Licenciement disciplinaire : 3 février 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/09138

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Licenciement disciplinaire : 3 février 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/09138

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT AU FOND

DU 03 FEVRIER 2023

N° 2023/035

Rôle N° RG 19/09138 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BEMLL

[L] [G] [R]

C/

[B] [X] liquidateur judiciaire de la SARL AMBASSADE DE BRETAGNE LES DOCKS

Association AGS CGEA DE [Localité 6]

SARLU AMBASSADE DE BRETAGNE

Copie exécutoire délivrée

le :

03 FEVRIER 2023

à :

Me Emilie MILLION-ROUSSEAU de la SELARL RACINE, avocat au barreau de MARSEILLE

Maître [B] [X]

Me Stéphanie BESSET-LE CESNE, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Florence BLIEK-VEIDIG, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARSEILLE en date du 06 Mai 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F 18/01507.

APPELANT

Monsieur [L] [G] [R], demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Emilie MILLION-ROUSSEAU de la SELARL RACINE, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Lola ZUCCHELLI, avocat au barreau de Marseille

INTIMES

Maître [B] [X] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARLU AMBASSADE DE BRETAGNE LES DOCKS, demeurant [Adresse 2]

non comparant

La société AMBASSADE DE BRETAGNE, SARLU, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Florence BLIEK-VEIDIG, avocat au barreau de MARSEILLE

Association AGS CGEA DE [Localité 6], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Stéphanie BESSET-LE CESNE, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Madame Emmanuelle CASINI, Conseiller

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Février 2023.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Février 2023

Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Monsieur [L] [R] a été engagé par la SARLU AMBASSADE DE BRETAGNE (RCS Avignon 515 220 226) suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel (20 heures par semaine) du 22 octobre 2012, en qualité de serveur, statut employé, niveau 1, échelon 2.

Par avenant du 5 février 2013, la durée du travail hebdomadaire de Monsieur [R] a été portée à 28 heures et à compter du 1er juin 2013, Monsieur [R] a travaillé à temps complet.

Par avenant du 1er février 2014, Monsieur [R] a été promu en qualité d’assistant manager, niveau II, échelon 1 et par avenant du 1er octobre 2014, il a été promu au niveau II, échelon 3.

Le 9 mai 2017, le contrat de travail de Monsieur [R] a été transféré à la SARLU AMBASSADE DE BRETAGNE – LES DOCKS (RCS Marseille 813 601 515) exploitant une crêperie nouvellement ouverte dans le centre commercial des Docks à [Localité 6].

Le 6 juillet 2017, Monsieur [R] s’est vu notifier un avertissement et le 8 juillet 2017 une mise à pied à titre conservatoire ainsi qu’une convocation à entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 18 juillet 2017.

Par courrier du 21 juillet 2017, Monsieur [R] a été licencié pour faute grave dans les termes suivants :

« Vous avez fait l’objet d’un avertissement le lundi 26 juin dernier émanant de votre supérieur hiérarchique [Z] [W] [F].

Cette dernière a en effet consigné par écrit une difficulté régulière que nous rencontrons avec vous, à savoir vous arrivez à votre poste de travail avec un systématique retard qui devient intolérable.

Ce lundi 26 juin, vous êtes arrivé à midi au lieu de 9h30, sans aucune explication, si ce n’est que vous aviez dimanche soir 25 juin, passé une soirée très festive et très arrosée, ce qui vous a empêché de vous réveiller à l’heure.

[Z] [W] [F] vous a, en conséquence, très clairement exposé que cette attitude était un total manque de sérieux et de professionnalisme dans vos fonctions et que vous aviez précédemment été, à de nombreuses reprises, oralement averti de l’obligation d’arriver à l’heure.

Cet avertissement vous a particulièrement contrarié, et vous avez souhaité prendre une revanche à l’égard de l’entreprise.

Aussi, le mardi 27 juin, soit le lendemain, vous avez accueilli pour le service du soir des clients qui avaient réservé une table pour 20 à 25 personnes.

Vous avez fait croire à ses clients en consultant le cahier des réservations, qu’aucune réservation n’avait été faite pour eux, et que le restaurant ne pouvait pas les accueillir.

L’ensemble de ces personnes est donc parti dépité pour aller dîner ailleurs.

La réalité de cet événement est toute autre.

La réservation était bien faite et que vous avez délibérément, pour nuire à l’entreprise, refusé les clients et ainsi, privé l’entreprise d’un chiffre d’affaires conséquent car recevoir en pleine semaine 20 à 25 personnes est une grande chance pour un établissement de restauration situé aux Docks ‘ Centre Commercial Les Docks, lieu commercial totalement sinistré.

Non content de mentir aux clients et de priver l’entreprise de ce chiffre d’affaires, vous avez envoyé des SMS à votre responsable [Z], lui suggérant qu’elle aurait mal exécuté son travail en ne consignant pas une réservation qu’elle aurait eue par téléphone.

Vous l’avez déstabilisée, vraisemblablement par vengeance de l’événement de la veille.

Cette dernière, étant à son domicile avec ses enfants en bas âge (son petit garçon n’a que quelques mois), ne s’est pas rappelé de la réservation sur le moment.

Vos SMS l’ont laissée dans un embarras et une très forte culpabilité jusqu’à penser qu’elle n’était plus capable d’organiser l’établissement. Et vous avez effacé la réservation qui était bien indiquée sur le cahier dédié à cela, car [Z] inscrit au crayon à papier les réservations. Vous avez tout simplement, au moyen d’une gomme, effacé cette réservation.

Votre supérieur hiérarchique, à savoir [Z], a fini par retrouver l’événement, s’est souvenu du coup de fil de ses clients et s’est revue noter parfaitement la réservation.

Elle a été surprise le lendemain de constater qu’une ligne était effacée sur le cahier des réservations.

[Z] vous a, dès le 28 juin, mis devant cette évidence que vous avez continué de nier.

L’établissement étant doté de caméras pour raison de sécurité évidente, [Z] a alors visionné avec vous la soirée du 27 et elle a pu constater en votre présence, l’ensemble de cette chronologie de fait et notamment la suppression par vos soins de la réservation.

Au demeurant, vous avez ce soir-là eu 25 couverts pour un restaurant pouvant contenir plus d’une centaine, aussi, et quand bien même cette réservation n’était pas inscrite, il vous appartenait en votre qualité de manager du restaurant AMBASSADE DE BRETAGNE, de recevoir ses clients et de les servir avec diligence et professionnalisme.

Vous avez donc par votre attitude souhaité délibérément nuire à l’entreprise en la privant d’un chiffre d’affaires et ainsi, vous avez gravement failli à votre mission.

Lors de l’entretien du 18 juillet dernier, vous n’avez d’ailleurs pas contesté la réalité de cet événement, vous vous êtes contenté d’expliquer que vous étiez en colère suite à l’avertissement de la veille.

Vous avez en effet poursuivi votre argumentation, en indiquant qu’à compter du 26 juin, vous ne considériez plus avoir votre place dans l’entreprise et qu’ainsi, vous vous sentiez d’ores et déjà extérieur à cette dernière.

Cette attitude déloyale relève de la faute grave qui ne permet plus la poursuite du contrat de travail nous liant.

Le licenciement pour faute grave entraîne la rupture du contrat de travail à réception de ce présent courrier recommandé ».

Contestant son licenciement, Monsieur [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Marseille, par requête du 15 novembre 2017.

Par jugement du 6 mai 2019, le conseil de prud’hommes de Marseille a :

– requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse.

– condamné la société AMBASSADE DE BRETAGNE à payer à Monsieur [R] les sommes suivantes :

* 3.975,66 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis.

* 397,56 € au titre des congés payés afférents.

* 2.000 € au titre de l’indemnité légale de licenciement.

* 979,06 € au titre de la mise à pied conservatoire.

* 97,90 au titre des congés payés afférents.

* 3.000 € à titre de dommages-intérêts pour violation du repos quotidien.

* 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– débouté Monsieur [R] du surplus de ses demandes.

– débouté la SA AMBASSADE DE BRETAGNE de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s’élève à la somme de 1.987,83 €.

– condamné la partie défenderesse aux entiers dépens.

Par déclaration d’appel du 5 juin 2019, la société AMBASSADE DE BRETAGNE- LES DOCKS a interjeté appel de ce jugement.

Par déclaration d’appel du 6 juin 2019, Monsieur [R] a également interjeté appel de ce jugement à l’encontre de la société AMBASSADE DE BRETAGNE et de la société AMBASSADE DE BRETAGNE-LES DOCKS.

Par ordonnance du magistrat de la mise en état du 20 janvier 2020, les procédures ont été jointes et il a été dit que l’affaire sera suivie sous le seul numéro 19/91138.

La société AMBASSADE DE BRETAGNE ‘ LES DOCKS a fait l’objet d’une liquidation judiciaire le 5 octobre 2020.

Suivant dernières conclusions, signifiées par acte d’huissier de justice du 11 février 2021 à Maître [X] et au CGEA-AGS, Monsieur [R] demande à la cour de :

– déclarer l’appel de Monsieur [R] recevable aussi bien à l’égard de la société AMBASSADE DE BRETAGNE-LES DOCKS que de la société AMBASSADE DE BRETAGNE.

– infirmer le jugement du 6 mai 2019.

Et, statuant à nouveau,

– fixer le salaire moyen de Monsieur [R] à la somme de 2.023,08 € bruts.

– dire et juger que le licenciement intervenu est sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence,

– fixer au passif de la société AMBASSADE DE BRETAGNE-LES DOCKS les sommes suivantes:

* mise à pied à titre conservatoire : 979,06 € bruts

* congés payés afférents : 97,91 € bruts

* indemnité compensatrice de préavis : 4.046,16 € bruts

* indemnité de congés payés afférents au préavis : 404,62 € bruts

* indemnité de licenciement : 2.000 € nets

* dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 20.000 € nets

– ordonner à Maître [X], en qualité de mandataire liquidateur, de modifier les documents de rupture sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la notification de l’arrêt.

– se réserver le droit de liquider l’astreinte prononcée.

– fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société AMBASSADE DE BRETAGNE – LES DOCKS et condamner solidairement la société AMBASSADE DE BRETAGNE à verser la somme de 15.000 € nets de CSG-CRDS de dommages-intérêts pour violation du repos quotidien de 11 heures.

– condamner la société AMBASSADE DE BRETAGNE à payer à Monsieur [R] la somme de 2.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

– dire et juger que les sommes porteront intérêts à compter du jour de la demande en justice et que les intérêts de ces sommes seront capitalisés.

– dire et juger que le jugement prononcé est opposable au CGEA.

– condamner la société AMBASSADE DE BRETAGNE aux entiers dépens.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 30 octobre 2019, la société AMBASSADE DE BRETAGNE demande à la cour de :

– déclarer irrecevable la demande de Monsieur [R] à l’égard de la société AMBASSADE DE BRETAGNE.

– dire et juger qu’il est d’une bonne administration de la justice de joindre cette procédure à la procédure pendante devant la 4.1 portant la numéro RG : 19/09083.

– débouter Monsieur [R] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre reconventionnel :

– réformer les dispositions du jugement.

– en conséquence, dire et juger que le licenciement de Monsieur [R] du 21 juillet 2017 est justifié d’une faute grave.

– dire et juger la procédure de licenciement disciplinaire de Monsieur [R] licite et régulière.

– débouter Monsieur [R] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

– condamner Monsieur [R] à verser à l’entreprise AMBASSADE DE BRETAGNE la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Suivant conclusions n°2 signifiées par acte d’huissier du 29 avril 2021, l’UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 6] demande à la cour :

– vu les articles L.3253-6 à L.3253-21 du code du travail régissant le régime de garantie des salaires, vu l’article L. 624-4 du code de commerce, vu les articles 6 et 9 du code de procédure civile, vu la mise en cause de l’AGS-CGEA par Monsieur [R] sur le fondement de l’article 625-3 du code de commerce.

– donner acte au concluant de ce qu’il s’en rapporte sur le fond à l’argumentation développée par l’employeur de Monsieur [R] représenté par son mandataire liquidateur.

– réformer en conséquence la décision attaquée, en ce qu’il a été accordé à Monsieur [R] :

* 3.975,66 € à titre de préavis et les congés y afférents

* 2.000 € au titre de l’indemnité de licenciement

* 979,06 € au titre de la mise à pied conservatoire et les congés y afférents

* 3.000 € au titre de la violation du repos quotidien

* 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– le débouter de l’ensemble de ses demandes.

– à titre subsidiaire, confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse.

– diminuer dans d’importantes proportions la somme allouée au titre de la violation du repos compensateur.

– en tout état rejeter la demande de condamnation solidaire du concluant avec la société AMBASSADE DE BRETAGNE.

– rejeter les demandes infondées et injustifiées et ramener à de plus justes proportions les indemnités susceptibles d’être allouées au salarié.

– débouter Monsieur [R] de toute demande de condamnation sous astreinte ou au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et en tout état, déclarer le montant des sommes allouées inopposable à l’AGS- CGEA.

– en tout état, constater et fixer en deniers ou quittances les créances de Monsieur [R] selon les dispositions des articles L. 3253-6 à L.3253-21 et D.3253-1 à D.3253-6 du code du travail.

– dire et juger que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L.3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L.3253-19 et L.3253-17 du code du travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L.3253-17 et D. 3253-5 du code du travail, plafond qui inclut les cotisations et contributions sociales et salariales d’origine légale, ou d’origine conventionnelle imposée par la loi, ainsi que la retenue à la source prévue à l’article 204 A du code général des impôts.

– dire et juger que les créances fixées, seront payables sur présentation d’un relevé de créance par le mandataire judiciaire, et sur justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l’article L.3253-20 du code du travail.

– dire et juger que le jugement d’ouverture de la procédure collective a entraîné l’arrêt des intérêts légaux et conventionnels en vertu de l’article L.622-28 du code de commerce.

Maître [X], mandataire liquidateur de la société AMBASSADE DE BRETAGNE -LES DOCKS, n’a pas constitué avocat.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l’appel à l’égard de la société AMBASSADE DE BRETAGNE

La société AMBASSADE DE BRETAGNE demande de constater l’irrecevabilité de l’appel à son égard au motif que l’employeur de Monsieur [R] est, depuis le 9 mai 2017, la société AMBASSADE DE BRETAGNE-LES DOCKS, du fait du transfert du contrat de travail. De ce fait, la société AMBASSADE DE BRETAGNE, SARLU immatriculée au RCS d’Avignon sous le numéro 515220 226, dont le siège social est sis [Adresse 3], est tierce au contrat de travail intéressant Monsieur [R], et de fait est étrangère au licenciement dont la cour est saisie puisque le licenciement est intervenu du fait de son employeur, la société AMBASSADE DE BRETAGNE – LES DOCKS, SARLU immatriculée au RCS de MARSEILLE sous le numéro 813 601 515, dont le siège social est sis [Adresse 5].

Monsieur [R] réplique que si les demandes ayant trait à la rupture du contrat de travail sont bien exclusivement formulées à l’encontre de la société AMBASSADE DE BRETAGNE ‘ LES DOCKS, en revanche, la demande de dommages-intérêts pour violation du repos quotidien de 11 heures concerne à la fois la période antérieure et la période postérieure au transfert du contrat. Elle est donc valablement formulée à l’encontre des deux sociétés. Monsieur [R] considère que l’appel formé est recevable à l’égard des deux sociétés en cause et demande à la cour de rejeter la demande d’irrecevabilité formulée.

*

Il ressort des conclusions de Monsieur [R] que celui-ci présente, notamment, une demande de dommages-intérêts au titre de la violation du repos quotidien qui vise la période antérieure au transfert du contrat de travail, lorsqu’il était engagé par la société AMBASSADE DE BRETAGNE et dirige sa demande à l’encontre de cette dernière.

Dans ces conditions et dès lors que, même en cas de transfert du contrat de travail, le salarié peut agir en paiement directement contre son premier employeur, l’appel dirigé à l’encontre de la société AMBASSADE DE BRETAGNE (RCS Avignon 515 220 226) est parfaitement recevable.

Sur le licenciement

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis. Elle doit être prouvée par l’employeur.

Maître [X], mandataire liquidateur de la société AMBASSADE DE BRETAGNE – LES DOCKS n’a pas constitué avocat et n’a donc pas communiqué de conclusions et de pièces en cause d’appel pouvant justifier du bien fondé du licenciement.

L’UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 6] n’a pas signifié de bordereau de pièces et ne produit aucune pièce à la procédure.

Il ressort du jugement que le conseil de prud’hommes s’est appuyé sur certaines pièces qui avaient été produites en première instance, notamment la copie d’une vidéo provenant d’une des caméras de surveillance de l’établissement (caméra située derrière la caisse) datée du 27 juin 2017, mais le conseil de prud’hommes a constaté ‘que la personne est située dos à la caméra et face à la caisse ; M. [L] [R], ne contestant pas qu’il s’agit bien de lui’ mais que ‘cette vidéo ne démontre pas qu’il est en train d’effacer une quelconque mention sur un carnet, d’autant que le carnet n’est pas présent dans la vidéo et qu’on assiste plutôt à la réalisation de cafés de type «expresso», tout en constatant qu’il pose une gomme à côté d’un panier semblant contenir des sucres’. Le conseil de prud’hommes a également relevé que ‘les divers commentaires de clients concernant l’accueil et le service ne sont jamais nominatifs et qu’ils ne mettent pas en cause le requérant et qu’ils sont contradictoires, ne permettant pas d’attribuer à M. [L] [R] une quelconque responsabilité dans la dégradation éventuelle de 1’image du Restaurant’.

Le conseil de prud’hommes a relevé que l’employeur se prévaut d’un courriel du 9 Mars 2018 de Mme [A] [D] de la société IRD, qui ‘n’évoque pas un accueil discourtois de la part du personnel du restaurant, et notamment de l’assistant-manager, M. [L] [R]’.

Enfin, concernant les faits reprochés selon lesquels Monsieur [R] se serait abstenu d’accueillir le groupe de clients dès lors que la capacité du restaurant le permettait et de ne pas avoir servi ces clients avec diligence et professionnalisme, grief retenu par le conseil de prud’hommes pour fonder le licenciement sur une cause réelle et sérieuse, Monsieur [R] produit l’échange de mails qu’il a eu avec Madame [W] duquel il ressort qu’il a indiqué à cette dernière : (sic) ‘je leur ait dit il n’y a pas de soucis venez je vous prépare les 30 personnes que vous êtes (…) Justement quand je leur ai dit de venir elle m’a dit : ‘là c’est trop tard’ ‘.

Il en résulte que la SARL AMBASSADE DE BRETAGNE – LES DOCKS ne rapporte pas la preuve des griefs évoqués dans la lettre de licenciement.

Il s’ensuit que non seulement le licenciement de Monsieur [R] ne repose pas sur une faute grave mais est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il convient donc d’accorder à Monsieur [R] la somme de 979,06 € au titre du rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire et la somme de 97,90 € au titre des congés payés afférents.

Il convient également d’allouer à Monsieur [R] la somme de 4.046,16 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, la somme de 404,61 € au titre des congés payés afférents et la somme de 1.921,91€ au titre de l’indemnité de licenciement (selon les dispositions de l’article R.1234-2 du code du travail dans sa version applicable au litige, soit : [1/5 x 2.023,08 x 4 ans) + (404,61 x 9/12)]).

En application – non contestée par le CGEA – des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, et compte tenu de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (29 ans), de son ancienneté (4 ans révolus), de sa qualification, de sa rémunération (2.023,08 €), des circonstances de la rupture mais également de l’absence de justification de sa situation professionnelle postérieurement à la rupture du contrat de travail ou de sa prise en charge par Pôle Emploi, il sera accordé à Monsieur [R] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 12.200 €.

La remise d’une attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail et d’un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s’impose sans qu’il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance de Maître [X], mandataire liquidateur de la SARL AMBASSADE DE BRETAGNE ‘ LES DOCKS, n’étant versé au débat.

Sur la demande de dommages-intérêts pour violation du repos quotidien de 11 heures

Monsieur [R] fait valoir que, comme le démontrent les plannings communiqués, presque chaque soir, il terminait son service entre 23 heures et minuit et reprenait le lendemain entre 9 heures et 10 heures, de sorte qu’il n’a ainsi bénéficié, pendant de nombreuses années, que d’un repos quotidien de seulement 9 ou 10 heures consécutives. Monsieur [O] [U], gérant, a toujours pris part à l’élaboration des plannings puisqu’il en était, soit l’expéditeur par courriel, soit il était en copie des mails de transmission des plannings au personnel, de sorte qu’il était toujours parfaitement informé des horaires imposés à chacun pour que le restaurant puisse fonctionner correctement. Monsieur [R] explique que, dans le cadre de ses fonctions de manager, il envoyait à Monsieur [U], chaque mois, les décomptes des heures réellement effectuées qui faisaient systématiquement apparaître des violations du repos quotidien de 11 heures. Il considère donc que la société AMBASSADE DE BRETAGNE ne peut pas valablement prétendre ne pas avoir été mise au courant de la violation permanente de son droit au repos quotidien et est pleinement responsable, en sa qualité d’employeur, de la violation grave, car permanente et durable, de ce droit, ce qui justifie la somme de 15.000 € à titre de dommages-intérêts.

La société AMBASSADE DE BRETAGNE soutient que la demande devra être écartée car la réalisation des plannings relevait de la seule compétence de Monsieur [R], comme cela ressort des échanges de mails produits, et le logiciel mis en place ne permet pas de manquer aux obligations de repos en ce qu’il est programmé pour signaler les erreurs et anomalies. Lorsque Monsieur [U] a demandé des précisions au responsable technique du dispositif, celui-ci l’a informé que les derniers fichiers remis par Monsieur [R] avaient été trafiqués. Ainsi, à supposer les dits manquements avérés, aucune volonté de fraude ne peut être imputée à l’employeur qui avait légitiment confié cette tâche à son manager, Monsieur [R]. Par ailleurs, la société AMBASSADE DE BRETAGNE indique que les feuilles de pointage de Monsieur [R] démontrent des retards ou des absences de pointage et, in fine, le fait que Monsieur [R] notait les heures qu’il voulait, l’employeur l’ayant alerté sur cette pratique.

L’UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 6] demande de rejeter la demande car le préjudice n’est pas établi par Monsieur [R] et, en tout état de cause, de diminuer le montant des sommes réclamées.

*

L’examen des pièces produites par Monsieur [R] permet de constater qu’elles ne concernent que la période antérieure au transfert du contrat de travail du salarié, intervenu le 9 mai 217, et donc que la relation de travail avec la société AMBASSADE DE BRETAGNE. Ainsi, Monsieur [R] ne démontre pas de manquement de la part de la société AMBASSADE DE BRETAGNE ‘ LES DOCKS relativement à la prise du repos quotidien.

Les plannings produits démontrent que le repos quotidien de Monsieur [R] n’était pas respecté, et ce depuis le début de la relation de travail et de façon très régulière.

Par ailleurs, les échanges de mails attestent que l’employeur était parfaitement informé de cette situation puisque, soit les plannings élaborés par Monsieur [R] lui étaient adressés en copie soit l’employeur adressait des plannings qu’il avait lui-même élaborés et qui comportaient des violations au droit du repos quotidien du salarié (par exemple le planning de la semaine du 4 au 10 juillet 2016).

Ainsi, nonobstant les explications concernant les alertes générées par le logiciel permettant l’élaborer les plannings, les éléments produits par Monsieur [R] démontrent que la société AMBASSADE DE BRETAGNE avait parfaitement connaissance de la violation du droit au repos quotidien de Monsieur [R] et que, utilisant ce même logiciel, elle procédait de même.

La société AMBASSADE DE BRETAGNE produit un relevé de ‘badgeage’ du 1er janvier 2016 au 29 avril 2017 qui indique que certains jours, Monsieur [R] n’avait pas mentionné ses heures d’arrivée ou de départ. Cependant, ces relevés démontrent également que, régulièrement et sur les périodes renseignées, le droit au repos quotidien de Monsieur [R] n’était pas respecté.

Ainsi, alors que l’employeur ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du respect du droit au repos du salarié, les éléments soumis à la cour établissent la faute de la société AMBASSADE DE BRETAGNE en cette matière.

Le seul constat du défaut de respect des règles relatives au repos quotidien de onze heures caractérise une atteinte à la sécurité, à la santé et à la vie de famille du salarié. De ce fait, et compte tenu du caractère systématique des manquements de la société AMBASSADE DE BRETAGNE, il convient de la condamner à payer à Monsieur [R] la somme de 4.000 € à titre de dommages-intérêts.

Sur les intérêts

Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation, soit à compter du 17 novembre 2017, et les sommes allouées de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jugement pour la partie confirmée et à compter du présent arrêt pour le surplus.

Il convient d’ordonner la capitalisation des intérêts qui est de droit lorsqu’elle est demandée.

Comme le sollicite le CGEA de [Localité 6], il convient de rappeler que le jugement d’ouverture de la procédure collective opère arrêt des intérêts légaux et conventionnels à l’égard de la SARL AMBASSADE DE BRETAGNE-LES DOCKS.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

Il est équitable de condamner la société AMBASSADE DE BRETAGNE à payer à Monsieur [R] la somme de 2.000 € au titre des frais non compris dans les dépens qu’il a engagés en première instance et en cause d’appel.

Les dépens de première instance et d’appel seront à la charge de la société AMBASSADE DE BRETAGNE, partie succombante, par application de l’article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud’homale,

Infirme le jugement,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement de Monsieur [L] [R] est sans cause réelle et sérieuse,

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la SARLU AMBASSADE DE BRETAGNE – LES DOCKS, la créance de Monsieur [L] [R] aux sommes suivantes :

– 979,06 € au titre du rappel de salaire,

– 97,90 € au titre des congés payés afférents,

– 4.046,16 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– 404,61 € au titre des congés payés afférents,

– 1.921,91 € au titre de l’indemnité de licenciement,

– 12.200 € au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Ordonne la remise par Maître [X], mandataire liquidateur de la SARLU AMBASSADE DE BRETAGNE -LES DOCKS, à Monsieur [L] [R] d’une attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail et d’un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt,

Condamne la SARLU AMBASSADE DE BRETAGNE (RCS 515 220 226) à payer à Monsieur [L] [R] la somme de 4.000 € à titre de dommages-intérêts pour violation des règles du repos quotidien,

Dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2017 et les sommes allouées de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jugement, pour la partie confirmée, et à compter du présent arrêt pour le surplus,

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par la loi,

Rappelle que le jugement d’ouverture de la procédure collective opère arrêt des intérêts légaux et conventionnels à l’égard de la SARLU AMBASSADE DE BRETAGNE- LES DOCKS,

Dit la présente décision opposable au CGEA-AGS de [Localité 6],

Dit que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L3253-19 et L3253-17 du code du travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L3253-17 et D3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d’un relevé de créance par le mandataire judiciaire, et sur justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l’article L3253-20 du code du travail,

Condamne la SARLU AMBASSADE DE BRETAGNE à payer à Monsieur [L] [R] la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d’appel,

Condamne la SARLU AMBASSADE DE BRETAGNE aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Ghislaine POIRINE faisant fonction

 


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