Licenciement disciplinaire : 18 janvier 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/05235

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Licenciement disciplinaire : 18 janvier 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/05235

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre sociale

ARRET DU 18 JANVIER 2023

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 19/05235 – N° Portalis DBVK-V-B7D-OIRW

Arrêt n° :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 13 JUIN 2019 du CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BEZIERS – N° RG F18/00129

APPELANTE :

Madame [O] [Y] épouse [U]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Philippe JABOT de la SELARL CHEVILLARD, JABOT, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

S.A.S. AGDE DISTRIBUTION représenté par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social

C.C LES PORTES DU LITTORAL

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS – AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER (postulant) et par Me DUBREIL Emilie, avocate au barreau de Montpellier (plaidant)

Ordonnance de clôture du 26 Octobre 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 NOVEMBRE 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre

Madame Caroline CHICLET, Conseiller

Madame Florence FERRANET, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Marie BRUNEL

ARRET :

– contradictoire

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE :

Mme [Y] a été embauchée le 1er décembre 2003 par la société Agde Distribution selon contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel en qualité d’hôtesse de caisse.

En 2011, Mme [Y] était promue chef de caisse.

Par avenant signé le 30 juin 2016, Mme [Y] était promue responsable de service fonctionnel caisses dans le cadre d’un contrat à temps plein.

Mme [Y] était en arrêt de travail du 4 octobre au 4 novembre 2017, date à compter de laquelle elle prenait des congés.

A son retour le 27 novembre 2017, Mme [Y] était convoquée par le directeur du magasin M. [P].

Le 23 novembre 2017 la société Agde Distribution adressait un courrier recommandé à Mme [Y] dans lequel elle l’informait de ce qu’une commission d’enquête allait être constituée afin de faire la lumière sur les événements rapportés (dénonciation de faits susceptibles de caractériser un éventuel harcèlement moral).

Mme [Y] était en congés pour événement familial du 20 décembre au 15 janvier 2018.

Le 19 janvier 2018, la commission d’enquête remettait son compte rendu de la réunion du 12 janvier 2018.

Le 19 janvier 2018 la société Agde Distribution convoquait Mme [Y] à entretien préalable à licenciement fixé au 1er février 2018 avec mise à pied conservatoire.

Mme [Y] était en arrêt de travail à compter du 20 janvier 2018.

Par courrier recommandé du 8 février 2018 la société Agde Distribution a notifié à Mme [Y] son licenciement pour faute grave.

Mme [Y] a saisi le 22 mars 2018 le conseil de prud’hommes de Béziers contestant le caractère réel et sérieux de son licenciement et sollicitant des dommages-intérêts et indemnités ainsi qu’un rappel de salaire pour jours fériés travaillés.

Par jugement rendu le 13 juin 2019 le conseil de prud’hommes de Béziers a :

Dit que le licenciement de Mme [Y] est sans cause réelle et sérieuse et que la mise à pied conservatoire est parfaitement injustifiée ;

Condamné la société Agde Distribution à payer à Mme [Y] les sommes suivantes :

– 25 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 8 505,58 € à titre d’indemnité légale de licenciement ;

– 1 260,08 € brut au titre de règlement des 20 jours de mise à pied conservatoire ;

– 3 780,26 € brut à titre d’indemnité de préavis de deux mois et 378,03 € brut au titre des congés payés y afférents ;

– 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Débouté Mme [Y] du surplus de sa demande ;

Condamner la société Agde Distribution aux dépens.

**

Mme [Y] a interjeté appel de ce jugement le 23 juillet 2019.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe par RPVA le 24 octobre 2022, elle demande à la cour de :

Confirmer le jugement en ce qu’il a :

– Dit que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et que la mise à pied conservatoire est parfaitement injustifiée ;

– Condamné la société Agde Distribution à payer les sommes suivantes :

* 1 260,08 € brut au titre de règlement des 20 jours de mise à pied conservatoire ;

* 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-Condamné la société Agde Distribution aux dépens.

L’infirmer pour le surplus et statuant à nouveau :

– Dire que le licenciement de Mme [Y] est intervenu dans des circonstances vexatoires ;

– Dire que Mme [Y] a été victime d’une situation de harcèlement moral durant la relation de travail ;

– Condamner la société Agde Distribution au paiement des sommes suivantes :

* 50 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 30 000 € de dommages-intérêts pour les circonstances vexatoires de licenciement ;

* 30 000 € de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

* 10 728,11 € à titre d’indemnité légale de licenciement ;

* 4 828,84 € bruts à titre d’indemnité de préavis de deux mois et 482,88 €  bruts au titre des congés payés y afférents ;

* 126 € bruts à titre d’indemnité de congés payés correspondant au rappel de salaire ;

– Ordonner la délivrance des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat rectifiés conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document manquant ;

– Condamner la société Agde Distribution à lui verser la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

**

La société Agde Distribution dans ses conclusions déposées au greffe par RPVA le 24 octobre 2022, demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et l’a condamnée à verser à Mme [Y] :

– 25 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 8 505,58 € à titre d’indemnité légale de licenciement ;

– 1 260,08 € brut au titre de règlement des 20 jours de mise à pied conservatoire ;

– 3 780,26 € brut à titre d’indemnité de préavis de deux mois et 378,03 € brut au titre des congés payés y afférents ;

Et de le confirmer pour le surplus.

Elle demande à la cour de juger que le licenciement pour faute grave est valable et légitime, qu’il n’est pas intervenu dans des circonstances vexatoires, que Mme [Y] n’a pas été victime de faits de harcèlement moral, qu’il convient donc de débouter Mme [Y] de l’ensemble de ses demandes et d’ordonner le remboursement des sommes qui ont été versées au titre de l’exécution provisoire ;

À titre subsidiaire si la cour faisait droit en partie aux demandes de Mme [Y] de limiter le montant des dommages-intérêts pour licenciement vexatoire et harcèlement moral à de plus justes proportions et de limiter le montant de l’indemnité compensatrice de préavis à la somme de 3 554,46 € brut et le montant de l’indemnité légale de licenciement à 5 392,76 €.

**

Pour l’exposé des moyens il est renvoyé aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 26 octobre 2022, fixant la date d’audience au 16 décembre 2022.

MOTIFS :

Sur le harcèlement moral :

L’article L 1152-1 du code du travail prévoit qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L 1154’1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l’application de l’article L 1152-1, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il appartient donc au juge pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits et d’apprécier si les faits matériellement établis pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L 1152’1 du code du travail. Dans l’affirmative il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ces décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [Y] soutient que la direction de l’entreprise et Mme [A] chef de caisses de l’établissement ont poussé les salariés en interne à l’accuser de tous les maux et à la tenir pour responsable de l’ambiance de travail dégradé au sein des lignes de caisse, et a ainsi obtenu des attestations mensongères afin de construire un motif de licenciement disciplinaire, que Mme [A] a tenu des propos médisants à son égard, que la commission d’enquête a été mise en place de façon déloyale.

Elle fait valoir qu’elle a été reçue le 7 novembre, le 15 décembre 2017 et le 24 janvier 2018 par le médecin du travail et que la dégradation de son état de santé a été constatée par son médecin traitant et par son psychiatre, que toujours dans le but de nuire, son employeur lui avait imposé le port de chaussures de sécurité en contradiction avec les préconisations du médecin du travail.

La société Agde Distribution soutient que la mise en place de la commission d’enquête n’est pas abusive, qu’elle n’a pas exercé de pression sur les salariés pour les pousser a dénoncer le comportement de Mme [Y], que les attestations produites en ce sens sont douteuses quant à leur sincérité, sont imprécises quant aux dates et aux circonstances ne font état que de  « ouie dires », qu’il n’est pas justifié de propos dénigrants de la part de Mme [A], qu’en ce qui concerne le port des chaussures de sécurité, il a été imposé à l’ensemble du personnel du secteur caisse, que Mme [Y] a été adressée au médecin du travail seul compétent pour l’exempter du port de ces chaussures et que suite à l’avis rendu le 10 mars 2017 elle n’a pas contraint Mme [Y] à les porter.

Elle fait valoir qu’il n’y a aucun lien entre les conditions de travail de Mme [Y] et la dégradation de son état de santé, que le courrier du 15 décembre 2017 du médecin du travail ne vise nullement Mme [Y], que les certificats médicaux du médecin traitant et du médecin psychiatre ne permettent pas d’établir ce lien.

Sur l’obligation de porter des chaussures de sécurité :

Mme [Y] ne produit aucune pièce justifiant que son employeur lui a imposé le port des chaussures de sécurité.

Il est justifié par l’employeur que toutes les salariés devaient porter des chaussures de sécurité.

M. [P] dans son attestation explique que suite à un contrôle du CHSCT courant mars 2017 il est apparu que Mme [Y] ne portait pas ses chaussures, que la salariée a fait part de la difficulté de les porter, qu’il lui a été demandé de contacter la médecine du travail, que suite à la visite du 10 mars 2017 le médecin l’a exemptée jusqu’au 15 septembre 2017, date à laquelle elle devait être opérée, que le médecin l’a de nouveau exemptée lors de la visite de reprise du 6 novembre 2017.

Il n’est donc pas justifié de ce que l’employeur a obligé Mme [Y] à porter des chaussures de sécurité en contradiction avec les préconisations médicales.

Sur le comportement de la direction et de Mme [A] de nature à pousser les salariés en interne à porter des accusations mensongères à l’encontre de Mme [Y] pour construire un motif de licenciement disciplinaire:

Mme [Y] produits aux débats diverses attestations.

Mme [W] (pièce 32), qui a travaillé sur la période de juin 2015 au 26 août 2017 atteste qu’en décembre 2017 Mme [D] lui a demandé d’écrire une lettre contre Mme [Y] dans le but de la licencier et qu’elle a refusé.

M. [R] (pièce n°23) atteste qu’elle a été convoquée par Mme [A] dans le courant du mois de septembre pour faire une lettre à caractère mensonger contre Mme [Y] dans le but d’obtenir son licenciement, qu’elle a refusé de faire ce courrier malgré la pression quotidienne, que c’est le DRH M. [N] [X] qui, à son tour, lui a demandé de faire la lettre… elle reconnaît avoir été harcelée et manipulée….. je venais tous les jours « la peur au ventre » travailler je m’en voulais d’avoir cédé et d’avoir écrit cette lettre car je n’avais rien contre Mme [Y].

Mme [R] (pièce 35) dans sa seconde attestation déclare que Mme [D] lui a déclaré ses regrets d’avoir craqué face aux pressions et la manipulation de la direction et les chefs de caisse afin d’obtenir son attestation… qu’elle avait des regrets et qu’elle pensait s’être trompée de personne mais qu’elle ne pouvait pas faire d’attestation d’aveu, par peur des représailles et de perdre son travail. Elle atteste que [S] [T] s’est également confiée en disant qu’elle regrettait aussi, et que c’était M. [X] qui avait rédigé son courrier.

Mme [Z] (pièce 36) atteste que [S] [T] lui a confié qu’elle avait été manipulée par le DRH [N] [X] et le PDG [B] [X], qui l’ont convoquée au bureau pour lui demander de rédiger un courrier contre Mme [Y], qu’elle n’avait fait que recopier le courrier qui était rédigé par [N] [X].

Le fait que la société Agde Distribution affirme que ces attestations sont imprécises, douteuses et ont été établies avec un ressentiment certain à son encontre ne suffit à oter à ces témoignages leur force probante.

Il en résulte que Mme [W] a été contactée, alors qu’elle n’était plus salariée de l’entreprise, pour rédiger une attestation à l’encontre de Mme [Y], que Mme [R] déclare avoir rédigé sa lettre de dénonciation (pièce 9) sous la pression de la direction, alors qu’elle n’avait rien contre Mme [Y], que deux témoins (Mmes [Z] et [R]) déclarent avoir reçu la confidence de Mme [T], selon laquelle son courrier était pré-rédigé par M. [X], et que Mme [R] a reçu la confidence Mme [D] selon laquelle elle regrettait d’avoir craqué face aux pressions de la direction.

Le premier fait est justifié.

Sur le procédé déloyal et dégradant de la mise en place d’une commission d’enquête :

Dès lors qu’il a été démontré par les attestations précitées que des pressions ont été faites sur certaines salariées pour obtenir des courriers dénonçant les agissements de Mme [Y], la mise en place d’une commission d’enquête qui résulte de la réception des courriers dont il a été démontré pour l’un, avec certitude qu’il a été rédigé sous la pression quotidienne de la direction, constitue un procédé déloyal.

Sur les propos médisants colportés par Mme [A] :

Mme [L] (pièce 30), qui déclare avoir travaillé comme saisonnière pendant six mois, atteste qu’il y avait une très mauvaise ambiance, qu’on a essayé de la manipuler lui disant que la responsable de caisse Mme [Y] la rabaisserait, que Mme [A] remontait les caissières contre Mme [Y].

Mme [Z] (pièce 36) atteste qu’en novembre, elle a assisté à une altercation entre [M] [E] et Mme [D], que celle-ci lui a dit que la direction et le PDG [B] [X] ne voulaient plus qu’il adresse la parole à Mme [Y], sinon il aurait des ennuis, que [M] lui a dit qu’il s’était plaint à Mme [A] et que celle-ci lui a demandé de laisser tomber.

Mme [V] (pièce 37) hôtesse de caisse pour les saisons estivales de 2008 à 2017 atteste que durant son contrat de l’année 2017 elle a remarqué que plusieurs collègues lui posaient des questions au sujet de Mme [Y] du genre « est-ce que ça se passe bien avec [O] ‘ Tu la trouves pas bizarre ‘ Est-ce que tu t’entends bien avec elle ‘ » alors qu’elle n’avait aucun problème avec elle.

Mme [F] (pièce 40) atteste qu’en 2017 Mme [A] a créé un « gang » de quelques caissières afin d’écarter Mme [Y] pour mettre en place une équipe à sa main par l’obtention d’accusation mensongère de la part de ces caissières en échange de plannings favorisés.

La société Agde Distribution soutient que ces attestations sont imprécises et donc non probantes et impartiales car elles n’ont été rédigées qu’au mois de janvier 2019 et émanent de salariées qui sont en conflit avec la direction.

Les attestations précitées n’ont pas été rédigées en janvier 2019 mais en 2018, en outre si certaines font état d’un contexte général d’autres sont précises sur les faits dénoncés.

En ce qui concerne le fait que les témoins seraient en conflit avec la direction, la société Agde Distribution ne produit aucune pièce et les pièces adverses auxquelles elle se réfère, font état d’un conflit entre Mme [Z], et elle-seule, et Mme [A], mais pas d’un conflit avec la direction.

Le seul fait que Mme [A] dans son attestation, réfute avoir tenté de dégrader les conditions de travail de Mme [Y] et l’avoir isolée dans ses fonctions, ne suffit à remettre en cause les attestations des quatres salariées.

Il est donc justifié d’un dénigrement par Mme [A] de Mme [Y].

Pour justifier de la dégradation de son état de santé Mme [Y] produit aux débats un courrier émanant du médecin du travail en date du 15 décembre 2017 qui fait état de ce que les visites d’information et de prévention l’emmènent à constater des souffrances au travail, le courrier de ce même médecin qui atteste avoir reçu en consultation Mme [Y] le 7 novembre 2017, le 15 décembre 2017 et le 24 janvier 2018, le certificat médical du 15 février 2018 établi par le médecin généraliste de Mme [Y] qui l’adresse un confrère spécialiste et les certificats médicaux du psychiatre qui font état d’un suivi depuis janvier 2018 pour un syndrome anxio-dépressif réactionnel.

Ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L 1152-1 du code du travail.

La société Agde Distribution soutient qu’elle avait le droit mais surtout le devoir de mettre en place une commission d’enquête dès lors que des faits fautifs avaient été dénoncés, que cette mise en place n’était pas abusive mais relevait de ses pouvoirs de direction.

Toutefois dès lors qu’il a été démontré que les courriers dénonçant les agissements de Mme [Y] ne sont pas des courriers spontanés, mais résultent au moins pour certains de pressions exercées par la direction, la société Agde Distribution ne peut valablement soutenir que la mise en place de la commission d’enquête n’était pas déloyale et ne relevait que de son pouvoir de direction.

La société Agde Distribution soutient qu’il n’y a aucun lien entre la dégradation de l’état de santé Mme [Y] et ses conditions de travail, qu’en effet le médecin du travail n’a jamais rendu d’avis d’inaptitude à l’issue des visites de novembre, décembre 2017 et janvier 2018 et n’a pas fait de suggestion d’aménagement du poste de travail, que dans son courrier du 15 décembre 2017 il ne vise nullement Mme [Y], que tant le médecin généraliste que le médecin psychiatre ont fait de nouvelles attestations dans lesquelles ils confirment que s’ils ont pu constater un syndrome anxio depressif, ils n’ont pas, eux mêmes, constaté que ce syndrome était en relation avec des difficultés dans le milieu du travail.

Il ajoute que Mme [Y] a connu sur cette période une situation personnelle difficile du fait notamment du décès de sa mère le 20 décembre 2017 et d’un autre décès en novembre 2017.

Toutefois c’est en janvier 2018 que Mme [Y] a présenté un état anxio dépressif réactionnel nécessitant un arrêt maladie et la prescription de médicaments, soit concomitamment à sa mise à pied à titre conservatoire qui résultait du compte rendu du 12 janvier 2018 de la commission d’enquête, dont il a été établi qu’elle a été diligentée suite à un comportement faisant présumer des faits de harcèlement moral de la part de l’employeur.

Si les deux évènements précités avaient préalablement fragilisé son état de santé, son état anxio dépressif n’a été constaté médicalement qu’en janvier 2018, et résulte au moins pour partie du comportement de son employeur.

La société Agde Distribution ne prouve pas que les agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il convient donc constater que Mme [Y] a été victime de faits de harcèlement moral.

Mme [Y] sollicite le versement de la somme de 30 000 € pour préjudice moral subi du fait du harcèlement moral, elle produit aux débats le certificat médical de son psychiatre qui atteste qu’elle était toujours suivie en octobre 2022 pour syndrome anxio-dépressif réactionnel (traitement chimiothérapique et soutient psychothérapique), il lui sera alloué la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur le licenciement :

Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. (L1152-2 du code du travail)

Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L.1152-1 et L.1152-2 du code du travail, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Il appartient donc pour dire qu’un licenciement est nul de caractériser que le salarié a été licencié pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement moral et donc d’établir un lien entre le harcèlement moral et le licenciement.

En l’espèce Mme [Y] a été licenciée le 8 février 2018 pour faute grave au motif que la commission d’enquête, mise en place en novembre 2017, suite à la réception de quatre courriers de salariés qui se plaignaient du comportement de Mme [Y] à leur égard et dénonçaient des faits qu’elles qualifiaient de harcèlement moral, a remis ses conclusions le 15 janvier 2018, desquelles il ressort que Mme [Y] a eu à plusieurs reprises à l’égard des quatre salariées des propos désobligeants, qu’elle employait à l’encontre de certaines de ses collègues, en particulier celles vivant une situation personnelle difficile et celles en contrat de travail à durée déterminée, un ton sec et agressif, qu’elle avait tendance à tenir des propos à ses collègues de travail de nature à créer une défiance des unes envers les autres notamment à l’encontre des quatre salariées s’étant plaintes de son attitude, qu’elle favorisait certaines collègues notamment pour ce qui concerne la prise des pauses et sur les heures de départ.

Or, il a été démontré que les courriers dénonçant les agissements de Mme [Y] ne sont pas des courriers spontanés mais ont été, au moins pour partie d’entre eux obtenus suite à des pressions de la direction, et que par conséquent la mise en place d’une commission d’enquête était un procédé déloyal. Le licenciement qui a été prononcé au vu des conclusions de cette commission d’enquête est en lien direct avec les faits de harcèlement moral subis par Mme [Y], il en résulte que le licenciement notifié le 6 février 2018 est nul.

Il en résulte de même que la mise à pied conservatoire notifiée le 19 janvier 2018 est injustifié et que Mme [Y] est fondée à solliciter le versement de la somme de 1 260,08 € brut à titre de rappel de salaire de ce chef, outre les congés payés correspondant soit 126 €.

Au vu des bulletins de salaire produits aux débats par la salariée: (pièces n°19 et 62) et du décompte de l’employeur qui reconnait que le salaire moyen sur les trois derniers mois (novembre et décembre 2017 et janvier 2018) est de 2 022,28 €, il y a lieu de retenir cette somme, plus favorable à la salariée.

L’article L.1235-3-1 du code du travail applicable au jour du licenciement prévoit que lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues en son deuxième alinéa, le salarié qui ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou dont la réintégration est impossible se voit octroyer une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Mme [Y] avait une ancienneté de 16 années dans l’entreprise, justifie avoir été en arrêt maladie de 1er avril 2018 au 9 juillet 2018 et poursuivre une thérapie pour syndrome anxio dépressif de janvier 2018 jusqu’au 12 octobre 2022. Elle ne produit aucune pièce relative à sa situation professionnelle et à sa situation financière postérieurement au licenciement, il sera alloué à titre de dommages-intérêts une indemnité égale à 25 000 €.

Le salarié est en outre en droit de percevoir son indemnité légale de licenciement et son indemnité compensatrice de préavis.

En ce qui concerne l’indemnité compensatrice de préavis, contrairement à ce qu’affirme l’employeur celle-ci est égale au montant du salaire brut que le salarié aurait perçu s’il avait travaillé pendant la durée du délai congé incluant les primes et indemnités dues ou versées au salarié de l’entreprise pendant cette période. Mme [Y] est donc fondé à solliciter la somme de 4044,56 € à titre d’indemnité outre les congés payés correspondant soit 404,45 €. Le jugement sera infirmé de ce chef.

L’article L.3123-5 du code du travail prévoit que l’indemnité de licenciement du salarié ayant été occupé à temps complet et à temps partiel dans la même entreprise est calculée proportionnellement aux périodes d’emploi accompli selon l’une l’autre de ces deux modalités depuis son entrée dans l’entreprise.

Il n’est pas contesté par Mme [Y] qu’elle a travaillé à temps partiel, 25 heures par semaine du 28 mars 2002 au 30 juin 2016 et à temps complet du 1er juillet 2016 au 8 février 2018.

Il sera donc alloué à titre d’indemnité de licenciement la somme de 5 392,76 €, le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages-intérêts pour circonstances vexatoires de licenciement :

Les faits allégués par Mme [Y] au soutient de sa demande de dommages-intérêts sont les mêmes que ceux qui ont été évoqués dans le cadre de la demande de reconnaissance du harcèlement moral, Mme [Y] ne justifie pas un préjudice disctinct de celui qui a été indemnisé précédemment, elle sera donc déboutée de cette demande le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes :

Il sera fait droit à la demande de délivrance des bulletins de salaire et documents de fin de contrat (attestation pôle emploi certificat de travail et reçu pour solde de tout compte) rectifiés, sans que cette condamnation ne soit assortie d’une astreinte.

La société Agde Distribution qui succombe sera tenue aux dépens d’appel et condamnée en équité à verser à Mme [Y] la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour :

Confirme le jugement en ce qu’il a alloué à Mme [Y] la somme de 1 260,08 € brut au titre de règlement des 20 jours de mise à pied conservatoire, 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamné la société Agde Distribution aux dépens et l’infirme pour le surplus :

Statuant à nouveau ;

Dit que Mme [Y] a été victime de faits de harcèlement moral :

Condamne la société Agde Distribution à lui verser la somme de 15 000 € à titre de dommages-intérêts ;

Dit que le licenciement de Mme [Y] qui est en lien direct avec les faits de harcèlement moral est nul ;

Condamne la société Agde Distribution à verser à Mme [Y] à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul la somme de 25 000 € ;

Condamne la société Agde Distribution à verser à Mme [Y] à titre d’indemnité compensatrice de préavis la somme de 4 044,56€ outre les congés payés correspondant soient 404,45 € ;

Condamne la société Agde Distribution à verser à Mme [Y] à titre d’indemnité de licenciement la somme de 5 392,76 € ;

Ordonne à la société Agde Distribution de délivrer à Mme [Y] les bulletins de salaire et les documents de fin de contrat rectifié conformément à la présente décision ;

Y ajoutant ;

Condamne la société Agde Distribution à verser à Mme [Y] la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Agde Distribution aux dépens d’appel.

Le greffier Le président

 


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