Licenciement disciplinaire : 27 janvier 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 20/02161

·

·

Licenciement disciplinaire : 27 janvier 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 20/02161

ARRÊT DU

27 Janvier 2023

N° 145/23

N° RG 20/02161 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TIBY

LB/AL

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DUNKERQUE

en date du

05 Octobre 2020

(RG F19/00154 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 27 Janvier 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANT :

M. [K] [H]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me David BROUWER, avocat au barreau de DUNKERQUE substitué par Me Chloé MARUQUE, avocat au barreau de DUNKERQUE

INTIMÉE :

S.A.S. SMAC

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Virginie LEVASSEUR, avocat au barreau de DOUAI assisté de Me Emmanuelle anne LEROY, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Diane VEZIES, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS : à l’audience publique du 03 Novembre 2022

Tenue par Pierre NOUBEL

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Annie LESIEUR

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Virginie CLAVERT

: CONSEILLER

Laure BERNARD

: CONSEILLER

Le prononcé de l’arrêt a été prorogé du 16 Décembre 2022 au 27 Janvier 2023 pour plus ample délibéré

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 14 Octobre 2022

EXPOSE DU LITIGE

La société SMAC exerce une activité de couverture et de bardage du bâtiment’; elle est soumise à la convention collective des entreprises de travaux publics et emploie plus de 50 salariés.

M. [K] [H] a été mis à disposition de la société SMAC dans le cadre de plusieurs contrats de mission à compter de 2005. Il a été engagé par cette société par contrat de travail à durée indéterminée en date du 4 juin 2007 en qualité d’étancheur. Il percevait au dernier état de la relation de travail une rémunération mensuelle brute de 1’812’euros.

M. [K] [H] a été convoqué à un entretien préalable fixé le 5’avril’2019′; il a été licencié pour faute grave par courrier en date du 10’avril’2019 rédigé en ces termes’:

«’ Nous vous informons que nous avons pris la décision de vous licencier pour faute grave pour les motifs suivants’:

– utilisation à des fins personnelles d’un véhicule de l’entreprise,

– déloyauté et insubordination répétées envers l’employeur.

Alors que vous savez pertinemment que vous n’en avez pas le droit, vous utilisez, à des fins personnelles, un camion de l’entreprise. En effet, le vendredi 22 mars 2019, nous vous avons vu charger dans un camion de l’entreprise, en dehors de vos heures de travail, du matériel de 17h25 à 18h15 chez Bricoman à [Localité 5]. Votre collègue, M. [R], vous aidait. Ceci a été fait à de fins personnelles et non pour le compte de l’entreprise.

De plus, le mardi 26 mars 2019, à 19h00 vous avez été aperçu dans un camion de l’entreprise à [Localité 7]. Lorsque l’on vous a posé la question de savoir ce que vous y faisiez, vous nous avez répondu que vous n’aviez pas à vous justifier.

Ceci est intolérable et contraire aux règles de l’entreprise.

Depuis quelques mois, vous faites preuve également de déloyauté et d’insubordination répétées envers l’employeur.

Suite aux divers avertissements oraux à votre encontre concernant votre peu d’implication et votre attitude si désinvolte sur les chantiers sur lesquels vous êtes affectés (par exemple le 12 février 2019 concernant le chantier Libération [Localité 9], et auparavant le 10 décembre 2018 sur le chantier Colas [Localité 6]), le 27 mars 2019, vous vous êtes mis en arrêt maladie.

Cet arrêt était prémédité car vous aviez pris le soin de reprendre votre chalumeau et vos équipements de protections individuelles en repartant le 26 mars 2019 du chantier sur lequel vous étiez affecté.

Nous vous avons alors convoqué à un entretien préalable qui s’est tenu le 5 avril dernier.

Lors de cet entretien, pour lequel vous étiez assisté de M. [R], où nous avons évoqué les griefs évoqués ci-dessus, vous avez eu une attitude désinvolte.

Votre comportement traduit un désintérêt total sur les conséquences de votre attitude générale et un mépris profond pour vos responsables.

Par votre attitude lors de l’entretien, vous avez confirmé tant votre état d’esprit que l’absence totale de considération et de respect que vous avez pour votre employeur.

Votre comportement déplorable de ces derniers mois nous avait déjà conduits à vous rappeler les règles et à vous avertir oralement, pour autant, vous avez poursuivi votre attitude délétère et votre souhait manifeste de marquer votre irrévérence vis-à-vis de votre employeur.

Pour ces raisons, vos agissements rendent impossible votre maintien au sein de nos effectifs et nous amènent à rompre votre contrat de travail pour faute grave.’»

Le 17 mai 2019, M. [K] [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Dunkerque afin de contester son licenciement.

Par jugement rendu le 2’octobre’2020, le conseil de prud’hommes de Dunkerque a’:

– dit le licenciement pour faute grave de M. [K] [H] justifié,

– débouté M. [K] [H] de l’ensemble de ses demandes,

– débouté la SAS SMAC de sa demande reconventionnelle,

– condamné M. [K] [H] aux dépens.

M. [K] [H] a régulièrement interjeté appel contre ce jugement par déclaration en date du 28’octobre’2020.

Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 11’décembre’2020, M. [K] [H] demande à la cour de’:

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit son licenciement justifié par une faute grave,

– dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société SMAC à lui payer les sommes suivantes’:

* 6’945’euros d’indemnité de licenciement,

* 3’624’euros d’indemnité de préavis de deux mois outre 362’euros d’indemnité de congés payés,

* 21’744’euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1’500’euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamner la société SMAC aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 4’janvier’2022, la société SMAC demande à la cour de’:

– la déclarer recevable en son appel incident,

– confirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles,

– condamner M. [K] [H] à lui payer la somme de 1’500’euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [K] [H] aux entiers frais et dépens d’instance.

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 14’octobre’2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le bien fondé du licenciement

M. [K] [H] conteste avoir commis une faute grave justifiant son licenciement. Il fait valoir que la société SMAC, sur qui repose la charge de la preuve d’une faute grave qui lui serait imputable, ne démontre pas qu’il a utilisé à deux reprises un véhicule de la société à des fins personnelles ; que de même, la preuve d’un manque d’implication sur les chantiers et d’actes d’insubordination n’est pas rapportée ; il souligne que d’éventuelles sanctions disciplinaires prononcées plus de trois ans auparavant ne peuvent être invoquées par l’employeur au soutien d’une nouvelle sanction, en application de l’article L.1332-5 du code du travail. Enfin, il expose que le fait de reprendre son matériel de soudure et ses équipements de protection individuelle à l’issue d’un chantier ne saurait être regardé comme fautif, et ne permet pas d’en déduire que l’arrêt de travail dont il a bénéficié à compter du 27 mars 2019 était prémédité.

En réponse, la société SMAC fait valoir qu’elle rapporte bien la preuve de l’utilisation à deux reprises à des fins personnelles d’un véhicule de la société par M. [K] [H], comportement prohibé par le règlement intérieur de l’entreprise ; que M. [K] [H] a fait preuve d’insubordination en refusant de s’expliquer sur ces faits ; que son comportement fait suite à plusieurs actes d’insubordination (refus de porter ses équipements de protection, non respect des horaires de travail…) qui ont justifié des sanctions disciplinaires dans le passé, étant observé que l’article L.1332-5 n’interdit pas d’évoquer ces sanctions dans le cadre d’un litige prud’homal.

Sur ce,

Aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre.

Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Pour que le licenciement disciplinaire soit justifié, l’existence d’une faute avérée et imputable au salarié doit être caractérisée.

La faute grave s’entend d’une faute d’une particulière gravité ayant pour conséquence d’interdire le maintien du salarié dans l’entreprise.

Devant le juge saisi d’un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l’employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d’une part, d’établir l’exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d’autre part, de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise pendant la durée limitée du préavis. Les faits invoqués doivent être matériellement vérifiables.

Enfin, la sanction doit être proportionnée à la faute et tenir compte du contexte dans lequel les faits ont été commis, de l’ancienneté du salarié et des conséquences des agissements incriminés.

Aux termes de l’article L.1332-5 du code du travail, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction.

Si ce texte interdit à l’employeur d’invoquer une sanction antérieure de plus de trois ans avant l’engagement des poursuites, à l’appui d’une nouvelle sanction, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l’employeur fasse état du passé disciplinaire dans le cadre du contentieux l’opposant au salarié, seule la référence à des sanctions de plus de trois ans ne pouvant être citée dans la lettre de sanction à l’appui de la sanction prise.

En l’espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, ne fait état d’aucune sanction antérieure et vise deux griefs :

– utilisation à des fins personnelles d’un véhicule de l’entreprise,

– déloyauté et insubordination répétées envers l’employeur.

S’agissant du premier grief, la société SMAC produit une attestation de M. [F] responsable de secteur, également supérieur hiérarchique direct de M. [K] [H], qui atteste avoir vu celui-ci accompagné d’un collègue, M. [R], sur le parking du magasin Bricoman, en train de charger du matériel dans l’un des véhicules de la société le 22 mars 2019 à 17h25 ; il est également versé aux débats une attestation de M. [U] [S] [E] [X], collègue de M. [K] [H], qui indique avoir vu celui-ci à bord d’un véhicule de la société, accompagné de M. [R], le 26 mars 2019 vers 19 heures [Adresse 8]. Si la première attestation émane d’un représentant de la société SMAC, elle est précise et circonstanciée et confortée par la seconde attestation, qui certes concerne un jour différent, mais un comportement similaire.

L’usage par M. [K] [H] d’un véhicule de la société sans autorisation préalable est donc établi.

Or, ce comportement est contraire aux directives de l’employeur. En effet, la charte d’utilisation des véhicules de service stipule bien que le véhicule de service mis à disposition de M. [R] ne peut être utilisé que pour des raisons strictement professionnelles et que toute autre utilisation nep eut se faire que’après dérogation du directeur régional ou d’agence en accord avec la direction Matériel et la direction Ressources humaines et le règlement intérieur de l’entreprise précise qu’il est interdit, sauf autorisation d’un responsable hiérarchique, d’utiliser les véhicules de service en dehors des trajets effectués au cours de la journée de travail.

S’agissant du second grief, l’attitude désinvolte de M. [K] [H] et son refus de s’expliquer, ainsi que les propos irrespectueux tenus face aux questionnements de son supérieur ne sont pas suffisamment établis, et ne reposent sur les seules affirmations de l’employeur. De même il n’est nullement démontré une déloyauté de M. [K] [H] qui aurait anticipé un arrêt maladie en réponse à des reproches qui lui aurait fait son supérieur.

Ainsi seul le grief tiré de l’usage sans autorisation d’un véhicule de la société est fondé. Cependant, il doit être relevé que ce comportement, qui constitue un non-respect des consignes par M. [K] [H], s’inscrit dans le cadre d’une relation contractuelle marquée par de nombreuses procédures disciplinaires pour non respect d’autres consignes (4 avertissements et 4 mises à pied entre le 21 avril 2009 et le 15 septembre 2017 pour non-respect du port des équipements de protection individuelle, non respect des horaires, ou malefaçons sur chantier ou leur masquage) et un rappel à l’ordre (courrier du 30 juin 2015).

Il doit en être déduit que si la faute imputable à M. [K] [H] ne revêtait pas le caractère de gravité justifiant son éviction immédiate de la société, elle constituait, au regard du passé disciplinaire de M. [K] [H], une cause réelle et sérieuse de licenciement, en dépit de son ancienneté dans l’entreprise.

Le jugement de première instance sera donc infirmé en ce qu’il a dit que le licenciement pour faute grave était justifié, seule une cause réelle et sérieuse pouvant être retenue en l’espèce.

Sur les conséquences du licenciement

Aux termes de l’article L.1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.

L’inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l’employeur, n’entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.

L’indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l’indemnité de licenciement et avec l’indemnité prévue à l’article L. 1235-2.

Aux termes de l’article L.1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.

En l’espèce, le licenciement de M. [K] [H] étant fondé, le jugement du conseil de prud’hommes sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [K] [H] de sa demande d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En l’absence de faute grave, M. [K] [H] est cependant bien fondé à obtenir le paiement d’une indemnité de préavis (et les congés payés y afférent) et une indemnité de licenciement.

Il lui sera donc alloué, par infirmation du jugement de première instance, la somme de 3’624’euros d’indemnité de préavis et 362’euros d’indemnité de congés payés y afférent ainsi que 6’945’euros à titre d’indemnité de licenciement.

Sur les dépens et l’indemnité de procédure

Le jugement de première instance sera infirmé concernant le sort des dépens et l’indemnité de procédure.

La société SMAC, partie succombante au sens de l’article 696 du code de procédure civile sera condamnée aux dépens, ainsi qu’à payer à M. [K] [H] la somme de 1 500 euros à titre d’indemnité de procédure en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu le 5’octobre’2020 par le conseil de prud’hommes de Dunkerque sauf en ce qu’il a débouté M. [K] [H] de sa demande d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Statuant à nouveau,

DIT que la faute imputable à M. [K] [H] n’est pas constitutive d’une faute grave;

DIT que le licenciement de M. [K] [H] est fondé sur une cause réelle et sérieuse;

CONDAMNE la SAS SMAC à payer à M. [K] [H] :

– 3’624’euros d’indemnité de préavis,

– 362’euros d’indemnité de congés payés y afférent,

– 6’945’euros d’indemnité de licenciement ;

CONDAMNE la SAS SMAC aux dépens ;

CONDAMNE la SAS SMAC à payer à M. [K] [H] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER

Annie LESIEUR

LE PRESIDENT

Pierre NOUBEL

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x