AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société France VI, société anonyme, dont le siège est …, en cassation d’un arrêt rendu le 2 mai 1996 par la cour d’appel de Rennes (8e chambre A), au profit de M. Francis Y…, demeurant …, défendeur à la cassation ;
LA COUR, en l’audience publique du 18 mars 1998, où étaient présents : M. Waquet, conseiller doyen faisant fonctions de président, Mme Lebée, conseiller rapporteur, M. Le Roux-Cocheril, Mme Jeanjean, conseillers, Mme Andrich, conseiller référendaire, M. Lyon-Caen, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Lebée, conseiller référendaire, les observations de la SCP Defrénois et Levis, avocat de la société France VI, les conclusions de M. Lyon-Caen, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu que M. Y…, engagé le 1er juillet 1970, en qualité de comptable, par la société Savi France, devenue société France VI, occupant en dernier lieu le poste de chef des services administratifs à Nantes, a été licencié le 31 décembre 1992 ;
Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt attaqué (Rennes, 2 mai 1996) d’avoir dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, d’une part, que le droit d’expression des salariés sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation du travail s’exerce seulement dans le cadre de réunions collectives organisées sur les lieux et pendant le temps du travail;
que la dénonciation auprès de l’employeur, par un salarié, du comportement prétendument fautif de son supérieur hiérarchique ne peut constituer l’usage de ce droit d’expression, ni entrer dans l’exercice normal de la liberté d’expression du salarié;
qu’en se déterminant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les articles L. 122-4-3, L. 122-14-4 et L. 461-1 du Code du travail;
que, de deuxième part, le dénigrement, qui procède de la volonté de porter atteinte à la réputation ou à la valeur morale ou professionnelle de quelqu’un est indépendant de la réalité des faits rapportés ou révélés;
qu’ainsi, en considérant qu’il n’y avait pas eu dénigrement de la part du salarié, dès lors que celui-ci aurait rapporté la preuve de l’abus de consommation d’alcool de son directeur, la cour d’appel s’est déterminée par un motif inopérant et n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 122-4-3 et L. 122-14-4 du Code du travail;
alors, de troisième part, que le juge ne peut puiser sa conviction dans des éléments de preuve illicites ou frauduleusement recueillis;
qu’en l’espèce, il était constant que les photographies supposées rapporter la preuve de la prétendue consommation abusive d’alcool du directeur avaient été dérobées par M. Y… (sur le tableau d’affichage situé dans l’entreprise…) et que pour cette considération le conseil de prud’hommes avait refusé de les prendre en considération tout en ordonnant leur restitution;
qu’ainsi en fondant sa décision sur de tels documents, la cour d’appel a violé ensemble les articles 9 du nouveau Code de procédure civile et L. 122-14-3 du Code du travail ;
alors, de quatrième part, que si dans certaines circonstances un salarié peut être conduit à faire état auprès de son employeur de certains comportements de sa hiérarchie, c’est à la condition que ces comportements s’inscrivent dans l’exercice des fonctions exercées et soient préjudiciables au fonctionnement de l’entreprise;
qu’ainsi en s’abstenant de relever la moindre circonstance de fait susceptible d’établir que le comportement dénoncé (prétendue consommation abusive d’alcool du directeur) aurait influé sur l’exercice des fonctions de M. X… dans des conditions préjudiciables à l’entreprise, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 122-14-3 et L. 122-14-4 du Code du travail;
alors, de cinquième part, que la publicité donnée au sein de l’entreprise sur le comportement fautif, ou supposé tel, d’un supérieur hiérarchique constitue, de la part d’un cadre, une faute contractuelle justifiant son licenciement;
qu’en l’espèce, il résultait des attestations concordantes et dénuées d’ambiguïté de MM. Z…, Gros, Ancel, Lorentz, faisant état de façon concordante de faits précis et datés, que M. Y… se répandait en termes injurieux, auprès du personnel de l’entreprise, sur le prétendu abus de consommation d’alcool du directeur de l’établissement ;
qu’en considérant que la preuve de publicité de ces révélations ne serait pas rapportée, la cour d’appel a dénaturé par omission lesdites attestations et a violé l’article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que les juges du fond, appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve qui leur étaient soumis, ont retenu que les faits reprochés au salarié et sur lesquels le moyen entend revenir n’étaient pas établis;
que, sous couvert des griefs non fondés de violation de la loi, manque de base légale et dénaturation, le moyen ne tend qu’à remettre en cause cette appréciation ;