Liberté d’opinion du journaliste : affaire le Nouvel Observateur du Monde
Liberté d’opinion du journaliste : affaire le Nouvel Observateur du Monde

Les juridictions ont tranché : la directrice adjointe de la direction du Nouvel Observateur du Monde n’a pas été licenciée au titre de ses opinions politiques.

Aux termes de l’article 4 du contrat de travail définissant les fonctions de l’intéressée, cette dernière « devait exercer ses fonctions dans l’esprit des valeurs éthiques et professionnelles ayant présidé, à la fondation et à la spécificité du Nouvel Observateur, ainsi que dans le respect de la ligne du journal définie par le Comité Editorial ».

S’il est constant que la directrice adjointe se positionnait sur une ligne classée ‘plus à gauche’ que la ligne du journal qui l’employait, alors qu’elle était tenue contractuellement de

ne pas s’en éloigner, le dossier ne révélait aucune sanction, aucune mise à l’écart, aucune mesure directe ou indirecte laissant penser qu’elle a fait l’objet d’une quelconque discrimination. Aucun élément ne traduisait que celle-ci  a été limitée dans sa communication en raison de ses opinions politiques pendant l’exécution du contrat de travail.

La lettre de licenciement ne contenait aucun élément de nature à accorder un crédit à la thèse de l’intéressée : il lui était précisément reproché uniquement une insuffisance professionnelle dans ses fonctions et responsabilités de directrice adjointe de la rédaction qu’elle exerçait depuis deux ans.

La lettre de licenciement mettait n exergue en particulier un manque d’implication, un désintérêt pour les enjeux auquel le journal était confronté, un désengagement, un manque d’appui du directeur de la rédaction, une insuffisance de dialogue, d’animation et de management. Les griefs formulés dans la lettre de licenciement étaient ainsi étrangers à toute discrimination ou atteinte à la liberté de l’intéressée.

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RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 3

ARRET DU 12 MAI 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/01562 –��N° Portalis 35L7-V-B7C-B46CO

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Décembre 2017 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS 10 – RG n° F16/07771

APPELANTE

SA LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège sis

10/12 place de la Bourse

[…]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

INTIMÉE

Madame C X

[…]

[…]

Assistée de Me Rachel SPIRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0335

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Mars 2021, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Véronique MARMORAT, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur FONTANAUD S, Président de chambre

Madame MENARD Anne, Présidente de chambre

Madame MARMORAT Véronique, Présidente de chambre

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

— signé par Monsieur S FONTANAUD, Président de chambre, et par Madame Najma EL FARISSI, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Madame C X, engagée par la société LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE par contrat à durée indéterminée du 24 mai 2014, en qualité de Directrice adjointe de la rédaction, après avoir collaboré comme journaliste en écrivant des articles pour le « Nouvel observateur », a été licenciée par lettre du 25 mai 2016 énonçant les motifs suivants:

«… Nous avons à plusieurs reprises, notamment à l’occasion d’un entretien avec le Directeur de la rédaction le 7 avril 2016, ainsi que d’un second qui s’est tenu en présence de la Directrice Générale Déléguée le 9 mai 2016, fait le reproche de votre incapacité à remplir ces missions de façon professionnellement satisfaisante eu égard à vos responsabilités et de ne pas être en mesure de mettre fin aux dysfonctionnements répétés constatés, qui ne peuvent perdurer.

Depuis votre arrivée le 15 juin 2014, vous n’avez pas su vous positionner dans vos responsabilités de Directrice adjointe de la rédaction, ni prendre la mesure des responsabilités qui vous incombent et de l’autorité induite par vos fonctions.

C’est ce constat qui vous a été adressé le 7 avril lors d’une discussion avec le Directeur de la rédaction, au cours de laquelle celui-ci vous a exprimé les dysfonctionnements constatés dans l’exercice de vos fonctions et déplorait notamment votre incapacité à exercer votre autorité sur l’ensemble de la rédaction et non uniquement sur la rubrique Débats.

Vous ne vous êtes pas suffisamment impliquée dans la vie et le fonctionnement de l’ensemble de la rédaction, ni n’avez souhaité vous intéresser aux enjeux stratégiques auquel notre titre est confronté, malgré votre fonction et votre participation au comité de direction.

Ce désengagement à l’égard des problématiques stratégiques et du fonctionnement de la rédaction est incompatible avec fonctions de Directrice Adjointe de la Rédaction et de membre du Comité de direction. Celles-ci impliquent non seulement de participer à l’élaboration de la stratégie du journal et au fonctionnement de la rédaction, mais également de porter les décisions à mettre en oeuvre, en appui et en relais du Directeur de la rédaction.

A ce titre, nous déplorons que malgré vos responsabilités vous ne soyez pas suffisamment intervenue auprès de la rédaction en appui du Directeur de la rédaction afin de porter les décisions et les projets de la Direction, vous désolidarisant ainsi des décisions mises en oeuvre.

Nous avons pu le constater en janvier 2016 à l’occasion de la décision de retirer des kiosques TéléObs au cours duquel le Directeur de la rédaction a dû justifier seul, à plusieurs reprises, de cette décision auprès de l’ensemble des salariés, sans que vous n’interveniez en soutien à l’occasion de ces échanges. Ce comportement a également été observé lors des conférences de rédaction chaque fois que la direction de la rédaction était interpellée par les élus ou ses représentants.

Ce manque d’implication est l’illustration d’un désengagement incompatible avec vos fonctions et vos responsabilités de Directrice Adjointe de la rédaction, qui devaient vous amener à être une véritable force de propositions.

L’insuffisance de dialogue entre vous et les équipes n’a également eu de cesse de se renforcer, notamment auprès du Directeur de la rédaction, des autres membres de la Direction de la rédaction, de la Rédaction en chef et des chefs de service.

En effet, votre absence d’animation et de management auprès de l’ensemble de la rédaction est patente : participation passive dans les réunions d’encadrants de la rédaction et aux conférences de rédaction, une difficulté à échangr avec l’ensemble des encadrants et les journalistes à l’exception d’un nombre restreint d’interlocuteurs, illustrant une véritable difficulté à vous inscrire dans le fonctionnement de la rédaction et dans les échanges nécessaires à l’élaboration du magazine.

Lorsque nous avons été amenés à partager avec vous ces constats et ces difficultés afin de faire évoluer la situation, nous n’avons jamais été en mesure d’avoir des échanges constructifs.

Lors des échanges que nous avons eus sur l’ensemble de ces dysfonctionnements, vous avez toujours prétendu que la responsabilité de cette situation ne vous incombait pas mais reposait sur les autres membres de l’encadrement de la Direction, et notamment rédacteur en chef et chefs de services, comme vous l’avez exposé à Matthieu Z le 7 avril dernier.

Ces échanges n’ont amené aucune remise en cause de votre part et n’ont pas permis de constater de changement ni d’amélioration notables dans votre posture, comme il vous l’a été exposé le 9 mai 2016 par le Directeur de la rédaction.

Pour autant, vous n’avez jamais pris de décision en la matière afin que la situation s’améliore et alors que ces responsabilités vous incombent.

Cette situation est d’autant plus alarmante que vos fonctions auraient dû vous amener à faire le nécessaire pour régler ces situations. L’absence de recherches de moyens et de solutions, est, dans ce cas, la démonstration de votre incapacité à animer correctement la rédaction de l’Obs au regard de vos responsabilités et du rôle qui doit être le vôtre.

Votre absence d’implication et de pilotage de l’activité dans les missions qui sont les vôtres créent des dysfonctionnements au sein de la Direction de la rédaction qui ont progressivement rendu la situation intenable au cours des derniers mois, notamment à l’égard du Directeur de la rédaction avec lequel vous communiquez de moins en moins.

Outre cette incapacité à assumer et prendre la mesure de vos fonctions de Directrice Adjointe de la rédaction, l’absence de soutien affiché aux décisions stratégiques prises par le Directeur de la rédaction et le manque de solidarité affiché à l’égard de la Direction, mettant à mal les décisions prises, caractérisent votre non-adhésion au projet de l’entreprise, incompatible avec le rôle de Direction que vous occupez.

A cet égard, vous avez même récemment émis des doutes et exprimé votre scepticisme sur le projet de relance éditoriale préparé par le Directeur de la rédaction à l’occasion d’un échange avec la Directrice Générale Déléguée, illustrant encore un peu plus votre désengagement à l’égard de la stratégie portée par le Directeur de la rédaction.

Cette position est inadmissible à deux titres : d’une part, vous ne marquez pas votre soutien à des orientations stratégiques de l’entreprise que vous devez porter en tant que membre du Comité de Direction, et, d’autre part, vous n’assurez pas votre mission d’organisation et d’animation de la rédaction. Cette défiance a pour conséquence une perte de confiance à l’égard de votre capacité à vous inscrire dans le projet et la stratégie de l’entreprise, dans un contexte où l’adhésion et le concours de l’ensemble de ses dirigeants est indispensable.

Une telle situation, l’ensemble des éléments évoqués précédemment et votre incapacité à modifier votre comportement professionnel nous contraignent par la présente à vous notifier la rupture de votre contrat de travail…».

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des journalistes.

Contestant son licenciement, Madame X a saisi le conseil de prud’hommes de PARIS le 5 juillet 2016.

Par jugement du 08 décembre 2017, le conseil de prud’hommes de PARIS a débouté Mme X de son action en nullité du licenciement, mais a condamné la société LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE à lui verser 90.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les parties ont interjeté appel de cette décision.

Par conclusions récapitulatives du 5 février 2021, auxquelles il convient de se référer en ce qui concerne ses moyens, la société LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE demande à la Cour, à titre principal, de constater le caractère réel et sérieux du licenciement de Madame C X, d’infirmer le jugement. A titre subsidiaire, la société sollicite que soit limitée sa condamnation au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul ou pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à un montant conforme à la réalité du préjudice subi, soit 17.000 euros ou, à défaut, 51.000 euros

En tout état de cause, la société LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE demande de débouter Madame X de ses demandes, et de la condamner à lui verser 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens dont distraction au profit de la SELARL LEX AVOUE PARIS-VERSAILLES, prise en la personne de Maître Mathieu BOCCON-GIBOD.

Par conclusions récapitulatives du 8 février 2021, auxquelles il convient de se référer en ce qui concerne ses moyens, Madame X demande d’infirmer le jugement en ce qu’il a limité la condamnation de la société LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE à la somme de 90.000 euros au titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, limité la condamnation de la société à la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et l’a débouté du surplus de ses demandes.

Madame X demande de fixer son salaire de référence à 9.208,24 euros mensuels, et, à titre principal, de prononcer la nullité du licenciement à raison de son caractère discriminatoire et de la violation des libertés fondamentales que constituent la liberté d’expression et d’opinion. A titre subsidiaire, elle sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a jugé que le licenciement de Madame X était dépourvu de toute cause réelle et sérieuse.

En tout état de cause, Madame X demande de condamner la société LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE à lui verser :

—  331.500 euros nets, correspondant à 36 mois de salaire, à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice né de la perte injustifiée de l’emploi, sur le fondement de l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa version applicable à la cause

—  165.750,12 euros nets, correspondant à 18 mois de salaire, à titre de dommages et intérêt en réparation du préjudice distinct subi du fait des circonstances vexatoires de la rupture et de l’atteinte à son image tirée de la large médiatisation apposée par la société à son éviction

En outre, elle demande d’ordonner l’affichage de la décision à intervenir pendant 2 mois dans les locaux de la société sur les panneaux réservés aux communications de la Direction, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de condamner la société à lui payer les intérêts sur les intérêts dus au taux légal (anatocisme) en reportant le point de départ des intérêts à la date de la saisine du Conseil de Prud’hommes, de condamner la société à lui remettre les documents de fin de contrat conformes au jugement à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et par document à compter du 8e jour suivant sa notification, la Cour se réservant le contentieux de la liquidation de l’astreint, et enfin de condamner la société au versement de la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

***

MOTIFS

Sur la jonction des instances

En application de l’article 367 du code de procédure civile, il convient, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, d’ordonner la jonction des instances inscrites au répertoire général du greffe sous les numéros 18/01668, 18/03008 et 18/01562 et de dresser du tout un seul et même arrêt sous le numéro 18/01562.

Sur le salaire de référence

Aux termes de l’article 44 de la convention collective des journalistes : ‘L’indemnité de licenciement sera calculée pour les journalistes professionnels employés à plein temps ou temps partiel sur le dernier salaire perçu ou, pour les journalistes salariés ne percevant pas un salaire mensuel régulier, sur la base de 1/12 des salaires perçus au cours des 12 mois précédant le licenciement ou de 1/24 des salaires perçus au cours des 24 derniers mois précédant le licenciement au choix du salarié. Cette somme sera augmentée de 1/12 pour tenir compte du treizième mois conventionnel défini à l’article 25. Lorsque l’ancienneté du journaliste professionnel dans l’entreprise sera inférieure à 1 an, l’indemnité de licenciement sera calculée sur la moyenne des salaires perçus pendant cette période.’

Le contrat de travail de Madame X signé par les parties le 24 mai 2014 stipule qu’il est ‘ régi par la convention collective des journalistes du 27 octobre 1987″. Pour le calcul du salaire mensuel de référence, il convient d’intégrer la prime de 13e mois versée à Madame X, ce qui conduit à retenir un salaire mensuel de 9.208,34 euros brut.

Sur la demande tendant à faire prononcer la nullité du licenciement et les demandes indemnitaires qui y sont liées

Madame X soutient que son licenciement est discriminatoire, car prononcé en raison de ses opinions politiques, et sanctionne l’exercice normal de sa liberté d’expression, entendue comme comprenant la liberté d’opinion.

Aux termes de l »article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte en raison de ses opinions politiques.

L’article L 1134-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Madame X affirme que ses opinions politiques, et notamment son soutien au mouvement ‘Nuit debout’, sa relation avec D E, l’un des investigateurs du mouvement, et son initiative de donner la parole, dans la rubrique ‘Débats et Culture’ dont elle avait la charge, à des intellectuels plus à gauche que ceux habituellement relayés par le journal, ont motivé son licenciement.

Elle explique, en s’appuyant sur l’enquête de F G, journaliste à Mediapart, que le Président de la République H I a rencontré Monsieur J K, actionnaire de la société LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE, afin de l’encourager à la licencier. Elle affirme que la rupture de son contrat de travail relève de l’initiative des actionnaires de la société, et non de Matthieu Z, Directeur de la rédaction.

Madame X verse au débat l’attestation de Monsieur L M, secrétaire du comité d’entreprise, qui rapporte des propos tenus le 11 mai 2016 par Monsieur N Y, cofondateur et actionnaire de la société LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE, à l’occasion d’un conseil de surveillance de la société, et à propos du licenciement envisagé de Madame X : ‘ Je n’ai rien contre C X. J’estime sa culture, son intelligence et j’ai même de l’admiration pour elle. Mais C X est totalement en faute. Elle n’a pas respecté la ligne sociale démocrate de la charte de l’Observateur’.

En outre, à l’issue du conseil de surveillance, le 14 mai 2016, Monsieur Y a adressé à Madame X un SMS dont le contenu est le suivant : ‘ La décision du dernier conseil est évidemment irrévocable’. ‘Je respecte vos opinions mais je pense qu’elles ont influencé votre travail’.

Monsieur Y écrivait par ailleurs au FIGARO le 1er juin 2016: ‘quand on respecte son lecteur, on ne lui impose pas une idée. C X donne la parole à Nuit debout ! Cela la regarde mais ce n’est pas la ligne du journal’.

Enfin, Madame X verse au débat une attestation de Monsieur F G, cofondateur de Mediapart, en date 23 décembre 2020 aux termes de laquelle ‘À la suite d’un article que j’avais écrit sur l’entrée du groupe Renault au capital du Magazine Challenges, son fondateur N Y m’a invité à le rencontrer le 10 janvier 2018. Au cours de nos échanges, il m’a confirmé ce jour-là que c’était bien J K, actionnaire de l’Obs, qui avait voulu ton licenciement’.

A l’appui de ses accusations, notamment concernant l’intervention invoquée du président de la république H I, Madame X produit un certain nombre d’articles de presse rédigés par des journalistes entre le 10 mai et le 16 juin 2016. Cependant, les auteurs des articles, tout comme ceux des attestations produites par l’intéressée n’ont pas été témoins de l’injonction alléguée du chef de l’État.

Après analyse de l’ensemble des pièces produites par Madame X, il n’existe aucun indice laissant supposer l’existence d’une discrimination dont l’intéressée aurait pu être la victime préalablement à la rupture de son contrat.

Il est par ailleurs rappelé qu’aux termes de l’article 4 du contrat de travail définissant les fonctions de l’intéressée, ‘Madame C X exercera ses fonctions dans l’esprit des valeurs éthiques et professionnelles ayant présidé, sous l’égide de R S, à la fondation et à la spécificité du Nouvel Observateur, ainsi que dans le respect de la ligne du journal définie par le Comité Editorial’.

Néanmoins, même s’il est constant que Madame X se positionnait sur une ligne classée ‘plus à gauche’ que la ligne du journal qui l’employait, alors qu’elle était tenue contractuellement de

ne pas s’en éloigner, le dossier ne révèle aucune sanction, aucune mise à l’écart, aucune mesure directe ou indirecte laissant penser qu’elle a fait l’objet d’une quelconque discrimination. Aucun élément ne traduit que Mme X a été limitée dans sa communication en raison de ses opinions politiques pendant l’exécution du contrat de travail.

Cependant, l’intéressée soutient que son licenciement a été prononcé pour un motif politique, qu’il porte atteinte à ses droits fondamentaux, et en particulier à ses libertés d’opinion et d’expression, et qu’il est dès lors discriminatoire.

La lettre de licenciement ne contient aucun élément de nature à accorder un crédit à la thèse de Mme X : il lui est précisément reproché une insuffisance professionnelle dans ses fonctions et responsabilités de directrice adjointe de la rédaction qu’elle exerçait depuis deux ans.

La lettre de licenciement met en exergue en particulier un manque d’implication, un désintérêt pour les enjeux auquel le journal est confronté, un désengagement, un manque d’appui du directeur de la rédaction, une insuffisance de dialogue, d’animation et de management. Les griefs formulés dans la lettre de licenciement sont ainsi étrangers à toute discrimination ou atteinte à la liberté de l’intéressée.

En s’appuyant sur les éléments précédemment évoqués, Mme X soutient cependant qu’elle a été sanctionnée en raison de ses opinions politiques réelles ou supposées. Il incombe donc à l’employeur de prouver que sa décision a été prise pour des motifs étrangers à toute discrimination.

La société LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE réplique que le licenciement de Madame X a été prononcé en raison de son incapacité à exercer ses fonctions de directrice adjointe de la rédaction. L’employeur précise que les difficultés économiques du journal étaient importantes et que le poste nécessitait de prendre part aux difficiles décisions stratégique nécessaires au redressement et à la survie du magazine. Il fait observer qu’entre 2013 et 2014, l’entreprise a subi une baisse de son chiffre d’affaires de plus de 12 %, passant de 92 millions d’euros en 2013 à 80 millions en 2014. Ainsi les pertes du journal étaient presque doublées sur cette même période, passant de près de 7 millions d’euros en 2013 à près de 13 millions en 2014. Les pièces produites montrent qu’effectivement Madame X était consciente de l’enjeu au moment de son embauche, reconnaissant que le pari était risqué.

Par ailleurs, l’employeur rappelle que la salariée prétend que le président de la république aurait souhaité son éviction au motif qu’elle se serait fait l’écho du mouvement « nuit debout » et aurait donné la parole à des intellectuels « trop à gauche». Or, il fait observer à juste titre que le contenu éditorial du journal relève de la responsabilité du directeur de la rédaction, c’est-à-dire de Monsieur Z, et non de la directrice adjointe. De plus, l’employeur ajoute, sans être utilement démenti sur ce point, qu’il a continué de publier des intellectuels relayés dans la rubrique dirigée par Madame X postérieurement au départ de cette dernière.

Enfin, contrairement à ce qu’affirme Madame X, le licenciement n’a pas été décidé lors du conseil de surveillance du 11 mai 2016, la décision de licencier l’intéressée ayant bien été prise en réalité par Monsieur Z, supérieur hiérarchique de Madame X. La situation de la salariée n’était pas inscrite à l’ordre du jour de la réunion du conseil de surveillance du 11 mai 2016. Monsieur Z explique à cet égard dans une attestation précise et circonstanciée en date du 29 septembre 2017 qu’il avait reçu la salariée en présence de la directrice générale du journal le 9 mai 2016 pour lui faire part de son intention d’engager une procédure de licenciement. L’intéressée ne donnait pas satisfaction selon lui et, malgré de nombreux rappels, la salariée « se cantonnait à une attitude passive, enfermée dans son bureau ». Il fait observer que la situation s’était dégradée à la fin de l’année 2015 et au début de l’année 2016. Monsieur Z a effectivement informé les membres du conseil de surveillance de sa décision de remanier l’équipe de direction de la rédaction, mais sa décision d’engager la procédure avait été prise avant la réunion du conseil de surveillance.

En réalité, au vu de l’ensemble des éléments versés au débat, la décision de Monsieur Z est uniquement fondée sur l’incapacité de Madame X à exercer de façon satisfaisante, selon lui, ses fonctions de directrice adjointe de la direction. Enfin, les actionnaires, qui n’ont aucun pouvoir de direction au sein d’un journal, n’ont pu décider du licenciement de la salariée. En l’espèce, ils ont uniquement manifesté leur soutien à Monsieur Z, directeur de la rédaction, qui en prenait l’initiative.

Il s’ensuit que Madame X a bien été licenciée car l’employeur considérait que celle-ci montrait une incapacité à assumer correctement ses fonctions. Au vu des éléments produits au débat, l’intéressée n’a fait l’objet d’aucune discrimination, n’a pas été licenciée en raison d’opinion politique, et il n’a pas été porté atteinte à ses droits fondamentaux.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Madame X de sa demande d’indemnité à titre de licenciement nul.

Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement pour insuffisance professionnelle

L’insuffisance professionnelle, qui se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié d’exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification, constitue une cause légitime de licenciement. Si l’appréciation des aptitudes professionnelles et de l’adaptation à l’emploi relève du pouvoir patronal, l’insuffisance alléguée doit toutefois reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur une appréciation subjective de l’employeur.

Pour justifier le licenciement, les griefs formulés doivent être suffisamment pertinents, matériellement vérifiables et perturber la bonne marche de l’entreprise ou être préjudiciables aux intérêts de celle-ci.

La lettre de licenciement reproche notamment à Madame X de s’investir uniquement sur une fraction de la rédaction, le service Débats, et de se désengager des problématiques stratégiques et du fonctionnement de la rédaction. Elle souligne une absence d’appui auprès du Directeur de la rédaction concernant les projets et les décisions mises en place.

La lettre de licenciement fait référence à deux entretiens, un premier en date du 7 avril 2016 avec le Directeur de la rédaction, ainsi qu’un second, en présence de la Directrice Générale Déléguée, Madame A, en date du 9 mai de la même année. La société avance que des reproches ont été faits à Madame X à ces occasions, et écrit dans la lettre: ‘ces échanges n’ont amené aucune remise en cause de votre part et n’ont pas permis de constater de changement ni d’amélioration notables dans votre posture’.

Madame X réplique qu’elle bénéficiait d’un important soutien au sein de la rédaction et que ses qualités professionnelles n’étaient pas remises en cause. Elle verse au débat de nombreuses attestations de collaborateurs, qui font état de ses qualités professionnelles et du succès de la rubrique ‘Débats et Culture’ dont Madame X avait la charge. La salariée a par ailleurs reçu un soutien public de la société des rédacteurs de l’Obs lors de la publication dans le journal LIBERATION le 20 mai 2016 d’un article ‘Nous, journalistes de l’Obs’. La société des rédacteurs du journal a ainsi demandé, tout comme l’intersyndicale de l’Obs, l’arrêt de la procédure de licenciement engagée contre Madame X. Elle signale enfin que le jeudi 12 mai, soit le lendemain du conseil de surveillance à l’occasion duquel le licenciement de Madame X avait été invoqué, une motion de défiance à l’encontre de Monsieur Z a été votée 80%.

Les soutiens reçus, notamment de la part de journalistes, ne démontrent nullement la capacité de Madame X à exercer les fonctions de directrice ajointe, sous les directives de Monsieur Z conformément aux stipulations de son contrat de travail. En effet, l’appréciation de son aptitude à remplir ses fonctions d’encadrement et à assumer les missions qui lui sont confiées

relève de l’employeur.

Cependant, en l’espèce, la société LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE ne produit pas d’éléments de preuve pour justifier l’insuffisance professionnelle qu’elle invoque, hormis une attestation de Monsieur Z, directeur de la rédaction, qui a lui-même procédé au licenciement.

En effet, au vu des éléments versés au débat, Madame X n’a pas fait l’objet de procédures d’évaluation, ni d’observations défavorables ou de mise en garde préalablement au licenciement. Les entretiens évoqués dans la lettre de licenciement ne sont pas corroborés par des éléments précis démontrant que la salariée a été alertée en temps utile de la situation et invitée à améliorer la qualité de son travail : le premier, de très courte durée, a eu lieu sur l’initiative de la salariée, et le second s’est déroulé quelques jours seulement avant la convocation de Madame X à un entretien préalable.

Ainsi, l’insuffisance alléguée n’est pas suffisamment démontrée et l’employeur n’apporte pas de justification sur le fait que le comportement de l’intéressée a perturbé la bonne marche de l’entreprise.

Il s’ensuit que la décision des premiers juges doit être confirmée en ce qu’elle a jugé que le licenciement de Madame X est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Au vu des pièces et des explications fournies, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Madame X telle que rappelée précédemment, de son âge (44 ans à l’époque du licenciement), de son ancienneté de deux ans qui doit ici être prise en compte à compter de la signature du contrat de travail, et des conséquences du licenciement à son égard (chômage de juillet 2016 à décembre 2017), c’est par une juste appréciation du préjudice subi que les premiers juges ont condamné la société LE NOUVEL OBSERVATOIRE DU MONDE à verser à Madame X la somme de 90.000 euros au titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige.

Il n’a pas lieu d’ordonner l’affichage de la décision à intervenir dans les locaux de l’entreprise, la demande de Madame X à ce titre n’étant pas justifiée.

Sur les circonstances vexatoires de la rupture

Au vu des pièces produites, la société LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE ne peut être tenue responsable de la médiatisation du licenciement, et Madame B ne rapporte pas la preuve d’un préjudice distinct de la rupture du contrat justifiant qu’il lui soit alloué, en sus de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse précédemment allouée, des dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur la demande de documents

Compte tenu des développements qui précèdent, la demande tendant à la remise de documents sociaux conformes sous astreinte n’apparaît pas justifiée en l’espèce. Mme X ne soutient pas que l’employeur ne lui a pas adressé les documents de fin de contrat (bulletins de paie conforme, attestation Pôle emploi ou certificat de travail).

Sur le remboursement des indemnités de chômage

S’agissant en l’espèce d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse prononcé en application de l’article 1235-3 du code du travail, la salariée ayant plus de deux ans d’ancienneté au moment du licenciement et l’employeur occupant au moins 11 salariés , il convient, en application de l’article L 1235-4 du code du travail d’ordonner d’office le remboursement des allocations de chômage du jour du licenciement au jour de la présente décision dans la limite de deux mois, les organismes intéressés n’étant pas intervenus à l’audience et n’ayant pas fait connaître le montant des indemnités.

PAR CES MOTIFS

La cour,

DIT n’y avoir pas lieu à prononcer la nullité du licenciement,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

FIXE le salaire mensuel de référence à 9.208,34 euros

DIT que la condamnation au paiement au paiement d’une créance indemnitaire portera intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt ;

Autorise la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil;

ORDONNE le remboursement par la société LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE des indemnités de chômage payées à la suite du licenciement , dans la limite de deux mois et dit qu’une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le greffe par lettre simple à la direction générale de Pôle emploi conformément aux dispositions de l’article R. 1235-2 du code du travail;

DEBOUTE les parties du surplus des demandes,

VU l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE à payer Madame X en cause d’appel la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties du surplus des demandes ;

CONDAMNE la société LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


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