Liberté d’expression v/ Propriété intellectuelle : affaire “Emmanuelle”

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Liberté d’expression v/ Propriété intellectuelle : affaire “Emmanuelle”
Ce point juridique est utile ?

Le photographe de l’affiche mythique du film Emmanuelle (actrice Sylvia Kristel) a été débouté de son action en contrefaçon contre le Groupe Marie-Claire.

Décès de Sylvia Kristel

A l’occasion du décès de Sylvia Kristel survenu le 17 octobre 2012, la SA Inter Edi (Groupe Marie-Claire) a diffusé sur son site internet un article, intitulé « Mort d’Emmanuelle : l’hommage de Just Jaeckin et de Twitter », annonçant l’évènement et rapportant les hommages publics rendus à la défunte, dont celui de Just Jaeckin. Le texte était illustré par une photographie de la jaquette du DVD du film Emmanuelle qui reproduisait l’œuvre du photographe.

Liberté d’informer c/ Droits d’auteur

Si l’information portée à la connaissance du public (décès de l’actrice Sylvia Kristel) n’était  pas d’une importance majeure pour le débat public et ne méritait pas le niveau de protection accordée à l’expression et au discours politiques, l’intensité de l’atteinte au droit d’auteur d’un photographe était à ce point faible que la restriction à l’exercice de la liberté d’expression de la SAS Marie Claire Album qu’engendrerait une condamnation ne se justifiait  par aucun besoin social impérieux

Atteinte disproportionnée à la légitime information du public

Dès lors, au regard de la nature de la publication et du traitement du fait d’actualité qu’elle sert dans une logique de légitime information du public, de l’absence d’entrave réelle à la libre exploitation de l’œuvre, qui n’est en rien dévalorisée par cet usage, par son auteur et ses éventuels ayants-droits, de la parfaite adéquation entre l’utilisation querellée et le contenu de l’article ainsi que la raison d’être de l’œuvre et sa fonction initiale, du caractère indirect de la reproduction conforme aux usages applicables à l’évocation des films et des carrières d’artistes et à l’utilisation de la jaquette qui en est le support, et de la faible ampleur de l’atteinte au regard de la nature des faits et de leur ancienneté mais également des propos tenus par l’auteur lui-même dans des circonstances très voisines, la condamnation de la SAS Marie Claire Album au paiement de dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi par le photographe, ne répondrait pas à un besoin social impérieux de protection du droit d’auteur, constituerait une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression et serait, partant, contraire à l’article 10 de la CESDH.

La notoriété du sujet et l’évènement évoqué font de celui-ci un fait d’actualité, qui n’est certes pas d’une importance majeure mais relève de la légitime information du public, l’objectif recherché par la SAS Marie Claire Album n’étant ainsi que secondairement commercial

a matérialité de la contrefaçon n’est pas non plus contestée (reproduction numérisée sans autorisation d’une œuvre seconde incorporant l’œuvre originale en débat sans mention du nom de son auteur).

A cet égard, l’invocation de l’arrêt de la CJUE Spiegel Online GmbH c. Volker Beck du 29 juillet 2019, qui aurait pu effectivement servir de cadre pertinent au litige sous réserve de l’absence de citation du nom de l’auteur et de son éventuelle justification par les usages en vigueur, est inopérante puisqu’il définit les conditions d’application des exceptions au droit d’auteur au sens de l’article 5 de la directive 2001/29/CE alors qu’aucune exception tirée de l’article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle n’est opposée

Le tribunal est tenu, dès lors qu’une partie invoque une liberté protégée par cette Convention, qui a valeur supra légale en vertu de l’article 55 de la Constitution et est d’application directe, de procéder à un contrôle de conventionnalité des dispositions internes opposées (en ce sens, selon une position constante depuis Ch. mixte, 24 mai 1975, n° 73-13.556, Ass. plén., 15 avril 2011, n° 10-17.049, 10-30.313 et 10-30.316), telles qu’elles sont édictées ou appliquées dans le litige (en ce sens, CEDH, 16 janvier 2018, Charron et autre c. France, n° 22612/15). Le contrôle opéré ne se traduit pas par une interprétation conforme des dispositions attaquées, mais par un contrôle de normes ayant pour effet la paralysie de la norme interne affectant de manière disproportionnée la liberté garantie, ici par son application au litige.

Ces éléments acquis, demeure l’examen de la nécessité d’une telle ingérence dans une société démocratique, le tribunal devant s’assurer qu’elle est proportionnée au but légitime poursuivi et que les motifs qui la fondent sont pertinents et suffisants, et à défaut écarter toute condamnation. La violation alléguée de l’article 10 de la CESDH commande un contrôle de proportionnalité étendu portant sur l’adéquation de la mesure à l’objectif poursuivi et l’appréciation de la nécessité de la mesure au regard du but recherché puis de sa proportionnalité, analysée in concreto, la mesure considérée, ici une sanction indemnitaire, ne devant pas imposer au défendeur succombant des charges démesurées à l’aune du résultat recherché (en ce sens, CEDH, 24 janvier 2017, Paradiso et Campanelli c. Italie, n° 25358/12).

Aux termes de l’arrêt de la CEDH Morice c. France du 23 avril 2015 (n° 29369/10), les principes généraux permettant d’apprécier la nécessité d’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression peuvent être ainsi résumés :

– « i. La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». Telle que la consacre l’article 10, elle est assortie d’exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante (…)

– ii. L’adjectif « nécessaire », au sens de l’article 10§2, implique un « besoin social impérieux ». Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais elle se double d’un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d’expression que protège l’article 10.

– iii. La Cour n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (…) Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (…) ».

La Cour ajoutait que « s’agissant du niveau de protection, l’article 10§2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans deux domaines : celui du discours politique et celui des questions d’intérêt général […], une certaine hostilité (E.K. c. Turquie, n° 28496/95, § 79-80, 7 février 2002) et la gravité éventuellement susceptible de caractériser certains propos (Thoma c. Luxembourg, n° 38432/97, §57, CEDH 2001-III) ne [faisant] pas disparaître le droit à une protection élevée compte tenu de l’existence d’un sujet d’intérêt général (Paturel c. France, n° 54968/00, §42, 22 décembre 2005) » (§125). Elle opérait une distinction entre déclarations de fait et jugements de valeur ainsi (§126) : « la matérialité des déclarations de fait peut se prouver ; en revanche, les jugements de valeur ne se prêtant pas à une démonstration de leur exactitude, l’obligation de preuve est donc impossible à remplir et porte atteinte à la liberté d’opinion elle-même, élément fondamental du droit garanti par l’article 10 (De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, §42, Recueil 1997-I). Cependant, en cas de jugement de valeur, la proportionnalité de l’ingérence dépend de l’existence d’une « base factuelle » suffisante sur laquelle reposent les propos litigieux : à défaut, ce jugement de valeur pourrait se révéler excessif (De Haes et Gijsels, précité, §47, Oberschlick c. Autriche (n° 2), 1er juillet 1997, §33, Recueil 1997-IV, Brasilier c. France, n° 71343/01, §36, 11 avril 2006, et Lindon, Otchakovsky-Laurens et July, précité, §55). Pour distinguer une imputation de fait d’un jugement de valeur, il faut tenir compte des circonstances de l’espèce et de la tonalité générale des propos (Brasilier, précité, §37), étant entendu que des assertions sur des questions d’intérêt public peuvent constituer à ce titre des jugements de valeur plutôt que des déclarations de fait (Paturel, précité, §37) ».

Contrôle de conventionnalité en défaveur du photographe

L’illustration de l’article était  en adéquation parfaite avec son contenu et ne portait  qu’indirectement sur l’œuvre protégée puisque, en référence au film auquel Sylvia Kristel doit l’essentiel de sa notoriété et aux propos affectueux de son réalisateur, elle reproduit la jaquette de ce dernier lors sa sortie en DVD qui est emblématique de ce lien et du rôle joué par l’actrice défunte, non en tant que photographie constituant une œuvre originale mais comme élément d’identification d’un film résumant une carrière et une amitié.

L’exploitation de l’œuvre litigieuse par le Groupe Marie-Claire apparaissait ainsi nécessaire, en ce qu’elle facilitait la compréhension du propos dont elle était une forme de synthèse, et participait du plein exercice par cette dernière de sa liberté d’expression. Et, outre le fait qu’il n’est pas contesté qu’il soit d’usage de ne pas faire figurer le nom de l’auteur d’une photographie qui orne un support de commercialisation d’un film, usage d’ailleurs accepté par le photographe puisque l’absence de mention de son nom sur la jaquette fonde sa demande indemnitaire au titre de l’atteinte à son droit à la paternité, la parution d’une nécrologie implique une certaine urgence qui peut expliquer l’absence de recherche préalable à la publication permettant la détermination de l’auteur et l’obtention de son autorisation.

A cet égard, l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle du photographe était minime car :

– l’utilisation de sa photographie est conforme aux autorisations qu’il a nécessairement accordées au producteur et au diffuseur en ce qu’elle illustre un article sur l’actrice principale du film dont elle permet l’identification et, accessoirement, la promotion ;

– elle est en adéquation avec un texte bienveillant soulignant le succès du film et de son icône : elle ne dégrade en rien l’œuvre dont elle accroît au contraire potentiellement la reconnaissance ;

– les faits, qui ont cessé, sont particulièrement anciens, l’assignation ayant été délivrée un mois et demi seulement après mise en demeure mais plus de 6 ans après la parution de la publication litigieuse, signe que le dommage allégué est subjectivement de faible ampleur sinon existant et que l’utilisation querellée n’a en réalité ni entravé l’exploitation normale de l’œuvre par l’auteur et ses éventuels ayants-droits ni emporté sa dévalorisation.

Surabondamment, le tribunal a constaté que, ainsi que l’a jugé la CEDH dans son arrêt Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC] du 11 janvier 2007 (n° 73049/01, §72), l’article 1 du Protocole n° 1 s’applique à la propriété intellectuelle (solution rappelée dans CEDH, Ashby Donal et autres c. France, 10 janvier 2013, n° 36769/08, §40, dans le cadre d’un conflit entre liberté d’expression purement commerciale et droits d’auteur).

Le contrôle de proportionnalité pratiqué est fondé par le fait que le bénéfice de ces dispositions n’était pas invoqué par le photographe. Mais, s’il l’avait été, les droit et liberté ainsi en conflit ayant la même valeur normative, le juge saisi aurait recherché un équilibre entre eux pour privilégier, le cas échéant, la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime, solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt Klasen du 15 mai 2015 (n° 13-27.391) rendu en matière de droits d’auteur, décision qui n’introduit pas une nouvelle exception au droit d’auteur mais rappelle les nécessités du contrôle de conventionnalité, une fois caractérisés l’ingérence légalement fondée et opérée dans un but légitime dans l’exercice de la liberté d’expression garantie par la CEDH, par hypothèse postérieurement au jeu des exceptions, et le conflit avec un autre droit ou liberté conventionnellement garanti. La mise en balance n’est ainsi pas strictement équivalente au contrôle de proportionnalité mais en emprunte les critères qui sont appliqués réciproquement pour déterminer l’atteinte qui apparaît la moins grave.

La solution retenue dans ce cadre n’aurait, en dépit de l’importante marge d’appréciation reconnue aux Etats en pareille matière par la CEDH (arrêt Ashby Donald précité, §40 in fine), pas été différente. Il est en effet désormais acquis que :

– l’acte de contrefaçon est nécessaire à la pleine réception par le public de l’information contenue dans l’article qui traite d’une question d’intérêt général, caractère ici de faible intensité mais néanmoins réel à raison de la notoriété de Sylvia Kristel et du film Emmanuelle dont elle est l’incarnation. Si l’article ne mérite pas la protection accordée à l’expression et au débat politiques, il sert néanmoins le droit à l’information du public sur un fait d’actualité ;

– cette exploitation non autorisée favorise en réalité à la reconnaissance de l’œuvre du photographe, par le truchement de son sujet sans entraver concrètement son exploitation et sans la banaliser au prix d’une dépréciation, ce dernier n’ayant en réalité souffert, par-delà le principe de l’atteinte, d’aucun dommage sérieux, y compris moral. Aussi, en pareilles circonstances, l’absence d’indemnisation du photographe caractérise une atteinte à son droit de propriété garanti par l’article 1 du Protocole additionnel 1 à ce point mineure qu’elle apparaît raisonnablement admissible pour permettre le plein exercice de la liberté d’expression, l’exploitation litigieuse ayant d’ailleurs été strictement indolore pendant 6 ans au moins.

Ainsi, même dans le cadre d’une mise en balance, les demandes de monsieur du photographe  auraient, dans ces circonstances particulières, été rejetées, rien ne justifiant concrètement que, en l’absence d’atteinte autre que de principe à un droit d’auteur à l’endroit duquel son titulaire a manifesté une certaine distance tant dans ses délais d’action que dans ses propos publics, le droit de propriété prime la liberté d’expression exercée pour traiter un évènement d’actualité.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Tribunal judiciaire de Nanterre

Pole civil 1re chambre

31 mars 2022

Monsieur X., photographe professionnel et réalisateur, est l’auteur d’une photographie de l’actrice Sylvia Kristel prise pour les besoins de la promotion du film Emmanuelle, réalisé par Just Jaeckin, sur laquelle il revendique des droits d’auteur.

La SA Société Internationale d’Edition et de Diffusion de Revues et Journaux Périodiques (ci-après, « la SA Inter Edi ») est, depuis l’acquisition le 1er juin 2017 de son précédent éditeur, la société Webpulse, l’éditrice du site internet accessible par le nom de domaine staragora.com consacré à l’actualité des célébrités.

A l’occasion du décès de Sylvia Kristel survenu le 17 octobre 2012, la SA Inter Edi a diffusé sur son site internet le 18 octobre 2012 à 18 heures 45 un article, intitulé « Mort d’Emmanuelle : l’hommage de Just Jaeckin et de Twitter », annonçant l’évènement et rapportant les hommages publics rendus à la défunte, dont celui de Just Jaeckin. Le texte est illustré par une photographie de la jaquette du DVD du film Emmanuelle qui reproduit l’œuvre de monsieur X..

Expliquant avoir découvert durant l’été 2019 la publication de cette photographie sur ce site internet sans son autorisation et sans mention de son nom, monsieur X. a :

– fait dresser par huissier de justice un procès-verbal de constat en ligne le 13 juillet 2018 ;

– par courrier de son conseil du 19 septembre 2018, mis en demeure la SA Inter Edi de cesser l’exploitation de ce cliché et de réparer son préjudice. Cette dernière s’opposait à ses réclamations par lettre du 5 octobre 2018.

C’est dans ces circonstances que, par acte d’huissier du 30 octobre 2018, monsieur X. a assigné la SA Inter Edi, aux droits de laquelle vient désormais la SAS Marie Claire Album, devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d’auteur.

Par ordonnance du 6 juin 2019, le juge de la mise en état s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Nanterre à qui le dossier de l’affaire a été renvoyé conformément à l’article 82 du code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 29 mars 2021, auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de ses moyens, monsieur X. demande au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire et au visa des articles L 111-1 et suivants, L 112-2, L 113-1, L 113-6, L 121-1 et suivants, L 122-1, L 122-4, L 122-5, L 131-3, L 331-1 et suivants et L 335-2 du code de la propriété intellectuelle, et 4, 71, 122, 480, 500 et 789 du code de procédure civile, de :

– DEBOUTER la SAS Marie Claire Album de toutes ses prétentions ;

– JUGER monsieur X. recevable et bienfondé en toutes ses demandes à l’encontre de la SAS Marie Claire Album ;

– JUGER que monsieur X. est l’auteur de la photographie ;

– JUGER que la photographie est originale et protégeable par les dispositions du livre 1er première partie du code de la propriété intellectuelle ;

– JUGER qu’en numérisant et en reproduisant sans autorisation la photographie sur le site, la SAS Marie Claire Album a violé les droits patrimoniaux de monsieur X. ;

– JUGER qu’en ne mentionnant pas le nom de monsieur X. en accompagnement de la reproduction de la photographie sur le site, la SAS Marie Claire Album a violé les droits moraux de monsieur X. ;

– en conséquence, CONDAMNER la SAS Marie Claire Album à payer à monsieur X. les sommes de :

o 10 000 euros au titre de la violation de ses droits patrimoniaux ;

o 10 000 euros au titre de la violation de ses droits moraux ;

– CONDAMNER la SAS Marie Claire Album à payer à monsieur X. la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONDAMNER la SAS Marie Claire Album aux entiers dépens dont distraction faite au profit de Maître Jean-Philippe Hugot, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

En réplique, dans ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 18 juin 2021, auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de ses moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la SAS Marie Claire Album demande au tribunal, au visa des dispositions de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, de :

– débouter monsieur X. de toutes ses demandes ;

– condamner monsieur X. à verser à la SAS Marie Claire Album une indemnité pour un montant de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner monsieur X. aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Vincent Tolédano, avocat aux offres de droit.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 juin 2021. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, le présent jugement, rendu en premier ressort, sera contradictoire en application de l’article 467 du code de procédure civile.

DISCUSSION

A titre liminaire, le tribunal rappelle que les demandes de « donner acte », de « dire et juger » ou de « constat », expressions synonymes, n’ont, en ce qu’elles se réduisent en réalité à une synthèse des moyens développés dans le corps des écritures, aucune portée juridique (en ce sens : 3ème Civ., 16 juin 2016, n° 15-16.469) et, faute de constituer des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile, ne méritent, sous cette qualification erronée, aucun examen.

Ainsi, les fins de non-recevoir étant des moyens de défense opposées à des prétentions au sens des articles 4, 53 et 122 du code de procédure civile et ces sollicitations faites au tribunal ne relevant pas de la catégorie des prétentions le saisissant, elles sont juridiquement insusceptibles d’être irrecevables ou de faire l’objet d’un moyen de défense quelconque puisqu’elles ne saisissent pas le tribunal, constat qui commande le rejet de la fin de non-recevoir développée par monsieur X. au visa de l’article 789 du code de procédure civile.

1°) Sur la contrefaçon de droit d’auteur

Conformément à l’article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.

Par ailleurs, en vertu de l’article L 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur.

Et, en application de l’article L 335-3 du code de la propriété intellectuelle, est un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi.

Le tribunal constate que la recevabilité de l’action n’est pas en débat, la SAS Marie Claire Album ne tirant aucune conséquence juridique de l’indétermination alléguée des conditions de cession par monsieur X. de ses droits au producteur puis au distributeur du film. Aussi, les développements de ce dernier sur sa qualité d’auteur, sa titularité des droits et l’originalité de son œuvre de l’esprit sont sans objet. La matérialité de la contrefaçon n’est pas non plus contestée (reproduction numérisée sans autorisation d’une œuvre seconde incorporant l’œuvre originale en débat sans mention du nom de son auteur). A cet égard, l’invocation de l’arrêt de la CJUE Spiegel Online GmbH c. Volker Beck du 29 juillet 2019, qui aurait pu effectivement servir de cadre pertinent au litige sous réserve de l’absence de citation du nom de l’auteur et de son éventuelle justification par les usages en vigueur, est inopérante puisqu’il définit les conditions d’application des exceptions au droit d’auteur au sens de l’article 5 de la directive 2001/29/CE alors qu’aucune exception tirée de l’article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle n’est opposée. Aussi, seul est en débat le moyen tiré de l’exercice par la SAS Marie Claire Album de sa liberté d’expression (i.e. sa liberté d’informer le public sur un sujet d’actualité constitué par le décès de Sylvia Kristel) et de l’atteinte disproportionnée que lui causerait une condamnation pour contrefaçon à ce titre.

La liberté d’expression ainsi invoquée est garantie par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (ci-après « CESDH ») en ces termes :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

Or, le tribunal est tenu, dès lors qu’une partie invoque une liberté protégée par cette Convention, qui a valeur supra légale en vertu de l’article 55 de la Constitution et est d’application directe, de procéder à un contrôle de conventionnalité des dispositions internes opposées (en ce sens, selon une position constante depuis Ch. mixte, 24 mai 1975, n° 73-13.556, Ass. plén., 15 avril 2011, n° 10-17.049, 10-30.313 et 10-30.316), telles qu’elles sont édictées ou appliquées dans le litige (en ce sens, CEDH, 16 janvier 2018, Charron et autre c. France, n° 22612/15). Le contrôle opéré ne se traduit pas par une interprétation conforme des dispositions attaquées, mais par un contrôle de normes ayant pour effet la paralysie de la norme interne affectant de manière disproportionnée la liberté garantie, ici par son application au litige.

Monsieur X. entend obtenir la condamnation de la SAS Marie Claire Album à lui verser une indemnité (20 000 euros) réparant le préjudice que lui ont causé ses actes de contrefaçon et ses atteintes à son droit moral au sens des articles L 121-1, L 122-4, L 331-1 et suivants et L 335-3 du code de la propriété intellectuelle. Au sens de l’article 10§1 de la CESDH, le succès des prétentions de monsieur X., qui pourrait avoir un effet dissuasif peu important le quantum effectif de la réparation (sur ce point : CEDH, Reichman c. France, 12 juillet 2016, n° 50147/11), constituerait une ingérence légalement fondée (soit une base légale suffisante au sens de CEDH De Carolis et France Télévisions c. France, 21 janvier 2016, n° 29313/10, §48) dans l’exercice par la SAS Marie Claire Album de cette liberté (en ce sens, CEDH, 11 avril 2006, Brasilier c. France, n° 71343/01). Il n’est en outre pas contesté que cette ingérence poursuivrait la protection des droits d’auteur de monsieur X., soit un but légitime reconnu par l’article 10§2 de la CESDH.

Ces éléments acquis, demeure l’examen de la nécessité d’une telle ingérence dans une société démocratique, le tribunal devant s’assurer qu’elle est proportionnée au but légitime poursuivi et que les motifs qui la fondent sont pertinents et suffisants, et à défaut écarter toute condamnation. La violation alléguée de l’article 10 de la CESDH commande un contrôle de proportionnalité étendu portant sur l’adéquation de la mesure à l’objectif poursuivi et l’appréciation de la nécessité de la mesure au regard du but recherché puis de sa proportionnalité, analysée in concreto, la mesure considérée, ici une sanction indemnitaire, ne devant pas imposer au défendeur succombant des charges démesurées à l’aune du résultat recherché (en ce sens, CEDH, 24 janvier 2017, Paradiso et Campanelli c. Italie, n° 25358/12).

Aux termes de l’arrêt de la CEDH Morice c. France du 23 avril 2015 (n° 29369/10), les principes généraux permettant d’apprécier la nécessité d’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression peuvent être ainsi résumés :

– « i. La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». Telle que la consacre l’article 10, elle est assortie d’exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante (…)

– ii. L’adjectif « nécessaire », au sens de l’article 10§2, implique un « besoin social impérieux ». Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais elle se double d’un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d’expression que protège l’article 10.

– iii. La Cour n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (…) Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (…) ».

La Cour ajoutait que « s’agissant du niveau de protection, l’article 10§2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans deux domaines : celui du discours politique et celui des questions d’intérêt général […], une certaine hostilité (E.K. c. Turquie, n° 28496/95, § 79-80, 7 février 2002) et la gravité éventuellement susceptible de caractériser certains propos (Thoma c. Luxembourg, n° 38432/97, §57, CEDH 2001-III) ne [faisant] pas disparaître le droit à une protection élevée compte tenu de l’existence d’un sujet d’intérêt général (Paturel c. France, n° 54968/00, §42, 22 décembre 2005) » (§125). Elle opérait une distinction entre déclarations de fait et jugements de valeur ainsi (§126) : « la matérialité des déclarations de fait peut se prouver ; en revanche, les jugements de valeur ne se prêtant pas à une démonstration de leur exactitude, l’obligation de preuve est donc impossible à remplir et porte atteinte à la liberté d’opinion elle-même, élément fondamental du droit garanti par l’article 10 (De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, §42, Recueil 1997-I). Cependant, en cas de jugement de valeur, la proportionnalité de l’ingérence dépend de l’existence d’une « base factuelle » suffisante sur laquelle reposent les propos litigieux : à défaut, ce jugement de valeur pourrait se révéler excessif (De Haes et Gijsels, précité, §47, Oberschlick c. Autriche (n° 2), 1er juillet 1997, §33, Recueil 1997-IV, Brasilier c. France, n° 71343/01, §36, 11 avril 2006, et Lindon, Otchakovsky-Laurens et July, précité, §55). Pour distinguer une imputation de fait d’un jugement de valeur, il faut tenir compte des circonstances de l’espèce et de la tonalité générale des propos (Brasilier, précité, §37), étant entendu que des assertions sur des questions d’intérêt public peuvent constituer à ce titre des jugements de valeur plutôt que des déclarations de fait (Paturel, précité, §37) ».

L’acte de reproduction imputable à la SAS Marie Claire Album, commis sur une page longuement diffusée mais fort peu consultée (76 fois en 6 ans) d’un site désormais inexistant ainsi qu’en témoignent les chiffres avancés par cette dernière qui ne sont combattus par aucun élément, consiste en la représentation numérisée de la jaquette du film Emmanuelle en DVD qui comporte la photographie dont monsieur X. est l’auteur. Elle illustre un article rapportant le décès, survenu la veille, de Sylvia Kristel, mannequin puis actrice rendue internationalement célèbre par son premier rôle dans cette production cinématographique de charme qui sera déclinée en trois autres volets dans lesquels elle jouera. La notoriété du sujet et l’évènement évoqué font de celui-ci un fait d’actualité, qui n’est certes pas d’une importance majeure mais relève de la légitime information du public, l’objectif recherché par la SAS Marie Claire Album n’étant ainsi que secondairement commercial.

L’article comporte deux parties. La première réside dans le rappel des déclarations livrées par Just Jaeckin, réalisateur du film Emmanuelle, en exclusivité à la SAS Marie Claire Album (« Elle a été le début de ma carrière. Ce film, on l’a fait ensemble contre vents et marées (…) Elle a eu le courage de jouer dans le premier érotique tout public et ce malgré les attaques ! […] On a été attaqué et insulté pendant 40 ans, c’était une fille formidable et très à part. Elle peignait, écrivait… J’avais une amie de confiance et qui est restée à mes côtés pendant toutes les attaques… »). La seconde recense les réactions présentées comme « drôles » d’internautes sur Twitter qui, toutes, font référence au rôle de Sylvia Kristel dans le film Emmanuelle, dont le caractère érotique est amplement souligné, et parfois à sa pose sur la photographie en débat. Ainsi, tout le texte est consacré à l’évocation du personnage éponyme en contemplation des relations nouées entre le réalisateur et son actrice et amie qui l’incarne à l’écran.

Aussi, l’illustration de l’article est en adéquation parfaite avec son contenu et ne porte qu’indirectement sur l’œuvre protégée puisque, en référence au film auquel Sylvia Kristel doit l’essentiel de sa notoriété et aux propos affectueux de son réalisateur, elle reproduit la jaquette de ce dernier lors sa sortie en DVD qui est emblématique de ce lien et du rôle joué par l’actrice défunte, non en tant que photographie constituant une œuvre originale mais comme élément d’identification d’un film résumant une carrière et une amitié. L’exploitation de l’œuvre litigieuse par la défenderesse apparaît ainsi nécessaire, en ce qu’elle facilité la compréhension du propos dont elle est une forme de synthèse, et participe du plein exercice par cette dernière de sa liberté d’expression. Et, outre le fait qu’il n’est pas contesté qu’il soit d’usage de ne pas faire figurer le nom de l’auteur d’une photographie qui orne un support de commercialisation d’un film, usage d’ailleurs accepté par monsieur X. puisque l’absence de mention de son nom sur la jaquette fonde sa demande indemnitaire au titre de l’atteinte à son droit à la paternité, la parution d’une nécrologie implique une certaine urgence qui peut expliquer l’absence de recherche préalable à la publication permettant la détermination de l’auteur et l’obtention de son autorisation.

A cet égard, l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle de monsieur X. est minime car :

– l’utilisation de sa photographie est conforme aux autorisations qu’il a nécessairement accordées au producteur et au diffuseur en ce qu’elle illustre un article sur l’actrice principale du film dont elle permet l’identification et, accessoirement, la promotion ;

– elle est en adéquation avec un texte bienveillant soulignant le succès du film et de son icône : elle ne dégrade en rien l’œuvre dont elle accroît au contraire potentiellement la reconnaissance ;

– les faits, qui ont cessé, sont particulièrement anciens, l’assignation ayant été délivrée le 30 octobre 2018, un mois et demi seulement après mise en demeure mais plus de 6 ans après la parution de la publication litigieuse, signe que le dommage allégué est subjectivement de faible ampleur sinon existant et que l’utilisation querellée n’a en réalité ni entravé l’exploitation normale de l’œuvre par l’auteur et ses éventuels ayants-droits ni emporté sa dévalorisation.

Enfin, les propos tenus le 20 octobre 2017, soit postérieurement à la publication litigieuse mais avant l’introduction de l’instance, par monsieur X. à l’occasion de la fermeture temporaire du compte Facebook d’un tiers à raison de la diffusion, consécutive au décès de l’actrice et réalisatrice, de la Une du magazine Lui de décembre 1968 constituée d’une photographie, dont il est l’auteur, de Mireille Darc nue (pièce 1 en défense), confirment cette analyse. En effet, dans des circonstances ainsi très similaires à celle du litige, la recherche de la notoriété sur un réseau social n’étant pas plus dégradante pour l’œuvre utilisée sans autorisation que celle de l’audience sur un site internet à vocation commerciale secondaire, monsieur X. qualifiait Facebook de « pathétique et puritain » et précisait, « furieux », au JDD avoir « donné des instructions pour que l’image litigieuse entre immédiatement dans le domaine public, afin d’être partagée par le plus grand nombre sur les réseaux sociaux « comme icône de la liberté » », avant d’ajouter : « Mireille Darc est quand même plus inspirante que Che Guevara, n’est-ce-pas ? ». Il poursuivait en soulignant son incompréhension face à la « censure » opérée et en s’interrogeant : « Comment peut-on taxer d’indécence une photo d’elle ? ». Il concluait en estimant que, « à ses yeux, deux personnes seulement auraient été en droit de demander le retrait de l’image : le décorateur Pascal Desprez, mari de la star, et Alain Delon, avec qui elle a vécu durant quinze ans. « Les deux hommes qui l’ont le plus aimée » […] ». Si la réaction de monsieur X. est manifestement animée par des considérations morales, elle demeure éclairante sur son rapport à ses œuvres et la possibilité de leur libre circulation.

Dans ces circonstances, si l’information portée à la connaissance du public par le truchement nécessaire de la reproduction de l’œuvre en débat n’est pas d’une importance majeure pour le débat public et ne mérite pas le niveau de protection accordée à l’expression et au discours politiques, l’intensité de l’atteinte au droit d’auteur de monsieur X. est à ce point faible que la restriction à l’exercice de la liberté d’expression de la SAS Marie Claire Album qu’engendrerait une condamnation ne se justifie par aucun besoin social impérieux

Dès lors, au regard de la nature de la publication et du traitement du fait d’actualité qu’elle sert dans une logique de légitime information du public, de l’absence d’entrave réelle à la libre exploitation de l’œuvre, qui n’est en rien dévalorisée par cet usage, par son auteur et ses éventuels ayants-droits, de la parfaite adéquation entre l’utilisation querellée et le contenu de l’article ainsi que la raison d’être de l’œuvre et sa fonction initiale, du caractère indirect de la reproduction conforme aux usages applicables à l’évocation des films et des carrières d’artistes et à l’utilisation de la jaquette qui en est le support, et de la faible ampleur de l’atteinte au regard de la nature des faits et de leur ancienneté mais également des propos tenus par l’auteur lui-même dans des circonstances très voisines, la condamnation de la SAS Marie Claire Album au paiement de dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi par monsieur X. ne se réclamerait d’aucune nécessité, ne répondrait pas à un besoin social impérieux de protection du droit d’auteur, constituerait une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression et serait, partant, contraire à l’article 10 de la CESDH.

En conséquence, les demandes de monsieur X. seront intégralement rejetées.

Surabondamment, le tribunal constate que, ainsi que l’a jugé la CEDH dans son arrêt Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC] du 11 janvier 2007 (n° 73049/01, §72), l’article 1 du Protocole n° 1 s’applique à la propriété intellectuelle (solution rappelée dans CEDH, Ashby Donal et autres c. France, 10 janvier 2013, n° 36769/08, §40, dans le cadre d’un conflit entre liberté d’expression purement commerciale et droits d’auteur). Le contrôle de proportionnalité pratiqué est fondé par le fait que le bénéfice de ces dispositions n’est pas invoqué par monsieur X.. Mais, s’il l’avait été, les droit et liberté ainsi en conflit ayant la même valeur normative, le juge saisi aurait recherché un équilibre entre eux pour privilégier, le cas échéant, la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime, solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt Klasen du 15 mai 2015 (n° 13-27.391) rendu en matière de droits d’auteur, décision qui n’introduit pas une nouvelle exception au droit d’auteur mais rappelle les nécessités du contrôle de conventionnalité, une fois caractérisés l’ingérence légalement fondée et opérée dans un but légitime dans l’exercice de la liberté d’expression garantie par la CEDH, par hypothèse postérieurement au jeu des exceptions, et le conflit avec un autre droit ou liberté conventionnellement garanti. La mise en balance n’est ainsi pas strictement équivalente au contrôle de proportionnalité mais en emprunte les critères qui sont appliqués réciproquement pour déterminer l’atteinte qui apparaît la moins grave.

La solution retenue dans ce cadre n’aurait, en dépit de l’importante marge d’appréciation reconnue aux Etats en pareille matière par la CEDH (arrêt Ashby Donald précité, §40 in fine), pas été différente. Il est en effet désormais acquis que :

– l’acte de contrefaçon est nécessaire à la pleine réception par le public de l’information contenue dans l’article qui traite d’une question d’intérêt général, caractère ici de faible intensité mais néanmoins réel à raison de la notoriété de Sylvia Kristel et du film Emmanuelle dont elle est l’incarnation. Si l’article ne mérite pas la protection accordée à l’expression et au débat politiques, il sert néanmoins le droit à l’information du public sur un fait d’actualité ;

– cette exploitation non autorisée favorise en réalité à la reconnaissance de l’œuvre de monsieur X. par le truchement de son sujet sans entraver concrètement son exploitation et sans la banaliser au prix d’une dépréciation, ce dernier n’ayant en réalité souffert, par-delà le principe de l’atteinte, d’aucun dommage sérieux, y compris moral. Aussi, en pareilles circonstances, l’absence d’indemnisation de monsieur X. caractérise une atteinte à son droit de propriété garanti par l’article 1 du Protocole additionnel 1 à ce point mineure qu’elle apparaît raisonnablement admissible pour permettre le plein exercice de la liberté d’expression, l’exploitation litigieuse ayant d’ailleurs été strictement indolore pour monsieur X. pendant 6 ans au moins.

Ainsi, même dans le cadre d’une mise en balance, les demandes de monsieur X. auraient, dans ces circonstances particulières, été rejetées, rien ne justifiant concrètement que, en l’absence d’atteinte autre que de principe à un droit d’auteur à l’endroit duquel son titulaire a manifesté une certaine distance tant dans ses délais d’action que dans ses propos publics, le droit de propriété prime la liberté d’expression exercée pour traiter un évènement d’actualité.

2°) Sur les demandes accessoires

Succombant au litige, monsieur X., dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamné à supporter les entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile. En revanche, au regard du contexte du litige, l’équité commande de rejeter la demande de la SAS Marie Claire Album en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Inutile au regard de la solution du litige et non sollicitée en défense, l’exécution provisoire du jugement ne sera pas ordonnée conformément à l’article 514-1 du code de procédure civile.

DECISION

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et mis à la disposition par le greffe le jour du délibéré,

Rejette la fin de non-recevoir opposée par monsieur X. ;

Rejette l’intégralité des demandes de monsieur X. ;

Rejette les demandes des parties au titre des frais irrépétibles ;

Condamne monsieur X. à supporter les entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés directement par Maître Vincent Tolédano conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire du jugement.


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