Licenciement disciplinaire : 27 janvier 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/01452

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Licenciement disciplinaire : 27 janvier 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/01452

ARRÊT DU

27 Janvier 2023

N° 95/23

N° RG 21/01452 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T2TU

FB/NB

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BETHUNE

en date du

15 Mai 2017

(RG F 15.00478)

GROSSE :

aux avocats

le 27 Janvier 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANT :

S.A.S. FAURECIA INTERIEUR INDUSTRIE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Jérémie CHABE, avocat au barreau de BETHUNE, assisté de Me Bruno COURTINE, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Anna GIACOLINI, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ :

M. [C] [N]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Me Emmanuelle MAURO, avocat au barreau de BETHUNE

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 59178002/17/09663 du 26/09/2017 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de DOUAI)

DÉBATS : à l’audience publique du 10 Mai 2022

Tenue par Frédéric BURNIER

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Serge LAWECKI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Stéphane MEYER

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Béatrice REGNIER

: CONSEILLER

Frédéric BURNIER

: CONSEILLER

Le prononcé de l’arrêt a été prorogé du 30 septembre 2022 au 27 janvier 2023 pour plus ample délibéré.

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Frédéric BURNIER, Conseiller et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 19 avril 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [C] [N] a été engagé par la société Allibert, devenue Faurecia Intérieur Industrie, par contrat à durée déterminée à compter du 1er novembre 2000, se poursuivant par un contrat à durée indéterminée, en qualité de cariste.

Par lettre du 19 février 2015, Monsieur [N] a été convoqué pour le 2 mars suivant, à un entretien préalable à son licenciement.

Par lettre du 10 mars 2015, la société Faurecia Intérieur Industrie a notifié à Monsieur [C] [N] son licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Le 12 novembre 2015, Monsieur [C] [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Béthune et formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 15 mai 2017, le conseil de prud’hommes de Béthune a :

– dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse;

– ordonné la réintégration de Monsieur [N],

ou à défaut, condamné la société Faurecia à lui payer la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

– condamné la société Faurecia au paiement d’une indemnité de 500 euros pour frais de procédure ainsi qu’aux dépens.

La société Faurecia Intérieur Industrie a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 22 mai 2017, en visant expressément les dispositions critiquées.

Par arrêt du 9 juillet 2019, la cour a ordonné la radiation de l’affaire.

Le 30 juin 2021, la société Faurecia Intérieur Industrie a sollicité la remise au rôle de l’affaire.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 janvier 2022, la société Faurecia Intérieur Industrie demande à la cour d’infirmer le jugement, de débouter Monsieur [N] de l’ensemble de ses demandes et de le condamner au paiement d’une indemnité de 3 000 euros pour frais de procédure.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 décembre 2021, Monsieur [C] [N] demande la confirmation du jugement et la condamnation de la société Faurecia Intérieur Industrie au paiement des sommes de 1 500 euros pour recours dilatoire et abusif et de 2 500 euros pour frais de procédure.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 19 avril 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement

Aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l’article L.1235-1 du code du travail, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles, et, si un doute persiste, il profite au salarié.

Si l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur doit toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

En l’espèce, la lettre de licenciement du 10 mars 2015, qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l’article L.1232-6 du code du travail, est libellée dans les termes suivants :

« Suite à de nombreux entretiens qualité, vous avez fait l’objet en mai 2014 d’une sanction disciplinaire prenant la forme d’une mutation disciplinaire en équipe de journée. A l’issue, d’une période de 6 mois sans incident majeur, vous avez depuis le 19 janvier 2015, réintégré à votre demande l’équipe de nuit.

Entre le 19 et le 31 janvier 2015, nous avons comptabilisé 141 défauts sur les calandres X61 phase 2 que vous avez produites, soit autant que l’ensemble de vos collègues des 3 équipes réunies. Au mois de février 2015, le mur qualité mis en place sur les productions de calandres X61 phase 2 afin de sécuriser les livraisons chez notre client et confié à la société Trigo a recensé 2397 défauts. 1571 de ces défauts vous sont imputables alors que vos collègues ont généré sur la même période en moyenne 90 défauts. Les pièces non conformes que vous avez assemblées et qui portent votre numéro d’identification personnel représentent 65% des défauts des 3 équipes et 88% des défauts de l’équipe de nuit. Ces chiffres montrent l’ampleur du problème lorsqu’ils sont mis en rapport avec le volume de pièces produites. En effet, avec une production maximum de 175 calandres par personnel et par jour, la production mensuelle d’un opérateur est de 3500 pièces maximum par mois ce qui signifie que près de 50% des pièces que vous avez produites en février sont non conformes.

Les défauts recensés sont de toutes sortes comme par exemple des pièces avec des coups, des défauts d’aspect (grains, bavures,’) et des assemblages non conformes (mauvais clippages). Tous les postes de travail comportent des instructions de travail et des modes opératoires afin de garantir la qualité de nos produits. Vous avez été formé au poste d’assemblage des calandres X61 phase 2. Il est indiscutable au regard du nombre de défauts que vous avez générés que nous ne respectez pas les instructions de travail et les gammes de contrôle.

Ce manque évident de professionnalisme et votre incapacité à vous conformer aux règles et procédure de fabrication sont la cause d’incidents qualité dont certains sont détectés par notre client final. La situation économique actuelle et la pression concurrentielle que connaît le marché de l’automobile fait que la performance qualité d’une usine vis-à-vis de ses clients est aujourd’hui un critère majeur de choix d’un fournisseur. Vos agissements mettent ainsi en péril les relations commerciales avec nos clients et par conséquence nos chances de pouvoir renouveler nos marchés et ainsi maintenir notre niveau d’activité et nos emplois.

Force est de constater que ces nouveaux incidents s’inscrivent dans un schéma de récidive. En effet, vous avez déjà fait l’objet de rappels à l’ordre verbaux et d’une procédure disciplinaire ayant conduit à la sanction disciplinaire évoquées ci-dessus. Malheureusement ces mises en garde sont semble-t-il restées dans effet. Vous persistez dans votre comportement fautif.

(…) L’ensemble de ces faits sont constitutif d’une faute disciplinaire rendant impossible la poursuite de nos relations de travail.

En conséquence, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. La date de première présentation de cette lettre marquera le point de départ de votre préavis de 2 mois. »

Monsieur [N] ne conteste pas formellement être l’opérateur désigné par le matricule 753.

Il soutient que d’autres salariés pouvaient utiliser ce numéro, notamment suite à une omission au moment de la prise de poste. Il n’apporte, toutefois, aucun élément susceptible de corroborer cette allégation.

Par ailleurs, Monsieur [N] ne peut valablement arguer que ce numéro a été utilisé le 30 janvier 2015 alors qu’il était absent. En effet, il ressort de la fiche de paie du mois de février 2015 que son absence ce jour-là n’a pas été total mais limitée à un quart d’heure.

Il convient donc de retenir que Monsieur [N] est l’opérateur portant le matricule 753.

La société Faurecia Intérieur Industrie ne peut utilement étayer les griefs visés dans la lettre de licenciement par la pièce 9 qu’elle verse aux débats. Cette pièce est illisible en raison de la taille des caractères et de la qualité de l’impression. Elle ne permet pas à la cour de procéder à la moindre vérification et, notamment, de s’assurer de la véracité des graphiques présentant les données qui en sont issues.

L’exploitation des ‘fiches de traçabilité mission’ montre qu’entre le 30 janvier et le 17 février 2015, sont imputables à l’opérateur 753, 29 non-conformités sur un total de 1096 pièces contrôlées. Le taux de non-conformités ainsi relevé (2,65%) est significativement inférieur à celui exposé dans la lettre de licenciement (50%).

L’analyse des données tirées de ces fiches laisse apparaître que le taux de non-conformités attribuable à Monsieur [N] est supérieur à celui de ses collègues (1,74% pour le matricule 772, 1,40% pour le matricule 729, 1,29% pour le matricule 1154). Il peut s’en déduire une exécution insatisfaisante du contrat de travail.

Toutefois, en l’absence de précisions concernant l’origine exacte, la nature, l’importance des défectuosités relevées et à défaut d’informations circonstanciées sur la manière de servir de Monsieur [N], d’exemples concrets d’un non-respect des instructions et modes opératoires, ces données, d’ordre statistiques et parcellaires, ne peuvent suffire à caractériser l’existence d’une faute d’une gravité suffisante pour justifier une mesure de licenciement disciplinaire.

Dès lors, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a retenu que le licenciement de Monsieur [N] était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En application de l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa version applicable au litige, si le licenciement survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge ne peut que proposer la réintégration aux parties. Si l’une ou l’autre des parties refuse, il octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

La société Faurecia Intérieur Industrie n’ayant pas manifesté son accord à une réintégration de Monsieur [N], le jugement doit être infirmé en ce qu’il a ordonné cette réintégration.

Au moment de la rupture, Monsieur [C] [N], âgé de 49 ans, comptait plus de 14 années d’ancienneté. Au vu de cette situation, du montant de la rémunération et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle il convient d’évaluer son préjudice à 17 000 euros.

Enfin, sur le fondement de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l’employeur à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de six mois.

Sur les autres demandes

Compte tenu de la solution apportée au litige et en l’absence de la preuve d’une faute de l’appelante de nature à faire dégénérer en abus son droit d’agir en justice, le recours intenté par la société Faurecia Intérieur Industrie n’apparaît ni abusif ni dilatoire. Monsieur [N] sera donc débouté de sa demande sur le fondement de l’article 680 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Faurecia Intérieur Industrie à payer à Monsieur [N] une indemnité de 500 euros destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu’il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et y ajoutant, de la condamner au paiement d’une indemnité de 1 000 euros en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a :

– dit le licenciement de Monsieur [C] [N] sans cause réelle et sérieuse,

– condamné la SAS Faurecia Intérieur Industrie à verser à Monsieur [C] [N] la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la SAS Faurecia Intérieur Industrie aux dépens de première instance,

Infirme le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :

Déboute Monsieur [C] [N] de sa demande de réintégration,

Condamne la SAS Faurecia Intérieur Industrie à verser à Monsieur [C] [N] la somme de 17 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Ordonne le remboursement par la SAS Faurecia Intérieur Industrie des indemnités de chômage versées à Monsieur [C] [N] dans la limite de six mois d’indemnités,

Rappelle qu’une copie du présent arrêt est adressée par le greffe à Pôle emploi,

Déboute Monsieur [C] [N] de sa demande d’indemnité pour procédure abusive ou dilatoire,

Condamne la SAS Faurecia Intérieur Industrie à verser à Monsieur [C] [N] la somme de 1000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la SAS Faurecia Intérieur Industrie de sa demande d’indemnité pour frais de procédure formée en cause d’appel,

Condamne la SAS Faurecia Intérieur Industrie aux dépens d’appel.

Le Greffier,

Annie LESIEUR

Pour le Président empêché,

Frédéric BURNIER, Conseiller

 


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