Licenciement disciplinaire : 4 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03550

·

·

Licenciement disciplinaire : 4 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03550

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 4 JANVIER 2023

N° RG 21/03550

N° Portalis DBV3-V-B7F-U35B

AFFAIRE :

[W] [N]

C/

Société SERVICEPLAN PARIS SAS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 septembre 2017 par le Conseil de prud’hommes de Nanterre

Section : E

N° RG : 14/03067

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées

le :

à :

Me Claire RICARD,

Me Stéphanie TERIITEHAU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

DEMANDEUR devant la cour d’appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d’un arrêt de la Cour de cassation du 29 septembre 2021 cassant et annulant en toutes ses dispositions l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles (11ème chambre) le 19 décembre 2019

Monsieur [W] [N]

né le 11 janvier 1979 à [Localité 8]

de nationalité canadienne

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Jérôme BIEN de la SELAS ACTY, Plaidant, avocat au barreau de DEUX-SEVRES, Me Claire RICARD, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622

****************

DÉFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI

Société SERVICEPLAN PARIS SAS

N° SIRET : 379 373 897

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 et Me Jean-Philippe DESTREMAU de la SELARL DESTREMAU ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0542, substitué à l’audience par Me Jérôme PAUVERT, avocat au barreau de PARIS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 2 novembre 2022, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [N] a été engagé par la société Dufresne Corrigan Scarlett, en qualité de « digital and integrated creative director », par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 21 mars 2012.

Cette société est spécialisée dans le conseil en communication. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 11 salariés. Elle applique la convention collective nationale de travail des cadres, techniciens et employés de la publicité française du 22 avril 1955.

Par courriel du 21 juillet 2014 adressé à M. [J], directeur de la création, et, en copie, à M. [M], président de la société, le salarié s’est plaint du harcèlement moral subi de la part de M. [J] et a demandé à ce qu’il cesse ses agissements.

Par courriel du 30 juillet 2014, M. [M] a contesté le harcèlement moral allégué et fait état des problèmes de comportement et de travail du salarié.

Par lettre remise en propre contre décharge le 31 juillet 2014, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 3 septembre 2014.

Il a été licencié par lettre du 15 septembre 2014 pour faute grave dans les termes suivants :

« (‘) j’ai pris la décision de vous licencier pour fautes graves.

1. LES FAITS CONSTITUTIFS DE FAUTES GRAVES SOIT PRIS EN EUX-MEMES SOIT DU FAIT DE LEUR ACCUMULATION:

* Vos manquements au cours de la période du 13 au 24 juin 2014

Un rendez-vous très important entre l’agence et son client historique Heineken avait été organisé le 18 juin 2014 à [Localité 6] au cours du Festival des Films Publicitaires.

Rendez-vous d’autant plus crucial que l’agence était remise en compétition sur la partie internationale du budget Desperados sur laquelle elle travaillait depuis de nombreuses années et qu’il fallait donc reconquérir le client qui avait déjà manifesté son intention de changer éventuellement d’agence.

Je rappelle que lors de votre embauche – et ceci figure dans votre contrat de travail – il avait été prévu que vous seriez responsable du client Heineken « et tout particulièrement de la marque Desperados sur le plan international ».

***

Dans cet objectif de reconquête nous avions mobilisé toute l’équipe créative de l’agence et appelé en renfort les créatifs de notre partenaire allemand Serviceplan pour préparer au mieux cette réunion.

A l’issue du rendez-vous, il avait été prévu avec le client que l’agence lui présenterait un nouvel axe de communication le 25 juin à [Localité 5].

Or, sans vous soucier de votre équipe, vous avez disparu les 19 et 20 juin pour ne reprendre contact avec un créatif de l’agence que le dimanche 22 juin et lui demander, comme si de rien n’était, de venir travailler chez vous pour essayer de mettre quelque chose au point…

Du fait de cette « disparition » qui a laissé l’équipe créative sans management et surtout sans savoir quels seraient les axes créatifs qui pourraient être présentés au client le 25 juin, nous avons été obligés de lui demander un report du rendez-vous qui a été fixé cette fois à [Localité 7] le 3 juillet.

Il est évident que le client a parfaitement compris que nous avions un grave problème interne ce qui, compte tenu de notre situation déjà délicate, a très certainement pesé sur notre crédibilité.

Pour autant, vous n’avez pas donné la moindre explication sur vos absences des 19 et 20 juin.

Une telle désinvolture inadmissible dans un contexte aussi lourd de conséquences pour l’agence, constitue une faute grave.

Nous avons de plus appris par la suite, via votre page Facebook, que vous aviez en réalité passé ces deux journées des 19 et 20 juin avec des amis américains, n’hésitant pas à vous mettre en scène sur un manège dans une position particulièrement décontractée … pendant que vos équipes s’escrimaient à trouver des solutions !

* La réunion du 3 juillet 2014

Alors que les équipes s’étaient re-préparées pour la réunion du 3 juillet, vous avez pris l’initiative, sans en informer ni votre supérieur hiérarchique [O] [J], ni moi, ni votre équipe, de donner rendez-vous dans un hôtel au représentant de Serviceplan qui devait arriver d’Allemagne pour conforter notre présentation.

Ce rendez-vous aurait dû normalement avoir lieu à l’agence avec votre équipe pour que tout le monde soit en phase lors de la présentation.

Cette mise à l’écart a été particulièrement mal vécue par [T] [G], Directeur commercial en charge de ce budget, même si, informé au tout dernier moment, j’ai réussi à faire en sorte que ce rendez-vous ait lieu à l’agence, ce qui a calmé le jeu et redonné un peu de confiance à l’équipe.

Cette fois encore, vous avez voulu vous mettre en avant aux dépens de l’équipe et de l’agence, ce qui n’est pas admissible.

* Le projet de shoot à 100.000 €

Toujours dans le cadre de vos rapports avec Heineken pour Desperados France, sans informer ni [O] [J] ni moi, vous avez proposé à [E] [Y], Marketing manager global brands du client, de faire le prochain shoot Desperados à votre façon « pas de brief, pas de client, avec carte blanche et un budget de 100.000 € ».

Très fier de votre initiative, vous avez indiqué le 11 juillet dernier à l’agence que le client était d’accord et que tout était bouclé.

Or, renseignements pris par [F] [I], ce n’était pas le cas : vous aviez effectivement fait cette proposition, un peu saugrenue, mais le client ne l’avait pas acceptée. Il avait simplement indiqué que vous pouviez en parler à la personne concernée.

Encore une fois, vous avez agi seul, inventé une situation en nous mettant dans l’embarras vis-à-vis du client qui avait nettement l’impression qu’on avait essayé de lui forcer la main.

* Le rendez-vous du 18 juillet 2014 à [Localité 5]

Après [Localité 6] et [Localité 7], un dernier rendez-vous avait été fixé le 18 juillet à [Localité 5] à l’issue duquel le client devait nous faire part de sa décision définitive de continuer ou non à nous confier la communication internationale de Desperados.

Vous êtes arrivé sur place moins d’une heure avant ce rendez-vous, directement des Etats Unis, si bien que vous n’avez quasiment rien pu préparer avec l’équipe qui encore une fois, désemparée, vous attendait ou, au moins, attendait vos instructions ou vos recommandations’

Certes vous reveniez d’un déplacement aux Etats Unis censé avoir un rapport avec le budget Desperados puisque Heineken vous avait proposé de participer à un événement lié à la marque qui devait se dérouler à [Localité 10].

Toutefois, vous auriez dû prendre vos dispositions pour préparer suffisamment à temps et efficacement le rendez-vous du 18 juillet.

Là encore, vous n’avez eu aucun égard pour votre équipe préférant privilégier une opération qui vous mettait personnellement en avant.

A ceci s’ajoute le fait que vous ne nous avez rien dit de compréhensible sur ce que vous alliez faire exactement à [Localité 10].

Il est vrai, et vous me l’avez précisé lors de notre entretien, que vous avez envoyé quelques mails (dont certains ne nous sont jamais parvenus parce que vous aviez eu, m’avez-vous dit, des problèmes de transmission), mais d’une part ces mails étaient imprécis, et d’autre part ils nous laissaient croire que vous alliez organiser dans le cadre de l’événement une séance de tatouage éphémère comme cela se pratique dans les bars lors d’événements ponctuels liés à la marque.

Or j’ai été consterné d’apprendre par la suite que vous aviez en fait organisé sans mon aval une « performance » au cours de laquelle, devant les gens d’Heineken Amérique et tous ceux qui assistaient à l’événement, vous vous êtes fait tatouer de façon définitive un ours dans le dos.

C’était peut être déconcertant, intéressant ou amusant pour les spectateurs, mais cela pouvait avoir aussi tout l’effet contraire en tout cas pour certains d’entre eux et ne pas correspondre du tout à l’attente de décideurs qui devaient quelques jours plus tard choisir entre nous et une autre agence.

Il est évident que vous pouvez recueillir toutes les congratulations possibles sur votre initiative, mais cela ne change rien au fait d’une part que vous auriez dû m’informer et/ou informer auparavant [O] [J] de ce que vous mettiez réellement en place, et d’autre part que le 30 juillet, Heineken – via [P] [S] qui assistait à votre « performance » – nous annonçait que nous avions perdu le budget Desperados international.

J’ajoute que vous étiez parti à [Localité 10] en tant que salarié de notre agence et que vous n’aviez pas à prendre l’initiative de contacter sans notre accord un intervenant extérieur, la société Mama, pour qu’elle prenne en charge l’événement et surtout, se fasse payer directement son intervention (en ce y compris votre tatouage !’) par le client.

Vous avez mis ainsi l’agence dans une situation doublement gênante :

– d’une part vous avez mis au point votre numéro sans avoir son accord alors que le client pouvait penser que c’était le cas,

– et d’autre part, allant ainsi à l’encontre de toutes les règles, vous avez fait facturer cette prestation directement au client par votre « fournisseur » alors qu’une telle facturation aurait dû passer par l’agence.

Il est possible que cette « performance » ait fait parler de vous, mais en tout cas cela ne nous a pas servi. Comme je vous l’ai indiqué dans mon courrier du 30 juillet, j’ai été personnellement informé aussitôt après par [P] [S], Directeur marketing de Desperados, que même si le budget international nous était confié (ce qui malheureusement ne fut pas le cas), Heineken refuserait de travailler avec vous en tant que responsable du budget.

Ainsi et contrairement à ce que vous pensez, vos initiatives servent peut être votre notoriété, mais certainement pas l’agence qui pourtant vous emploie.

* Votre déplacement chez Serviceplan

Quelques jours après votre retour de [Localité 10], j’ai appris par Serviceplan que le 9 juillet précédent, après avoir posé une journée de congé, vous vous étiez rendu chez notre partenaire à [Localité 9], sans en avertir quiconque, et aviez déclaré à votre interlocuteur, étonné de votre démarche, que vous ne trouviez pas d’intérêt à travailler pour notre agence et que vous préféreriez voir ailleurs, et pourquoi pas directement chez Serviceplan.

En effectuant une telle démarche, vous saviez parfaitement, compte tenu de nos relations avec ce partenaire avec lequel nous étions déjà en discussion en vue d’un rapprochement, que vous alliez fortement perturber nos relations, créer une méfiance concernant nos capacités et nos compétences, et le cas échéant donner à ce partenaire des armes dans le cadre des négociations engagées.

Vous avez ainsi fait montre d’une parfaite déloyauté constitutive d’une faute grave et ce n’est pas parce que vous l’avez fait un jour de congé, comme vous l’avez prétendu dans votre courrier en réponse à mon mail du 30 juillet dernier, que ceci change quoi que ce soit…

2. VOTRE ATTITUDE INACCEPTABLE VIS-A-VIS DE L’AGENCE ET DE VOTRE EQUIPE

Les faits rappelés ci-dessus sont symptomatiques de ce que l’agence et ses collaborateurs vous reprochent dans votre façon de manager une équipe.

En tant que Digital et Integrates Creative Director, vous aviez des axes créatifs à proposer, à mettre en place ou à imposer, mais ceci, dans le cadre d’un travail d’équipe et sous la supervision et/ou l’accord selon le cas, de votre supérieur hiérarchique [O] [J], Directeur de la création.

Or au lieu d’être véritablement force de proposition, vous n’avez trop souvent procédé que par « coups » qui, et les derniers événements en témoignent, avaient principalement pour objectif de vous mettre personnellement en valeur et non pas l’agence.

Les commentaires que vous aviez l’habitude de faire à vos équipes n’étaient d’ailleurs pratiquement jamais constructifs, mais plutôt évasifs, et plusieurs collaborateurs ont eu à subir votre « méthode de travail» qui consistait souvent à les laisser en plan alors que vous auriez dû les orienter, les conseiller et les soutenir.

A titre d’exemple, outre ce qui a été rappelé ci-dessus, [D] [R] sur la campagne Desperados France 2014 a très mal vécu la solitude dans laquelle il s’est retrouvé, sans soutien, ce qui a eu des conséquences lourdes en ce qui le concerne.

L’attitude que vous aviez eue alors avec lui rejoint celle de ces derniers mois.

De toute évidence, ce n’est pas pour le compte de l’agence que vous travaillez, mais pour vos propres intérêts, ce dont témoigne encore le dépôt par vous et à votre nom de deux marques « Storywhispering » en juin et octobre 2013, dont nous avons incidemment appris l’existence, et qui correspondent à un concept publicitaire mis au point dans le cadre de votre activité pour l’agence.

Il est ainsi très clair que la notoriété que vous voulez vous forger passe bien avant l’intérêt de l’agence qui, elle, a un seul objectif gagner et conserver des clients et faire en sorte que les équipes, surtout créatives, se sentent respectées et encouragées.

Ce n’est certainement pas le cas lorsqu’on travaille en solo comme vous l’avez fait depuis le début et surtout depuis ces derniers mois, et lorsque vous vous moquez ouvertement dans un mail du 4 juillet dernier de deux de nos collaborateur et prestataire en leur suggérant de créer un tandem compte tenu de la consonance de leurs noms respectifs ([B][K] et [L] [U]…) .

Au cours de notre entretien du 3 septembre, vous vous êtes contenté de dire que rien de tout ceci n’était vrai, que vous aviez les meilleurs avocats, et qu’à cause d'[O] [J] vous étiez soigné pour harcèlement.

Ceci rejoint les thèmes que vous aviez déjà développés dans votre mail du 21 juillet, auquel j’avais répondu le 30 juillet, et dans votre courrier en réponse du 1er août.

Or les faits ci-dessus, incontestables, constituent un motif évident de licenciement pour fautes graves, cette qualification découlant à la fois de leur gravité pour certains d’entre eux et de leur accumulation pour les autres, ce à quoi s’ajoute la déloyauté dont vous avez fait preuve lors de votre déplacement à [Localité 9] le 9 juillet dernier.

Votre licenciement, privatif de préavis et d’indemnité conventionnelle, prendra donc effet à la date de première présentation de cette lettre. »

Le 17 octobre 2014, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de faire reconnaître l’existence d’un harcèlement moral et d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, de solliciter la nullité de son licenciement et sa réintégration et d’obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Le 25 septembre 2015, la société Dufresne Corrigan Scarlett est devenue la société Serviceplan Paris.

Par jugement du 19 septembre 2017, le conseil de prud’hommes de Nanterre (section encadrement) a :

– dit le licenciement de M. [N] par la société Serviceplan Paris anciennement dénommée Dufresne Corrigan Scarlett fondé sur une faute grave,

– débouté M. [N] de l’intégralité de ses prétentions,

– reçu la société Serviceplan Paris en sa demande reconventionnelle,

– condamné M. [N] à verser à la société Serviceplan Paris une somme de 1 000 euros au titre de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeté toute autre demande plus ample ou contraire des parties,

– laissé les éventuels dépens à la charge de M. [N].

Sur appel de M. [N],

par arrêt du 19 décembre 2019, la 11ème chambre de la cour d’appel de Versailles a :

– infirmé le jugement entrepris,

statuant de nouveau des dispositions infirmées,

– dit le licenciement de M. [N] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– condamné la société Serviceplan Paris, anciennement dénommée Dufresne Corrigan Scarlett, à payer à M. [N] les sommes suivantes :

. 46 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 6 230,73 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

. 22 657,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 2 265,72 euros à titre de congés payés afférents,

. 3 000 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles de procédure,

– ordonné à la société Serviceplan Paris, anciennement dénommée Dufresne Corrigan Scarlett, de remettre à M. [N], dans le mois suivant la signification du présent arrêt, l’attestation Pôle emploi, des bulletins de salaire et le certificat de travail rectifiés,

– dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

– débouté les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,

– condamné la société Serviceplan Paris, anciennement dénommée Dufresne Corrigan Scarlett, aux dépens de première instance et d’appel.

Sur pourvoi de la société, par arrêt du 29 septembre 2021, la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 19 décembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles, aux motifs suivants :

« Vu l’article L. 1331-1 du code du travail :

4. Selon ce texte, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

5. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’arrêt reproduit les termes du courriel litigieux adressé par le président au salarié et notamment son dernier paragraphe : « [O] qui me lit en copie comprendra avant d’envisager la suite à donner à une situation devenue de plus en plus difficile et incohérente, que j’ai préféré remettre les choses d’aplomb (…) ». Il retient que cet écrit adresse de nombreux reproches détaillés au salarié en dénonçant son attitude conduisant finalement le président à y indiquer « remettre les choses d’aplomb » et ce en lien avec des faits précis, visés de nouveau dans le cadre du licenciement disciplinaire. Il ajoute que, quand bien même ce courriel intervenait en réponse à une mise en cause de son supérieur hiérarchique formulée par le salarié dans un courriel du 21 juillet 2014 qui évoquait une campagne de déstabilisation psychologique et une agression verbale à son égard, l’employeur stigmatisait et reprochait de la sorte au salarié, et ce au-delà d’une simple contestation des faits dénoncés par l’intéressé, des manquements ultérieurement invoqués à l’appui de la rupture, en sorte que ce courriel, qui n’appelait pas d’autre explication du salarié et qui a été envoyé 24 heures avant l’engagement de la procédure de licenciement, s’analysait en une sanction disciplinaire.

L’arrêt en déduit, l’employeur ayant déjà fait usage de son pouvoir disciplinaire, que la règle « non bis in idem » faisait obstacle au prononcé du licenciement.

6. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que le courriel du 30 juillet 2014 ne traduisait pas la volonté du président de la société de sanctionner par lui-même les faits, la cour d’appel a violé le texte susvisé.»

Elle a remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée, laquelle a été saisie par déclaration adressée au greffe le 6 décembre 2021 par M. [N].

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 4 octobre 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [N] demande à la cour de :

– le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

y faisant droit,

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en date du 19 septembre 2017 dont appel en l’ensemble de ses dispositions,

et par conséquent,

– fixer le salaire de référence à la somme de 7 552,40 euros,

à titre principal,

– constater que le mail du 30 juillet 2014 de la société Serviceplan Paris constituait une sanction disciplinaire,

– constater que la lettre de licenciement du 15 septembre 2014 lui reproche exactement les mêmes faits que ceux déjà sanctionnés dans le mail du 30 juillet 2014 de la société Serviceplan Paris,

– constater que la société Serviceplan Paris a violé l’article L. 1331-1 du code du travail, ensemble le principe « non bis in idem » selon lequel un salarié ne peut être sanctionné deux fois pour un même fait,

– condamner la société Serviceplan Paris à lui verser les sommes nettes de :

. 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 6 230,73 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

. 22 657,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis (3 mois),

. 2 265,72 euros à titre de congés payés afférents,

. 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

à titre subsidiaire,

– constater que le licenciement pour faute grave ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,

– condamner la société Serviceplan Paris à lui verser les sommes nettes de :

. 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 6 230,73 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

. 22 657,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis (3 mois),

. 2 265,72 euros à titre de congés payés afférents,

. 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

en toute hypothèse,

– assortir ces condamnations aux intérêts au taux légal à compter du jour de l’introduction de la demande,

– condamner la société Serviceplan Paris à lui remettre les bulletins de salaire, une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conformes à l’arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 8ème jour calendaire après la notification et ce jusqu’à la délivrance de la totalité des documents conformes,

– condamner la société Serviceplan Paris aux entiers dépens d’instance et éventuels frais d’exécution.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Serviceplan Paris demande à la cour de :

– la recevoir en ses présentes écritures,

– les déclarer bien fondées,

en conséquence,

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 19 septembre 2017 en l’ensemble de ses dispositions,

– dire notamment qu’aucune violation de l’article L 1331-1 du code du travail n’est caractérisée en l’espèce,

– dire que le licenciement de M. [N] est fondé sur des faits constitutifs de faute(s) grave(s),

– débouter M. [N] de toutes ses demandes, fins et prétentions,

– condamner M. [N] au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Minault Teriitehau agissant par Maître Teriitehau, avocat, et ce conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la rupture

Sur le principe de non-cumul des sanctions

Le salarié soutient que le courriel de l’employeur du 30 juillet 2014 dans lequel il émet plusieurs reproches à son encontre est constitutif d’un avertissement de sorte que les mêmes faits invoqués dans la lettre de licenciement ont déjà été sanctionnés et ne pouvaient fonder son licenciement, ce que l’employeur conteste.

L’article L1331-1 du code du travail prévoit que constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

La qualification de sanction requiert la réunion de deux conditions cumulatives :

l’existence d’un agissement considéré comme fautif par l’employeur et

la caractérisation d’une volonté de l’employeur de sanctionner cet agissement.

Au cas présent, il ressort des termes du courriel du 30 juillet 2014 de M. [M], président de la société, que ce dernier a entendu répondre aux faits allégués par le salarié dans son courriel du 7 juillet 2014 adressé à M. [J], dont lui-même était destinataire en copie. S’il y est fait référence à des faits qui seront repris dans la lettre de licenciement à titre de griefs, M. [M] conclut comme suit son courriel au salarié : « [O] [[J]] qui me lit en copie comprendra avant d’envisager la suite à donner à une situation devenue de plus en plus difficile et incohérente, que j’ai préféré mettre les choses d’aplomb car la goutte d’eau qui a fait déborder le vase n’est pas celle que tu crois’ », ce dont il s’évince qu’il n’entendait pas donner lui-même une autre suite que ce courriel à ces faits.

Ainsi, si ce courriel formule des reproches à l’égard du salarié, il ne traduit pas la volonté du président de la société de sanctionner par lui-même ces faits de sorte qu’il n’est pas constitutif d’une sanction disciplinaire.

Ainsi que l’ont retenu les premiers juges, par ce courriel, l’employeur n’a pas épuisé son pouvoir disciplinaire à l’égard du salarié.

Sur la faute grave

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ; la charge de la preuve incombe à l’employeur qui l’invoque. En retenant l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, les juges du fond écartent par là même toute autre cause de licenciement.

A titre liminaire, il convient d’indiquer que les société Service Plan et Dufresne Corrigan Scarlett était partenaires commerciales, avant leur rapprochement en 2015.

Sont reprochés au salarié :

sa gestion et son comportement concernant le dossier Heineken/Desperados

Les éléments versés au débat ne suffisent pas à caractériser l’absence du salarié les 19 et 20 juin 2014, son indisponibilité à l’égard de son équipe, le fait qu’il soit la cause du report de rendez-vous avec le client au 3 juillet 2014, l’organisation à son initiative d’une réunion le 3 juillet 2014 avec le représentant de ServicePlan dans un hôtel en tête-à-tête et non au sein de l’agence et l’absence de préparation du rendez-vous du 18 juillet 2014 à [Localité 5].

Les courriels entre l’employeur, le salarié et M. [Y], marketing manager global brands du client, confirment toutefois que le salarié a affirmé à son employeur que le client avait accepté une proposition de shoot à 100 000 euros alors qu’en réalité, le client a seulement accepté le principe d’un shoot avec des détails à négocier.

Quant à l’évement à [Localité 10], les échanges de courriels entre le salarié et l’employeur démontrent que le salarié a informé son employeur des détails de l’événement qu’il a organisé, y compris son tatouage en direct et de l’intervention d’un prestataire extérieur, avant la tenue de cet événement de sorte que les griefs relatifs à cet évènement ne sont pas établis.

L’employeur ne démontre d’ailleurs pas s’être opposé aux choix opérés par le salarié et ne justifie pas des règles relatives à la sous-traitance et à la facturation que le salarié n’aurait pas respectées.

Enfin, l’employeur n’établit pas la perte du client ni que celle-ci serait partiellement imputable au salarié.

Seule l’information incorrecte du salarié à l’employeur concernant la proposition de shoot à 100 000 euros est établie.

son déplacement le 9 juillet 2014 chez Service Plan, alors partenaire de l’employeur, et ses propos dénigrants à l’égard de la société Dufresne Corrigan Scarlett

Il n’est pas contesté que le salarié a rencontré, pendant ses congés, à titre personnel, M. [X], ‘chief creative officer’ de la société Service Plan, le 9 juillet 2014.

Dans son courriel du 30 juillet 2014 à M. [J], M. [C], salarié de Service Plan, indique que M. [X] l’a informé que M. [N] lui avait fait part de son insatisfaction au sein de la société Dufresne Corrigan Scarlett et qu’il serait interessé pour travailler au sein de la société Service Plan.

Cependant, cette seule phrase ne suffit pas à caractériser un dénigrement de la part du salarié à l’égard de son employeur.

Le manquement n’est pas établi.

son comportement managérial : absence de management de son équipe, travail irrégulier et uniquement dans son intérêt notamment pour se mettre en avant

Les attestations concordantes et précises de M. [R], directeur artistique de juillet 2002 à mai 2015, et de M. [A], également directeur artistique au sein de la société établissent un manque général de management, d’implication et de sérieux du salarié dans la réalisation de ses missions.

A titre d’exemple, M. [R] cite la compétition Porsche lors de laquelle il explique que ‘travailler avec M. [N] signifiait que tout allait être désorganisé, fait au dernier moment, en dépit du bon sens et qu’il fallait lui courir après en permanence pour espérer lui parler. Sa présence aux réunions n’était jamais assurée. Enfin les moyens financiers qu’il mettait en ‘uvre étaient très souvent disproportionnés et inutiles’.

M. [A] évoque quant à lui « son amateurisme, sa désinvolture et son manque d’implication dans le quotidien », ajoutant que « De très nombreuses fois, j’ai été à sa recherche afin de lui faire valider des prises vidéo. »

En synthèse sont établis l’information incorrecte du salarié à l’employeur concernant la proposition de shoot au client Heineken/Desperados et le manque de management, d’implication et de sérieux du salarié dans l’exécution de sa prestation de travail.

Ces faits qui ne rendaient pas impossible le maintien du salarié dans l’entreprise constituaient toutefois une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Infirmant le jugement, le licenciement pour faute grave du salarié sera requalifié en licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse de sorte qu’il y a lieu de condamner l’employeur au paiement des indemnités de rupture, dont les montants ne sont pas discutés et sont calculés par le salarié sur la base d’une rémunération mensuelle brute qu’il fixe à la somme, non contestée par l’employeur, de 7 552,40 euros de sorte que les sommes suivantes, sollicitées en net, seront accordées en brut :

– 6 230,73 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 22 657,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 2 265,72 euros à titre de congés payés afférents.

Il sera également ordonné à l’employeur de lui remettre les documents de fin de contrat conformes au présent arrêt, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette mesure d’une astreinte.

Sur les intérêts

Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant, l’employeur sera condamné aux dépens de première instance et d’appel en ce compris ceux de l’instance sur renvoi après cassation, et débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il sera également condamné à payer au salarié la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel en ce compris ceux de l’instance sur renvoi après cassation.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a condamné le salarié à payer à l’employeur la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort :

Vu l’arrêt rendu le 29 septembre 2021 par la Cour de cassation,

INFIRME le jugement entrepris mais seulement en ce qu’il a dit le licenciement de M. [N] fondé sur une faute grave et déboute M. [N] de ses demandes d’indemnité conventionnelle de licenciement, d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents,

LE CONFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,

DIT que le licenciement de M. [N] repose sur une cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Serviceplan Paris à payer à M. [N] les sommes suivantes :

– 6 230,73 euros bruts à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 22 657,20 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 2 265,72 euros bruts à titre de congés payés afférents,

ORDONNE à la société Serviceplan Paris de remettre à M. [N] une attestation Pôle emploi, un bulletin de salaire récapitulatif et un certificat de travail conformes au présent arrêt,

REJETTE la demande d’astreinte,

DIT que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du jour de la réception par l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation,

DÉBOUTE la société Serviceplan Paris de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Serviceplan Paris à payer à M. [N] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel, en ce compris ceux de l’instance sur renvoi après cassation,

CONDAMNE la société Serviceplan Paris aux dépens de première instance et d’appel.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x