Licenciement disciplinaire : 5 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00941

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Licenciement disciplinaire : 5 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00941

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 JANVIER 2023

N° RG 21/00941 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UMYF

AFFAIRE :

[B] [X]

C/

S.A.S. OLDAGUI

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Mars 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MONTMORENCY

N° Section : C

N° RG : 19/00045

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELARL LEJARD ZAÏRE SELTENE AVOCATS

Me Danielle ABITAN-BESSIS

Expédition numérique délivrée à : PÔLE EMPLOI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE CINQ JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [B] [X]

né le 28 Novembre 1980 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Jordana ZAIRE de la SELARL LEJARD ZAÏRE SELTENE AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 112

APPELANT

****************

S.A.S. OLDAGUI

N° SIRET : 833 017 833

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentant : Me Stéphane MORER de la SELARL BAYET ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0105 – Représentant : Me Danielle ABITAN-BESSIS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 01

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Novembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,

Monsieur [B] [X] a été engagé à compter du 6 décembre 2001 par la société Douilly Garges en qualité d’employé libre-service à temps plein, selon contrat de travail à durée indéterminée qui sera successivement transféré, en dernier lieu, selon avenant du 23 janvier 2018, à la société Oldagui pour des fonctions de responsable de bazar, le salarié ayant détenu jusqu’en novembre 2018 un mandat de délégué du personnel. La convention collective applicable est celle des commerces de détail non alimentaires.

Par requête du 29 janvier 2019, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Montmorency afin de solliciter la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur.

Par lettre du 21 août 2019, la société a mis à pied à titre conservatoire le salarié et l’a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s’est tenu le 13 septembre 2019. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 septembre 2019, le salarié a été licencié pour faute grave.

Le salarié a modifié ses demandes initiales formulées devant le conseil de prud’hommes dans sa requête du 29 janvier 2019, afin de solliciter l’annulation des avertissements prononcés à son encontre, de contester la légitimité de son licenciement et d’obtenir le paiement de diverses sommes.

Par jugement du 15 mars 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Montmorency a :

– dit que le licenciement de Monsieur [B] [X] était fondé sur un motif réel et sérieux, constitutif d’une faute grave,

– débouté Monsieur [B] [X] de l’intégralité de ses demandes,

– débouté la SAS Oldagui de sa demande reconventionnelle,

– mis les dépens à la charge de Monsieur [B] [X]

Par déclaration au greffe du 24 mars 2021, le salarié a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 26 avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, le salarié demande à la cour de :

infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

jugé son licenciement fondé sur une faute grave ;

l’a débouté de l’intégralité de ses demandes ;

et mis à sa charge les dépens;

– prononcer l’annulation de l’ensemble des avertissements notifiés à celui-ci :

avertissement du 14 mars 2018,

avertissement du 12 novembre 2018,

avertissement du 18 décembre 2018,

avertissement du 11 février 2019,

avertissement du 6 mai 2019;

– dire et juger son licenciement prononcé le 18 septembre 2019 dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

et en conséquence,

– condamner la Sas Oldagui à lui verser les sommes suivantes :

deux mois de préavis : 3272,30 euros,

congés payés afférents : 327,23 euros,

indemnité de licenciement : 8450 euros,

indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (14,5 mois de salaire – article L.1235-3 du code du travail) : 23 724,17 euros,

– condamner la Sas Oldagui à lui verser à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral: 10 000 euros,

– condamner la Sas Oldagui à lui verser à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 10 000 euros,

– condamner la Sas Oldagui à lui verser au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 3000 euros,

– condamner la société aux entiers dépens de l’instance qui comprendront les frais d’exécution de la décision à intervenir.

Le salarié fait essentiellement valoir que :

– c’est à tort que le premier juge indique que des avertissements n’ont pas été contestés ; il conteste les cinq avertissements successifs en ce qu’ils sont fondés sur : un état d’esprit négatif et le refus des tâches confiées ; une insubordination et un refus de respecter ses horaires ; le non-respect de ses horaires constituant un acte d’insubordination ; des insultes à deux reprises et un comportement fautif à l’encontre d’une collègue ; une insubordination et un manque de respect à l’égard de ses supérieurs hiérarchiques ;

– le licenciement pour faute grave est dépourvu de cause réelle et sérieuse, d’une part, en l’absence d’identification du signataire de la lettre de licenciement, d’autre part, en ce qu’il ne peut être licencié pour avoir répondu à des attaques injustifiées de la part d’une personne qu’il n’avait jamais rencontrée sans preuve de l’avoir publiquement injuriée ou agressée de manière verbale ou physique ; le premier juge a retenu la faute grave en se fondant sur l’attestation de son accusateur, sur celle, irrégulière, d’un témoin qui n’a constaté qu’une dispute, ainsi que sur l’exploitation d’un système de vidéo surveillance dont les images n’ont pas été soumises aux débats, en visant, en outre, des avertissements contestés ; par ailleurs, il a déduit des comportements successifs de l’employeur que ce dernier avait déjà pris la décision de le licencier; contrairement à ce qu’indique l’employeur, les images de la vidéo surveillance et la plainte de la personne concernée par les faits reprochés n’ont pas été portées à sa connaissance lors de l’entretien préalable ;

– les faits de harcèlement moral qu’il invoque sont les suivants : un acharnement disciplinaire; le non-respect de ses fonctions de responsable de secteur par la réduction progressive de ses responsabilités en raison de la réduction de l’équipe à animer, du retrait de la passation de commandes auprès des fournisseurs au profit de la direction qui le rendait responsable de vols au sein du magasin ; la multiplication de tâches annexes sans rapport avec ses fonctions ; un comportement de l’employeur visant à le décrédibiliser auprès de salariés, à l’isoler en omettant volontairement de lui communiquer les opérations journalières ainsi que les directives relatives aux urgences à traiter, également, s’agissant de la présidente, en ne daignant plus lui serrer la main, en manifestant publiquement son mépris à son égard ou en le dénigrant ; il a souffert d’un syndrome anxiodépressif en lien avec ses conditions de travail constaté médicalement et a été placé en arrêt de travail à neuf reprises entre 2018 et 2019, avant que le médecin du travail ne constate un état de stress lors de son dernier examen du 6 mai 2019 ;

– la multitude d’éléments développés dans ses écritures caractérise une exécution déloyale du contrat de travail ; des modifications ont été apportées à l’exécution de son contrat de travail sans le consulter et en dépit de son statut de salarié protégé : modification de ses horaires à compter du 3 décembre 2018, suppression injustifiée d’une prime de 30 euros par mois en octobre 2018; des procédures de licenciement économique frauduleuses ont été engagées dès la fin de son mandat de représentant du personnel.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 22 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, la société demande à la cour de :

– débouter Monsieur [X] de ses demandes, fins et conclusions ;

– la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes et conclusions ;

confirmer le jugement entrepris ;

– condamner Monsieur [X] à lui payer la somme de 2500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– le condamner aux entiers dépens lesquels seront recouvrés par maître Danielle Abitan-Bessis, avocat aux offres de droit selon les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La société fait essentiellement valoir que :

– le salarié avait la responsabilité du secteur bazar composé de trois personnes dont lui-même ; il a refusé de donner sa contribution à la propreté du magasin en refusant de passer le balai et en laissant cartons, papiers et matériel lorsqu’il quittait son poste ; il effectuait les tâches dont il avait envie ; s’il aidait à décharger les livraisons, il a refusé de réaliser cette tâche un jour de neige en regardant la présidente de la société décharger trente-trois palettes pendant qu’il fumait une cigarette en indiquant qu’il n’était pas payé pour décharger des camions ; dans l’ignorance des contrats d’origine fixant les horaires du salarié, elle ‘a remis un usage antérieur qui avait remis en cause les horaires contractualisés en 2001 et 2008″ ; en reprenant les horaires contractualisés en 2008, les retards mentionnés dans les avertissements restent d’actualité ; les sanctions sont donc bien fondées s’agissant d’une accumulation de retards, de changement d’horaires et d’absences injustifiées ;

– aucun doute n’existe quant à l’identité du signataire de la lettre de licenciement ; la signature est identique à celle apposée sur la lettre de convocation à l’entretien préalable du 24 juin 2019 qui mentionne le nom et la première lettre du prénom de sa présidente ; il ne peut en résulter que l’allocation éventuelle d’une indemnité pour procédure de licenciement irrégulière ; sur le fond du licenciement, il n’existe pas de plainte pénale stricto sensu mais une plainte adressée à la présidente par la personne le mettant en cause, alors en formation au sein de la structure pour une future gérance d’un magasin de l’enseigne ‘Babou’; les faits relatés sont constitutifs d’une faute grave eu égard à ses comportements antérieurs ;

– les sanctions étant justifiées ; ses fonctions n’étaient pas celles que le salarié décrit, le secteur bazar ne comptant que trois salariés lui compris ; il refusait obstinément d’effectuer certaines tâches ; la relation de celui-ci avec les fournisseurs a cessé dès lors qu’il a été décidé de passer directement par la centrale d’achat ; il n’a pas été tenu dans l’ignorance d’un changement d’horaires et rien ne démontre qu’il s’agisse d’une omission intentionnelle ; ses affirmations sur un comportement visant à l’isoler, le décrédibiliser ou le dénigrer ne sont pas régulièrement étayées ; les données médicales sont sans lien établi avec le contexte professionnel ;

– le salarié invoque les mêmes faits au soutien de sa demande au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail ; de plus, s’il a été mis fin à une précédente procédure de licenciement pour motif économique, c’est uniquement pour respecter le droit du travail après avoir eu connaissance de l’accident du travail du salarié.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 19 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’annulation des cinq avertissements :

Dans la lettre d’avertissement du 14 mars 2018, l’employeur reproche au salarié:

– son manque de conscience professionnelle et un état d’esprit négatif à l’égard de la société ;

– des menaces à plusieurs reprises de faire le ‘strict minimum’ à défaut d’augmentation de son salaire ;

– son refus d’effectuer des tâches rentrant dans le cadre de ses fonctions de ‘responsable bazar’; à plusieurs reprises et notamment le 30 janvier 2018 devant témoins, le refus de la mise en rayon du plastic, l’implantation du rayon saison, ou encore aider à la livraison ; le 6 mars 2018, le refus de remplir le rayon plastic en répondant : ‘aujourd’hui je ne suis pas d’humeur pour le faire’, rayon fait deux jours après ;

– son refus de balayer le magasin ;

– son refus du port de la tenue ‘Babou’ ;

– le 12 mars 2018, sa prise de poste en retard à 8h30 au lieu de 7 heures.

Les griefs énoncés dans la lettre d’avertissement du 12 novembre 2018 sont les suivants :

– le non-respect des horaires de travail :

le 5 novembre 2018 : arrivée à 12h au lieu de 7h ;

le 8 octobre 2018 : arrivée à 14h30 au lieu de 7h,

le 10 octobre 2018 : départ à 17h au lieu de 19h30 sans autorisation préalable,

le 11 octobre 2018 : 9h – 15h50 au lieu de 12h30 – 19h,

le 12 octobre : 8h05 – 14h05 au lieu de 13h30 – 19h30,

– le refus du salarié d’exécuter des tâches relevant de ses fonctions, de faire certains rayons.

Le 18 décembre 2018, le salarié est averti pour avoir repris son travail à 13h30 sans tenir compte du nouveau planning notifié au terme de l’avertissement du mois de novembre, et ce, ‘ après une semaine et demi d’arrêt maladie et une journée congés payés’, l’employeur ajoutant qu’il s’agit d’une réitération de faute relative au non-respect de ses horaires de travail constituant également un acte d’insubordination.

La lettre d’avertissement du 11 février 2019 énonce :

‘ Nous venons de prendre connaissance du courrier recommandé de Madame [G] nous informant que le 5 février 2019 vous l’avez, par deux fois, insulté et eu un comportement agressif à son encontre dans l’enceinte des locaux de l’entreprise devant témoin.

Vous l’avez notamment traité de ‘faux-cul, lèche bottes et lèche cul’.

La seconde fois, vous étiez accompagné de madame [S] où vous avez tous deux tenus, de nouveau des propos injurieux à son encontre en dehors de toute provocation ou exigence illégitime de cette dernière.

Nous considérons ce comportement comme fautif.

En conséquence nous vous notifions ce nouvel avertissement.

Nous vous demandons de changer de comportement, à défaut nous serons contraints d’envisager des sanctions plus graves…’.

Enfin, le 6 mai 2019, le salarié a été averti pour insubordination et manque de respect envers sa hiérarchie et son refus de toute autorité de celle-ci au seul motif, selon l’employeur, que : ‘ nous sommes des femmes’.

Le salarié a successivement contesté ces reproches en remettant en cause l’attitude négative de sa nouvelle direction à son égard. Il insiste sur le fait de n’avoir refusé d’exécuter que des tâches sans rapport avec sa fonction ‘que l’employeur prenait un malin plaisir à multiplier’ quand il était responsable de secteur, bazar en l’occurrence, et non pas responsable de rayon, et n’avait donc pas à effectuer des tâches que des responsables de rayons pouvaient accomplir, étant parallèlement dépossédé des responsabilités afférentes à ses fonctions. Il a nié avec constance avoir contrevenu à des horaires auxquels il aurait été régulièrement soumis sauf de simples aménagements sur autorisation préalable et verbale de sa hiérarchie.

Il ne résulte pas des éléments soumis à l’appréciation de la cour, notamment d’attestations de collègues de travail dont la rédaction est très générale et trop peu circonstanciée notamment sur le plan temporel, que le salarié aurait fait preuve d’insubordination en refusant d’effectuer des tâches relevant de ses fonctions de responsable de bazar, notamment des tâches subalternes dans des conditions et proportions qui auraient dû normalement le conduire à s’exécuter, ou de se soumettre à des horaires qu’il aurait été tenu d’observer, quand par ailleurs le nouvel employeur ne justifie pas avoir précisément et régulièrement délimité les missions et responsabilités qu’il considérait devoir s’insérer dans le périmètre de ses fonctions, ni avoir respecté les horaires contractualisés de celui-ci qu’il admet lui-même avoir ignorés après le transfert du contrat de travail, eut-il regretté de ne pouvoir imposer un changement d’horaires qu’il considérait devoir correspondre à l’activité de l’entreprise.

Quant aux vagues griefs non précisément étayés relatifs à un refus de se soumettre à l’autorité hiérarchique de ‘femmes’, le salarié y a opposé des dénégations catégoriques par mail du 12 mai 2019 en affirmant que le fait que des femmes gèrent le magasin ne le dérangeait pas et que ces accusations s’inscrivaient dans un comportement général de provocations visant à le pousser à bout pour le licencier.

En revanche, l’employée concernée par les faits du 5 février 2019 confirme dans son attestation avoir été traitée ce jour-là de ‘lèche cul’ par le salarié qui par courrier du 27 février 2019 a admis avoir tenu ces propos en réaction à des accusations de harcèlement envers une collègue qu’il réfutait et que la présumée victime n’a en effet pas confirmé, la version du salarié étant corroborée par le courrier rédigé le 14 février 2019 par une collègue, elle-même accusée d’insultes par la même employée, dont elle stigmatise le comportement provocateur à l’égard du salarié accusé à tort de harcèlement et d’avoir créé une mauvaise ambiance dans le magasin.

Même en considérant le contexte dans lequel ils ont été prononcés, de tels propos, injurieux et offensants, prononcés en présence d’une autre collègue, apparaissent disproportionnés et constituent un abus de la liberté d’expression dont jouit le salarié dans l’entreprise.

En conséquence de ce qui précède, vu les articles L. 1333-1 et suivants du code du travail, seul l’avertissement du 11 février 2019 est justifié et proportionné à la faute commise, les autres avertissements devant dès lors être annulés.

Le jugement est donc partiellement infirmé sur ces points.

Sur le harcèlement moral :

Il résulte des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les éléments de faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, à l’appui de sa demande au titre d’un harcèlement moral, en considérant notamment le caractère très général du contenu des seuls témoignages directs qu’il produit aux débats, le salarié présente des éléments de faits matériellement établis uniquement quant à :

– un usage abusif par l’employeur du pouvoir disciplinaire résultant de la notification de quatre avertissements injustifiés en quatorze mois ;

– des modifications d’horaires contractualisés sans son accord ;

– une réduction progressive de ses responsabilités par le retrait de tâches auprès des fournisseurs;

– de nombreuses demandes d’exécution de tâches annexes sans rapport avec ses fonctions.

Il fournit également les pièces médicales qui suivent : le certificat médical établi par un médecin généraliste du 25 mars 2019 selon lequel le salarié l’a consulté pour une perte d’appétit, une insomnie, une anxiété importante à l’idée de se rendre au travail, une irritabilité et une perte des intérêts ; un certificat médical du même médecin qui le 14 octobre 2019 l’a reçu en consultation pour un syndrome anxiodépressif ; son dossier médical mentionnant un examen du 6 mai 2019 auquel sont rattachées des observations relatives à un stress provoqué par ses conditions de travail.

En tenant compte des éléments médicaux, les éléments de fait précités matériellement établis, considérés ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

La société n’apporte pas d’éléments de nature à justifier un tel abus dans l’utilisation de son pouvoir disciplinaire ; elle ne démontre pas le caractère régulier des changements d’horaires contractuels du salarié ni l’avoir affecté à des tâches subalternes dans des conditions et proportions qui auraient dû conduire ce dernier à s’exécuter en dépit de ses fonctions de responsable du secteur bazar ; elle ne saurait justifier du retrait non contesté des tâches accomplies par le salarié auprès des fournisseurs par une décision de ne plus recourir qu’à des commandes via une centrale d’achat qu’elle ne prouve pas au moyen d’une simple copie d’écran, en partie illisible, qui semble correspondre à une commande ponctuelle relative à des ustensiles de cuisine.

Il y a donc lieu de faire droit à la demande du salarié en paiement de dommages et intérêts au titre d’un harcèlement moral et de lui allouer une somme de 2000 euros nets en réparation de son préjudice.

Le jugement entrepris sera donc en voie d’infirmation de ce chef.

Sur le licenciement :

– Sur la signature de la lettre de licenciement du 18 septembre 2019 :

Il ressort de la comparaison de la signature, dépourvue de lettre formée, et d’un graphisme relativement complexe, tracée au bas de la lettre de licenciement du 18 septembre 2019, avec celles inscrites au-dessous du nom précédé de la première lettre du prénom de la présidente de la société par action simplifiée Oldagui, soit ‘[T][Z]’, sur les lettres d’avertissements des 14 mars 2018, 18 décembre 2018 et 11 février 2019, l’existence de ressemblances massives de nature à écarter tout doute quant à l’identité du signataire de la lettre de licenciement litigieuse et consécutivement sur le pouvoir de licencier de celui-ci.

En conséquence, il ne peut être dit que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse de ce chef.

– Sur les motifs du licenciement disciplinaire :

Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

Il résulte de l’article L 1235-2 du même code que la lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement. Les griefs doivent être suffisamment précis, objectifs et matériellement vérifiables.

En l’espèce, la lettre de licenciement énonce les griefs qui suivent :

‘…

Au mois d’août, nous avons reçu dans l’entreprise Monsieur [P] [N] dans le cadre de sa formation de futur gérant d’un magasin BABOU.

Vous n’ignorez pas que les candidats à un poste de gérant d’un magasin de cette enseigne doivent suivre au préalable une formation théorique et pratique dans d’autres magasins déjà existants.

Il s’est trouvé que ce dernier, dans le cadre de sa formation, est venu vous poser des questions pratiques et organisationnelles du rayon brosserie (secteur bazar) afin de profiter de votre expérience le 14 août dernier.

Il est apparu que vous vous êtes tout de suite mis sur la défensive en lui criant dessus et devant les clients : ‘ Ca y est les problèmes commencent, de toutes les manières ce rayon c’est de la merde et ce n’est pas moi qui m’en occupe, je ne suis pas responsable de ce rayon’.

Dans la mesure où vous avez adopté ce comportement devant la clientèle, il vous a proposé de venir plutôt discuter à l’abri des clients.

C’est à ce moment que vous lui avez dit : ‘ de toutes les manières elles t’ont monté contre moi, et [L] c’est une menteuse’.

Pour ajouter, ‘ je suis agent de maîtrise tu n’as rien à m’apprendre, j’ai 20 ans d’expérience et la directrice est une menteuse’. Vous avez ajouté que s’il n’était pas content ‘ c’est pareil’ et que vous ne lui devez rien s’il continue à vous demander des choses vous lui régleriez son compte sur le parking.

Monsieur [P] [N] nous a adressé un compte-rendu de cet événement par écrit.

C’est dans ces conditions que nous vous avons adressé une convocation à un entretien préalable.

A réception de cette convocation et bien qu’elle ne fit pas mention de nos griefs, vous nous avez adressé un mail nous donnant une version personnelle de cet incident prétextant que ce monsieur serait venu vous voir pour vous faire des reproches sur votre travail et que vous lui avez précisé que vous étiez empêché de faire correctement votre travail par la direction depuis que vous l’aviez attaqué aux prud’hommes.

Vous avez également précisé qu’il vous avait tendu la joue afin de vous amener à l’agresser physiquement.

Le 29 août, vous nous avez écrit pour nous reprocher de ne pas avoir tenu compte de votre courriel, me reprochant, alors que l’entretien préalable n’avait pas encore eu lieu pour vous permettre de vous expliquer, de faire preuve d’impartialité et d’avoir déjà pris ma décision.

Lors de l’entretien préalable, après avoir porté à votre connaissance la plainte de Monsieur [P], je vous ai demandé de me donner les raisons de votre comportement à son égard.

Vous avez dans un premier temps refusé de la faire aux motifs que vous considériez ma décision comme déjà prise et que vous m’aviez déjà adressé vos explications par écrit.

Je vous ai répété à plusieurs reprises que ma décision n’était pas prise et que l’objet de cet entretien était de recevoir vos explications de vives voix et non par un écrit, et ce afin d’éviter tout malentendu.

Vous avez accepté de le faire après l’intervention de Madame [S] qui vous a recommandé de redonner vos explications. Vous avez alors accusé Monsieur [P] de vous avoir agressé.

Madame [S] nous a demandé si nous avions regardé la vidéo surveillance. Nous avons répondu par l’affirmative et vous nous avons indiqué qu’il apparaît sur cette vidéo que Monsieur [P] était très calme et que seul vous étiez agité, ce que vous n’avez pas contesté et vous n’avez pas souhaité visionner la vidéo.

Je vous ai alors demandé, si votre version correspondait à la réalité, la raison pour laquelle vous n’avez pas fait part de cet incident à votre supérieure.

Vous m’avez alors répondu avoir considéré cela comme inutile à ce moment car vous pensiez que nous avions déjà pris la décision de vous licencier et que nous avions engagé cette personne pour vous pousser à la faute.

Cet argument a ceci d’incohérent que nous ne pouvions pas avoir décidé de vous licencier en raison de cet incident avant même que nous en ayons eu connaissance et que nous avons engagé personne puisque ce monsieur, que nous ne connaissons pas, nous vient de la société BABOU dans le cadre d’une formation.

Par mail du 14 septembre 2019, soit le lendemain de l’entretien préalable, vous avez m’avez accusé d’avoir déjà pris notre décision alors que vous aviez été victime des insultes de Monsieur [P] et de ses agressions, me précisant que si je procédais à votre licenciement je ferais preuve de discrimination.

Il n’en demeure pas moins que vous n’aviez aucune raison de vous emporter à l’encontre de monsieur [P] qui ne souhaitait que profiter de votre expérience dans le cadre de sa formation en vous posant des questions.

En vous emportant, votre réaction a été inappropriée, disproportionnée et ne se justifiait absolument pas.

En outre, vous avez nuis à l’image du magasin en vous emportant devant la clientèle.

Votre comportement violent en public et hors de proportion avec le motif de sa demande est constitutif d’une faute.

Il est bien plus grave de proférer des menaces de représailles physiques à l’encontre d’une personne dont la société est responsable de sa sécurité si ce dernier vous adressait de nouveau la parole.

Les explications que vous nous avez données sont en contradiction avec votre comportement tel qu’il apparaît sur la vidéo surveillance, point que vous n’avez pas contesté.

De même, nous constatons que Monsieur [P] nous a informé quasi immédiatement de cet incident alors que vous n’avez réagi que postérieurement à la réception de cotre convocation.

En raison de votre comportement que je considère comme fautif, je vous notifie votre licenciement pour faute grave privatif de l’indemnité de préavis et de l’indemnité de licenciement.

Nous considérons que la nature même de la faute qui vous est reprochée ne nous permet pas de vous maintenir dans l’entreprise d’autant que vous avez déjà été sanctionné pour des problèmes de comportement, sans que cela ne nous amène à changer d’attitude, depuis la proclamation des résultats des dernières élections des représentants du personnel ne vous reconduisant pas dans votre mandat.

…’

Dans un mail envoyé à l’employeur, Monsieur [P] déclare :

‘ Dans le cadre de ma formation de gérant mandataire Babou au sein de votre magasin, le 14 août, en voulant réorganiser le rayon brosserie j’ai demandé à la directrice [L] [U] de m’indiquer la personne responsable du rayon. Elle m’indique que c’est Mr [X] qui est le responsable de ce rayon. Auprès de qui je me suis dirigé pour avoir les renseignements concernant l’organisation et la mise en place de rayon. Ce dernier s’est mis sur la défensive en me criant dessus et devant les clients : ‘Ca y est les problèmes commencent, de toutes les manières ce rayon c’est de la merde et c’est pas moi qui m’en occupe, je suis pas responsable de ce rayon’. Voyant cette personne s’énerver devant les clients je lui ai demander de venir plutôt discuter à l’abris des clients. Ce dernier m’a suivi. Une fois arrivé il me dit ‘ de toutes les manières elles t’ont monté contre moi, et [L] c’est une menteuse ‘ je me suis étonné de ces propos contre sa hiérarchie. Et là Mr [X] me dit ‘je suis agent de maîtrise tu n’as rien à m’apprendre, j’ai 20 ans d’expérience et la directrice est une menteuse’. De là il me menace et me dit si j’étais pas content c’est pareil, il ne me doit rien et si je continu à lui demander il règle mon compte sur le parking. Voyant Mr [X] énervé et menaçant j’ai eu peur pour ma sécurité je suis en revenu vite voir [L] la directrice sous le choque pour lui expliquer tous ça et que j’étais choqué des propos tenu par Mr [X].

Je vous remercie d’intervenir au près de cette personne, car je suis ici pour me former et non me faire insulter ou taper.’

Cette version des faits, contesté avec constance par le salarié, n’est corroborée par aucun témoignage direct, Monsieur [O], employé, se bornant à indiquer avoir vu le salarié se disputer avec Monsieur [P] et ne pas avoir suivi toute la dispute pour avoir été appelé par la caissière pour un échange de produits, sans rien préciser notamment quant aux comportements respectifs des protagonistes et aux propos échangés quand il ne se déduit pas de son témoignage qu’il aurait été placé dans l’impossibilité de le compléter à ce sujet. A cet égard, le premier juge, retenant une agression pour partie devant des clients à l’encontre de Monsieur [P], mentionne que les faits sont attestés par Monsieur [O], alors que l’attestation de ce dernier est vide de toute information sur ce point.

De même, les éléments d’appréciation ne font ressortir aucun usage abusif par le salarié de sa liberté d’expression, notamment dans sa relation et la critique des événements ayant précédé et suivi l’enclenchement de la procédure de licenciement, n’ayant tenu aucun propos injurieux, diffamatoire ou excessif.

Au surplus, le premier juge, qui indique que le salarié ne conteste pas avoir crié en public et en veut pour preuve des images de la vidéo surveillance non contestées qui le montreraient agité à l’inverse de Monsieur [P] resté calme, s’est fondé sur des éléments non soumis au débat contradictoire quand de surcroît la version de l’employeur sur le déroulement de l’entretien préalable n’est étayée par aucun élément de preuve.

En conséquence, le licenciement du salarié, ayant une grande ancienneté et dont seul l’avertissement du 11 février 2019 est susceptible d’être invoqué en application de l’article L. 1332-5 du code du travail, est sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement est dès lors infirmé de ce chef.

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

L’entreprise employant habituellement au moins onze salariés et le salarié ayant une ancienneté de dix-sept années complètes, il convient d’allouer à ce dernier, en réparation du caractère injustifié de la perte de son emploi telle que celle-ci résulte, notamment, de ses capacités à retrouver un emploi au vu des éléments fournis, la somme de 19633,80 euros nets (douze mois de salaire brut mensuel de référence) à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail.

Sur l’indemnité légale de licenciement :

Il ressort des éléments d’appréciation que l’indemnité légale de licenciement doit être évaluée à la somme de 8450 euros nets au regard du salaire de référence et de l’ ancienneté du salarié. Cette somme lui est allouée en application des dispositions des articles L.1234-9 et R. 1234-1 et suivants du code du travail.

Sur l’indemnité de préavis et les congés payés afférents :

Au vu des éléments d’appréciation, dont les éléments de calcul, en application des dispositions des articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail, l’indemnité compensatrice de préavis à allouer au salarié est de 3272,30 euros bruts, outre 327,23 euros bruts de congés payés afférents.

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail :

Le salarié ne justifie pas d’un préjudice distinct en lien avec les manquements qu’il invoque au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail. Il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts formée de ce chef.

Le jugement est confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de cette demande.

Sur le remboursement des indemnités de chômage :

Par application de l’article L 1235-4 du code du travail, il y a lieu à remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de deux mois d’indemnités.

Une copie du présent arrêt sera transmise à Pôle Emploi.

Sur les frais irrépétibles :

En équité, il n’y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile qu’au profit du salarié auquel la somme de 2500 euros sera allouée de ce chef pour les frais irrépétibles de première instance et d’appel.

Sur les dépens :

Les entiers dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de l’employeur, partie succombante pour l’essentiel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière prud’homale et par mise à disposition au greffe :

Infirme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension et y ajoutant,

Annule les avertissements notifiés à Monsieur [B] [X] par lettres datées des 14 mars 2018, 12 novembre 2018, 18 décembre 2018 et 6 mai 2018.

Dit que Monsieur [B] [X] a subi un harcèlement moral.

Condamne la Sas Oldagui à payer à Monsieur [B] [X] la somme de 2000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Dit que le licenciement de Monsieur [B] [X] est sans cause réelle et sérieuse.

Condamne en conséquence la Sas Oldagui à payer à Monsieur [B] [X] les sommes suivantes :

– 19633,80 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 8450 euros nets à titre d’indemnité légale de licenciement,

– 3272,30 euros bruts à titre d’indemnité de préavis,

– 327,23 euros bruts de congés payés afférents.

Condamne la Sas Oldagui à payer à payer à Monsieur [B] [X] la somme de 2500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties pour le surplus.

Ordonne le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de deux mois d’indemnités.

Dit qu’une copie du présent arrêt sera transmise à Pôle Emploi.

Condamne la Sas Oldagui aux entiers dépens de première instance et d’appel.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Juliette DUPONT, Greffier en pré-affectation, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

 


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