcèlement.
– La preuve des faits allégués est essentielle pour obtenir la nullité du licenciement.
– L’employeur doit respecter les procédures légales et justifier toute décision de licenciement pour éviter toute nullité.

Résumé de l’affaire

M. [L] a été engagé en tant qu’apprenti coffreur par la société Bouygues Bâtiment IDF en septembre 2019. Il a été licencié pour faute grave en décembre 2019 suite à des incidents sur le chantier. M. [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny pour contester son licenciement. Le conseil de prud’hommes de Versailles a jugé que le licenciement n’était ni nul ni sans cause réelle et sérieuse, mais a accordé à M. [L] des dommages-intérêts pour licenciement vexatoire. M. [L] a interjeté appel de ce jugement, demandant des dommages et intérêts supplémentaires pour harcèlement, discrimination et licenciement brutal. La société Bouygues Bâtiment IDF conteste ces demandes et demande que les demandes de M. [L] soient déclarées irrecevables.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 juin 2024
Cour d’appel de Versailles
RG n°
22/01925
COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

Chambre sociale 4-4

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 12 JUIN 2024

N° RG 22/01925

N° Portalis DBV3-V-B7G-VIM6

AFFAIRE :

[Y] [G] [Z] [L]

C/

Société BOUYGUES BATIMENT ILE DE FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 janvier 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VERSAILLES

Section : I

N° RG : F 20/00134

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Layla HAMERY-

MOQADDEM

Me Benjamin DUFFOUR

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DOUZE JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [Y] [G] [Z] [L]

né le 4 janvier 1987 à Mali

de nationalité malienne

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Layla HAMERY-MOQADDEM, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/002277 du 25/02/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de VERSAILLES)

APPELANT

****************

Société BOUYGUES BATIMENT ILE DE FRANCE

N° SIRET : 433 900 834

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Benjamin DUFFOUR de la SCP DUFFOUR & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: P0470

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 3 avril 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

 

M. [L] a été engagé en qualité d’apprenti coffreur, dans le cadre d’un contrat de professionnalisation, à compter du 2 septembre 2019 par la société Bouygues Bâtiment IDF.

 

Cette société est spécialisée dans le bâtiment. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale du bâtiment de la région parisienne.

 

Par lettre du 28 novembre 2019, M. [L] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 6 décembre 2019, reporté, à la demande du salarié, au 10 décembre puis au 17 décembre 2019.

Par requête datée du 29 novembre 2019, réceptionnée par le conseil le 3 décembre 2019, il a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny en la forme des référés pour demander (sic) la nullité du licenciement, la réintégration, l’annulation de la sanction du 25 novembre 2019 (« arrêt de travail forcé par l’employeur »), une indemnité pour non respect de la procédure, des dommages-intérêts pour rupture anticipée de CDD, une indemnité compensatrice pour rupture anticipée du CDD liée à un cas de force majeure, une indemnité compensatrice de préavis, entre autres demandes.

M. [L] a été licencié par lettre du 23 décembre 2019 pour faute grave dans les termes suivants:

« (‘) Par courrier recommandé avec accusé réception en date du jeudi 28 novembre 2019, nous vous faisions savoir que nous envisagions de prendre à votre encontre une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. Nous vous avons ainsi convoqué initialement pour un entretien préalable à un éventuel licenciement individuel le vendredi 6 décembre 2019 à 10h00. Cet entretien a été reporté à 2 reprises à votre initiative, soit au mardi 10 décembre 2019 à 14h00 puis finalement au mardi 17 décembre 2019 à 16h00 avec Monsieur [B] [K], responsable maîtrise, [X] [D], responsable ressources humaines et Monsieur [I] [M] [W], représentant du personnel qui vous assistait.

Lors de cet entretien, nous vous avons exposé les faits suivants :

Vous êtes embauché en tant qu’apprenti coffreur au sein de la direction de production Réhabilitation 1 depuis le 2 septembre 2019.

Le 30 octobre 2019 sur l’opération Montparnasse P6, Monsieur [U] [F], votre chef d’équipe, vous a demandé de faire des empochements sur la façade pour les balcons qu’il vous avait au préalable indiqués par des traçages au mur. Monsieur [U] [F] est venu constater votre travail et vous a indiqué que vous aviez cassé à l’opposé du traçage, ce à quoi vous avez répondu avec véhémence : “je travaille pas avec des cons”. Suite à cet échange, vous avez demandé à Monsieur [S] [K], chef de chantier sur l’opération de P6 Montparnasse de vous changer de chef d’équipe.

– Le 4 novembre 2019 sur l’opération de P6 Montparnasse, Monsieur [C] [A] [V], votre nouveau chef d’équipe, vous a demandé avant que le coulage du béton pour les escaliers n’intervienne, d’évacuer les gravats et de coffrer les linteaux avec d’autres compagnons. Après plusieurs relances de la part de Monsieur [C] [A] [V], vous avez enfin effectué la tâche demandée.

Le coulage du béton des escaliers étant finalisé, Monsieur [C] [A] [V] vous a ensuite demandé de nettoyer le béton restant au sol. Vous avez alors catégoriquement refusé d’effectuer la tâche demandée en lui répondant “Je ne suis pas man’uvre je suis là pour apprendre le coffrage et non ramasser la merde”. Monsieur [C] [A] [V] vous a alors expliqué que le nettoyage de votre poste de travail faisait partie intégrante de vos missions, ce à quoi vous lui avez répondu : “De toute façon j’ai mal à la tête je rentre chez moi à 15h”. Monsieur [C] [A] [V] vous a alors précisé que la journée se terminait à 16H15 et vous a de nouveau rappelé que nettoyer son poste de travail faisait partie de vos missions.

Le 15 novembre 2019, Monsieur [S] [K] vous reçoit dans les bureaux de chantier sur l’opération de P6 Montparnasse afin de faire le point sur vos absences injustifiées à l’école, soit 12 heures depuis le 7 octobre jusqu’au 14 novembre 2019, ainsi que sur les altercations avec Messieurs [U] [F] et [C] [A] [V]. Vous lui avez alors soutenu que ce n’était pas de votre faute, et que les faits évoqués étaient faux et avez maintenu que vous aviez justifié l’ensemble de vos absences à l’école. A ce jour, votre école du CFA [6] comptabilise 26 heures d’absences injustifiées depuis le début de votre alternance le 2 septembre 2019.

Nous vous avons rappelé que l’article-4 et 2 du chapitre Il, du règlement intérieur prévoit expressément qu’il est notamment interdit “de manquer de respect à l’égard de ses supérieurs hiérarchiques, de ses subordonnés, de ses collègues de travail ou toute personne en contact avec l’Entreprise” et que “Toute absence doit, sauf cas de force majeure, faire l’objet d’une autorisation préalable du supérieur hiérarchique. L’absence non autorisée ou non justifiée constitue une absence irrégulière pouvant faire l’objet d’une sanction”.

– Pire encore, le 9 décembre et le 16 décembre, vous avez écrit par mail à notre attention des propos diffamatoires et complètement infondés envers votre hiérarchie :

“Je rappelle qu’une fois monsieur [S] est venu très alcoolisé sur le chantier, un après midi, hors moi j’ai jamais bu sur le chantier ou fumer”

“Ayant subi des agissements répétés des insultes racistes et homophobes de la part de [U] et [C], dans l’intérêt de mon état de santé et de la qualité de mon travail il est nécessaire que cette situation cesse immédiatement”

“Monsieur [C] lui-même avait dit un jour, que “lui il ne possède pas le bac pro et que je ne dois pas passer mon bac pro parce que je suis noir”.

Malheureusement ces événements s’inscrivent dans un contexte de manquements inacceptables au regard de votre statut d’apprenti.

Vous nous avez mentionné que vous ne reconnaissiez aucun tort de votre part, et considérez que votre comportement est exemplaire.

Cette conduite, d’une particulière gravité, est inadmissible et met en cause la bonne marche du chantier. Nous ne pouvons tolérer qu’un collaborateur se comporte de la sorte. Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du mardi 17 décembre 2019, ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet. Nous vous informons que nous avons, en conséquence, pris la décision de rompre votre contrat de travail à durée indéterminée pour ces faits qui constituent une faute grave. Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible ; le licenciement prend donc effet immédiatement à la date d’envoi de cette lettre, soit le 23 décembre 2019, sans indemnité de préavis ni de licenciement.

Le 3 février 2020, M. [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles aux fins de fixer la moyenne des salaires, de reconnaître l’existence d’un harcèlement sexuel et discriminatoire, de contester son licenciement et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.

Par ordonnance du 20 mars 2020, le conseil de prud’hommes de Versailles, en formation référé, a dit qu’il n’y avait lieu à référé. Le salarié, qui avait interjeté appel de cette décision, s’est désisté de son appel.

Le 20 mai 2020, M. [L] a déposé plainte pour des faits de harcèlement, harcèlement sexuel et discrimination fondée sur un handicap.

Par jugement du 18 janvier 2022, le conseil de prud’hommes de Versailles (section industrie) a:

. Dit que l’affaire est recevable en la forme ;

. Débouté la SA Bouygues Bâtiment Île de France de sa demande de sursis à statuer ;

. Fixé la moyenne des salaires brut, en application de l’article R1454-28 du code du travail, à la somme de 1 511,60 euros ;

. Dit et jugé qu’il n’est pas prouvé que M. [L] à fait l’objet de harcèlement sexuel et discriminatoire, ainsi que d’une discrimination en raison de son état de santé ;

. Débouté M. [L] de sa demande de dommages et intérêts de ce chef de demande ;

. Dit et jugé que le licenciement de M. [L] n’est pas nul ;

. Débouté M. [L] de ce chef de demande ;

. Dit et jugé que le licenciement de M. [L] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

. Débouté M. [L] de ce chef de demande ;

. Dit et jugé que le rappel de salaire n’est pas étayé ;

. Débouté M. [L] de ce chef de demande en rappel de salaire ;

. Dit et jugé que la SA Bouygues Bâtiment Ile de France n’a pas manqué à son obligation de sécurité ;

. Débouté M. [L] de ce chef de demande ;

. Dit et jugé que M. [L] a fait l’objet d’un licenciement vexatoire ;

. Condamné la SA Bouygues Bâtiment Île de France à verser à M. [L] la somme de 4 000 euros à ce titre ;

. Condamné la SA Bouygues Bâtiment Île de France à verser à M. [L] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

. Dit et jugé que le SA Bouygues Bâtiment Île de France succombant il ne sera pas fait droit à sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

. Ordonné l’exécution provisoire sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile ;

. Dit que s’agissant de créances salariales, un bulletin de salaire, certificat de travail, attestation pôle emploi, reçu pour solde de tout compte conformes au présent jugement devront être adressés à M. [L] pris en son domicile personnel, et ce sans astreinte ;

. Dit que les créances salariales produisent des intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud’hommes de Versailles et les créances indemnitaires à compter du prononcé de ce jugement;

. Dit que la SA Bouygues Bâtiment Île de France sera condamnée aux entiers dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 17 juin 2022, M. [L] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 5 mars 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

 

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [L] demande à la cour de :

. infirmer le jugement rendu le 18 janvier 2022 par le Conseil de Prud’hommes de Versailles sur tous les chefs de demande qui déboutent M. [L] ;

. débouter la société Bouygues Bâtiment Île de France de sa demande d’irrecevabilité de l’appel interjeté par M. [L] ;

. Juger que l’appel de M. [L] est recevable ;

. Débouter la société Bouygues Bâtiment Île de France de sa demande de sursis à statuer ;

. Débouter la société Bouygues Bâtiment Île de France de sa demande reconventionnelle de condamnation de M. [L] à l’article 700 du code de Procédure civile ainsi qu’aux dépens de l’instance et de l’exécution ;

. Constater que le Conseil de Prud’hommes a omis de statuer dans son dispositif sur les conséquences financière de la requalification du licenciement pour faute grave en faute simple ;

. Réformer le jugement prud’homales en ce qu’il a omis de statuer dans son dispositif sur les conséquences financière de la requalification du licenciement pour faute grave en faute simple.

Statuant à nouveau :

A titre liminaire :

. Constater que M. [L] justifiait au moment de son licenciement de 13 mois et 11 jours d’ancienneté;

Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail

. Juger que M. [L] a été victime de harcèlement sexuel et discriminatoire ainsi que de discrimination en raison de son état de santé ;

. Juger que la société Bouygues Bâtiment Île de France a illégalement déduit à M. [L] la somme de 1051,96 euros de ses salaires.

En conséquence :

. Condamner la société Bouygues Bâtiment Île de France à lui verser les sommes suivantes :

. Dommages et intérêts pour harcèlement sexuel, discriminatoire et discrimination : 18 139,2 euros (12 mois)

. Dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité et de prévention : 12 092,8 euros (8 mois)

. Rappel de salaire sur les sommes injustement déduites : 1051,96 euros

. Indemnité compensatrice de congés payés afférent : 105,19 euros

Sur les demandes relatives au licenciement de M. [L]

A titre principal

. Juger que le licenciement de M. [L] est nul pour discrimination, harcèlement sexuel et discriminatoire.

En conséquence :

. Condamner la société Bouygues Bâtiment Île de France à lui verser les sommes suivantes :

. Dommages et intérêts pour licenciement nul : 18 139,2 euros, (12 mois)

. Indemnité de préavis : 1531 euros

. Congés payés y afférent : 153,1 euros

. Indemnités de licenciement : 426,17 euros

A titre subsidiaire

. Juger le licenciement de M. [L] sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence

. Condamner la société Bouygues Bâtiment Île de France à lui verser les sommes suivantes :

. Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 3062 euros

. Indemnité de préavis : 1531 euros

. Congés payés afférent : 153,1 euros

. Indemnités de licenciement : 426,17euros

A titre infiniment subsidiaire

. Confirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave de M. [L] en licenciement pour faute simple ;

. Constater que le Conseil de Prud’hommes a omis de statuer dans son dispositif sur les conséquences financière de la requalification du licenciement pour faute grave en faute simple ;

. Réformer le jugement prud’homales en ce qu’il a omis de statuer dans son dispositif sur les conséquences financière de la requalification du licenciement pour faute grave en faute simple ;

. Condamner la société Bouygues Bâtiment Île de France à verser à M. [L] les sommes suivantes :

. Indemnités de licenciement : 426,17euros

. Indemnité de préavis : 1531 euros

. Congés payés afférent : 153,1 euros

. Dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité et de prévention : 12 092,8 euros (8 mois)

. Rappel de salaire sur les sommes injustement déduites : 1051,96 euros

. Indemnité compensatrice de congés payés afférent : 105,19 euros

Sur le caractère brutal et vexatoire du licenciement de M. [L]

A titre principal

. Infirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Versailles sur le quantum alloué au titre des dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire et condamner la société à lui verser la somme de 18 139,2 euros.

A titre subsidiaire :

. Confirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes en ce qu’il a condamné la société Bouygues Bâtiment Île de France à verser à M. [L] la somme de 4 000 euros.

Autres demandes :

. Condamner la société Bouygues Bâtiment Île de France à remettre à M. [L]

les documents sociaux conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 120 euros par jours de

retard 15 jours après la notification de l’arrêt à intervenir ;

. Juger que les condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de l’introduction de la demande et à défaut, à compter de la réception par la société Bouygues Bâtiment Île de France de sa convocation devant le bureau de jugement du Conseil de prud’hommes avec capitalisation ;

. Débouter la société Bouygues Bâtiment Île de France de l’ensemble de ses demandes ;

. Condamner la société Bouygues Bâtiment Île de France à verser à M. [L] la somme de 4500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

. Condamner la société Bouygues Bâtiment Île de France aux entiers dépens d’instance et d’exécution.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 16 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Bouygues Bâtiment Île de France demande à la cour de :

A titre principal,

. Déclarer l’intégralité des demandes de . M. [L] irrecevables ;

A titre subsidiaire,

. surseoir à statuer dans l’attente de la décision définitive du juge pénal ;

A titre infiniment subsidiaire :

. infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Bouygues Bâtiment IDF à verser à M. [L] les sommes suivantes :

. 4.000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;

. 1.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

. Confirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions ;

En conséquence,

. Débouter M. [L] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

. le condamner à verser à la société Bouygues Bâtiment Idf la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

. le condamner aux entiers dépens d’instance et d’exécution.

MOTIFS

Sur la recevabilité « des demandes »

L’employeur soutient dans le dispositif de ses conclusions que « les demandes » de M. [L] sont irrecevables et, dans la discussion, que l’appel est tardif, sans répliquer aux conclusions du salarié selon lesquelles, à juste titre, la demande d’aide juridictionnelle déposée le 17 février 2022, intervenue avant l’expiration du délai d’appel, est suspensive. L’aide juridictionnelle totale a été accordée au salarié par décision du 25 mai 2022 de sorte que son appel, formé le 17 juin 2022, est en tout état de cause recevable.

La demande de l’employeur demandant à la cour de « déclarer les demandes de M. [L] irrecevables » sera rejetée.

Sur la demande de sursis à statuer

L’employeur soutient qu’il est nécessaire de surseoir à statuer dans l’attente de la suite donnée sur la plainte déposée par le salarié contre ses anciens chefs d’équipe et de l’avis de la Défenseur des droits sur cette plainte. Il invoque des décisions de conseil de prud’hommes et de cours d’appel qui ont sursis à statuer dans l’attente de la décision du juge administratif.

Le salarié objecte qu’il n’y a pas lieu de surseoir à statuer sur ses demandes.

**

A titre liminaire, la cour relève que l’employeur ne sollicite pas l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de sursis à statuer, la cour n’étant donc pas saisie de ce chef de dispositif.

En tout état de cause, selon l’article 4 alinéa 3 du Code de procédure pénale, « La mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu’elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil. »

La caractérisation de faits de harcèlement sexuel en droit du travail, tels que définis à l’article L. 1153-1, 1°, du code du travail, ne suppose pas l’existence d’un élément intentionnel, de sorte que la décision du juge pénal qui se borne à constater l’absence d’élément intentionnel ne prive pas le juge civil de la possibilité de caractériser des faits de harcèlement sexuel de la part de l’employeur. (Soc., 25 mars 2020, n° 18-23.682, publié)

En l’espèce, il n’est pas contesté que le salarié produit un dépôt de plainte auprès de la gendarmerie départementale d'[Localité 5] en date du 20 mai 2020 pour :

« – Harcèlement sexuel par une personne abusant de l’autorité que lui confère sa fonction ‘ propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste imposés de façon répétée ;

– Harcèlement d’une personne sans incapacité : propos ou comportements répétés ayant pour objet ou effet une dégradation des conditions de vie altérant la santé ;

– Discrimination fondée sur un handicap ;

– Sanction professionnelle (commise le 26 novembre 2019). »

Le salarié a saisi la Défenseure des droits de cette plainte, laquelle a sollicité de sa part la transmission d’éléments complémentaires.

Toutefois, contrairement à ce que soutient l’employeur, il n’est pas nécessaire au juge prud’homal saisi d’une action au titre d’un harcèlement et d’une discrimination, d’attendre, pour reconnaître ou non l’existence de tels faits, le résultat de la procédure pénale à venir, dans des délais non connus des parties et de la cour et une issue hypothétique, un sursis qui serait prononcé dans de telles conditions étant contraire à l’exigence de célérité de la justice prud’homale et au droit du salarié à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable.

Le jugement ne peut donc qu’être confirmé en ce qu’il a débouté l’employeur de sa demande de sursis à statuer.

Sur l’ancienneté du salarié

Le salarié expose qu’avant son embauche le 2 septembre 2019, il avait travaillé pour ce même employeur du 10 décembre 2012 au 26 juillet 2013, dans le cadre d’un premier contrat de professionnalisation en qualité d’aide coffreur bancheur, et du 27 mai 2019 au 31 juillet 2019 dans le cadre d’un contrat de mission temporaire, à la suite duquel il a été engagé dans le cadre du contrat de professionnalisation du 2 septembre 2019, de sorte qu’il justifie d’une ancienneté de 13 mois et 11 jours au sein de la société.

L’employeur objecte à juste titre qu’il ne totalisait que 3 mois révolus d’ancienneté à la date de notification de son licenciement. En effet, le contrat de professionnalisation ne mentionne aucune reprise d’ancienneté, laquelle doit en conséquence être fixée à compter au 2 septembre 2019, peu important le fait que le salarié ait travaillé auparavant pour cette société, jusqu’au 31 juillet 2019, dans le cadre d’un contrat de mission temporaire conclu pour accroissement temporaire d’activité avec la société Sovitrat, dont le salarié ne sollicite pas la requalification en contrat à durée indéterminée.

Ajoutant au jugement qui n’était pas saisi d’une telle demande, dont l’irrecevabilité n’est pas soulevée par l’employeur, il convient en conséquence de fixer l’ancienneté du salarié au sein de la société Bouygues Telecom à 3 mois.

Sur la demande de nullité du licenciement

A titre liminaire, la cour relève que si dans le dispositif de ses conclusions le salarié demande à la cour de « JUGER que le licenciement de Monsieur [L] est nul pour discrimination, harcèlement sexuel et discriminatoire », il invoque également, dans la partie Discussion de ses écritures, le moyen tiré de la dénonciation du harcèlement moral au soutien de sa demande de nullité du licenciement, qu’il conviendra donc, le cas échéant, d’examiner également.

M. [L] invoque en effet d’abord la nullité du licenciement « pour discrimination, harcèlement sexuel et discriminatoire » et fait valoir qu’il a subi un véritable harcèlement de la part de M. [F], auteur de propos racistes dont le chef de chantier a été témoin, sans prendre de mesures, et qu’il a été victime d’une discrimination en raison de son orientation sexuelle et son état de santé, l’employeur ayant eu connaissance le 25 novembre 2019 de son statut de travailleur handicapé. Il soutient ensuite (cf page 36 de ses conclusions), que « A la suite de la dénonciation des faits de harcèlement, l’employeur a décidé de mettre un terme au contrat de manière abusive, ce qui ressort clairement de la chronologie des faits mais également des courriels adressés par le salarié à la Responsable des Ressources humaines, à compter du 26 novembre 2019. »,

L’employeur objecte que le salarié n’a subi aucun harcèlement ni aucune discrimination, que la simple chronologie des faits suffit à démontrer l’absence d’un quelconque manquement de l’employeur à ses obligations.

Sur « le harcèlement sexuel et discriminatoire » subi le salarié avant son licenciement

D’abord, aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il appartient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Ensuite, l’article L. 1153-1 du Code du travail prévoit que « Aucun salarié ne doit subir des faits:

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; »

Enfin, l’article L.1132-1 du code du travail, dans sa version en vigueur du 24 mai 2019 au 29 décembre 2019, prévoit qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français.

L’article L.1134-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

A l’appui du harcèlement sexuel invoqué, le salarié ne présente aucun élément de fait, puisqu’il se borne à invoquer la plainte qu’il a déposé pour ces faits, qui ne retranscrit que ses propres propos devant les enquêteurs, et qui est donc, en l’absence de tout autre élément de nature à les confirmer, dépourvue de valeur probante.

S’agissant du harcèlement discriminatoire, tenant à son orientation sexuelle, il présente comme seuls éléments le fait qu’il soit engagé depuis le 3 mai 2017 dans le cadre d’un pacte civil de solidarité avec un partenaire masculin, une attestation de Monsieur [K] indiquant : « je confirme que je me suis entretenu avec M. [L] le 15 novembre 2019 dans les bureaux de chantier afin de faire le point sur ses absences injustifiées et les altercations avec [U] [F] et [C] [A] [V]. Ce dernier m’a soutenu que les altercations n’étaient pas vrai et que ses absences à l’école étaient toutes justifiées », sans davantage de précisions.

Il produit également les cinq arrêts maladie dont il a fait l’objet depuis son embauche, la cour relevant ici que l’absence du 16 octobre 2019 est expliquée par le salarié lui-même comme résultant d’un torticolis, et que le motif indiqué sur l’arrêt de travail pour accident du travail du 22 octobre 2019 est illisible, mais que les prescriptions médicales qui ont suivi sont constituées d’antidouleurs articulaires, ce qui est confirmé par l’arrêt de travail initial du 5 décembre 2019 qui mentionne une entorse épaule gauche, le reste étant illisible.

Pris dans leur ensemble, et même en tenant compte des éléments médicaux, ces éléments ne laissent pas supposer l’existence d’un harcèlement discriminatoire en raison de son orientation sexuelle.

Sur la discrimination en raison de l’état de santé

La cour déduit des écritures du salarié (qui y mélange confusément les notions de harcèlement moral, de dénonciation de ce harcèlement et de discrimination), qu’il présente les faits suivants :

« ‘ La chronologie des faits, particulièrement éloquente qui n’a jamais été contestée par l’employeur. En effet, il est précisé à la Cour que la société BOUYGUES BATIMENT IDF n’a jamais nié l’existence des différents entretiens entre Monsieur [L] et la Direction ni leur teneur ;

‘ Les arrêts maladies du salarié dont le nombre aurait dû alerter l’employeur sur l’existence d’une situation anormale au regard de son obligation de sécurité et résultat ;

‘ La tentative de l’employeur d’imposer à Monsieur [L] une rupture conventionnelle le 26 novembre 2019 que Monsieur [L] a immédiatement dénoncée par écrit ;

‘ L’absence de réponse de la société aux différentes correspondances adressées par Monsieur [L] dès le 26 novembre 2019 ;

‘ La saisine en référé du Conseil de Prud’hommes le 28 novembre 2019 soit avant la réception de la convocation à l’entretien préalable ;

‘ L’absence de toutes preuves justifiant le licenciement de Monsieur [L] ;

‘ Les conditions brutales et vexatoires entourant le licenciement du salarié. »

Le salarié établit :

– sa reconnaissance de travailleur Handicapé par la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées, notifiée au salarié le 13 avril 2018,

– sa convocation à un entretien préalable par une lettre du 28 novembre 2019, soit la veille de la date (29 novembre 2019) figurant sur sa requête aux fins de saisine en référé du conseil de prud’hommes, la saisine étant quant à elle en date du 3 décembre 2019, selon l’indication figurant sur la convocation devant la formation de référé,

– son licenciement pour faute grave le 23 décembre 2019, c’est à dire dans un temps très proche de celui de ses arrêts de travail pour maladie du 22 au 28 octobre 2019, du 5 au 8 novembre 2019 et du 04 au 07 décembre 2019,

– sa saisine en référé le conseil de prud’hommes le 29 novembre 2019, et non le 28 novembre comme le soutient le salarié, soit le lendemain de la lettre, datée du 28 novembre 2019, de convocation à l’entretien préalable, dont l’employeur ne produit pas la date de réception,

– l’absence de réponse de la société aux différentes correspondances adressées par le salarié à compter du 26 novembre 2019.

En revanche le fait selon lequel le 25 novembre 2019, il a informé Mme [D], responsable des Ressources Humaines, de son harcèlement ainsi que de son statut de travailleur handicapé, est dépourvu de toute offre de preuve, laquelle ne saurait résulter du seul fait que l’employeur ne contesterait pas l’existence d’entretien du salarié avec la direction. De même, les courriels du salarié des 26 et 29 novembre à Mme [D] ne font aucune référence à ce statut mais uniquement à sa « couleur de peau », donc à une discrimination en raison de l’origine, ce courriel n’établissant pas davantage que l’employeur a « tenté de lui imposer une rupture conventionnelle » , mais au contraire que le salarié lui-même a sollicité une telle rupture.

Enfin, l’allégation de « conditions brutales et vexatoires entourant le licenciement du salarié. » est dépourvue d’offre de preuve, le salarié n’invoquant à ce stade aucun élément de son dossier de nature à les établir.

Toutefois, au regard des autres faits dont la cour a précédemment retenu qu’ils étaient établis, la cour retient que le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison de son état de santé.

Il appartient en conséquence à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison de son état de santé.

Or, l’employeur se borne à soutenir (page 12) que « Faute pour monsieur [L] d’apporter la preuve de la matérialité de faits précis et concordants laissant présumer l’existence d’un harcèlement et/ou d’une discrimination, il n’y a pas lieu pour la société BOUYGUES BATIMENT IDF de rapporter la preuve que les affirmations péremptoires de monsieur [L] ne seraient pas constitutives d’un harcèlement et/ou d’une discrimination », et ensuite (page 14) que le salarié n’est « pas en mesure d’apporter le moindre commencement de preuve à l’appui de ses allégations », et n’invoque aucun élément objectif étranger à toute discrimination du salarié en raison de son état de santé. Notamment, il ne propose aucune explication ni ne produit aucun argument quant à la concomitance du licenciement notifié au salarié avec ses arrêts de travail, ainsi qu’avec sa saisine en référé du conseil de prud’hommes, intervenue quelques jours avant notification du licenciement.

Il convient donc, par voie d’infirmation, de retenir l’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé, et de condamner l’employeur à verser au salarié la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant pour le salarié de cette discrimination.

En application des dispositions de l’article L. 1132-4 du code du travail selon lequel toute disposition ou tout acte pris à l’égard du salarié en méconnaissance des dispositions relatives à l’interdiction de la discrimination est nul, de prononcer la nullité du licenciement notifié au salarié le 23 décembre 2019.

Il n’y a donc pas lieu d’examiner le moyen de nullité de son licenciement tiré de la dénonciation par le salarié du harcèlement moral allégué.

Sur les conséquences pécuniaires du licenciement nul

Par des motifs pertinents que la cour adopte, les premiers juges ont fixé à la somme de 1511,60 euros le salaire brut mensuel du salarié, dans la limite de la demande du salarié, sur la base des bulletins de paie produits aux débats pour la période de septembre à décembre 2019.

La cour ayant retenu la nullité du licenciement, le salarié peut prétendre, en plus des indemnités de rupture, au paiement d’une indemnité pour licenciement nul.

L’employeur objecte qu’aux termes de l’article L. 1235-3 du code du travail, il ne pourrait revendiquer qu’une indemnité maximale d’un mois de salaire brut, qu’au regard de son ancienneté de 3 mois à la date de son licenciement, il n’est pas fondé à solliciter la condamnation de la société à lui verser une quelconque indemnité de licenciement, ‘et qu’en tout état de cause, le licenciement pour faute grave étant justifié, le salarié sera débouté de sa demande.

**

L’employeur ne critique pas le principe ni la somme sollicitée par le salarié au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, qu’il convient de fixer, par voie d’infirmation, à la somme de 1 531 euros bruts, outre 153,10 euros bruts de congés payés afférents, sommes au paiement desquelles l’employeur sera condamné.

En revanche, le salarié ne justifiant pas, ainsi qu’il a été dit précédemment, d’une ancienneté suffisante au regard de l’article L.1234-9 du code du travail sera débouté, par voie de confirmation, de sa demande en paiement d’une indemnité de licenciement.

Enfin, sur le fondement de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, le salarié peut prétendre à une indemnité pour licenciement nul dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois, sur la base d’un salaire mensuel brut de 1 511,60 euros, précédemment retenue.

Au titre de l’indemnité pour licenciement nul, compte tenu de l’ancienneté du salarié de moins de six mois, de son âge lors du licenciement (32 ans), de ce qu’il ne justifie pas de sa situation financière et professionnelle depuis ce licenciement, le préjudice qui est résulté, pour lui, de la perte injustifiée de son emploi sera, par voie d’infirmation, réparé par une indemnité de 9 070 euros.

Sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et de prévention

Le salarié expose que ce manquement ressort à l’évidence du comportement de l’employeur, qui, informé du harcèlement subi par son salarié, n’y a accordé aucun crédit et au contraire a accueilli les accusations de ce dernier avec une légèreté fautive et blâmable, qu’en effet lorsqu’il s’est confié sur son harcèlement à M. [K] le 15 novembre 2019, ce dernier a préféré ironiser sur la situation et a pris la défense des salariés mis en cause, que le 25 novembre 2019, puis le 26 novembre 2019, M. [L] a, une nouvelle fois, évoqué les faits de harcèlement avec Mme [D], responsable des ressources humaines, qui fera preuve d’une inertie inadmissible et tentera d’évincer le salarié en lui imposant une rupture conventionnelle sous la menace d’un licenciement qui interviendra quelques semaines plus tard, que plutôt que d’ouvrir une enquête, l’employeur a tenté de museler le salarié en l’évinçant.

L’employeur se contente d’objecter que devant la cour, le salarié ne fait que rependre les arguments précédemment développés au titre du harcèlement moral, lesquels n’ont pas davantage emporté la conviction du conseil, que faute d’élément nouveaux, la société demande à la cour de confirmer le jugement entrepris sur ce point et de le débouter purement et simplement de sa demande.

**

L’article L. 1222-1 du code du travail prévoit que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité qui n’est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyen renforcée, l’employeur pouvant s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

L’obligation de sécurité de résultat à laquelle est tenu l’employeur lui impose d’adopter les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et lui interdit en conséquence de prendre, dans l’exercice de son pouvoir de direction et dans l’organisation du travail, des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés.(Soc., 5 mars 2008, pourvoi n° 06-45.888, Bull. 2008, V, n°46).

Au cas présent, le salarié établit avoir dénoncé dans les deux courriels précités adressés fin novembre à son employeur une discrimination en raison de son origine, et dans un courriel du 9 décembre une discrimination également en raison de son handicap.

L’employeur ne justifie pas, ni même n’invoque, avoir engagé d’action de prévention des agissements de harcèlement moral ou de la discrimination dénoncée par le salarié, qui a fait dans le même temps l’objet de plusieurs arrêts de travail pour maladie, puis d’un licenciement dont la cour a retenu la nullité, étant ici précisé que l’employeur est tenu de mettre en ‘uvre cette obligation de sécurité à l’égard de son salarié jusqu’à la rupture du contrat de travail.

Le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité est établi, et a causé pour le salarié un préjudice, distinct de celui réparé au titre de la perte injustifiée de son emploi, caractérisé par le refus par l’employeur de prendre en compte ses alertes, de sorte que, par voie d’infirmation, il convient de condamner l’employeur à verser au salarié la somme de 2 000 euros de dommages-intérêts à ce titre.

Sur le rappel de salaire

Le salarié expose que l’employeur a déduit à tort plusieurs sommes de ses salaires, notamment pour des absences injustifiées alors que les relevés de présence montrent qu’il travaillait, et une partie de ses salaires des mois d’octobre et décembre 2019 alors qu’il était en arrêt maladie.

L’employeur objecte que les heures qui ont été déduites par la société correspondent soit à des absences injustifiées, soit à des absences justifiées mais ne devant pas être rémunérées, comme par exemple les arrêts de travail pour maladie ne donnant pas lieu à indemnisation au regard de l’ancienneté du salarié.

**

Selon l’article 1.7.1 a de la convention collective, applicable aux relations contractuelles, « En cas d’indisponibilité pour accident ou maladie, professionnels ou non, les ouvriers seront indemnisés s’ils justifient :

– soit de trois mois d’ancienneté dans l’entreprise au moment de l’arrêt de travail. 

– soit de plus d’un mois d’ancienneté dans l’entreprise, s’ils ont au moins acquis 750 points de retraite à la C.N.R.O. (note 5) calculés selon les dispositions prévues au règlement de cette institution dans les dix dernières années précédant le jour où se produit l’arrêt de travail.

Toutefois, pour les jeunes ouvriers, âgés de moins de 25 ans à la date de l’arrêt de travail, cette condition sera d’un mois d’ancienneté dans l’entreprise au moment de l’arrêt de travail et pour les apprentis sous contrat d’un mois d’exécution du contrat d’apprentissage au moment de l’arrêt de travail.»

Engagé dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée le 2 septembre 2019, le salarié, âgé de 32 ans, n’a atteint une ancienneté de trois mois qu’à la date du 2 décembre 2019, de sorte que seul l’arrêt maladie du mois de décembre, soit la somme de 291,62 euros, pouvait donner lieu à indemnisation.

Par ailleurs, l’employeur n’établit pas que le salarié était en absence injustifiée, aux dates indiquées, les relevés de présence produits par le salarié indiquant comme seuls jours d’absence injustifiées les 7 octobre, 11 octobre et 2 décembre 2019, la totalité des heures d’absence pour la période étant de 19h25, de sorte que la déduction des sommes de 145,81 euros sur le salaire de septembre 2019 pour absence injustifiée de 14h et 218,7 euros sur le salaire de novembre 2019 pour absence injustifiée de 21h ne sont pas justifiées dans leur intégralité par l’employeur.

Il convient en conséquence de le condamner à payer au salarié la somme totale de 656,13 euros bruts à titre de rappel de salaire, outre 65,61 euros bruts de congés payés afférents.

Sur le caractère brutal et vexatoire du licenciement de M. [L]

Le salarié expose que les conditions entourant le licenciement révèlent sans le moindre doute la faute de l’employeur, distincte de la procédure licenciement, qu’à compter du jour ou l’employeur a eu connaissance des faits de harcèlement et de discrimination dénoncés par le salarié (15 novembre 2019) ainsi que de son statut de travailleur handicapé (le 25 novembre 2019), ce dernier à tout mis en ‘uvre afin de l’évincer, que le 22 novembre 2019, que M. [K] a informé le salarié de la rupture de sa période d’essai, ce qui était juridiquement faux, que le 26 novembre 2019 Mme [D], responsable des ressources humaines, a tenté d’imposer au salarié une rupture conventionnelle sous la menace d’un licenciement.

L’employeur objecte que le salarié n’est pas fondé à solliciter une indemnité distincte pour « préjudice moral et financier » de 12 mois de salaire, dans la mesure où le cumul d’une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages-intérêts pour préjudice moral n’est possible que si le juge relève une faute de l’employeur dans les circonstances entourant le licenciement, et que le conseil de prud’hommes n’a aucunement caractérisé le moindre manquement de la société dans la mise en ‘uvre de la procédure de licenciement, laquelle a été parfaitement respectée par l’envoi d’une convocation à entretien préalable à licenciement suivi de la notification du licenciement pour faute grave.

**

Si les allégations du salarié selon lesquelles Mme [D] lui a hurlé dessus et intimé l’ordre de quitter l’entreprise sur le champ, et cela en présence des autres salariés et notamment de la personne en charge de l’entretien, et lui a également imposé de restituer la combinaison de travail qu’il portait et lui a demandé de récupérer ses affaires, sont dépourvues d’offre de preuve, en revanche, il établit qu’il a été licencié alors qu’il était en arrêt de travail pour maladie et qu’il avait dénoncé quelques jours auparavant, auprès de la responsable des ressources humaines, faire l’objet d’une discrimination en raison de son origine.

Par des motifs pertinents que la cour adopte les premiers juges ont également justement évalué à la somme de 4 000 euros le montant des dommages-intérêts au titre du caractère vexatoire du licenciement, réparant le préjudice du salarié, distinct de celui réparé par l’indemnité pour licenciement nul, qui répare la perte injustifiée de l’emploi.

Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.

Sur la remise des documents sociaux

Il convient d’ordonner à la société Bouygues Bâtiment Île de France de remettre à M. [L] les documents sociaux conformes à la décision à intervenir sans qu’il y ait lieu de prononcer une astreinte.

Sur les intérêts

Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d’orientation et les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du jugement en cas de confirmation des condamnations et du présent arrêt pour le surplus.

Les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu’ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Les dépens de première instance et d’appel sont à la charge de la société Bouygues Bâtiment Ile de France, partie succombante.

Il paraît inéquitable de laisser à la charge du salarié l’intégralité des sommes avancées par lui et non comprises dans les dépens. Il lui sera alloué la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel. L’employeur est débouté de sa demande à ce titre.


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x