Licenciement disciplinaire : 26 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/01202

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Licenciement disciplinaire : 26 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/01202

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 26 JANVIER 2023

N° RG 21/01202 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UOSZ

AFFAIRE :

[Z] [Y]

C/

S.A. LA POSTE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Février 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DREUX

N° Section : C

N° RG : 19/00066

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Jean Christophe LEDUC

Me Eric DI COSTANZO de la SELARL ACT’AVOCATS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SIX JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [Z] [Y]

né le 06 Juin 1977 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Jean Christophe LEDUC, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000045

APPELANT

****************

S.A. LA POSTE

N° SIRET : 356 000 000

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentant : Me Eric DI COSTANZO de la SELARL ACT’AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de ROUEN, vestiaire : 97

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 29 Novembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Régine CAPRA, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,

EXPOSE DU LITIGE

Après avoir été engagé par la société anonyme La Poste dans le cadre d’un contrat aidé ‘Emploi Jeune’ du 4 septembre 2000 au 31 janvier 2004, M. [Z] [Y] a été engagé par celle-ci le 1er février 2004 par contrat de travail à durée indéterminée en qualité de facteur rouleur, grade ACC12. Au dernier état de la relation, il exerçait des fonctions de chargé de clientèle remplaçant, grade ACC23.

La relation de travail entre les parties est soumise à la convention collective commune La Poste – France Télécom. La société emploie habituellement au moins onze salariés.

Par lettre remise en main propre contre décharge le 7 février 2019, M. [Y] a été convoqué à un entretien préalable à une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement, lequel s’est tenu le 15 février 2019.

Aux termes de son rapport en date du 4 mars 2019, le directeur régional du réseau La Poste Seine&Eure a proposé la sanction du licenciement pour faute à l’encontre du salarié et indiqué saisir ce jour la commission consultative paritaire.

A l’issue de la réunion du 26 mars 2019, la commission consultative paritaire n’a proposé aucune sanction, aucune des deux propositions mises aux voix, la proposition de licenciement pour faute des représentants de La Poste et la contre-proposition de mise à pied d’un mois avec suspension de salaire des représentants du personnel, n’ayant obtenu de majorité.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 1er avril 2019, la société La Poste a licencié M. [Y] pour faute.

Contestant son licenciement, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Dreux, par requête reçue au greffe le 5 août 2019, afin d’obtenir le paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou, subsidiairement, une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement et, en tout état de cause une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 16 février 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Dreux a :

– dit que le licenciement du salarié était fondé ;

– rejeté la demande d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse formulée par le salarié ;

– dit que la demande formulée par le salarié au titre du non-respect de la procédure de licenciement est infondée ;

– laissé à la charge des parties les frais irrépétibles non compris dans les dépens ;

– partagé les dépens ;

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

M. [Y] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 21 avril 2021.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 24 octobre 2022 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, il expose notamment :

– qu’alors que son licenciement n’est pas intervenu dans le délai d’un mois faisant suite à la tenue de l’entretien préalable, la société ne démontre pas qu’il a bénéficié des garanties prévues par la convention collective commune La Poste / France Télécom et le règlement intérieur instituant une procédure disciplinaire spécifique au sein de l’entreprise, en ce qu’elle n’établit ni qu’il a été convoqué devant l’instance disciplinaire dans le délai de huitaine précédant la réunion de la commission consultative paritaire compétente, ni qu’il a été effectivement en mesure de présenter des observations écrites ou orales et de citer des témoins, ni qu’elle l’a informé de sa décision de saisir l’instance disciplinaire et que celle-ci a effectivement été saisie dans le délai d’un mois suivant l’entretien préalable ;

– qu’alors qu’il disposait d’une ancienneté de plus de dix-huit ans au service de la société et n’avait aucun antécédent disciplinaire, la matérialité des faits qui lui sont reprochés ne justifiait aucunement son licenciement ;

– subsidiairement, que le compte-rendu de l’entretien préalable produit par l’employeur démontre que ce dernier a détourné la procédure de licenciement prévue par l’article L. 1332-2 du code du travail en se livrant à un véritable interrogatoire à cette occasion.

Il demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

– dire dénué de cause réelle et sérieuse son licenciement ;

– condamner la société à lui verser :

– 35.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 4.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– subsidiairement, de condamner la société à lui verser :

– 2.338,38 euros à titre d’indemnité pour violation de la procédure de licenciement ;

– 4.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dire que ces sommes seront assorties des intérêts de droit au taux légal à compter du prononcé de l’arrêt et ordonner la capitalisation par application cumulée des dispositions des articles 1231-7 et 1343-2 du code civil ;

– débouter la société de l’ensemble de ses demandes et la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel, en ce notamment compris le coût de l’exécution forcée.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 26 octobre 2022 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société La Poste soutient en substance :

– qu’elle justifie avoir convoqué le salarié au moins huit jours avant la date de réunion de la commission consultative paritaire, par courrier recommandé en date du 5 mars 2019 ;

– que le salarié, qui était présent lors de la réunion de la commission consultative paritaire, a pu présenter des observations orales en début de séance, a cité comme témoins deux salariées qui ont refusé d’intervenir et n’a pas souhaité consulter son dossier disciplinaire ;

– que la saisine de la commission consultative paritaire ayant pour effet d’interrompre et de suspendre le délai légal maximal d’un mois devant séparer la tenue de l’entretien préalable de la notification de la sanction, le licenciement du salarié est fondé, aucune règle ne conditionnant par ailleurs la validité de la procédure de licenciement à la tenue effective de la réunion consultative paritaire dans le mois suivant la tenue de l’entretien préalable ;

– que le licenciement pour faute du salarié est fondé en ce qu’un manquement à son obligation de loyauté est caractérisé, dès lors qu’il a expédié des colis personnels sans en payer l’affranchissement, alors qu’il savait que c’était interdit ainsi qu’il le reconnaît, et que les faits ont été prémédités ;

– que la lecture du compte rendu de l’entretien préalable du salarié démontre l’existence d’un échange avec le salarié sur les faits reprochés et non le déroulement d’un interrogatoire.

Elle demande à la cour de :

– constater que le licenciement est régulier, bien fondé et repose bien sur une faute ;

En conséquence :

– confirmer purement et simplement le jugement ;

– débouter le salarié de l’ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire :

– ramener à de justes proportions le montant de la somme allouée au salarié ;

En tout état de cause,

– condamner le salarié à lui verser la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 2 novembre 2022.

MOTIFS :

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement notifiée au salarié le 1er avril 2019, qui fixe les limites du litige, est rédigée comme suit :

‘Nous avons eu à déplorer de votre part un comportement professionnel de nature à rendre impossible la poursuite de votre relation contractuelle.

Vous êtes embauché à La Poste en contrat de travail à durée indéterminée , sur le grade ACC12 à [Localité 4] Centre de Distribution, à compter du 1er février 2004, après avoir effectué notamment, un contrat aidé d’Emploi Jeune du 04 septembre 2000 au 31 janvier 2004.

Après diverses évolutions professionnelles et promotions, vous êtes nommé sur le secteur de [Localité 5] Plein Sud en novembre 2012, tout d’abord sur la fonction de guichetier, puis, à partir du 1er mars 2018, sur la fonction de chargé de clientèle remplaçant, de grade ACC23 ; poste que vous occupez encore à ce jour.

Le 5 décembre 2018, vous déposez, à titre personnel, 8 cartons dans les locaux du bureau de Poste de ‘[Localité 5] les Corvées’, plus précisément dans le couloir menant à la caisse. Vous n’avez pour cela, ni sollicité d’autorisation préalable, ni même informé votre hiérarchie.

Le 20 décembre 2018, à 14h00, vous pénétrez dans le bureau de Poste des ‘Corvées’, pour expédier vos colis. Cependant, le bureau n’ouvre qu’à 14h30. Aussi votre collègue de service, occupée à préparer les caisses sécurisées, vous demande de revenir lorsque le bureau sera ouvert au public.

Vous revenez dans l’après-midi, mais au vu du nombre de clients alors présents en salle du public, vous indiquez à votre collègue que vous reviendrez le lendemain et vous précisez en outre, que vous serez en congé maladie.

Le lendemain, 21 décembre 2018, vous revenez, vers 16h30. Comme annoncé la veille, vous remettez à votre collègue votre arrêt de travail, afin qu’elle le communique à votre hiérarchie. Puis vous pénétrez dans les locaux professionnels pour aller chercher les 8 colis, entreposés près de la Caisse. Vous procédez vous-même au flashage de vos envois puis vous demandez à votre collègue, en service au guichet, d’annuler l’opération afin de n’avoir pas à payer le prix de l’affranchissement, soit 148,50€.

Votre collègue, n’osant refuser, obtempère et procède à l’annulation comptable de l’affranchissement de tous vos colis.

Lors d’un entretien avec Mme [X], votre Directrice de Secteur, en date du 24 janvier 2019, vous indiquez avoir déposé les colis la veille de leur envoi, dans les locaux de La Poste et vous reconnaissez avoir demandé à votre collègue de procéder à l’annulation comptable des affranchissements pour n’avoir pas à régler les frais d’envoi. Vous déclarez également que vous saviez que cette opération était interdite mais que vous n’aviez ‘pas envie de payer, tout simplement’, parce que vous aviez ‘plein de colis’.

Lors de l’entretien préalable du 15 février 2019, vous reconnaissez à nouveau les faits qui vous sont reprochés, indiquant qu’il s’agit d’une ‘bêtise’ et que vous ne saviez pas comment vous auriez réagi si votre collègue avait refusé de procéder à l’annulation comptable de votre opération. Vous ajoutez que ‘de toute façon’, vous n’aviez ‘pas d’argent pour payer’ lorsque vous êtes venu expédier vos colis. Vous admettez en outre que vous n’aviez pas déposé les colis la veille de leur expédition, comme indiqué à votre hiérarchique, mais bien le 5 décembre 2018.

Ainsi, vous avez prémédité votre geste fautif : en déposant vos colis en début de mois, en faisant plusieurs tentatives pour les faire expédier, les 20 décembre, puis le 21 décembre 2018, et sans pour autant avoir d’argent sur vous. Vous n’avez donc, à l’évidence, jamais eu l’intention de régler l’affranchissement de vos 8 colis.

Au contraire, vous avez choisi de mettre à profit votre métier de chargé de clientèle, vos connaissances des procédures guichet et du système d’enregistrement des produits Courrier, votre accès aux locaux professionnels, et un certain ascendant sur votre collègue, pour enregistrer dans le circuit d’acheminement postal 8 colis, le tout dans le seul but de ne pas en payer le prix, spoliant ainsi votre entreprise.

Pourtant vous avez bénéficié, lors de votre nomination en bureau de Poste, de toutes les formations utiles, notamment en matière de déontologie, de procédures, de lutte contre la fraude. En cela, La Poste vous a fait confiance. Aussi, il vous incombait d’agir, toujours, dans le respect de votre serment professionnel, des procédures et de la déontologie, avec une probité et une rigueur sans faille.

En agissant ainsi, vous avez totalement trahi cette confiance. Dès lors, la poursuite de tout lien contractuel avec La Poste apparaît désormais inconcevable.

Par conséquent, au regard des éléments évoqués, je vous informe que j’ai décidé de vous licencier pour faute, pour les motifs suivants :

– Manquement à l’article 19bis du Règlement Intérieur et du Référentiel de Déontologie du Groupe La Poste, notamment quant aux principes de loyauté et d’intégrité des collaborateurs, par la mise à profit de votre métier de chargé de clientèle pour spolier La Poste, par des man’uvres et agissements tendant à obtenir le non-paiement du prix de l’affranchissement de colis envoyés à titre personnel.

La date de présentation de la présente lettre marquera le point de départ de votre préavis de 2 mois, que nous vous dispensons d’effectuer mais qui vous sera néanmoins payé.’

Il résulte de l’article L. 1235-1 du code du travail qu’il appartient au juge d’apprécier non seulement le caractère réel du motif du licenciement disciplinaire mais également son caractère sérieux.

En l’espèce, M. [Y] ne conteste pas la matérialité des faits qui lui sont reprochés, à savoir l’emploi d’une manoeuvre pour expédier, sans s’acquitter des frais d’affranchissement qui s’élevaient à un montant total de 148,50 euros, huit colis qu’il avait entreposés à cette fin sur son lieu de travail.

Cependant, au vu du montant limité des frais d’affranchissement en cause, les faits caractérisés dans la lettre de licenciement ne sont pas de nature à justifier le licenciement d’un salarié disposant d’une durée de services de plus de dix-huit ans au service de l’employeur et sans antécédent disciplinaire.

Ainsi, indépendamment de la procédure mise en oeuvre par l’employeur, il est démontré que le licenciement est infondé.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu’il déboute le salarié de sa demande de ce chef.

En raison de l’âge du salarié au moment de son licenciement, 41 ans, de son ancienneté de dix-huit années complètes dans l’entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, 2.338,38 euros bruts en moyenne, de son aptitude à retrouver un emploi ainsi que des justificatifs produits, il convient de lui allouer, en réparation du préjudice matériel et moral qu’il a subi, la somme de 21.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l’article L. 1235-3 du code du travail.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il le déboute de sa demande de ce chef.

Sur les intérêts

La créance indemnitaire est productive d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Il y a lieu d’ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et l’indemnité de procédure

La société La Poste, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et sera déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Il convient de la condamner, en application de l’article 700 du code de procédure civile, à payer à M. [Y] la somme de 4. 000 euros pour les frais irrépétibles exposés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La COUR,

Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Dreux en date du 16 février 2021 ;

Statuant à nouveau :

Condamne la société La Poste à payer à M. [Z] [Y] la somme de 21.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

Déboute la société La Poste de sa demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société La Poste à payer à M. [Z] [Y] la somme de 4.000 euros à titre d’indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société La Poste aux dépens de première instance et d’appel.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

 


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