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La cour a rejeté la demande de nullité du licenciement de Mme [L] pour harcèlement moral et violation de la protection due au lanceur d’alerte. Cependant, la cour a jugé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse en raison des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité. En conséquence, l’association Les Genêts d’or a été condamnée à verser à Mme [L] une indemnité compensatrice de préavis, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que le remboursement des indemnités de chômage. La cour a également annulé la mise à pied disciplinaire de Mme [L] et lui a accordé des dommages-intérêts à ce titre. Enfin, l’association a été condamnée à verser des dommages-intérêts pour atteinte à la santé au travail et des frais irrépétibles à Mme [L].
Les problématiques associées à cette affaire :
1- Irrecevabilité d’une demande nouvelle: La question de savoir si les nouvelles prétentions soumises à la cour sont recevables en vertu des articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile.
2- Protection du lanceur d’alerte: La question de savoir si le licenciement de Mme [L] est nul en raison de son alerte sur la situation des résidents et du harcèlement moral subi, en vertu de l’article L1132-3-3 du code du travail.
3- Harcèlement moral: La question de savoir si le licenciement de Mme [L] est justifié en raison du harcèlement moral subi, en vertu des articles L1152-1, L1152-4 et L1154-1 du code du travail.
1- Licenciement
2- Harcèlement moral
3- Obligation de sécurité
4- Inaptitude
– Fin de non-recevoir: Objection raised due to the inadmissibility of a new claim. According to Article 564 of the Code of Civil Procedure, parties cannot submit new claims to the court unless it is to oppose compensation, dismiss opposing claims, or address issues arising from the intervention of a third party, or the occurrence or revelation of a fact. Articles 565 and 566 further specify that new claims are not considered new if they serve the same purpose as those submitted to the first judge, even if their legal basis is different, and parties can only add claims that are accessory, consequential, or necessary complements to those submitted to the first judge.
– Nullity of dismissal: Refers to the request for the dismissal to be declared null and void. This can be based on various grounds, such as protection for whistleblowers. In the case of whistleblower protection, Article L1132-3-3 of the Labor Code prohibits discrimination or dismissal of an employee for reporting in good faith facts constituting a crime or offense of which they became aware in the course of their duties.
Bravo aux Avocats ayant plaidé cette affaire :
– Me Catherine FEVRIER, avocat au barreau de QUIMPER, représentant Madame [T] [L]
– Me Marine KERROS de la SELARL MAZE-CALVEZ & ASSOCIES, avocat au barreau de BREST, représentant l’Association LES GENETS D’OR
Les sociétés impliquées dans cette affaire sont l’Association LES GENETS D’OR et la société représentée par Me Catherine FEVRIER, avocat au barreau de QUIMPER.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
7ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°63/2024
N° RG 21/00873 – N° Portalis DBVL-V-B7F-RKTV
Mme [T] [L]
C/
Association LES GENETS D’OR
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 14 MARS 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 18 Décembre 2023
En présence de Monsieur [G] [Y], médiateur judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 14 Mars 2024 par mise à disposition au greffe, date à laquelle a été prorogé le délibéré initialement fixé au 07 Mars 2024
****
APPELANTE :
Madame [T] [L]
née le 31 Mars 1981 à [Localité 9]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Catherine FEVRIER, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
INTIMÉE :
Association LES GENETS D’OR
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Marine KERROS de la SELARL MAZE-CALVEZ & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST
EXPOSÉ DU LITIGE
L’Association les genêts d’or a pour objet la reconnaissance, l’accueil, l’accompagnement et l’intégration des personnes déficientes et dépendantes. Elle applique la convention collective des services et établissements pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.
Le 5 septembre 2011, Mme [T] [L] a été embauchée en qualité d’infirmière en contrat à durée indéterminée par l’association Les genêts d’or au sein du foyer d’accueil médicalisé de [Localité 6]- [Localité 5] (29) regroupant un Foyer de vie et un Foyer d’accueil médicalisé accueillant des adultes déficients mentaux, autistes, epileptiques.
A partir de l’automne 2017, un groupe de travail a été mis en place par la Direction sur la demande des représentants du personnel afin d’organiser des réunions de travail des professionnels des secteurs soins et éducatifs. L’ensemble des travaux a conduit à des mesures définies dans une note d’information du 26 juin 2018.
Du 1er au 21 février 2018, Mme [L] a été placée en arrêt maladie. Elle a de nouveau été arrêtée du 14 septembre 2018 au 24 février 2019.
Par courrier en date du 11 décembre 2018, elle a été convoquée à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire fixé le 20 décembre 2018.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 15 janvier 2019, l’employeur a notifié à Mme [L] une mise à pied disciplinaire pour
« Non-suivi des stocks de médicaments et produits pharmaceutiques, non-actualisation des dossiers médicaux, non-respect des procédures et des obligations contractuelles, mise en danger des résidents ».
Lors de sa visite de reprise en date du 25 février 2019, Mme [L] a été déclarée « apte à un poste d’infirmière dans un environnement différent par le médecin du travail ».
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 16 avril 2019, elle a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement fixé le 30 avril 2019.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 7 mai 2019, elle s’est vue notifier son licenciement pour inaptitude physique sans possibilité de reclassement.
***
Contestant son licenciement, Mme [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Quimper le 8 novembre 2019 et a formulé les demandes suivantes :
A titre principal,
– Dire et juger que le licenciement de Mme [L] est dénué de cause réelle et sérieuse pour défaut de consultation du CSE
A titre subsidiaire,
– Dire et juger que le licenciement de Mme [L] est nul comme résultant d’un harcèlement moral,
A titre infiniment subsidiaire,
– Dire et juger que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse. L’inaptitude étant la conséquence des agissements fautifs de l’employeur, ce dernier ne pouvait s’en prévaloir pour rompre le contrat de travail.
– Annuler la mise à pied disciplinaire notifiée le 15 janvier 2019,
En conséquence,
– Condamner l’association Les genêts d’or à verser à Madame [T] [L] les sommes suivantes :
– Dommages et intérêts au titre de la rupture :
– A titre principal, dommages et intérêts pour licenciement nul : 19 984,16 euros nets
– A titre infiniment subsidiaire, Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 19 984,16 euros nets
– Indemnité compensatrice de préavis : 3 996, 82 euros bruts
– Congés payés correspondants : 399,68 euros bruts
– Dommages et intérêts pour harcèlement moral et atteinte à la santé au travail : 35 000 euros nets
– Dommages et intérêts pour sanction injustifiée : 2 000,00 euros nets
– Dire que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation.
– Dire que les sommes à caractère non salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir.
– Condamner l’association Les genêts d’or à une somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamner la même à remettre à Madame [T] [L] un bulletin de salaire, un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi rectifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir
– Dire que le Conseil se réserve la possibilité de liquider cette astreinte.
– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir, sur le fondement des articles 514, 515 et 516 du code de procédure civile.
– Condamner l’association Les genêts d’or aux entiers dépens, lesquels comprendront les frais d’exécution forcée de la décision à intervenir.
L’association Les genêts d’or concluait au débouté de l’intégralité des demandes de la salariée et à sa condamnation à lui payer la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par jugement en date du 8 janvier 2021, le conseil de prud’hommes de Quimper a :
– Débouté Mme [L] de l’ensemble de ses demandes ;
– Débouté l’association Les genêts d’or de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.
***
Mme [L] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 8 février 2021.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 27 novembre 2023, Mme [L] demande à la cour de :
– Recevoir l’appel’de’Mme [L] et’le’déclarer’bien’fondé’
– Infirmer le jugement rendue le 8 janvier 2021 en toutes ses dispositions
Statuant à nouveau :”
A’titre’principal,’
-Dire’et’juger’que’le’licenciement’de’Mme'[L] est’nul’comme’étant’laconséquence’de’l’alerte’qu’elle’lançait’quant’à’la
‘situation des’résidents’et’comme’résultant’d’un’harcèlement’moral, A’titre’subsidiaire,’
– Dire’et’juger’que’le’licenciement’est’dénué’de’cause réelle’et’sérieuse.’L’inaptitudeétant’la’conséquence’des’agissements’
fautifs’de l’employeur,’ce’dernier’ne’pouvait’s’en’prévaloir’pour’rompre le contrat’de’travail.
– Annuler’la’mise’à’pied’disciplinaire’notifiée’le’15’janvier’2019,
En’conséquence,’
– Condamner l’association Les genêts d’or à verser à Madame'[T] [L] les sommes suivantes :
– Dommages’et’intérêts’au’titre’de’la’rupture:
– A’titre’principal,’dommages’et’intérêts’pour’licenciement’nul: 23’980,92 euros ‘net
A’titre’subsidiaire,’dommages’et’intérêts’pour’licenciement’sans’cause’
réelle’et’sérieuse’: 19’984,16 euros ‘nets
Indemnité’compensatrice’de’préavis : 3’996,82’ euros ‘bruts
Congés’payés’correspondants : 399,68’ euros ‘bruts
Dommages’et’intérêts’pour’harcèlement’moral’et’atteinte’à’la’
santé’au’travail : 35’000,00 euros nets
Dommages’et’intérêts’pour’sanction’injustifiée : 2’000,00 euros ‘nets
-Dire’que’les’sommes’à’caractère’salarial’produiront’intérêts’au’taux’légal’à compter’de’la’date’de’réception’par’l’employeur’de’sa’convocation’devant’le’bureau de’conciliation’et’d’orientation.
-Dire’que’les’sommes’à’caractère’non’salarial’produiront’intérêts’au’taux’légal à’compter’de’la’décision’à’intervenir.
-Condamner l’association Les genêts d’or’à’une’somme de 3000 euros’sur’le’fondement’de’l’article’700’du’code’de’procédure’civile.
-Condamner ‘la’même’à’remettre’ à ‘Mme'[L] un bulletin’de’salaire,’un’certificat’de’travail,’une’attestation’Pôle Emploi rectifiés sous’astreinte’de’100’euros’par’jour’de’retard’à’compter’de’la’décision’à’
intervenir.
-Condamner l’association Les genêts d’or’aux entiers dépens, lesquels’comprendront’les’frais’d’exécution’forcée’de’la’décision’à’intervenir.’
Mme [L] développe en substance l’argumentation suivante:
– Elle a été amenée à constater et dénoncer un certain nombre de dysfonctionnements au sein de la structure dans laquelle elle était employée, tant dans l’exercice de ses fonctions d’infirmière que dans la prise en charge des résidents; ces dysfonctionnements ont également été constatés par ses collègues, Mmes [O] et [B] ; l’association n’a pas accepté la dénonciation de ces dysfonctionnements et a tout fait pour se séparer de la salariée et de ses collègues;
– Elle n’a jamais eu connaissance d’un document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) ; le harcèlement moral n’est pas évoqué dans l’extrait que produit l’employeur ; il n’est fait allusion aux risques psychosociaux que dans la version du 19 décembre 2019 ; l’employeur a manqué à son obligation de prévention; les comptes-rendus de réunion révèlent l’existence de tensions ; l’attestation du Docteur [Z] révèle une mise en danger des résidents et une mise en danger juridique du personnel ; des attestations de salariés confirment la réalité de cette situation ;
– Le travail de l’équipe soignante était systématiquement remis en cause, ce dont témoignent plusieurs salariés ; les dysfonctionnements ont été signalés à l’Ordre des infirmiers et l’Agence Régionale de Santé (ARS) ; l’employeur s’est contenté de reprocher ces signalements au médecin et aux infirmières sans prendre aucune mesure ; le directeur tenait des propos inappropriés à la salariée alors qu’elle venait d’être victime d’un accident d’exposition au sang ; il la sanctionnait disciplinairement le 15 janvier 2019 pour des faits prescrits et de surcroît non établis; l’état de santé de la salariée s’est dégradé du fait d’une souffrance au travail; son médecin traitant diagnostiquait un syndrome d’épuisement au travail avec répercussions anxio-dépressives ; le médecin du travail consignait les difficultés rencontrées avec la hiérarchie ;
– L’employeur n’a pas respecté son obligation de reclassement ; il n’est pas produit de Registre unique du personnel (RUP) ; l’association emploie plus de 900 salariés et ne justifie pas des recherches de reclassement alors qu’il a un besoin quasi permanent de personnel soignant, infirmiers et aides-soignants ;
– Subsidiairement, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse pour manquement par l’employeur à son obligation de sécurité ; il n’a pas pris de mesures de prévention des risques psychosociaux ; la rédaction de l’avis d’inaptitude démontre que la cause première de l’inaptitude est l’environnement de travail ;
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 8 décembre 2023, l’association Les genêts d’or demande à la cour d’appel de :
Sur la demande de nullité de licenciement au titre des lanceurs d’alerte :
– A titre principal, juger la demande irrecevable car nouvelle.
– A titre subsidiaire, juger qu’il n’y a pas lieu à nullité pour non-respect de la législation sur les lanceurs d’alerte.
– A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le licenciement serait par extraordinaire jugé nul, la Cour ne saurait faire droit à la demande de dommages et intérêts, la demanderesse ne justifiant pas de ses préjudices et notamment de sa difficulté à reprendre un emploi.
– Sur le surplus, confirmer le jugement de première instance et :
Au titre du licenciement
A titre principal :
– Juger qu’il n’y a pas lieu à annuler le licenciement, l’employeur n’ayant pas manqué à son obligation en matière de harcèlement moral ou de sécurité,
– Juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, l’employeur n’ayant pas manqué à son obligation de consultation du CSE, à son obligation de recherche de reclassement ou de prévention des risques professionnels,
A titre subsidiaire :
– Dans l’hypothèse où le licenciement serait par extraordinaire jugé nul ou sans cause réelle et sérieuse, la Cour ne saurait faire droit à la demande de dommages et intérêts, la demanderesse ne justifiant pas de ses préjudices et notamment de sa difficulté à reprendre un emploi.
Au titre de la mise à pied disciplinaire
A titre principal :
– Juger la mise à pied disciplinaire bien-fondée.
– La mise à pied de Madame [L] étant fondée, la Cour déboutera cette dernière de ses prétentions à ce titre.
A titre subsidiaire, elle ne saurait faire droit à la demande de dommages et intérêts de 2 000 euros faute de justification du préjudice.
Au titre des dommages et intérêts pour harcèlement et atteinte à la santé au travail
– A titre principal, le respect de l’obligation de santé et de sécurité ayant été respecté, la Cour déboutera Madame [L] de ses demandes à ce titre.
– A titre subsidiaire, Madame [L] ne justifie pas de préjudices à hauteur de 3 500 euros, elle sera donc déboutée de ses prétentions.
En toute hypothèse :
– Débouter Madame [L] du surplus de ses demandes,
– Condamner Madame [L] à payer à l’association Les genêts d’or une somme de 3 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamner la même aux entiers dépens.
L’association Les Genêts d’or développe en substance l’argumentation suivante:
– La demande en nullité du licenciement au titre de la protection des lanceurs d’alerte est nouvelle et donc irrecevable en cause d’appel ;
– L’association a toujours prévenu le harcèlement moral et les risques professionnels, dont les risques psycho-sociaux ; ceux-ci sont définis dans les axes stratégiques de la politique ressources humaines de l’association ; une formation sur les risques psychosociaux a été mise en place et suivie par tous les directeurs/directrices et responsables de service et de département, entre juin 2018 et janvier 2019 ; les règlements intérieurs successifs prohibent le harcèlement ; une enquête sur la qualité de vie au travail a été conduite en 2017 et n’a révélée aucune situation de harcèlement ; le DUERP a été refondu en 2019 et développe les risques psychosociaux sur plusieurs aspects ; un accord collectif de méthode sur les risques psychosociaux a été signé le 5 février 2010 ; des groupes de travail ont été mis en place en 2017 pour répondre à un problème de communication ; Mme [L] ne s’est jamais plainte de harcèlement moral avant de saisir le conseil de prud’hommes ;
– La vacuité des dysfonctionnements allégués est démontrée par l’absence de suite donnée par l’ARS, l’ordre des infirmiers et l’ordre des médecins aux signalements effectués par les infirmières ;
– Dès qu’il a eu connaissance des tensions qui lui ont été signalées, l’employeur a agi; le CSE échangeait sur le sujet en septembre 2017 puis des groupes de travail étaient mis en place sur plusieurs mois ; le docteur [C], psychiatre, contredit l’affirmation d’une absence d’amélioration après le départ des infirmières ;
– Les faits objet de la procédure disciplinaire ne sont pas prescrits puisque la convocation à entretien préalable date du 11 décembre 2018 ; Mme [X], infirmière coordinatrice en appui aux infirmières remplaçantes, a constaté un certain nombre d’anomalies affectant le matériel, les produits, la présence de produits périmés dans le sac d’urgence, la non actualisation des dossiers médicaux, le non-respect des procédures et obligations contractuelles de l’infirmière chargée entre autres du suivi des stocks et une mise en danger d’autrui ; la sanction est donc justifiée ; le docteur [Z] n’avait aucun pouvoir pour organiser l’infirmerie et son témoignage n’est pas de nature à remettre en cause le bien-fondé de la sanction ;
il n’est démontré aucune conséquence d’agissements de l’employeur sur la santé de la salariée ;
– Le CSE a été informé et consulté le 29 mars 2019 sur le reclassement et il a émis un avis favorable ; le poste d’infirmière à l’EHPAD de [7], jugé seul compatible par le médecin du travail, a été proposé à la salariée qui n’a pas répondu; il est de la nature d’un poste de reclassement d’induire une modification du contrat de travail ;
– L’association a parfaitement respecté son obligation de sécurité ; le libellé de l’avis d’inaptitude n’induit nullement le manquement reproché à l’employeur ; toutes les mesures nécessaires ont été prises pour mettre fin à l’état de tension dénoncé par les infirmières.
***
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 12 décembre 2023 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 18 décembre 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l’exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité d’une demande nouvelle:
Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
L’article 565 du même code dispose: ‘Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent’.
L’article 566 dispose: ‘Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire’.
En l’espèce, Mme [L] sollicite à titre principal de dire et juger que son licenciement est nul comme étant la conséquence de l’alerte qu’elle lançait quant à la situation des résidents et comme résultant d’un harcèlement moral.
Si elle développe dans ses dernières conclusions signifiées le 27 novembre 2023, soit quinze jours avant l’ordonnance de clôture du 12 décembre 2023, trois paragraphes consacrés en premier lieu à la protection des lanceurs d’alerte telle qu’elle résulte des dispositions de l’article L1132-3-3 du code du travail, en second lieu aux manquements allégués de l’employeur en matière de prévention du harcèlement et en troisième lieu aux agissements de harcèlement moral qu’elle aurait subis, Mme [L] formule les mêmes prétentions que celles soumises au premiers juges, à savoir la condamnation de l’employeur au paiement de dommages-intérêts, à titre principal pour licenciement nul et à titre subsidiaire, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dès lors, les prétentions ne sont pas nouvelles, nonobstant les développements consacrés par l’appelante dans ses dernières conclusions à la protection des lanceurs d’alerte.
Il convient dans ces conditions de rejeter la fin de non-recevoir.
2- Sur la demande en nullité du licenciement:
2-1: Sur le fondement de la protection due au lanceur d’alerte:
L’article L1132-3-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, disposait: ‘Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions.
Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
En cas de litige relatif à l’application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu’elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, ou qu’elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles’.
En l’espèce, Mme [L] se fonde sur l’envoi par le Docteur [Z], médecin au sein de l’établissement de [Localité 5], d’un courrier en date du 19 septembre 2018, adressé au président du conseil de l’ordre des infirmiers, signalant ‘l’état de souffrance psychologique actuel dans lequel se trouvent mes collègues infirmières de l’établissement médico-social des ‘Genêts d’Or’ de Dineault où j’interviens en tant que médecin salarié vacataire’, ajoutant que les infirmières signalent ‘régulièrement des situations mettant certains résidents en danger ou au minimum dans un état d’inconfort (…)’ et que ‘(…) Ces dysfonctionnements mettent à mal leur conscience professionnelle et leurs principes déontologiques, la hiérarchie semblant rester sourde à leurs appels’.
Le docteur [Z] évoquait encore un ‘flou organisationnel au sein duquel les compétences et les tâches de chacun sont mal définies et se télescopent en permanence: à titre d’exemple, il faut en passer par la hiérarchie pour mettre en place ou modifier un traitement, le responsable de service et l’encadrement éducatif s’octroyant un droit de regard sur la thérapeutique et emportant finalement la décision de l’appliquer ou de ne pas l’appliquer (cette directive est officialisée de façon récente par une note de service au sein de l’établissement) ; ceci va bien sûr à l’encontre de notre déontologie (…)’.
Ce même médecin atteste avoir été auditionné par l’ARS et avoir ‘conseillé à la nouvelle équipe d’infirmières’ d’adopter une attitude prudente dans ses rapports avec les éducateurs et avec la direction de l’établissement, compte-tenu des événements passés.
Le dossier de la médecine du travail relève à la date du 29 novembre 218: ‘En arrêt depuis septembre 2018 après dénonciation de leur part de dysfonctionnements graves concernant le suivi médical des résidents: suivi et modification des prescriptions, rôle de chacun. Sous antidépresseurs, modification des plannings, inaptitude ”, puis à la date du 11 février 2019: ‘Etat dépressif en lien avec la situation professionnelle. Situation avec hiérarchie délétère. Etat anxiodépressif. Deroxat 20 . Retour dans l’entreprise pas envisageable du fait du collectif de travail et de la hiérarchie. Avenir dans l’entreprise ”.
L’inaptitude au poste est notée à la date du 25 février 2019 et une nouvelle mention est portée à la date du 3 juin 2019, soit postérieurement au licenciement:
‘Vu avec l’ensemble des IDE. Licenciée pour inaptitude. Bloquée dans la recherche d’un nouvel emploi. Désemparée’.
Le 15 janvier 2019, Mme [L] se voyait notifier une sanction de mise à pied disciplinaire d’une durée de trois jours pour les motifs suivants:
– Non-suivi des stocks de médicaments et produits pharmaceutiques
– Non-actualisation des dossiers médicaux, non-respect des procédures et des obligations contractuelles, mise en danger des résidents.
Outre le reproche de dysfonctionnements au sein du service infirmerie de l’établissement (manque de suivi des stocks de produits pharmaceutiques, ordonnances non consignées dans les dossiers médicaux), il était indiqué dans le courrier de notification de la sanction disciplinaire: ‘(…) Enfin, dans le courrier daté du 20 septembre 2018 que vous avez co-signé avec les deux autres infirmières de l’Etablissement et adressé à l’Ordre National des Infirmiers, vous évoquez la situation d’un résident retrouvé somnolent dans la baignoire et mettez en avant le caractère dangereux de cette situation.
Au cours de l’entretien, vous avez confirmé avoir été le témoin de ce que vous présentez comme une faute. Nous ne pouvons que regretter, compte-tenu du risque indiqué, que vous ayez pris le temps de réaliser une vidéo de la scène, au lieu d’intervenir directement auprès du résident (…). Vous avez par ailleurs reconnu avoir utilisé votre téléphone personnel afin de faire cette vidéo ce qui est contraire au règlement et peut constituer une atteinte à la vie privée et au droit à l’image de la personne (…).
Enfin, dans un courrier en date du 19 septembre 2018 et adressé à l’Ordre des infirmiers, le Docteur [Z] évoque l’existence d’un cahier dans lequel l’équipe infirmière a répertorié un certain nombre de faits concernant des résidents du Foyer [8]. Au cours de l’entretien, vous avez confirmé l’existence de ce cahier et avez indiqué qu’il se trouvait en lieu sûr sans autres précisions.Je vous rappelle que sortir des informations relatives aux résidents accompagnés par l’association est contraire à vos obligations contractuelles (…)’.
Si l’évocation, dans la lettre de notification de sanction, de faits susceptibles de caractériser un délit dénoncés par la salariée est de nature à poser difficulté dans le strict cadre de cette mesure disciplinaire, force est de constater que la lettre de licenciement, qui se borne à évoquer l’inaptitude médicalement constatée et ses conséquences, ne mentionne aucun reproche adressé à la salariée pour avoir dénoncé de tels faits.
S’il résulte des informations portées au dossier de la médecine du travail, que des difficultés relationnelles amplifiées par le signalement effectué auprès de l’ordre national des infirmiers, relayé à l’ARS, sont apparues au sein de l’association entre différentes catégories de personnel mais également entre le personnel et la direction et que ces difficultés ont pu influer sur l’état de santé de Mme [L], en revanche, aucun lien ne peut être effectué entre le dit signalement et le licenciement pour inaptitude dont la nullité est demandée.
Sur le fondement de protection due au lanceur d’alerte, la demande en nullité du licenciement ne peut donc prospérer.
2-2: Sur le fondement du harcèlement moral:
En vertu de l’article L1152-1du code du travail, ‘aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel’.
L’article L1154-1 du même code dispose que ‘Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles’.
L’article L1152-4 du même code dispose: ‘L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral’.
L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime, sur son lieu de travail, de violences physiques ou morales exercées par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements.
L’employeur ne peut se prévaloir de l’inaptitude médicalement constatée comme constituant un motif de rupture dès lors que cette inaptitude est consécutive à des faits de harcèlement moral.
En l’espèce, Mme [L] a fait l’objet d’un premier arrêt de travail entre le 1er février et le 21 février 2018 pour souffrance au travail, suivi d’un nouvel arrêt de travail le 14 septembre 2018 pour état dépressif, prolongé jusqu’à l’avis d’inaptitude du 25 février 2019, le médecin traitant de la salariée indiquant dans un certificat daté du 5 juin 2019 avoir suivi sa patiente ‘pour un syndrome d’épuisement au travail avec répercussions anxio dépressives du 14 septembre 2018 au 25 février 2019. Nous avons mis en place un suivi par psychologue et psychiatre pour prendre en charge sa pathologie (…)’.
Il est également établi que six jours après avoir été placée une première fois en arrêt de travail pour une ‘souffrance au travail’, Mme [L] a transmis le 11 septembre 2018 un courrier commun avec ses deux collègues infirmières visant à alerter la Direction de l’association de dysfonctionnements persistants au sein du foyer ; elle a transmis, faute de réaction de son employeur, un courrier d’alerte le 20 septembre 2018 à l’Ordre national des infirmiers en joignant le courrier de soutien du docteur [Z], médecin généraliste intervenant au sein du Foyer.
Ce courrier d’alerte du 20 septembre 2018 pointe le non-respect des prescriptions médicales, revues et corrigées par le responsable de service ou le personnel éducatif, la mise en danger non volontaire de certains résidents, la nécessité de passer par la responsable de service ou le Directeur avant de pouvoir envisager avec le médecin un éventuel changement de traitement, un exercice illégal de la profession d’infirmière et de la médecine par du personnel non soignant (une aide-soignante, un moniteur-éducateur) et une pression morale exercée sur les infirmières par des membres du personnel éducatif, conforté par la Direction.
Les trois infirmières signataires du dit courrier ajoutaient que cette situation dégradée était à l’origine de leurs arrêts de travail respectifs pour syndrome dépressif et burn out.
Mme [L] a par ailleurs été sanctionnée par une mise à pied de deux jours le 15 janvier 2019 pour des motifs disciplinaires qu’elle a vainement contestés.
Mme [L] produit en outre les éléments ci-après:
– le courrier en date du 19 septembre 2018 émanant du Docteur [Z], médecin salarié vacataire du Foyer, adressé au président du conseil de l’ordre des infirmiers, indiquant un ‘état de souffrance psychologique actuel de – ses – collègues infirmières du Foyer’, lui signalant régulièrement des situations mettant certains résidents en danger ou dans un état d’inconfort, repris dans un cahier, la hiérarchie semblant rester sourde à leurs appels. Il ajoutait que l’établissement ‘fonctionne dans un flou organisationnel où les compétences et tâches de chacun sont mal définies et se téléscopent en permanence’,
– le compte-rendu d’un entretien du Docteur [Z] avec M. [R], en présence de Maître [H], rédigé par Mme [L], en date du 14 février 2019, dont il résulte que le médecin de l’établissement évoquait une situation ‘anormale’ au sein du foyer de vie de [Localité 6]: ‘il s’agit de la suite logique des constats faits par les infirmières (…)’, des situations de mise en danger de patients (un résident trouvé seul somnolent dans sa baignoire avec l’eau au niveau du menton, une résidente régulièrement sans son déambulateur, des chaussures orthopédiques non lacées, de nombreuses erreurs de traitement, oublis d’administration, inversion entre le matin et le soir ou entre les résidents, des erreurs et non-respect des régimes, particulièrement ceux devant être mixés, la mise en danger par un résident connu ‘à risque’ sur la personne d’un autre usager etc…) ;
– l’attestation établie par le docteur [Z] en date du 6 août 2019 confirmant de manière précise son courrier d’alerte du 5 décembre 2018. Il considère que ‘l’accumulation des dysfonctionnements répétés a généré un état de souffrance au travail à l’origine de l’arrêt de travail prolongé des trois infirmières du Foyer, puis de leur mise en inaptitude définitive à leur poste de travail à visée protectrice par le médecin du travail, que la hiérarchie a toujours fait le choix de soutenir contre toute attente et en dépit du sens commun de l’équipe éducative au détriment de l’équipe soignante. Étant toujours en fonction au sein de l’établissement, il se dit ‘conscient de la position délicate qui est la (s)ienne mais (s)on éthique personnelle et (s)a déontologie professionnelle me dictent comme je l’ai fait depuis le début de soutenir mes collègues infirmières’. Il observe dans l’établissement ‘ une défiance majeure érigée en système de l’équipe éducative avec remise en question incessante des décisions médicales, des traitements, protocoles, régimes.(…) Sous prétexte de respecter l’autonomie des résidents ( le but non avoué est plutôt l’allégement de la charge de travail), plusieurs actes de la vie quotidienne
( habillage, toilette..) sont laissés à la seule assurance des résidents sans vérification derrière ceci aboutissant à des situations inacceptables (résidente à risque élevé de chute vue à plusieurs reprises dans les couloirs sans déambulateur, résidents déambulant avec des chaussures orthopédiques mises à l’envers ou non lacées, avec de vieux chaussons délabrés à la place des chaussons médicaux, nombreuses erreurs dans la distribution des traitements ( AMP, aide soignantes) avec inversion, oubli, résidente arrivant tant bien que mal à son examen médical et ayant les deux jambes dans la même échancrure de sa culotte.(..)’ Il ajoute sur les qualités professionnelles des infirmières dont Mme [L], qu’il a ‘apprécié leurs compétences professionnelles sur le plan technique et dans leurs relations avec le résident handicapé, et qu’elles ont montré durant toutes ces années leur éthique et conscience professionnelle irréprochable.’
Enfin, à propos des griefs mentionnés dans le courrier de mise à pied, il estime que les difficultés soulevées à propos de la péremption de matériel de test alléguées ne posent aucun problème sanitaire, que les ampoules de valium périmées, stockées à part et ne pouvant pas être confondues avec les ampoules en cours de validité, étaient destinées à l’entraînement des élèves infirmiers et affirme que ces mesures étaient prises à sa seule initiative.
– l’attestation de Mme [F], psychiatre retraitée ayant exercé comme médecin psychiatre vacataire de novembre 2007 à septembre 2017, auprès du foyer de vie de [Localité 6], témoignant ‘de l’exercice difficile de ses fonctions pendant les derniers mois du fait de la remise en cause quasi-systématique des prescriptions médicales de psychotropes par les équipes éducatives, ainsi que par certaines prises de position ‘ éducatives’ aberrantes voire dangereuses compte tenu des pathologies, nécessitant des recadrages permanents auprès des équipes’.
– des témoignages d’anciens infirmiers, M.[J]( 2008-2010), Mme [U]
( 2003-2009) confirmant avoir été confrontés à plusieurs reprises à une situation, malgré leurs protestations, de contestation des prescriptions médicales par l’équipe éducative et par la cadre de service, décrivant un climat de travail stressant ‘les éducateurs discutant voire remettant en question les décisions du médecin, paradoxalement, faisant appel à l’infirmière et au médecin au moindre souci mais une fois le problème signalé, se déchargeant de la surveillance (toux, douleur). La force d’inertie de certains éducateurs ajoutée à de multiples tâches de surveillance engendraient un stress supplémentaire à l’infirmière’. Les témoins ajoutent qu’ils ont démissionné, tous les deux, en raison de cette situation malgré les alertes orales et deux courriers au Directeur restés sans effet ( Mme [U]).
– le témoignage de Mme [A], infirmière en formation (2010-2011) qui relate les dysfonctionnements importants au sein du foyer décrivant une équipe éducative peu attentive aux besoins des résidents, et remettant en cause les prescriptions médicales auprès des infirmières,
– l’attestation de Mme [B], collègue de travail, relatant un entretien avec le directeur lors duquel elle assistait Mme [L] à propos d’un accident d’exposition au sang, et indiquant: ‘(…) Notre directeur a reconnu s’être emporté fortement quelques jours avant à son encontre à propos de la gestion de son AES (accident d’exposition au sang) (…). M. [M] a reconnu avoir dit ‘j’en ai marre des infirmières, on entend parler que de vous’ (…) ;
– l’attestation de Mme [S], aide-soignante qui indique avoir travaillé dans l’établissement du 12 juin 2010 au 21 octobre 2011, qui indique avoir constaté que ‘l’équipe éducative s’opposait de façon récurrente à certaines prescriptions médicales, allant parfois jusqu’à refuser de les appliquer (…). Bien souvent, les protocoles en cas de crise d’agitation n’étaient pas administrés car les éducateurs pensaient qu’il était préférable que l’usager n’explose plutôt que de canaliser son agressivité. Les laxatifs n’étaient volontairement pas donnés (…). Les orthèses n’étaient pas toujours mises car les résidents étaient livrés à eux-mêmes (..;) la responsable de service, Mme [I], n’a jamais pris la peine de recadrer les membres de l’équipe (…). J’ai été stupéfaite à plusieurs reprises d’entendre des ‘dégage !’ de la part des encadrants à destination des résidents (…). Autre exemple, lorsque j’accompagnais un résident autiste, M. [W] [P] s’est permis de m’interpeller en disant: ‘Ah, tu sors ton pitt (bull) ! (…). Mme [N] [E] laissée souillée s’excréments jusqu’au dos jusqu’à l’arrivée de l’équipe d’après-midi.
– un extrait de son dossier médical auprès de la médecine du travail faisant ressortir que Mme [L] est en arrêt de travail à la suite de difficultés professionnelles, caractérisées par une situation délétère avec sa hiérarchie, amplifiée depuis la dénonciation de sa part et de celle de ses collègues infirmières, de dysfonctionnements graves concernant le suivi médical des résidents ;
– des ordonnances médicales prescrivant à l’intéressée des médicaments anxiolytiques entre février et novembre 2018 ;
– l’avis d’inaptitude médicale du 25 février 2019 prescrivant une aptitude à ‘un poste d’infirmier dans un environnement différent.’
S’il ne peut qu’être relevé en synthèse de ces différentes pièces, un climat social dégradé qui a pu être à l’origine d’une dégradation de l’état de santé de la salariée, il n’en résulte pas pour autant l’existence d’éléments qui, pris dans leur ensemble, soient de nature à laisser présumer une situation de harcèlement moral que l’employeur n’aurait pas prévenue et dont il n’aurait pas pris la mesure.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a débouté Mme [L] de sa demande tendant au prononcé de la nullité du licenciement pour harcèlement moral.
3- Sur la demande tendant à voir juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse:
L’employeur est tenu d’une obligation légale de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs en vertu des dispositions de l’article L 4121-1 du code du travail.
Il lui appartient de veiller à l’effectivité de cette obligation en assurant la prévention des risques professionnels.
Il lui appartient également de démontrer qu’il a effectivement pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité du salarié, notamment par la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
Si l’inaptitude médicalement constatée d’un salarié trouve son origine dans un ou plusieurs manquements de l’employeur à son obligation de sécurité, le licenciement intervenu pour inaptitude et impossibilité de reclassement est sans cause réelle et sérieuse.
L’inaptitude physique ne peut en effet légitimer un licenciement lorsqu’elle résulte d’un manquement de l’employeur à son obligation générale de sécurité.
En l’espèce, il résulte des éléments concordants précédemment analysés que Mme [L] établit des éléments de fait précis et circonstanciés caractérisant la dégradation depuis plusieurs mois de ses conditions de travail et de l’expression d’une souffrance morale, exprimée tant auprès de son médecin traitant que du médecin du travail, susceptibles d’engager la responsabilité de l’employeur au titre de son obligation de sécurité, s’agissant notamment de la prévention des situations conflictuelles au sein de l’établissement et au contrôle de la charge et des conditions de travail des salariés.
Il incombe dès lors à l’association Les Genêts d’or de rapporter la preuve qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires, y compris préventives, pour assurer la préservation de la santé mentale et physique de la salariée.
L’association verse aux débats:
– le compte rendu de la réunion du 21 novembre 2017, faisant le constat de difficultés accrues entre les secteurs du soin et de l’éducatif sur le premier semestre 2017, la nécessité de réinterroger les pratiques, le vieillissement des usagers, l’augmentation des soins de prévention et de confort et dégageant des thématiques de réflexion sur la répartition des rôles ainsi que l’élaboration des fiches de poste,
– le compte-rendu de la réunion Educateurs spécialisés du 3 avril 2018 faisant apparaître un problème de communication entre le soin et l’éducatif, qui ne se fait que par mail ‘ l’équipe de soins ferait des reproches aux équipes éducatives ce qui crée des conflits’ tandis que l’équipe éducative ne se sent pas écoutée par l’équipe de soin, depuis l’été 2017.
– le compte rendu de la réunion Médicale du 28 mars 2018, en présence du docteur [Z], révélant un problème d’organisation et de communication des infirmières avec les équipes éducatives, n’utilisant pas le système de transmission d’informations (‘ Vision Sociale’) de telle sorte que les infirmières sont contraintes de ‘ contrôler les gestes des équipes éducatives en ce qui concerne les soins’ , ce qui génère chez elles ‘une souffrance et une surcharge de travail’. Elles dénoncent également l’ ‘intrusion’ des équipes éducatives dans le domaine médical, lorsqu’elles contestent les prescriptions médicales alors qu’elles doivent les appliquer.
– un tableau établi par la Direction à l’issue de la réunion Soins /Educatifs de mai 2018 sur la répartition des rôles entre les infirmières, les éducateurs et les aide-soignants. (Pièce 19)
– un document intitulé ‘Note d’information’ en date du 26 juin 2018 du Directeur de l’établissement listant les décisions validées ayant pour objet, suite aux réunions métiers, de contribuer à l’amélioration de la communication au sein du Foyer. Ce document aborde notamment la question relative aux traitements médicaux, qui ne seront plus traités directement entre les équipes et les IDE ( Infirmières) ou les médecins, mais qui doivent transiter à compter du 1er juillet 2018 par la Responsable de service ‘qui évaluera et verra avec l’équipe de soins et/ou lors des réunions d’équipe’ et qui sera informée par les infirmières en cas de demande de changement de traitement auprès du médecin. Enfin, il annonce ‘la poursuite du travail dans le groupe ‘ soin/éducatif’de redéfinition des rôles des uns et des autres’.
– le compte rendu établi au mois de décembre 2018 par le docteur [C], salarié intervenant depuis septembre 2017, à la suite de Mme [F], en qualité de psychiatre vacataire au sein du foyer, selon lequel même s’il a rapidement constaté quelques tensions entre des catégories de personnel (infirmières d’un côté et groupe aide-soignantes/éducateurs de l’autre), concernant en particulier la communication de données ou des constatations intéressant les résidents, il dit n’avoir rencontré aucun problème majeur dans l’exécution de ses prescriptions ou conseils et ‘ne s’estimait pas en mesure d’évaluer la profondeur du climat de tension qui pouvait planer parmi le personnel compte tenu de sa faible ancienneté dans l’institution et de sa présence très épisodique.’
– l’attestation remplie le 16 juin 2020 par le même Docteur [C], qui indique:
‘ J’ai pu constater à plusieurs reprises que l’équipe infirmière pouvait se sentir amoindrie dans ses responsabilités par une impression – à mon sens erronée- de court-circuitage; je n’ai jamais constaté de visu une quelconque prise d’initiative excessive de certaines catégories de personnel pouvant aboutir à la question d’une usurpation de titre professionnel.(..) Les rapports avec la direction administrative ont toujours été francs et directs. Cela ne veut pas dire que les désaccords ponctuels sont inexistants mais ceux-ci font l’objet de discussion et d’infléchissement a posteriori. Ainsi une circulaire au sujet de la nécessité d’informer l’administration d’un changement de traitement était plutôt le fruit d’une maladresse de style qu’une volonté d’exercer un contrôle inadapté. Sur la question de l’hygiène mentale du personnel, il m’est apparu que l’équipe infirmière pouvait présenter une situation de stress, alimentée par la difficulté ordinaire des tâches au sein d’une telle institution que par le sentiment de dévalorisation ressenti au travers de certaines interactions. Cela n’explique pas complètement la production d’un congé maladie ‘groupé’ qui s’il vient répondre à une souffrance certaine, peut interroger sur sa connotation militante. Cette situation extraordinaire a d’ailleurs influé très défavorablement sur la qualité des soins aux résidents en raison de la nécessité urgente d’un recrutement de personnel remplaçant. Il est à noter que depuis l’affectation définitive d’une nouvelle équipe infirmières les objets de conflits relatés précédemment se sont soit apaisés soit ont totalement disparu.’
– le compte-rendu de la réunion du CHSCT du 14 décembre 2017. Il ne fait aucune mention des travaux des groupes de travail en cours sur les problématiques de communication au sein du Foyer [8] ( site de [Localité 6]).
– le compte-rendu de la réunion du CHSCT du 14 juin 2018 qui se borne à évoquer pour le foyer de [Localité 6] le fait que la Direction doit transmettre prochainement une note afin d’améliorer la communication entre les Professionnels autour de la question du soin. Il retient par ailleurs que l’enquête réalisée en lien avec la qualité de vie au travail des salariés aboutit à des résultats satisfaisants.
– le compte-rendu de la réunion du CHSCT du 3 octobre 2018 qui fait le point sur les difficultés rencontrées au service infirmerie du foyer [8] : les relations entre les IDE et les autres personnels se sont fortement dégradées ces dernières semaines, les trois IDE sont en arrêt de travail. La Direction détaille les mesures prises depuis un an afin d’apaiser les tensions, avec la mise en place d’un groupe de travail pour retravailler les relations ‘ soin/éducatif’, et des réunions faisant ressortir une grande difficulté à communiquer entre eux et une méconnaissance des missions confiées aux IDE.
La note d’information du 26 juin 2018 a été prise par la Direction pour faciliter la communication et éviter les conflits et une nouvelle réunion était programmée le 18 septembre mais a été annulée en l’absence des IDE. L’employeur a décidé ‘ au regard des difficultés de communication rencontrées avec les IDE y compris avec la Direction’, de l’intervention d’une Responsable de service en mission d’appui au sein de l’association pour prendre le relais sur l’animation de ce groupe de travail et de Mme [X] Responsable du groupe Soin afin d’appuyer l’équipe actuellement en place et faire un audit du service.
– des documents relatifs aux axes stratégiques RH 2017/2020 avec un calendrier de mise en oeuvre des outils opérationnels selon lequel les fiches emplois-repères et les référentiels de compétence étaient toujours en cours d’élaboration au 13 décembre 2019.
– l’attestation de M.[K], moniteur-éducateur, élu du CHSCT et secrétaire du CSE pour les sites de [Localité 5]-[Localité 6], attestant que les trois infirmières, dont Mme [L], n’ont formulé aucune réclamation concernant des risques propres liés à leur poste, leur fonction, leur organisation de travail.
L’ensemble de ces documents souligne que l’employeur était pleinement informé de divergences importantes, sources de conflits persistant à tout le moins depuis le premier semestre 2017, opposant le personnel de l’établissement sur la répartition des rôles entre les infirmières, les éducateurs et les aide-soignants.
Toutefois, force est de constater que l’association intimée ne démontre pas avoir pris les mesures effectives sur la délimitation des compétences des différentes catégories du personnel intervenant au sein du foyer, en fonction de leurs spécialités, à l’exception de mesures ponctuelles, sans conséquence sur la charge de travail des infirmières, figurant dans sa note d’information du 26 juin 2018.
L’association intimée a annoncé ‘ la poursuite du travail dans le groupe’
‘ soin/éducatif’ dans le cadre d’une nouvelle réunion fin novembre 2017, mais s’est gardée de prendre la moindre décision relative à la répartition des tâches entre le personnel de soin et le personnel éducatif, dont les divergences profondes ressortent clairement du document établi par la Direction à l’issue de la réunion Soins/Educatifs en mai 2018 ( pièce 19).
L’employeur, malgré le courrier d’alerte du 11 septembre 2018 co-signé des trois infirmières du foyer et par le Docteur [Z], médecin généraliste intervenant dans l’établissement, ne justifie d’aucune action concrète et effective pour remédier aux difficultés persistantes, ni de l’organisation de la réunion de travail prévue fin novembre 2018, alors que le personnel se plaignait de manière unanime ‘du flou organisationnel’ lors des réunions des groupes de travail ( novembre 2017-mai 2018). Il a par ailleurs adopté, dans un contexte de conflit de personnel, une attitude partisane en faveur de l’équipe éducative et de déni de la souffrance morale exprimé par Mme [L], telle que décrite dans le courrier susvisé du 11 septembre 2018 et dans le courrier d’alerte du Docteur [Z].
S’agissant du Docteur [C], médecin psychiatre salarié de l’association, il convient de constater que ce témoin, tout en observant rapidement les tensions opposant les infirmières à l’équipe éducative et à la Direction du foyer, en a tiré des conclusions qui lui sont personnelles et qui se révèlent en totale contradiction avec les éléments de fait dénoncés par le docteur [Z] et par son prédécesseur le docteur [F]. Au regard de sa faible ancienneté et de son intervention limitée à une demi-journée par semaine au sein du foyer ne lui permettant pas d’identifier l’ampleur et les causes de la situation conflictuelle, ce témoignage n’est pas de nature à remettre en cause la réalité de la souffrance au travail de Mme [L] et n’apporte aucun élément pertinent sur les moyens censés avoir été mis en oeuvre par l’association pour remédier à une situation de crise qui affectait la santé d’une partie du personnel.
Si l’association a produit un extrait du document unique d’évaluation des risques
( DUERP) dans sa version mise à jour le 4 juillet 2018 (pièce 30), la rubrique
‘ Risques psychosociaux’ne vise toutefois que le stress lié à la confrontation aux comportements violents des résidents et la fatigue engendrée par les sollicitations permanentes des résidents des foyers, sans aucune mention pour les risques liés aux relations conflictuelles entre collègues. Les DUERP édités ultérieurement ( le 19 décembre 2019 / pièces 100 et 101) font référence pour les Foyers de [Localité 5] aux risques liés aux relations conflictuelles entre collègues au sein du service administratif, sans aucune précision sur la nature des mesures de prévention.
Enfin, il est observé que l’association ne justifie pas de la suite donnée à la demande d’intervention d’une psychothérapeute ( Mme [D] pièce 24) sollicitée dans le cadre d’un accompagnement du personnel du Foyer de vie [8], en lien direct avec le constat d’une ‘période de tension dans le management d’un groupe du foyer de vie [8], les personnels – étant -éprouvés par des difficultés de communication importantes’, Mme [D] allant jusqu’à évoquer un ‘risque de passage à l’acte (attitudes verbales et non verbales inadaptées dans le contexte professionnel)’.
Les manquements de l’association à son obligation de sécurité sont ainsi caractérisés et il n’est pas justifié par l’employeur du respect des obligations qui s’imposaient à lui sur le fondement des articles L4121-1 et suivants du code du travail.
Les pièces versées aux débats établissent que Mme [L] était soumise depuis plusieurs mois à une situation de travail conflictuelle l’opposant à l’équipe éducative et à la Direction engendrant progressivement un état d’épuisement relevé par le Docteur [V], médecin traitant, tandis que nonobstant un investissement professionnel reconnu par les médecins et professionnels de la santé, elle s’est vue adresser des reproches après avoir dénoncé, collectivement avec ses collègues infirmières, l’existence de dysfonctionnements au sein du Foyer.
Le diagnostic effectué par le médecin traitant concorde avec les observations figurant dans le dossier de la médecine du travail et l’avis d’inaptitude mentionnant une aptitude résiduelle dans un environnement différent.
Il est ainsi établi que l’inaptitude de Mme [L] à son poste de travail a pour origine un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur
Le licenciement pour inaptitude qui lui a été notifié est en conséquence dépourvu de cause réelle et sérieuse et l’employeur est tenu aux conséquences de la rupture.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté Mme [L] de ce chef de demande.
Dès lors que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse, Mme [L] est fondée à obtenir le paiement d’une indemnité compensatrice de préavis égale, compte-tenu de son ancienneté, à deux mois de salaire, soit la somme de 3.996,82 euros brut (1.998,41 euros x 2 mois) outre 399,68 euros brut au titre des congés payés y afférents.
En application des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail, eu égard aux circonstances de la rupture, à l’ancienneté de la salariée (7 ans et 8 mois), aux difficultés éprouvées pour retrouver un emploi justifiées par la production de relevés Pôle emploi et la production de deux contrats de travail à durée déterminée couvrant la seule période du 10 janvier au 21 février 2020, il est justifié de condamner l’association Les Genêts d’or à lui payer la somme de 12.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les conditions d’application de l’article L 1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d’ordonner le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage payées à la salariée et ce à concurrence de trois mois.
3- Sur la demande d’annulation de la sanction de mise à pied disciplinaire:
En vertu des articles L. 1333-1 et L. 1333-2 du code du travail, le juge apprécie la régularité de la procédure disciplinaire suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, au regard des éléments produits par l’employeur au soutien de sa sanction et de ceux fournis par le salarié.
Il peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise et si un doute subsiste, il profite au salarié.
Lorsque le juge annule une sanction disciplinaire, il peut, si cela lui est demandé, accorder des dommages et intérêts au salarié. Pour cela, le salarié doit établir l’existence d’un préjudice distinct qui n’est pas entièrement réparé par l’annulation.
En l’espèce, il résulte des développements qui précèdent que le courrier de mise à pied disciplinaire notifié à Mme [L] le 15 janvier 2019 vise expressément le fait d’avoir dénoncé dans son courrier d’alerte co-signé avec Mmes [O] et [B], la situation d’un résident retrouvé somnolent dans la baignoire, d’avoir mis en avant le caractère dangereux de cette situation et d’avoir utilisé son téléphone portable pour réaliser une vidéo de la scène.
En outre, il est reproché à la salariée d’avoir confirmé l’existence d’un cahier qu’évoque le Docteur [Z] ‘dans un courrier en date du 19 septembre 2018 et adressé à l’Ordre des infirmiers’, ce cahier répertoriant ‘un certain nombre de faits concernant des résidents du Foyer [8]’, l’employeur indiquant à la salariée que ‘sortir des informations relatives aux résidents accompagnés par l’association est contraire à vos obligations contractuelles (…)’.
Il s’évince de ces mentions contenues dans un courrier à caractère disciplinaire, qu’au-delà de motifs tirés de l’existence alléguée de dysfonctionnements au sein du service infirmerie de l’établissement (manque de suivi des stocks de produits pharmaceutiques, ordonnances non consignées dans les dossiers médicaux) et au mépris des dispositions de l’article L1132-3-3 du code du travail, il a été reproché à la salariée, sous couvert d’un argumentaire relatif au droit à l’image, l’usage du droit d’alerte tel que cela résulte de la référence expresse au ‘courrier daté du 20 septembre 2018 que vous avez co-signé avec les deux autres infirmières de l’Etablissement et adressé à l’Ordre National des Infirmiers’.
S’agissant de la consignation d’informations relatives aux résidents, il convient de rappeler que dans son courrier du 19 septembre 2018, le Docteur [Z] indique: ‘En effet, elles – les infirmières de l’établissement – me signalent régulièrement des situations mettant certains résidents en danger ou au minimum dans un état d’inconfort (j’ai parfois pu en être le témoin), ces incidents étant colligés dans un cahier (…)’.
Ainsi, sous couvert de la mention dans une sanction disciplinaire d’une interdiction de ‘sortir des informations relatives aux résidents’ est-il en réalité reproché à la salariée d’avoir consigné dans un cahier des informations relatives à la mise en danger d’autrui, qui s’inscrivent donc dans le cadre de son droit d’alerte.
De surcroît, la preuve de ce que les dysfonctionnements visés soient personnellement imputables à Mme [L] n’est pas rapportée.
Dans ces conditions, il convient de prononcer l’annulation de la mise à pied disciplinaire du 15 janvier 2019.
Il sera alloué à Mme [L], en réparation du préjudice causé par cette sanction injustifiée, la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts.
4- Sur la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral et atteinte à la santé au travail:
Si le harcèlement moral allégué par la salariée n’est pas établi, il n’en demeure pas moins que les éléments médicaux attestent des répercussions psychologiques subies par Mme [L] en lien direct avec la dégradation de ses conditions de travail et l’inertie de l’employeur à prendre les mesures propres à assurer efficacement la prévention de la santé et de la sécurité au travail de la salariée, la cour disposant des éléments qui lui permettent de fixer l’indemnisation du préjudice moral subi par la salariée en conséquence lesdits manquements, à hauteur de la somme de 6 000 euros que l’association sera en conséquence condamnée à payer à Mme [L], par voie d’infirmation du jugement entrepris.
5- Sur les intérêts légaux:
Conformément aux dispositions des articles 1231-7 et 1344-1 du code civil, les intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées seront dus à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du Conseil de prud’hommes pour les sommes à caractère de salaire et à compter du présent arrêt pour le surplus.
6- Sur la demande de remise de documents sous astreinte:
En application de l’article R 1234-9 du Code du travail, l’employeur délivre au salarié, au moment de l’expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d’exercer ses droits aux prestations mentionnées à l’article L 5421-2 et transmet ces mêmes attestations à l’institution mentionnée à l’article L 5312-1.
Par ailleurs, en application des articles L 1234-19 et D 1234-6 du même code, un certificat de travail doit être remis au salarié.
Enfin, l’article L 3243-2 impose la remise au salarié d’un bulletin de paie, dont le défaut de remise engage la responsabilité civile de l’employeur.
Il est en l’espèce justifié de condamner l’association intimée à remettre à Mme [L] une attestation pôle emploi (France Travail) rectifiée en fonction du présent arrêt ainsi qu’un bulletin de paie mentionnant les sommes allouées.
La remise de ces documents rectifiés devra intervenir dans le mois suivant la notification du présent arrêt, sans qu’il soit justifié d’assortir la condamnation d’une astreinte provisoire.
Il n’est en revanche pas justifié de la nécessité d’établissement d’un nouveau certificat de travail, dont les mentions ne sont pas impactées par le présent arrêt.
7- Sur les dépens et frais irrépétibles:
En application de l’article 696 du code de procédure civile, l’association Les Genêts d’or, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Elle sera en conséquence déboutée de sa demande d’indemnité formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’équité commande en revanche de la condamner à payer à Mme [L], qui a dû exposer des frais irrépétibles pour assurer sa représentation dans le cadre de la procédure, la somme de 3.000 euros en application des mêmes dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rejette la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de la demande en nullité du licenciement pour violation des dispositions de l’article L1132-3-3 du code du travail ;
Infirme le jugement entrepris, excepté en ce qu’il a débouté Mme [L] de sa demande en nullité du licenciement et des demandes subséquentes ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Dit que le licenciement notifié à Mme [L] par l’association Les Genêts d’Or par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 7 mai 2019, est sans cause réelle et sérieuse;
Prononce l’annulation de la mise à pied disciplinaire notifiée par l’association Les Genêts d’Or à Mme [L] par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 15 janvier 2019 ;
Condamne l’association Les Genêts d’Or à payer à Mme [L] les sommes suivantes:
– 3.996,82 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis
– 399,68 euros brut au titre des congés payés y afférents
– 12.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 1.500 euros à titre de dommages-intérêts pour sanction injustifiée
– 6.000 euros à titre de dommages-intérêts pour atteinte à la santé au travail ;
Condamne l’association Les Genêts d’Or à rembourser à l’organisme gestionnaire de l’assurance chômage, dénommé Pôle emploi à la date de l’ordonnance de clôture et France Travail depuis le 1er janvier 2024, les allocations servies à Mme [L], dans la proportion de trois mois ;
Condamne l’association Les Genêts d’Or à remettre à Mme [L], dans le délai de 30 jours suivant la notification du présent arrêt, une attestation Pôle emploi (France Travail) rectifiée conformément au présent arrêt et un bulletin de salaire mentionnant les sommes allouées ;
Dit n’y avoir lieu d’assortir cette dernière condamnation d’une astreinte provisoire;
Condamne l’association Les Genêts d’Or à payer à Mme [L] la somme de 3.000 euros à titre d’indemnité en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées seront dus à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du Conseil de prud’hommes pour les sommes à caractère de salaire et à compter de la date du présent arrêt pour le surplus ;
Déboute l’association Les Genêts d’Or de sa demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l’association Les Genêts d’Or aux dépens de première instance et d’appel.
La greffière Le président