Licenciement disciplinaire : 26 janvier 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/15937

·

·

Licenciement disciplinaire : 26 janvier 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/15937

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4

ARRÊT AU FOND

DU 26 JANVIER 2023

N° 2023/

CM/FP-D

Rôle N° RG 19/15937 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFAUG

[B] [P]

C/

SA LABORATOIRES ARKOPHARMA

Copie exécutoire délivrée

le :

26 JANVIER 2023

à :

Me Myriam DUBURCQ, avocat au barreau de GRASSE

Me Romain CHERFILS, avocat au barreau d’AIX-EN-

PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRASSE en date du 11 Septembre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 17/00922.

APPELANTE

Madame [B] [P], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Myriam DUBURCQ, avocat au barreau de GRASSE

INTIMEE

SA LABORATOIRES ARKOPHARMA prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités au siège, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Romain CHERFILS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,

et par Me Michel DUHAUT, avocat au barreau de NICE substitué par Me Audric FROSIO, avocat au barreau de GRASSE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Catherine MAILHES, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre

Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller

Madame Catherine MAILHES, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2023.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2023

Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Mme [P] (la salariée) a été embauchée le 12 mars 2001 par la société LHS du groupe Arkopharma selon contrat à durée indéterminée à temps complet en qualité de chef de produits junior, statut cadre, avec une rémunération forfaitaire mensuelle forfaitaire, relevant du groupe 6 niveau A de la convention collective nationale de l’industrie pharmaceutique.

À compter du 1er septembre 2008, Mme [P] a été classée chefs de produits, VI, niveau B.

Le 15 décembre 2010, Mme [P] et la société Laboratoires Arkopharma ont conclu un nouveau contrat de travail avec une rémunération forfaitaire mensuelle brute de 2 886,29 euros.

Mme [P] à travailler à temps partiel à raison de 121,33 heures par mois du 22 septembre 2007 jusqu’en juillet 2017.

Le 19 octobre 2017, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à éventuel licenciement pour le 26 octobre 2017.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 3 novembre 2017, la salariée a été licenciée pour cause réelle et sérieuse.

Le 12 décembre 2017, Mme [P], contestant son licenciement, a saisi le conseil de prud’hommes de Grasse aux fins de voir condamner la société Laboratoires Arkopharma au paiement de 180’000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination salariale, 120’000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre une indemnité de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, à rembourser aux organismes intéressés tout ou partie des indemnités de chômage versées.

La société Laboratoires Arkopharma a été convoquée devant le bureau de conciliation et d’orientation par courrier recommandé avec accusé de réception 1000 15 décembre 2017.

La société Laboratoires Arkopharma s’est opposée aux demandes du salarié et a sollicité à titre reconventionnel la condamnation de celui-ci au versement de la somme de 2500 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 11 septembre 2019, le conseil de prud’hommes de Grasse a :

dit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

débouté les deux parties de toutes leurs demandes ;

laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.

Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 15 octobre 2019, Mme [P] a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement qui lui a été notifié le 19 septembre 2019, aux fins d’annulation et à tout le moins d’infirmation en ce qu’il a dit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a débouté de toutes ses demandes.

Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 17 février 2022, Mme [P] demande à la cour de réformer le jugement entrepris et de :

déclarer que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,

déclarer que son salaire de base est de 2679,44 euros,

déclarer que pendant 16 ans elle n’a jamais reçu le moindre reproche de la part de son employeur,

condamner la société Laboratoires Arkopharma à lui payer les sommes suivantes :

180’000 euros au titre de la discrimination salariale

120’000 euros au titre du licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

condamner la société Laboratoires Arkopharma à lui payer à titre de dommages-intérêts une somme de 120’000 euros,

dire qu’elle a été victime d’une discrimination salariale de la part de son employeur,

condamner la société Laboratoires Arkopharma à lui payer une somme de 180’000 euros de la discrimination salariale,

dire, sur le fondement de l’article L. 1235 ‘ 4 du code du travail que la société Laboratoires Arkopharma devra rembourser aux organismes intéressés tout ou partie des indemnités chômage qui lui seront ou ont été versées,

débouter la société Laboratoires Arkopharma de toutes ses demandes fins et conclusions,

condamner la société Laboratoires Arkopharma à lui verser une somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 3 mars 2020, la société Laboratoires Arkopharma ayant fait appel incident, demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit et jugé que le licenciement de Mme [P] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit et jugé qu’il n’existait aucune situation de discrimination salariale à l’encontre de Mme [P],

confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [P] de toutes ses demandes,

infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société Laboratoires Arkopharma de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,

dès lors,

dire et juger que le licenciement de Mme [P] est parfaitement fondé,

dire et juger que Mme [P] n’a fait l’objet aucune discrimination salariale,

en conséquence,

débouter purement et simplement Mme [P] de l’ensemble de ses prétentions,

y ajoutant,

condamner Mme [P] à lui verser la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner Mme [P] aux entiers dépens, ceux d’appel distrait au profit de la SARL Lexavoué Aix en Provence, avocats aux offres de droit.

La clôture des débats a été ordonnée le 31 octobre 2022 et l’affaire a été évoquée à l’audience du 14 novembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’exécution du contrat de travail

Mme [P] soutient avoir fait l’objet d’une discrimination salariale au cours de sa carrière liée au choix qu’elle a fait de travailler à temps partiel et de bénéficier d’un congé parental pour élever ses enfants, précisant qu’en seize années d’ancienneté, elle n’a augmenté que d’une seule catégorie, en passant de la catégorie 6 A à la catégorie 6 B alors même que la personne qui l’a remplacée Mme [W] était chef de produit qualifié en catégorie 7 et que le travail qui lui est demandé ne correspond pas à sa classification.

La société qui conclut à la confirmation du jugement en ce qu’il a rejeté cette demande, fait valoir que la salariée ne justifie pas la nature de sa prétendue discrimination et qu’elle ne fournit aucun élément laissant supposer l’existence d’une discrimination.

Elle ajoute que :

– le niveau 6 C regroupe les salariés dont les activités correspondent à celle du niveau B du groupe 6 et qui dispose de par leur qualité d’expert, de niveau d’autonomie et d’initiative plus importante et/ont des responsabilités plus grandes, et que la salariée ne saurait prétendre à ce niveau ou un niveau supérieur puisqu’elle indique elle-même dans ses écritures de première instance qu’elle n’est pas expert ;

– l’évolution professionnelle relève de l’évaluation des compétences en lien avec l’attente d’objectifs et de performance ;

– si au cours des différents entretiens la salariée a sollicité un changement de classification, ses managers lui ont rappelé dans de nombreux entretiens qu’elle n’avait pas les compétences requises pour envisager un tel changement ; lors de son entretien de développement du 22 mars 2016, monsieur [H] a envisagé un changement de classification à terme en position 6C, sous réserve de l’accord du service des ressources humaines et de la hiérarchie, mais ce dernier n’a pas de pouvoir discrétionnaire en la matière et ne fait qu’émettre des suggestions ; lors de l’entretien de développement du 27 mars 2017, le même supérieur hiérarchique a précisé que le poste de la salariée de chef de produits est un poste de classification 6 comme tous les collaborateurs ayant cette fonction et qu’à ce jour, compte tenu des résultats observés en 2016 et de 2017, puisque aucun objectif n’était atteint en 2016, et malgré l’accompagnementdu manager, les compétences de celle-ci ne justifiaient pas pour l’instant un passage en catégorie 7 correspondant au poste de chef de produit qualifié ;

– au terme du congé parental d’éducation fixé au début de l’année 2017, dont la salariée a bénéficié jusqu’aux 3 ans de son dernier enfant sous la forme d’une activité à temps partiel de 80 %, il a été convenu sur sa demande, que le travail à temps partiel serait exceptionnellement prolongé jusqu’au 10 juillet 2017 afin de lui permettre de s’organiser ; elle ne saurait prétendre que cette situation aurait eu une incidence sur son évolution de classification puisque sa situation à temps partiel ne lui a jamais été reprochée, sans quoi la société ne lui aurait pas accordé cette prolongation à titre exceptionnel ;

– le salaire mensuel de la salariée de 3046,30 euros pour 151,67 heures de travail mensuel est plus élevé que le salaire minimum conventionnel prévu par la convention collective applicable pour les classifications 6C et 7A.

Aux termes de l’article L.1132-1 du code du travail, «Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte « telle que définie à l’article 1er de la loi numéro 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap».

L’article L. 1134-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’occurrence, s’agissant d’une discrimination en matière de rémunération, la salariée n’apporte aucun élément relatif aux salaires de ses collègues, en sorte qu’à défaut d’élément de comparaison présenté, elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour discrimination en matière de rémunération.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce chef.

Sur la rupture du contrat de travail

1- Sur la cause du licenciement

Aux termes de la lettre de licenciement de 9 pages du 3 novembre 2017, pour ’cause réelle et sérieuse ‘, il est reproché à Mme [P] un manque flagrant d’investissement, d’implication et de suivi de ses dossiers ayant contraint son supérieur à intervenir régulièrement afin d’assurer la bonne conduite des sujets qui lui étaient confiés et qui s’est manifesté par :

1- des défaillances dans l’exécution de ses tâches fondamentales inhérentes à ses fonctions de chef de produit qui prévoient dans le cadre de sa première mission qu’elle doit participer à l’élaboration d’un plan stratégique et veiller à son implémentation en France et/ou à l’international.

défaillance dans la réalisation du plan stratégique marketing cholestérol qui devait être présenté le 5 octobre 2017 et qui ne correspondait pas aux exigences attendues au regard du délai supplémentaire dont elle a disposé pour le réaliser malgré l’accompagnement de son supérieur et en ne tenant pas compte des suivre les conseils donnés par celui-ci ;

défaillance dans la réalisation du business plan dans les délais impartis et le contenu attendu : concernant Arkodigest Noreflux, la réunion de validation prévue le 5 octobre 2017 a été repoussée au 6 octobre 2017 faute de finalisation de sa part et faute d’avoir pris en considération les modifications demandées le 6 octobre par son supérieur et de lui avoir présenté un business plan modifié, il a dû se substituer à elle pour respecter les délais ;

défaillance dans la recherche des leaders d’opinion ‘KOL’,

2- l’absence de respect de manière répétée des délais et échéances imparties:

pour la catégorie ‘digestion’ : mise à jour de la stratégie digestion en cours depuis le 10 février 2017 et non finalisée à date ; recherche d’un leader d’opinion toujours en cours depuis le 29 novembre 2016 ; réalisation d’un tableau sur le projet transit confiée le 18 juillet 2017 non effectuée ;

pour la catégorie métabolisme : absence de finalisation du plan stratégique marketing Cholestérol ; dossier scientifique demandé depuis le 10 février 2017 pour un lancement du produit en janvier 2018 non finalisé ;

3- des erreurs répétées dans la réalisation des ‘cascades de prix’ présentées en comité de validation portefeuille en présence du président du groupe : formules de calcul de la marge du pharmacien et du benchmark Arkopharma erronées sur le produit Cys Contrôle fort le 4 avril 2017 et sur le produit No Reflux le 4 mai 2017 malgré les recommandations effectuées en entretien de développement le 27 mars 2017 ;

4- un manque d’organisation et d’implication dans la gestion de ses dossiers

manque d’organisation se manifestant par un défaut de classement de ses dossiers rendant difficile leur traitement (dossier Vivomixx) malgré l’accompagnement de M. [H] dans la gestion de son temps de travail pour établir un ordre de priorité des missions au travers de points réguliers (dernier entretien de développement du 27 avril 2017, courriel du 16 octobre 2017) et une formation le 4 avril 2017 sur la gestion du temps et des priorités ;

un manque d’investissement et d’implication dans la réalisation de ses missions : inertie dans la gestion du dossier Vivomixx par une absence de toute réaction au 18 octobre 2017 malgré les demandes faites par courriel du 30 août 2017 d’initier une réunion sur le sujet et un courriel du directeur business developpement du 12 octobre 2017.

Mme [P] fait grief au jugement d’avoir considéré que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse alors même que les insuffisances professionnelles invoquées ne sont pas fondées :

– concernant le plan stratégique marketing, aucun reproche ne lui a été formulé au sein des courriels produits par la société concernant les délais et ce n’est que le 9 octobre qu’il est fait état d’un contenu insuffisant ; elle allègue une surcharge de travail dont elle s’était plainte à de multiples reprises ;

– concernant les délais, aucune alerte ne lui a été donnée concernant le non-respect des travaux de la catégorie digestion et aucune pièce n’est versée concernant la catégorie métabolisme ;

– concernant les erreurs répétées dans la réalisation des cascades de prix, elle allègue la prescription de deux mois de l’article L.1332-4 du code du travail,

– concernant le manque d’organisation et d’implication, les pièces versées aux débats ne démontrent pas la réalité du grief;

– elle n’a reçu aucune lettre d’avertissement en seize ans d’activité, ayant été félicitée à de nombreuses reprises et son licenciement est intervenu dans un temps très bref.

La société Laboratoires Arkopharma qui conclut à la confirmation du jugement sur ce chef, soutient que la salariée a manqué à ses obligations contractuelles, a fait preuve d’un manque flagrant d’investissement, d’implication et de suivi de ses dossiers, ce qui a contraint son supérieur hiérarchique à intervenir afin de s’assurer de la bonne conduite des sujets qui lui étaient confiés, qu’elle ne pouvait tolérer de tels manquements dans l’exécution de ses fonctions, qu’elle a mis en place des actions correctives, que les griefs sont avérés et ont eu des répercussions sur son fonctionnement. Elle dénie toute surcharge de travail, alléguant que la salariée était suivie régulièrement par son responsable qui organisait régulièrement sa charge de travail et que l’allégation selon laquelle elle a toujours eu des entretiens annuels positifs est sans effet puisque les faits reprochés portent sur l’année 2017 et qu’elle est erronée.

Le manque d’investissement et d’implication dans l’exécution des tâches reprochés au sein de la lettre de licenciement malgré la notion de défaillance régulièrement utilisée, conduit à considérer, compte tenu de la référence à la définition contractuelle des fonctions de la salariée l’obligeant à participer à l’élaboration d’un plan stratégique et à veiller à son implémentation en France et/ou à international, en l’absence de toute mention d’une insuffisance professionnelle ou d’une insuffisance de résultat, à considérer que le licenciement opéré est un licenciement disciplinaire pour faute simple.

Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des griefs invoqués et de former sa conviction au vu des éléments fournis pas les parties, le doute profitant au salarié.

1-1- Sur les défaillances dans l’exécution de ses tâches fondamentales inhérentes à ses fonctions de chef de produit

Selon la fiche de poste ‘définition de fonctions’ de la société Laboratoires Arkopharma du 5 janvier 2009, le chef de produit ‘participe à l’élaboration puis met en oeuvre le plan d’action marketing afin de développer le chiffre d’affaires et la rentabilité de son ou ses produits, de la conception au suivi après commercialisation dans le respect des délais, budget’.

1-1-1- Sur la défaillance dans la réalisation du plan stratégique marketing cholestérol

Il ressort des fiches de suivi stratégiques et des courriels de M. [H] et de la salariée entre le 5 octobre 2017 et le 12 octobre 2017 que la salariée avait été chargée de présenter une revue stratégique sur cholestérol depuis la fin mars 2017, qu’il avait été convenu qu’elle en fasse la présentation le 5 octobre pour que ce soit prêt pour [X] le 10, mais que celle-ci n’a pas été en mesure de tenir le planning prévu et que le contenu qui a été délivré le 9 octobre ne correspondait pas aux exigences attendues de son supérieur, que ce dernier lui a détaillé par courriel du 9 octobre les points à développer, explorer et analyser, et lui a demandé de lui présenter son travail avant le 20 octobre, la prochaine réunion avec [X] étant fixée le 25.

Selon l’attestation de M. [M] dont la valeur probante n’est pas utilement contestée, M. [H] a été contraint de finaliser lui-même le business plan pour la réunion du 10 octobre et que la salariée n’est pas revenue vers lui pour lui présenter un plan stratégique marketing.

Il est ainsi établi que la salariée n’a pas mené à terme l’élaboration du plan marketing, sans pour autant qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations contractuelles puisqu’elle a participé à l’élaboration du plan stratégique conformément au contrat. Le manquement de la salariée à l’obligation fondamentale n’est pas établie.

1-1-2- Sur la défaillance dans la réalisation du business plan dans les délais impartis et le contenu attendu : concernant Arkodigest Neroflux,

Selon la fiche de suivi stratégique du 29 novembre 2016, un point budgétaire sur les dépenses concernant Arkodigest devait être effectué en urgence.

Ce poste a disparu de la fiche de suivi suivante du 20 mas 2017 et aucune autre pièce concernant ce grief n’est versée aux débats.

La pièce 13 de la société Laboratoires Arkopharma visée par Mme [P] concerne le plan stratégique cholestérol et la pièce 13-1 au sujet de laquelle la salariée soutient qu’elle n’a pas été communiquée, n’est pas au dossier, en sorte qu’il n’existe aucune difficulté sur ce point.

En conséquence, et alors que la salariée conteste la réalité des griefs allégués, la cour considère que la défaillance dans la réalisation du business plan dans les délais impartis et le contenu attendu concernant Arkodigest Neroflux, n’est pas avérée et ces griefs ne seront pas retenus.

1-1-3- Sur la défaillance dans la recherche des leaders d’opinion ‘KOL’,

Il est établi par les fiches de suivi stratégique depuis celle du 29 novembre 2016 que la salariée devait rechercher un ‘KOL’ pour la mise en place du lancement du produit Arkodigest NoReflux pour la fin janvier 2017, repoussée à la fin mars 2017 puis à la fin mai, fin juin, puis en septembre et que cela n’a pas été réalisé.

Elle devait également rechercher un Kol en urologie, ce qui avait été effectué puisque la fiche de suivi du 29 novembre 2016 indique ‘attente de réponse du Pr Bruyère et que les interventions/contacts/associations ou sportifs étaient notés ‘OK’ et que la fiche de suivi du mois de mars 2017 qui précise ‘rechercher un Kol qui parlera du Dr [V] pour interventions/caution/contact/associations ou sportifs’ prévoit une échéance ‘voir pour 2018″, soit une échéance postérieure au licenciement.

La défaillance générale de la salariée dans la recherche de Kol n’est donc pas établie.

1-2- Sur l’absence de respect de manière répétée des délais et échéances imparties

1-2-1- Pour la catégorie ‘digestion’ : mise à jour de la stratégie digestion en cours depuis le 10 février 2017 et non finalisée à date ; rechercher d’un leader d’opinion toujours en cours depuis le 29 novembre 2016 ; réalisation d’un tableau sur le projet transit confiée le 18 juillet 2017 non réalisée ;

La salariée devait rédiger une revue stratégique sur les probiotiques et une mise à jour sur la digestion selon les fiches de suivi stratégique des 29 novembre 2016 et 20 mars 2017 avec des échéances initialement prévues en décembre 2016 et janvier 2017. La mise à jour de cette revue n’était pas effectuée en mars et un nouveau délai a été fixé à la fin mai 2017. Au 18 juillet 2017, les travaux étaient en cours et il lui était demandé d’affiner ses launchs mais au 24 août 2017, cela n’avait pas été fait, ni même au 21 septembre 2017 comme il ressort des fiches de suivi stratégiques des 24 août et 21 septembre 2017.

De même, la recherche de Kol n’avait pas été effectuée – aucun contact ni liste effectuée- au 24 août 2017 et faite par [G] au 21 septembre 2017, sans que la salariée conteste cette mention tirée de la fiche de suivie de septembre 2017.

Il est établi que la réalisation d’un tableau demandée en urgence le 18 juillet 2017 n’était pas prête le 24 août et devait être finalisée pour le 21 septembre . Aucune des pièces versées aux débats ne permet de considérer que ce tableau a été finalisé pour la date convenue.

Ainsi le non respect des délais dans la catégorie digestion est établie.

1-2-2- Pour la catégorie métabolisme : absence de finalisation du plan stratégique marketing Cholestérol ; dossier scientifique demandé depuis le 10 février 2017 pour un lancement du produit en janvier 2018 non finalisé ;

Il a été établi que la salariée n’a pas finalisé le plan stratégique cholestérol comme précisé précédemment.

Dans le cadre du projet Arkostérol Forte, elle devait également ‘lancer un dossier scientifique’ pour la fin mars 2017, pour une remise à la fin juin 2017 selon la fiche de suivi stratégique 2017. Il ressort de la fiche de suivi du 24 août que ce dossier a été lancé, même si une relecture devait être faite, en sorte qu’à la fin août, la tâche prévue avait été effectuée. Les fiches de suivi des mois de juin et juillet 2017 mentionnent : ‘message du lundi 5 juin’ sans que ce message ait été versé aux débats, en sorte qu’il existe un doute sur le non respect des délais sur le lancement de ce dossier scientifique. Ce grief ne sera donc pas retenu.

1-3- Sur les erreurs répétées dans la réalisation des ‘cascades de prix’ présentées en comité de validation portefeuille en présence du président du groupe : formules de calcul de la marge du pharmacien et du benchmark Arkopharma erronées sur le produit Cys Contrôle fort le 4 avril 2017 et sur le produit No Reflux le 4 mai 2017 malgré les recommandations effectuées en entretien de développement le 27 mars 2017

Lors de l’entretien de développement du 27 mars 2017, il a été demandé à la salariée d’être plus vigilante sur l’exactitude des documents envoyés et ainsi de vérifier les cascades de prix.

Par courriels des 4 avril et 4 mai 2017 de M. [H], le supérieur hiérarchique, il est établi que ce dernier a constaté de nouveau des erreurs de ce type dans les travaux Cys Contrôle et ODJ CPV réalisés par la salariée sans pièce contraire apportée. Les faits sont donc avérés mais prescrits par application des dispositions de l’article L.1332-4 du code du travail.

1-4- Sur le manque d’organisation et d’implication dans la gestion de ses dossiers

1-4-1- Sur le manque d’organisation se manifestant par un défaut de classement de ses dossiers rendant difficile leur traitement

Ce grief n’est aucunement étayé par les pièces versées aux débats et aucun reproche de ce type ne ressort des divers entretiens de développement versés aux débats. Il existe donc un doute sur la réalité du manque d’organisation invoqué au soutien du licenciement. Ce grief ne sera pas retenu.

1-4-2-Sur le manque d’investissement et d’implication dans la réalisation de ses missions : inertie dans la gestion du dossier Vivomixx par une absence de toute réaction au 18 octobre 2017 malgré les demandes faites par courriel du 30 août 2017 d’initier une réunion sur le sujet et un courriel du directeur business developpement du 12 octobre 2017.

Il ressort des courriels du 30 août 2017 et du 12 octobre 2017, que le supérieur hiérarchique de la salariée lui a demandé d’une part d’initier rapidement une réunion sur le sujet ‘Kol digestion Vivomixx’ et d’autre part de donner ses ‘réponses consolidées’ sur les quatre points particuliers indiqués dans le courrier pour finaliser la négociation, sans que celle-ci réagisse. L’absence de réaction et l’inertie de la salariée est donc établie sur ces deux demandes.

Le non-respect des délais impartis dans les travaux sollicités pour la rubrique digestion pour la réalisation du plan stratégique cholestérol et l’absence de réponse aux deux demandes effectuées les 30 août et 12 octobre 2017 sont insuffisants pour établir la preuve du manque d’investissement et d’implication de la salariée dans la réalisation de ses missions, dès lors que lors de son entretien de développement du 27 mars 2017, il était noté au titre de ‘ce qui a fonctionné’ son implication et l’intérêt pour ses ‘segments’, que la salariée n’a jamais fait l’objet de reproches de la part de son employeur pendant ses 15 années précédentes. Le caractère fautif du comportement reproché à la salariée n’est donc pas établi et le licenciement est en conséquence dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris qui a dit que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse sera donc infirmé.

La demande tendant à ‘déclarer que pendant 16 ans Mme [P] n’a jamais reçu le moindre reproche de la part de son employeur’ n’est pas constitutive d’une prétention, mais d’un moyen au soutien de sa prétention tendant à voir déclarer que le licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse et qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ce chef.

2- Sur les conséquences de la rupture

En vertu des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, la salariée, qui était employée dans une entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, a droit, en l’absence de réintégration, à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mise à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux.

La salariée qui a une ancienneté en année complète de 16 ans a droit à une indemnité comprise entre 3 mois de salaire brut au minimum et 13,5 mois au maximum, en considération de ce que qu’il n’est pas discuté que l’entreprise emploie habituellement au moins onze salariés.

La salariée ne développe aucun moyen portant sur la demande tendant à ‘déclarer que le salaire base net est de 2.679,44 euros’ et laisse la cour dans l’ignorance du calcul retenu pour aboutir au montant net sollicité alors même que le salaire de base au dernier état de la relation était de 3.046,30 euros, en sorte que la demande à ce titre sera rejetée.

Au regard des bulletins de salaire versés aux débats, la salariée percevait une rémunération mensuelle brute de 3.444,57 euros comprenant la prime d’ancienneté mensuelle.

En considération notamment de l’effectif de l’entreprise, dont il n’est pas contesté qu’elle employait habituellement au moins onze salariés au moment de la rupture, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge au jour de son licenciement (43 ans), de son ancienneté à cette même date (16 années entières), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels que ces éléments résultent des pièces et des explications fournies, il convient d’indemniser la salariée en lui allouant la somme de 40.000 euros au titre de la perte injustifiée de son emploi.

La société Laboratoires Arkopharma sera en conséquence condamnée à verser à Mme [P] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 40.000 euros et le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a débouté la salariée de toute demande à ce titre.

La cour constate que la salariée a présentée par erreur ses demandes indemnitaires à deux reprises au sein du dispositif, en l’absence de motivation distincte dans la partie discussion, et qu’il n’y donc pas lieu de statuer deux fois sur les mêmes demandes.

Il convient d’ordonner en conséquence de la décision, le remboursement par la société Laboratoires Arkopharma à Pôle Emploi des indemnités de chômages versées à Mme [P] du jour de son licenciement à hauteur de 6 mois d’indemnités de chômage en application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a rejeté la demande à ce titre.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société Laboratoires Arkopharma succombant sera condamnée aux entiers dépens d’appel et de première instance. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a laissé à la charge de chacune des parties ses propres dépens.

La société Laboratoires Arkopharma sera en conséquence déboutée de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile tant au titre de la première instance que de l’appel. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Laboratoires Arkopharma de sa demande à ce titre et il sera ajouté le rejet de la demande d’indemnité en cause d’appel.

L’équité commande de faire bénéficier la salariée de ces mêmes dispositions et de condamner la société Laboratoires Arkopharma à lui verser une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande d’indemnité à ce titre.

La cour précise que la salariée n’a pas fait de demande à ce titre pour l’appel.

La représentation par ministère d’avocat n’étant pas obligatoire devant la présente juridiction statuant en matière prud’homale, il n’y a pas lieu à distraction sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile. La demande de ce chef sera rejetée.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile;

Dans la limite de la dévolution,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [P] de ses demandes tendant à déclarer qu’elle a fait l’objet de discrimination salariale et de dommages et intérêts à ce titre, en ce qu’il a débouté la société Laboratoires Arkopharma de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, en ce qu’il a débouté Mme [P] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sa demande tendant à faire application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et de sa demande tendant à condamner la société Laboratoires Arkopharma aux dépens de l’instance ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

Déclare sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Mme [P] par la société Laboratoires Arkopharma ;

Condamne la société Laboratoires Arkopharma à verser à Mme [P] une indemnité de 40.000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Laboratoires Arkopharma à verser à Mme [P] une indemnité de 1. 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Laboratoires Arkopharma aux entiers dépens de première instance;

Ordonne le remboursement par la société Laboratoires Arkopharma à Pôle Emploi des indemnités de chômages versées à Mme [P] du jour de son licenciement à hauteur de six mois d’indemnités de chômage en application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail ;

Rappelle que les sommes allouées par la cour sont exprimées en but ;

Y ajoutant,

Constate que la salariée a présentée par erreur ses demandes indemnitaires à deux reprises au sein du dispositif ;

Dit n’y avoir lieu de statuer deux fois sur les mêmes demandes ;

Déboute la société Laboratoires Arkopharma de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Laboratoires Arkopharma aux entiers dépens de l’appel ;

Rejette la demande de distraction au titre de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x