Licenciement disciplinaire : 17 février 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 20/02322

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Licenciement disciplinaire : 17 février 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 20/02322

ARRÊT DU

17 Février 2023

N° 335/23

N° RG 20/02322 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TJZN

LB/AL

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LANNOY

en date du

12 Novembre 2020

(RG 18/00296 -section 3)

GROSSE :

aux avocats

le 17 Février 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANTE :

S.A.S. TORANN FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Eric LAFORCE, avocat au barreau de DOUAI assisté de Me Naïma BOUABOUD, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

M. [H] [I]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Simon DUTHOIT, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l’audience publique du 17 Novembre 2022

Tenue par Laure BERNARD

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Angelique AZZOLINI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Virginie CLAVERT

: CONSEILLER

Laure BERNARD

: CONSEILLER

Le prononcé de l’arrêt a été prorogé du 27 Janvier 2023 au 17 Février 2023 pour plus ample délibéré

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Février 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 20 Octobre 2022

EXPOSE DU LITIGE

La société Torann France exerce une activité de surveillance et de gardiennage’; elle est soumise à la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité et emploie plus de 2 000 salariés.

M. [H] [I] a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée en date du 4 septembre 2010 en qualité d’agent de sécurité par la société Vigie Village Gardiennage.

Le 1er octobre 2015, le contrat de travail de M. [H] [I] a été tranféré suite au rachat de la société Vigie Villlages Gardiennage par la SASTorann France, avec reprise d’ancienneté au 4 septembre 2010.

Au dernier état, et depuis le 12 avril 2016 M. [H] [I] était responsable planning, agent de maîtrise niveau 1 échelon 3 coefficient 170.

Par courrier du 11 septembre 2017, M. [H] [I] a été convoqué à un entretien préalable fixé le 25’septembre’2017′; l’entretien n’a pas eu lieu.

Par courrier remis en main propre le 23 octobre 2017, M. [H] [I] a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable fixé au 31 octobre 2017′; il a été licencié pour faute grave par courrier en date du 8 novembre 2017 rédigé en ces termes’:

«’Nous vous reprochons les faits suivants’:

Nous avons reçu le 16 octobre 2017 une mise en demeure de paiement de plusieurs factures d’AGSN, un de nos sous-traitants, que pour les mois de Juillet et Août 2017. A réception de ces factures nous avons procédé à des vérifications approfondies via le logiciel COMETE afin de comprendre les raisons pour lesquelles ce sous-traitant nous a adressé ces factures. II s’est avéré que vous avez utilisé un site fictif pour dissimuler à votre hiérarchie des prestations sous-traitées, pour augmenter le montant des factures de nos clients en créant des prestations non réalisées (notamment pour la prestation du 05 août 2017 sur le site SERGIC) et pour camoufler les heures effectuées par les agents. Nous avons donc découvert que vous recourrez régulièrement et de façon abusive à la sous-traitance de prestation sans l’accord de votre hiérarchie.

En effet, vous avez dissimulé les prestations sous-traitées’:

– le 1er juillet 2017 sur le lidl de [Localité 10]’;

– les 15 et 16 juillet 2017 sur le site 3SI Mondial Relay’;

– le 6 août 2017 sur le site SERGIC résidence nationale’;

– les 12 et 13 août 2017 sur le site Conforama [Localité 12]’;

– le 13 août 2017 sur le site Altermove.

Vous avez aussi planifié des prestations non réalisées à nos clients’:

– les l, 2, 3 et 12 juillet 2017 à notre client GSLM concert’;

– le 2 juillet 2017 à notre client Mairie de [Localité 10]’;

– les 11, 12 et 13 juillet 2017 à notre client SAVILLS OPCI DELTA IMMO’;

– le 12 juillet 2017 à notre client Pizza Pai’;

– le 16 juillet 2017 à notre client la Maison des Jeunes’;

– les 6 et 20 août 2017 à notre client GSLM MATCH’;

– les 26 et 27 août 2017 à notre client Auchan [Localité 7]’;

– Le 26 août 2017 à notre client Conforama [Localité 12]’;

– le 28 août 2017 à notre client Auchan [Localité 8] ASL’;

– le 31 août 2017 pour notre client Crédit du Nord.

Et vous avez dissimulé des heures effectuées par les agents’:

– les l, 2 et 12 juillet 2017 sur le site GSLM Concert’;

– le 6 juillet 2017 sur le site la Cité des échanges’;

– le 8 juillet 2017 sur le site 3SI Université’;

– le 10 juillet 2017 sur le site Auchan [Localité 5]’;

– les 12 et 28 juillet 2017 sur le site Auchan Drive de [Localité 6]’;

– le 4 août 2017 sur le site Auchan Petite Forêt Chapiteau’;

– les 4 et 11 août 2017 sur le site Conforama [Localité 12]’;

– les 14, 16, 17, 18, 21, 22, 23, 24, 25, 28, 30 et 31 août 2017 sur le site Noreade’;

– le 18 août 2017 sur le site Auchan [Localité 8] ASL’;

– le 19 août 2017 sur le site 3SI Les Francs’;

– le 19 août 2017 sur le site 3SI Université’;

– les 19 et 20 août 2017 sur le site Delifrance’;

– les 22 et 28 août 2017 sur le site Auchan Drive de [Localité 6]’;

– le 23 août sur le site GSLM CORPO’;

– le 28 août 2017 sur le site SERGIC résidence nationale’;

– le 29 août 2017 sur le site Pizza Paï’;

– le 29 août 2017 sur le site Min de [Localité 9].

Vous vous êtes présenté à cet entretien accompagné de Monsieur [W] [P].

Lors de cet entretien, vous avez reconnu que la sous-traitance était devenue un usage et que cette méthode était préconisée par Monsieur [M] [G], un ancien responsable d’exploitation. Cependant vous n’avez pas pu prouver vos dires et cela ne justifie pas vos actions car, à aucun moment, vous n’avez prévenu ou eu la permission de Monsieur [Y], le Directeur d’Agence depuis le 12 juin 2017, de sous-traiter ces prestations.

Vous avez aussi reconnu être l’auteur des données renseignées sur COMETE. Cela vous a notamment permis’:

– de contourner les paramètres bloquants sur COMETE, paramètres mis en place pour éviter tout débordement dans le respect des droits de salariés, notamment ce qui concerne le respect du temps de repos entre deux prestations, la durée maximale d’une vacation ou encore le nombre d’heures maximum réalisables par semaine par salarié’;

– d’augmenter le montant des factures de nos clients en saisissant des prestations non effectuées sur site. Vous avez indiqué que vous avez suivi, encore une fois, les préconisations de Monsieur [G], le but étant d’améliorer la rentabilité des sites’;

– de dissimuler de la sous-traitance à votre hiérarchie.

Vous avez précisé que ce système a été mis en place par Monsieur [J] [E], ancien directeur d’agence, et Monsieur [G], et que vous n’avez pas envisagé que cela engendrerait des erreurs sur les factures de nos sous-traitants.

Nous avons aussi profité de cet entretien pour revenir sur le cas de Madame [F] [U]. Ce cas devait être évoqué avec vous lors de l’entretien disciplinaire prévu le 25 septembre 2017, entretien pour lequel vous ne vous êtes pas présenté.

Cette salariée vous avait indiqué le 04 Août 2017 être harcelée à son travail mais vous n’avez pas jugé utile de transmettre cette information importante à votre hiérarchie. Vous avez reconnu avoir été informé de la situation concernant Madame [U] mais vous n’avez pas alerté votre hiérarchie à cause d’une soi-disant surcharge de travail.

Alors même que nous n’avions encore pas statué sur l’issue de “entretien préalable du 25 septembre 2017, de nouveaux éléments portés à notre connaissance suite à la réception des factures envoyées par la société AGSN nous ont conduits à procéder à votre mise à pied à titre conservatoire.

L’ensemble des explications que vous nous avez fourni ne sont pas de nature à modifier notre appréciation des faits qui vous sont reprochés.

Nous vous rappelons que depuis le 12 avril 2016 vous occupez le poste de responsable planning.

Vous vous dédouanez de vos responsabilités en citant des salariés ayant quitté l’entreprise, sans nous fournir de preuve. En outre vous ne semblez pas prendre en compte l’irrégularité de vos méthodes, et les risques très importants que vous avez fait prendre à l’entreprise.

Le service planning est sous votre responsabilité et vous avez réalisé les manquements que nous vous reprochons.

Vous indiquez que vous n’aviez pas conscience que vos agissements engendreraient des erreurs sur les factures de nos sous-traitants. Cependant, nous vous rappelons que vous aviez la responsabilité de vérifier si ces factures étaient conformes au travail réellement sous-traité. Vous avez donc eu plusieurs fois l’occasion de constater le décalage entre les montants des factures des sous-traitants à payer et les plannings des sous-traitants sur COMETE.

Vos réponses démontrent que vous ne semblez pas prendre en compte l’impact de vos actions.

En aucun cas nous ne pouvons tolérer de telles pratiques au sein de notre entreprise.

De par vos agissements, vous avez non seulement mis en danger notre entreprise mais, de surcroît, vous n’avez pas respecté plusieurs missions indiquées dans votre fiche de fonction’:

– veiller au respect de la législation en vigueur en matière de réglementation du temps de travail et condition de travail, de la convention collective et des accords d’ entreprise’;

– contrôler les factures de la sous-traitance’;

– justifier tout recourt à la sous-traitance’;

– identifier les dysfonctionnements et remédier par des plans d’action correctifs et/ou alerter la hiérarchie.

Nous vous rappelons que vos actions ont engendrés de fausses factures, des régularisations sur les paies des agents et des tensions avec nos prestataires et nos clients, ce que nous ne pouvons plus tolérer.

Par deux courriers recommandés en date des 8 février 2017 et 8 septembre 2017, nous avons déjà dû vous reprocher des manquements professionnels. Vous n’avez visiblement pas pris en compte nos courriers.

Les faits qui vous sont reprochés dénotent une absence manifeste d’intégrité, de rigueur, et de professionnalisme, ce qui est incompatible avec le sérieux inhérent à votre poste que vous incarnez et avec la poursuite de notre relation contractuelle.

Dans de telles conditions, la poursuite de notre collaboration s’avérant Impossible, nous sommes donc contraints de vous notifier votre licenciement pour faute grave, prenant effet à la date d’envoi du présent courrier, sans préavis ni indemnité, conformément au code du travail. la période de mise à pied à titre conservatoire rendue nécessaire par la présente procédure ne fera l’objet d’aucun salaire ni indemnité.’»

Par jugement rendu le 12 novembre 2020, le conseil de prud’hommes de Lannoy a’:

– dit et jugé que l’action de M. [H] [I] n’est pas prescrite,

– dit et jugé que le licenciement pour faute grave de M. [H] [I] doit être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamné la société Torann France à payer à M. [H] [I] les sommes suivantes’:

* 10′ 581,15’euros au titre des heures supplémentaires outre

1′ 058,15’euros au titre des congés payés afférents,

* 44,51’euros au titre du paiement des heures du dimanche outre 4,45’euros au titre des congés payés afférents,

* 110,37’euros au titre des heures de nuit et du repos compensateur outre 11,03’euros au titre des congés payés afférents,

* 92,74’euros au titre d’un rappel de prime d’ancienneté d’octobre 2017 outre 9,27’euros au titre des congés payés afférents,

* 1′ 083,09’euros au titre de la mise à pied conservatoire outre 108,31’euros au titre des congés payés afférents,

* 4 ‘595,18’euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 459,52’euros au titre des congés payés afférents,

* 4′ 275,43’euros au titre de l’indemnité de licenciement,

* 13 ‘200’euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– dit que ces sommes seront majorées de l’intérêt au taux légal à compter de la date de réception de la convocation par la partie défenderesse devant le bureau de conciliation et d’orientation, soit le 26 novembre 2018, pour les créances de nature salariale, et à compter du présent jugement pour toute autre somme,

– rappelé qu’en vertu de l’article R.1454-28 du code du travail, la présente décision ordonnant le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées à l’ article R.1454-14 dudit code est exécutoire de plein droit dans la limite de 9 mois de salaire calculés sur la moyenne des 3 derniers mois, ladite moyenne s’élevant à 2’290’euros,

– ordonné à la société Torann France de remettre à M. [H] [I] des bulletins de salaire et une attestation Pôle Emploi rectifiés avec le bon coefficient et les modifications de rémunération et ce, sous astreinte de 10’euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la notification du présent jugement,

– dit que le Conseil se réserve le droit de liquider cette astreinte,

– ordonné, conformément à l’article L.1235-4 du code du travail, à l’employeur de rembourser à Pôle Emploi les allocations de chômage versées à M. [H] [I] depuis le licenciement dans la limite de six mois d’indemnités,

– condamné la société Torann France à payer à M. [H] [I] la somme de 1’500’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté M. [H] [I] du surplus de ses demandes,

– débouté la société Torann France de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires au présent dispositif,

– condamné la société Torann France aux éventuels dépens de la présente instance.

La société Torann France a régulièrement interjeté appel contre ce jugement par déclaration du 2 décembre 2020.

Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 19’octobre’2022, la société Torann France demande à la cour de’:

– infirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté M. [H] [I] de sa demande de rappel de salaire au titre des astreintes et de sa demande de dommages et intérêts au titre du dépassement des horaires de travail,

– dire et juger irrecevables les attestations mensongères produites par M. [H] [I],

– dire et juger que le licenciement de M. [H] [I] pour faute grave est fondé,

– débouter M. [H] [I] de l’ensemble de ses demandes,

– ordonner la restitution de la somme nette de 18 451,77’euros qu’elle a versée à M. [H] [I] au titre de l’exécution provisoire,

– condamner M. [H] [I] à lui payer 3’000’euros en application de l’article 700 et aux entiers dépens,

– subsidiairement, ramener à de plus justes proportions les demandes indemnitaires de M. [H] [I].

Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 17’octobre’2022, M. [H] [I] demande à la cour de’:

– confirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande au titre des astreintes 2016 et 2017, de sa demande formulée à titre de dommages et intérêts pour dépassement de la durée du travail, et en ce qu’il a fixé le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 13 200 euros,

– condamner la société Torann France à lui payer’:

* 16 083,13 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 280’euros au titre des astreintes pour l’année 2016 et 2017 outre 28’euros de congés payés,

* 7’079,10’euros pour dépassement de la durée de travail autorisée,

* 2’500’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel en sus de la somme de 1’500’euros accordée en première instance,

– condamner la société Torann France aux dépens.

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 20’octobre’2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité des attestations produites par M. [H] [I]

La société Torann France demande d’écarter les attestations produites par M. [H] [I] comme étant mensongères.

Il appartient à la cour d’apprécier la force probante des attestations critiquées, aucune irrecevabilité n’étant encourue en l’espèce.

La société Torann France sera en conséquence déboutée de cette demande.

Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail

– Sur les heures supplémentaires

M. [H] [I] se prévaut de l’exécution d’heures supplémentaires à hauteur de

10′ 581,15’euros euros pour la période du 1er janvier 2016 jusqu’à son licenciement.

La société Torann France conteste la réalisation d’heures supplémentaires par l’intimé, soulignant que les plannings où il figure parfois comme agent intervenant sur site ne correspondent pas à des prestations effectivement réalisées par ce salarié, qui était enregistré, à tort, comme un sous-traitant de la société.

Sur ce,

Aux termes de l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié’; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Si la preuve des horaires de travail effectués n’incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

En l’espèce, M. [H] [I] a exercé les fonctions d’agent de sécurité, puis de chef de site à compter du mois de mars 2016 puis de responsable planning à compter du 12 avril 2016.

M. [H] [I] verse aux débats :

– un décompte détaillé par jour des horaires effectués depuis le mois de janvier 2016 établi par ses soins,

– un décompte des astreintes et des dimanches travaillés établi par ses soins,

– des compte-rendu de réunion établis lorsqu’il était chef de site Auchan,

– des feuilles de présence signées par lui sur le site Stade [11] au mois de juillet 2017

– des attestations de ses proches (belle-famille, mère, amis) et d’une voisine dont il ressort qu’il était accaparé par son travail, très peu présent pour les événements familiaux et toujours dérangé au téléphone pour gérer les urgences et les problèmes liés à son travail, deux proches évoquant une situation de burn-out,

– des arrêts de travail en maladie ordinaire pour la période du 11 septembre 2017 au 20 octobre 2017,

– un certificat médical du Docteur [X] daté du 16 mai 2018 dans lequel il est mentionné que M. [H] [I] a été en arrêt de travail du 4 novembre 2016 au 20 novembre 2016 en raison d’un état dépressif qu’il dit être en rapport avec une surcharge de travail et de nombreuses heures supplémentaires dans son travail.

Ces éléments sont suffisament précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.

De son côté, la société Torann France conteste la réalité des prestations mentionnées sur le logiciel Comete dans lequel M. [H] [I] était enregistré comme sous-traitant.

Les pièces versées aux débats par chacune des parties établissent que M. [H] [I] a effectué les heures supplémentaires dont il se prévaut. C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes lui a alloué la somme de 10′ 581,15’euros au titre des heures supplémentaires outre 1′ 058,15’euros au titre des congés payés afférents.

– Sur les heures du dimanche, les heures de nuit et la prime d’ancienneté

Aucune disposition du contrat de travail de M. [H] [I] ne stipule qu’il n’effectuera plus d’heures de nuit à compter d’une certaine période.

La comparaison des décomptes des heures du dimanche et des heures de nuit de nuit établis par M. [H] [I] avec ses fiches de paie fait apparaître que la société Torann France est redevable du paiement de ces heures à son égard, le jugement de première instance devant dès lors être confirmé en ce qu’il a alloué 44,51 euros au titre des dimanches travaillés et 4,45 euros au titre des congés payés afférents et 110,37 euros au titre de la majoration des heures de nuit, outre 11,03 euros au titre des congés payés afférents.

Sur la prime d’ancienneté, c’est à juste titre de le conseil de prud’hommes après avoir examiné les dispositions de la convention collective applicable, a jugé que la société Torann France restait redevable d’un rappel de prime d’ancienneté de 92,74 euros au regard de son ancienneté de 7 années, outre les congés payés afférents de 9,27 euros.

– Sur les astreintes des années 2016 et 2017

M. [H] [I] soutient que l’employeur aurait dû lui verser une prime d’astreinte d’un montant de 40 euros par mois depuis le début de la relation contractuelle. Cependant, cette prime, dont le montant est forfaitaire, est fonction du nombre de jour d’astreinte effectué dans le mois ; or M. [H] [I] ne justifie pas avoir effectué d’astreinte avant le 1er mai 2016, son décompte débutant à compter de cette date.

C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes, qui a constaté que M. [H] [I] avait été payé de toutes ses primes d’astreinte à compter du mois de mai 2016, l’a débouté de sa demande à ce titre.

Sur la demande de dommages et intérêts pour non respect de la durée du travail

Au regard des heures supplémentaires effectuées par M. [H] [I]et de leur répartition, et des répercussions de sa charge de travail sur sa vie familiale, il lui sera alloué la somme de 2 000 euros de dommages et intérêts pour non respect de la durée du travail, le jugement déféré étant infirmé en ce sens.

Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

– Sur le bien fondé du licenciement

La société Torann France soutient que M. [H] [I] a commis des fautes justifiant son licenciement pour faute grave ; que celui-ci a en effet créé de faux profils de sous-traitants sur le logiciel Comete afin de dissimuler à sa hiérarchie des prestations sous-traitées (pour lesquelles il n’avait pas reçu d’autorisation), de créer des prestations non réalisées afin d’augmenter artificiellement le montant des factures clients et de dissimuler des heures de travail effectuées par les salariés de Torann France (et passer outre les paramètres bloquants du logiciel), sachant que lui-seul disposait des droits pour créer des profils sur le logiciel Comete, en tant que responsable planning. Elle reproche également à M. [H] [I] de ne pas avoir informé sa hiérarchie de la plainte adressée le 4 août 2017 par Mme [U], salariée de la société, concernant le comportement d’un de ses collègues. La société Torann France soutient que contrairement à ce qu’affirme l’intimé, les faits reprochés ne sont pas prescrits, puisqu’elle n’a eu connaissance de leur ampleur et de leur imputabilité que lors de la réception de la facture de son sous-traitant la société AGSN le 16 octobre 2017 et des vérifications qui ont suivi.

M. [H] [I] soutient que les faits invoqués par son employeur pour motiver son licenciement sont prescrits, celui-ci ayant reçu le mail de mécontentement du Stade [11] le 18 juillet 2017. Il conteste avoir commis une faute ayant justifié son licenciement. Il fait valoir, concernant Mme [U], qu’il restait dans l’attente d’un mail de celle-ci donnant davantage de détails sur les faits ; que s’agissant de l’utilisation du logiciel Comete, l’utilisation de sous-traitants fictifs était une pratique utilisée depuis plusieurs années au sein de la société, et qu’il n’y a eu aucune volonté de dissimulation de sa part à sa hiérarchie ; que plusieurs personnes avaient accès au logiciel Comete et pouvaient modifier les plannings.

Sur ce,

Aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre.

Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Pour que le licenciement disciplinaire soit justifié, l’existence d’une faute avérée et imputable au salarié doit être caractérisée.

La faute grave s’entend d’une faute d’une particulière gravité ayant pour conséquence d’interdire le maintien du salarié dans l’entreprise.

Devant le juge saisi d’un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l’employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d’une part, d’établir l’exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d’autre part, de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise pendant la durée limitée du préavis. Les faits invoqués doivent être matériellement vérifiables.

Enfin, la sanction doit être proportionnée à la faute et tenir compte du contexte dans lequel les faits ont été commis, de l’ancienneté du salarié et des conséquences des agissements incriminés.

En l’espèce, M. [H] [I] employé au sein de la société Torann France depuis octobre 2015 (avec reprise d’ancienneté au 4 septembre 2010) exerçait depuis le 12 avril 2016 la fonction de responsable planning au sein de l’agence Nord Picardie, dont le directeur était initialement M. [E], remplacé par M. [Y] en juin 2017.

Par courrier du 11 septembre 2017, M. [H] [I] a été convoqué à un entretien préalable fixé le 25’septembre’2017′; l’entretien n’a pas eu lieu.

Par courrier remis en main propre le 23 octobre 2017, M. [H] [I] a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable fixé au 31 octobre 2017′; il a été licencié pour faute grave par courrier en date du 8 novembre 2017

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, fait état des griefs suivants imputables à M. [H] [I] :

– dissimulation à la hiérarchie de prestations sous-traitées, pour lesquelles il n’avait pas reçu d’autorisation de sa hiérarchie,

– création de prestations non réalisées afin d’augmenter artificiellement le montant des factures clients,

– dissimulation des heures de travail effectuées par les salariés de Torann France,

– dissimulation de faits de harcèlement dénoncés par Mme [U].

M. [H] [I] se prévaut de l’application de la prescription de deux mois prévue à l’article L.1332-4 du code du travail. Cependant, aucun élément ne permet de considérer que la société Torann France avait connaissance de la lettre rédigée par Mme [U] avant le 11 septembre 2017 (date de la lettre de convocation à l’entretien préalable, qui n’a pas eu lieu) ; par ailleurs, s’agissant des autres griefs, si la lettre de mise en demeure du 9 octobre 2017 de la société sous-traitante AGSN (reçue le 16 octobre 2017) concerne nécessairement des factures émises antérieurement à cette date, la cour reste dans l’ignorance de celle-ci ; la société Torann France établit bien en outre avoir effectué des vérifications sur les plannings édités sur le logiciel Comete peu après le 16 octobre 2017 ; dès lors, aucun des faits invoqués par l’employeur comme motifs de licenciement ne sont prescrits.

Concernant les faits dénoncés par Mme [U], celle-ci, employée depuis peu au sein de la société, a adressé le 16 août 2017 un courrier à M. [H] [I], se plaignant du comportement de M. [O], collègue de travail, qui aurait tenu à son égard des propos inadaptés et aurait divulgué son numéro de téléphone à d’autres agents extérieurs à la société. Or, M. [H] [I] n’a pas informé sa hiérarchie des faits dénoncés, alors qu’il lui incombait, au regard de sa fiche de poste, de proposer et suivre les mesures disciplinaires. Si aucune volonté de dissimulation n’est établie, il doit être retenu une négligence, qui constitue un fait fautif imputable à M. [H] [I].

S’agissant des autres griefs, ils sont tous liés à l’utilisation par M. [H] [I] du logiciel Comete, destiné à l’établissement des plannings des agents. La lecture des extraits de ce logiciel produits par la société Torann France révèle qu’il existait un onglet ‘sous-traitant’ parmi lequel figurait une société fictive dénommée ‘Personnel agence travaillant sur site’ qui regroupait en réalité M. [I], M. [Z] , M. [O] (ancien responsable d’exploitation), et M. [E] ; rien ne permet cependant de considérer que M. [H] [I] a effectivement créé cet onglet puisque la direction d’agence avait également accès à cette fonction, ni que cet usage n’était pas connu et avalisé par la direction antérieurement à l’arrivée de M. [Y] ; à cet égard, M. [Z], ancien responsable qualité de la société, atteste d’une part, que d’autres personnes que M. [H] [I] avaient accès aux plannings (depuis l’Euro 2016) et d’autre part, pour que les heures que le personnel de l’agence sur le terrain puissent être facturées, celui-ci était enregistré dans le logiciel comme sous-traitant.

Les affirmations de la société Torann France selon lesquelles cette utilisation du logiciel Comete a conduit à de nombreuses réclamations de la part de salariés dont les heures de travail auraient été dissimulées ne sont aucunement étayées.

S’agissant par ailleurs des erreurs de facturation nuisant à ses relations avec ses clients, la société Torann France ne verse aux débats pour le démontrer qu’un courriel de mécontententement d’un client (courriel du stade [11] du 18 juillet 2017).

Enfin, concernant la dissimulation du recours à la sous-traitance, la société Torann France verse uniquement aux débats un mail de M. [E] daté du 8 avril 2016 sollicitant que toute demande de sous-traitance lui soit préalablement soumise (M. [H] [I] n’apparaissant pas parmi les destinataires), et une facture de relance de son unique sous-traitant AGSN datée du 9 octobre 2017. Ces pièces sont insuffisantes à établir les dissimulations de sous-traitance imputées à M. [H] [I], et le recours abusif à celle-ci, en violation des règles établies par sa hiérarchie.

Ainsi, il n’est démontré aucune dissimulation ou falsification fautive sur le logiciel Comete imputable à M. [H] [I], le seul fait pouvant être retenu contre lui étant un défaut de rigueur dans la tenue des plannings, ayant conduit à des erreurs de facturation pour deux événements du 1er juillet 2017 et du 12 juillet 2017, et partant, au mécontententement du client concerné (courriel du stade [11] du 18 juillet 2017).

Cette négligence à l’égard des faits dénoncés par Mme [U] et ce manque de rigueur dans la tenue des plannings justifiaient une sanction de la part de l’employeur, sachant que M. [H] [I] avait déjà été sanctionné par un avertissement le 8 février 2017 pour une blague inadaptée à l’égard collègue et le 8 septembre 2017 pour une mauvaise gestion des plannings. Cependant, une mesure de licenciement était disproportionnée aux fautes qui lui étaient imputables.

Le jugement de première instance sera en conséquence confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement de M. [H] [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement

Conformément à l’article L. 1235-3 dans sa rédaction applicable au présent litige, si un licenciement intervient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse et qu’il n’y a pas réintégration du salarié dans l’entreprise, il est octroyé à celui-ci, à la charge de l’employeur, une indemnité dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés, dans le cadre des tableaux repris auxdits articles.

M. [H] [I] justifie avoir retrouvé un emploi à durée indéterminée à compter du 30 septembre 2018 en qualité d’opérateur au sein de la société Brinks Evolution moyennant une rémunération mensuelle de base de 1 638,57 euros brut.

Compte tenu de cet élément, de l’âge de M. [H] [I] au moment de son licenciement (30 ans) et de son ancienneté dans l’entreprise (7 ans) ainsi que du montant de son salaire brut mensuel (2 297,59 euros), le jugement de première instance sera confirmé en ce qu’il a fixé le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 13 200 euros.

Le jugement entrepris doit également être confirmé en ce qu’il a condamné la société Torann France à payer à M. [H] [I] la somme de 1′ 083,09’euros au titre de la mise à pied conservatoire outre 108,31’euros au titre des congés payés afférents,

4 ‘595,18’euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 459,52’euros au titre des congés payés afférents et 4′ 275,43’euros au titre de l’indemnité de licenciement.

Sur les dépens et l’indemnité de procédure

Les dispositions du jugement du première instance relatives aux dépens et à l’indemnité de procédure seront confirmées.

La société Torann France, qui succombe à l’instance au sens de l’article 696 du code de procédure civile, sera condamnée aux dépens ainsi qu’à payer à M. [H] [I] la somme complémentaire de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement rendu le 12’novembre’2020 par le conseil de prud’hommes de Lannoy sauf en ce qu’il a débouté M. [H] [I] de sa demande de dommages et intérêts pour non respect de la durée du travail,

Statuant à nouveau,

DEBOUTE la SAS Torann France de sa demande tendant à voir écarter les attestations produites par M. [H] [I] ;

CONDAMNE la SAS Torann France à payer à M. [H] [I] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect de la durée du travail ;

CONDAMNE la SAS Torann France aux dépens ;

CONDAMNE la SAS Torann France à payer à M. [H] [I] la somme complémentaire de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER

Nadine BERLY

LE PRESIDENT

Pierre NOUBEL

 


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