L’IA au service de la torture en Libye : la responsabilité des éditeurs de logiciels 

L’IA au service de la torture en Libye : la responsabilité des éditeurs de logiciels 

Un dirigeant de société informatique peut être mis en examen du chef de complicité d’actes de torture (commis en Libye entre 2007 et 2011) s’il fournit une solution logicielle ayant facilité ces actes (surveillance des réseaux, récupération des messages What’s app des opposants …).   

Interception des flux internet

La juridiction a considéré qu’ en fournissant, par l’intermédiaire de sa société au sein de laquelle il exerçait en qualité de directeur commercial, aux autorités libyennes, représentées notamment dans le cadre des négociations par le chef des services de renseignement, un logiciel destiné à intercepter des flux internet (notamment des mails, chats, données de navigation et conversation sur IP) puis en assurant le bon fonctionnement, la maintenance de ce logiciel et la formation de personnel libyen alors qu’au cours de cette période plusieurs instances nationales (notamment le Département d’Etat américain) le dirigeant peut être condamné pour complicité d’actes de torture. 

Dans le contexte, les juridictions internationales (notamment le comité des Droits de l’Homme des Nations Unies) et des organisations non gouvernementales (notamment Amnesty international) dénonçaient déjà publiquement les disparitions forcées, l’utilisation de la torture et des traitements inhumains et dégradants par le gouvernement libyen auquel était destiné le matériel de surveillance fourni ». 

Responsabilité des développeurs 

En revanche, l’intervention technique des ingénieurs et développeurs n’a pas permis de caractériser les indices graves ou concordants d’avoir participé aux faits de complicité d’actes de torture qui leur étaient aussi reprochés. 

Surveillance des opposants  

A noter que le logiciel en cause, s’il ne permettait pas l’interception de certaines communications, notamment téléphoniques, ainsi que certaines conversations, donnait néanmoins, en particulier pour tout ce qui concerne les centres d’intérêt et les fréquentations des personnes considérées comme suspectes, des informations précieuses aux autorités, ainsi que le laisse penser la circonstance selon laquelle la Libye aurait déboursé plus de 15 millions d’euros pour l’obtenir. 

L’article 121-7 du code pénal dispose qu’est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre. 

Logiciel facilitant des actes de torture 

La complicité ne suppose pas nécessairement que le complice éventuel ait participé à l’infraction principale, ou que sa participation ait été indispensable à la réalisation de cette infraction, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que le complice des actes de torture ait adhéré à la conception ou l’exécution de ces actes ou qu’il les approuve, puisqu’il suffit qu’il ait eu connaissance de la commission de ces actes et que, par son aide ou assistance, il les ait facilités. 

En l’espèce, il ne saurait être réellement contesté que le logiciel a facilité la commission des actes de torture, puisque permettant au pouvoir en place de repérer les opposants éventuels, de suivre leur localisation et d’identifier leur environnement, phase préalable et indispensable à l’arrestation, à l’emprisonnement et aux actes de torture qui allaient suivre. 

En effet, si l’on peut regretter qu’aucune expertise technique n’ait été ordonnée dans le cadre de l’information pour connaître de façon certaine et incontestable toutes les capacités dudit logiciel, il apparaît aux dires même de la société qu’il permettait de reconstituer les emails et les documents joints, les conversations Chat et les conversations sur internet (VoIP), le manuel utilisateur remis aux autorités libyennes détaillant les communications IP susceptibles d’être interceptées et reconstituées, à savoir email, webmail type Gmail, VoIP, chat type MSN, http et moteurs de recherches. 

Même si les techniciens entendus au cours de l’information judiciaire ont tous indiqué que seuls les flux internet et les courriers électroniques pouvaient donc être interceptés grâce au logiciel ainsi que les voix en téléphonie sur IP, et non les flux de téléphonie et les conversations sur Skype ou Facebook ou encore les sms, il n’en demeure pas moins que ces interceptions étaient comme il vient d’être dit de nature à permettre l’identification en masse d’opposants, et donc d’assister de façon certaine les services de renseignements libyens dans les crimes de torture qu’ils allaient commettre sur eux. 

D’ailleurs, certaines des parties civiles entendues ont vu marqué le nom du logiciel sur les documents et dossiers qui leur étaient présentés par les autorités lors des interrogatoires afin de les faire réagir à certaines de leurs conversations ou préciser l’identité de certains de leurs correspondants. 

En troisième lieu, il n’est pas nécessaire que l’aide ou l’assistance dont s’agit ait été exclusive à partir du moment où elle a été effective. 

Ainsi sont inopérants les développements de la société de développement du logiciel sur les autres logiciels qui auraient été utilisés par les autorités libyennes, fournis par des sociétés américaines, sud-africaines, chinoises, allemandes ou anglaises, du moment qu’elle-même a bel et bien fourni le logiciel à ces autorités. 

Tous les éléments qui viennent d’être étudiés constituent autant d’indices concordants rendant vraisemblable que la société  ait participé comme complice à la commission des actes de torture visés dans la plainte. 


DOSSIER N° 2021/08703
JONCTION DES DOSSIERS 2021/08979, 2022/01348, 2022/01349 et 2022/01350
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1 N° PARQUET: P11292023017
ARRÊT DU 21 NOVEMBRE 2022 :
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 7
PREMIÈRE CHAMBRE DE L’INSTRUCTION
ARRÊT SUR REQUÊTES EN ANNULATION DE PIÈCES et APPEL D’UNE ORDONNANCE AUX FINS DE REJET D’OCTROI
DU STATUT DE TÉMOIN ASSISTÉ
(n°1, 34 pages)
Prononcé en chambre du conseil le vingt-et-un novembre deux mil vingt-deux
PERSONNES MISES EN EXAMEN :
C D, né le […] à […], CG […],
Qualification des faits : complicité d’actes de torture
Ayant pour avocat : Me POTIER, […]
E F, né le […] à […], CG […],
Qualification des faits complicité d’actes de torture
Ayant pour avocats : Me ATTIAS, […]
Me TROVATO, […]
G H, né le […] à […]
n°2022/01348) 1
Libre, CG […],
Qualification des faits : complicité d’actes de torture

Ayant pour avocats : Me GARAUD, 12, […]

  • Me DEGARDIN, […]
    SAS BULL ISS anciennement SAS Z RESEAU SECURITE & SERVICES (requérant – dossier
    n°2021/08703), adresse déclarée au cabinet de son avocat,
    Qualification des faits complicité d’actes de torture
    Ayant pour avocat : Me BARATELLI, 205 boulevard Saint-Germain – 75007 PARIS
    I J, né le […] à […], adresse déclarée au cabinet de son avocat,
    Qualification des faits: Complicité d’acte de torture
    Ayant pour avocat: Me GOOSSENS, […]
    Page 1
    TÉMOIN ASSISTÉ :
    K L, né le […] à GRENOBLE
    Fils de M K et de CE CF CG […]
    Ayant pour avocat: Me CHABERT, […]
    PARTIES CIVILES :
    BN BS W, adresse déclarée au cabinet de Me BAUDOUIN, Ayant pour avocats :
  • Me BAUDOUIN, […]
  • Me DAOUD, […]
    BN BT BU, adresse déclarée au cabinet de Me BAUDOUIN,
    Ayant pour avocats :
  • Me BAUDOUIN, […]
  • Me DAOUD, […]
    N O, adresse déclarée au cabinet de Me BAUDOUIN,
    Ayant pour avocats :
    Me BAUDOUIN, […]
  • Me DAOUD, […]
    P Q, adresse déclarée au cabinet de Me BAUDOUIN,
    Ayant pour avocats :
    Me BAUDOUIN, […]
  • Me DAOUD, […]
    R S, adresse déclarée au cabinet de son avocat, Ayant pour avocat: Me BOURDON, […]
    AE W, adresse déclarée au cabinet de son avocat, Ayant pour avocat: Me BOURDON, […]
    FEDERATION INTERNATIONALE DES LIGUES DES DROITS DE L’HOMME (FIDH), adresse déclarée au cabinet de Me DAOUD,
    Ayant pour avocats :

Me BAUDOUIN, […] Me DAOUD, […]

Me BECTARTE, […] Me X, […]
T U, adresse déclarée au cabinet de son avocat,
Ayant pour avocat : Me BAUDOUIN, […]
V W, adresse déclarée au cabinet de Me BAUDOUIN,
Ayant pour avocats :
Me BAUDOUIN, […]

  • Me DAOUD, […]
    LIGUE DES DROITS DE L’HOMME (LDH), adresse déclarée au cabinet de sonavocat, Ayant pour avocat: Me BAUDOUIN, […]
    AA AB, adresse déclarée au cabinet de son avocat, Ayant pour avocat: Me BOURDON, […]
    Page 2
    NUAMAN BM, adresse déclarée au cabinet de son avocat,
    Ayant pour avocat: Me BOURDON, […]
    AC AD, adresse déclarée au cabinet de son avocat,
    Ayant pour avocat : Me BOURDON, […]
    AC Yousef, adresse déclarée au cabinet de son avocat,
    Ayant pour avocat: Mẹ BOURDON, […]
    COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
    M. HALPHEN, président M. LACORD, conseiller
    Mme TRAORE, conseillère substituant Mme ESTEVENET, conseillère empêchée
    tous trois désignés conformément à l’article 191 du Code de procédure pénale
    GREFFIER aux débats et au prononcé de l’arrêt : M. DELMAS
    MINISTÈRE PUBLIC : représenté aux débats par M. MICHAUD, avocat général
    Au prononcé de l’arrêt : M. HALPHEN, président, a donné lecture de l’arrêt conformément aux dispositions de l’article 199 alinéa 5 du Code de procédure pénale, en présence du ministère public
    DÉBATS
    A l’audience, en chambre du conseil le 22 septembre 2022 ont été entendus :
    M. HALPHEN, président, en son rapport;
    Me BARATELLI, avocat de la SAS BULL ISS, mis en examen, assisté de Me RELU, en leurs observations;
    Me DEGARDIN et Me GARAUD, avocats de H G, mis en examen, en leurs observations;
    Me ATTIAS et Me TROVATO, avocats de F E, mis en examen, en leurs observations;
    Me POTIER, avocat de D C, mis en examen, en ses observations;
    Me GOOSSENS, avocat de J I, mis en examen, en ses observations;
    Me SIMON substituant Me CHABERT, avocat de L K, témoin assisté, en ses observations;
    Me BECTARTE, avocat de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, partie civile, en ses observations;
    Me RIGAMONTI substituant Me DAOUD, avocat de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), de O N, Q P, W BN BS, BU BN BT, W V, parties civiles, en ses observations ;
    Me BAUDOUIN, avocat de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), O N, Q P, U T, W BN BS, BU BN BT, W V, parties civiles, en ses observations;
    M. MICHAUD, avocat général, en ses réquisitions ;
    Les avocats de la défense ont eu la parole en dernier.
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    Les autres avocats des parties, régulièrement avisés de la date d’audience, ne se sont pas présentés.
    A l’issue des débats la décision a été mise en délibéré au 21 novembre 2022.
    RAPPEL DE LA PROCÉDURE
    Dossier n°2021/08703:
    Par requête motivée, déposée au greffe de la chambre de l’instruction le 17 décembre 2021, Me Christophe RELU substituant Me AT ARATELLI, avocat de la SAS BULL ISS anciennement SAS
    Z RESEAU SECURITE & SERVICES, mis en examen, a saisi cette chambre pour statuer sur la nullité éventuelle d’actes de procédure.
    Le Président de la chambre de l’instruction a transmis cette requête au Procureur Général aux fins de saisine de la chambre de l’instruction le 15 mars 2022.
    La date à laquelle l’affaire serait appelée à l’audience a été notifiée le 06 avril 2022:
  • par lettres recommandées à L K, témoin assisté ainsi qu’à son avocat, Me CHABERT, à D C, F E et H G, mis en examen, et par télécopies à la SAS BULL ISS et à J I, mis en examen, aux autres avocats des parties et aux parties civiles.
    Le dossier comprenant le réquisitoire écrit du Procureur Général en date du 18 mars 2022 a été déposé au greffe de la chambre de l’instruction et tenu à la disposition des avocats des parties.
    Me DAOUD, Me BECTARTE et Me BAUDOUIN, avocats de parties civiles, ont déposé le 25 mai 2022 à 15h28, au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire visé par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.
    A l’audience du 30 mai 2022, l’examen de l’affaire a été renvoyé au 22 septembre 2022.
    La date à laquelle l’affaire serait appelée à l’audience a été notifiée le 04 août 2022:
  • par lettres recommandées à L K, témoin assisté, à D C, F E et H G, mis en examen, à la Fédération Internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH), partie civile, à Me DAOUD, avocat de parties civiles et Me X, avocat de Fédération Internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH), partie civile,
  • et par télécopies à la SAS BULL ISS et à J I, mis en examen, aux autres avocats des parties et aux parties civiles.
    Me BOURDON, avocat de AB AA, BM NUAMAN, AD AC, S R, W AE et Yousef AC, parties civiles, a adressé par voie électronique au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire visé par le greffier le 21 septembre 2022 à 10h57, communiqué au Ministère Public et classé au dossier. (Mémoire commun au dossier 2021/08703, 2022/01348, 2022/01349 et 2022/01350)
    Dossier nᵒ2021/08979:
    Par ordonnance du 28 octobre 2021, le juge d’instruction du Tribunal judiciaire de PARIS a rejeté la demande d’octroi du statut de témoin assisté à J I.
    Le même jour, ladite ordonnance a été notifiée par lettres recommandées au mis en examen qu’à son avocat, conformément aux dispositions de l’article 183 alinéas 2, 3 et 4 du code de procédure pénale.
    Le 04 novembre 2021, Me Gildas ROBERT substituant Me J GOOSSENS, avocat de J I, mis en examen, a interjeté appel de cette ordonnance au greffe du Tribunal judiciaire de PARÍS.
    La date à laquelle l’affaire serait appelée à l’audience a été notifiée par télécopie du 06 avril 2022 à J I, mis en examen, et à son avocat.
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     ; Le même jour, le dossier comprenant le réquisitoire écrit de M. le Procureur Général en date du 18 mars 2022, a été déposé au greffe de la chambre de l’instruction et tenu à la disposition de l’avocat du mis en examen.
    Me GOOSSENS, avocat de J I, mis en examen, a déposé le 19 mai 2022 à 15h35, au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire visé par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.
    Me DAOUD, Me BECTARTE et Me BAUDOUIN, avocats de parties civiles, ont déposé le 25 mai 2022 à 15h35, au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire visé par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.
    A l’audience du 30 mai 2022, l’examen de l’affaire a été renvoyé à l’audience du 22 septembre 2022.
    La date à laquelle l’affaire serait appelée à l’audience a été notifiée par télécopie du 04 août 2022 à J I, mis en examen, et à son avocat.
    Dossier n°2022/01348:
    Par requête motivée, déposée au greffe de la chambre de l’instruction le 06 janvier 2022, Me Sophie GUINAMANT substituant Me AJ DEGARDIN, avocat de H G, mis en examen, a saisi cette chambre pour statuer sur la nullité éventuelle d’actes de procédure.
    Le Président de la chambre de l’instruction a transmis cette requête au Procureur Général aux fins de saisine de la chambre de l’instruction le 15 mars 2022.
    La date à laquelle l’affaire serait appelée à l’audience a été notifiée le 06 avril 2022:
    — par lettres recommandées à L K, témoin assisté ainsi qu’à son avocat, Me CHABERT, à D C, F E et H G, mis en examen,
  • et par télécopies à la SAS BULL ISS et à J I, mis en examen, aux autres avocats des parties et aux parties civiles.
    Le dossier comprenant le réquisitoire écrit du Procureur Général en date du 18 mars 2022 ainsi que le réquisitoire rectificatif du 03 mai 2022 a été déposé au greffe de la chambre de l’instruction et tenu à la disposition des avocats des parties.
    Me DEGARDIN et Me GARAUD, avocats de H G, mis en examen, ont déposé le 24 mai 2022 à 14h44, au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire visé par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.
    Me DAOUD, Me BECTARTE et Me BAUDOUIN, avocats de parties civiles, ont déposé le 25 mai 2022 à 15h28, au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire visé par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.
    A l’audience du 30 mai 2022, l’examen de l’affaire a été renvoyé au 22 septembre 2022.
    La date à laquelle l’affaire serait appelée à l’audience a été notifiée le 04 août 2022:
  • par lettres recommandées à L K, témoin assisté, à D C, F E et H G, mis en examen, à la Fédération Internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH), partie civile, Me DAOUD, avocat de parties civiles et Me X, avocat de Fédération Internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH), partie civile, et par télécopies à la SAS BULL ISS et à J I, mis en examen, aux autres avocats des parties et aux parties civiles.
    Dossier n°2022/01349:
    Par requête motivée, déposée au greffe de la chambre de l’instruction le 07 janvier 2022, Me Alexandre TROVATO, avocat de F E, mis en examen, a saisi cette chambre pour statuer sur la nullité éventuelle d’actes de procédure.
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    Le Président de la chambre de l’instruction a transmis cette requête au Procureur Général aux fins de saisine de la chambre de l’instruction le 15 mars 2022.
    La date à laquelle l’affaire serait appelée à l’audience a été notifiée le 06 avril 2022 :
  • par lettres recommandées à L K, témoin assisté ainsi qu’à son avocat, Me CHABERT, à D C, F E et H G, mis en examen,
  • et par télécopies à la SAS BULL ISS et à J I, mis en examen, aux autres avocats des parties et aux parties civiles.
    Le dossier comprenant le réquisitoire écrit du Procureur Général en date du 18 mars 2022 ainsi que le réquisitoire rectificatif du 03 mai 2022 a été déposé au greffe de la chambre de l’instruction et tenu à la disposition des avocats des parties.
    Me DAOUD, Me BECTARTE et Me BAUDOUIN, avocats de parties civiles, ont déposé le 25 mai 2022 à 15h32, au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire visé par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.
    Me ATTIAS, avocat de F E, mis en examen, a adressé par courriel au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire visé par le greffier le 25 mai 2022 à 15h50, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.
    A l’audience du 30 mai 2022, l’examen de l’affaire a été renvoyé au 22 septembre 2022.
    La date à laquelle l’affaire serait appelée à l’audience a été notifiée le 04 août 2022:
  • par lettres recommandées à L K, témoin assisté, à D C, F E et H G, mis en examen, à la Fédération Internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH), partie civile, à Me DAOUD, avocat de parties civiles et Me X, avocat de Fédération Internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH), partie civile, et par télécopies à la SAS BULL ISS et à J I, mis en examen, aux autres avocats des parties et aux parties civiles.
    Dossier n°2022/01350:
    Par requête motivée, déposée au greffe de la chambre de l’instruction le 11 janvier 2022, Me Anae CHEVALIER substituant Me Camille POTIER, avocat de D C, mis en examen, a saisi cette chambre pour statuer sur la nullité éventuelle d’actes de procédure.
    Le Président de la chambre de l’instruction a transmis cette requête au Procureur Général aux fins de saisine de la chambre de l’instruction le 15 mars 2022.
    La date à laquelle l’affaire serait appelée à l’audience a été notifiée le 06 avril 2022:
  • par lettres recommandées à L K, témoin assisté ainsi qu’à son avocat, Me CHABERT, à D C, F E et H G, mis en examen,
    -et par télécopies à la SAS BULL ISS et à J I, mis en examen, aux autres avocats des parties et aux parties civiles.
    Le dossier comprenant le réquisitoire écrit du Procureur Général en date du 18 mars 2022 ainsi que le réquisitoire rectificatif du 03 mai 2022 a été déposé au greffe de la chambre de l’instruction et tenu à la disposition des avocats des parties.
    Me POTIER, avocat de D C, a adressé par courriel, au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire visé par le greffier le 24 mai 2022 à 14h34, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.
    Me DAOUD, Me BECTARTE et Me BAUDOUIN, avocats de parties civiles, ont déposé le 25 mai 2022 à 15h33, au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire visé par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.
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    A l’audience du 30 mai 2022, l’examen de l’affaire a été renvoyé au 22 septembr e 2022.
    La date à laquelle l’affaire serait appelée à l’audience a été notifiée le 04 août 2022:
  • par lettres recommandées à L K, témoin assisté, à D C, F E et H G, mis en examen, à la Fédération Internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH), partie civile, à Me DAOUD, avocat de parties civiles et Me X, avocat de Fédération Internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH), partie civile, et par télécopies à la SAS BULL ISS et à J I, mis en examen, aux autres avocat s des parties et aux parties civiles.
    DÉCISION
    Prise après en avoir délibéré conformément à l’article 200 du code de procédure pénale.
    EN LA FORME
    Considérant que les requêtes susvisées entrent dans les prévisions de l’article 173 du code de procédure pénale donnant compétence à la chambre de l’instruction pour prononcer la nullité des actes qui en sont entachés ; qu’elles sont donc recevables ;
    Considérant que l’appel interjeté de l’ordonnance de rejet d’octroi du statut de témoin assisté à J I, régulier en la forme a été interjeté dans le délai de l’article 186 du code de procédure pénale ; qu’il est donc recevable;
    AU FOND
    Plainte avec constitution de partie civile
    Le 19 octobre 2011, une plainte avec constitution de partie civile était déposée par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et la Ligue des droits de l’homme (LDH), contre X des chefs de complicité de tortures et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. La FIDH et la LDH exposaient la découverte par des journalistes, en août 2011 à l’occasion de la libération de Tripoli (Libye), de matériels d’interception des conversations téléphoniques installés par une société française en ingénierie informatique Z, dans le bâtiment d’où le régime libyen surveillait les communications. Selon les plaignants, la société Z avait développé un système d’interceptions de communications sous l’appellation « B » ainsi qu’un logiciel permettant d’enregistrer, de décoder, stocker et redistribuer les communications Internet, satellite et téléphonique. Ce système d’interception mis au service du régime de AZ KHADAFI aurait contribué à la politique de répression de toute forme d’opposition politique et ainsi facilité les arrestations des opposants, soumis à la torture lors de leur détention.
    La société Z était leader dans la conception et l’intégration des systèmes critiques de haute technologie, elle était dirigée par H G, directeur général depuis 2011.
    Ces éléments étaient corroborés par un communiqué de presse de la société Z du mois de septembre 2011 dans lequel la société reconnaissait avoir signé en 2007 un contrat avec les autorités libyennes pour du matériel livré en 2008, ainsi que par d’autres sources.
    Le parquet de Paris délivrait un réquisitoire de non-informer et d’irrecevabilité le 26 mars 2012 en joignant la copie d’une plainte simple concernant des faits similaires déposée au parquet de Paris en septembre 2011, classée sans suite par le procureur de la République d’Aix-en-Provence le 13 mars 2012. Le parquet de Paris estimait dans son réquisitoire de non-informer que le fait de vendre à un Etat du matériel n’était pas en soi constitutif du crime dénoncé, mais pouvait s’analyser comme un acte de commerce ordinaire.
    Par ordonnance en date du 23 mai 2012, le magistrat instructeur saisi de la plainte avec constitution de partie civile de la FIDH et de la LDH disait y avoir lieu à informer. Cette décision était confirmée par arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris du 15 janvier 2013.
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    Les crimes de tortures commis en Libye à l’aide du système d’interception, le lien de causalité entre la surveillance et les actes de torture
    Il n’était pas contesté que les autorités libyennes s’étaient livrées, au cours de la période de prévention, à des actes de torture d’une particulière violence au sein des services de renseignement et de sécurité, ces actes apparaissant très largement documentés en procédure, la répression de toute forme d’opposition sous le régime du « Guide de la Révolution » étant systématique et le recours à la violence, aux persécutions, arrestations et emprisonnements arbitraires et torture contre les nationaux faisant partie intégrante de ce système.
    Dans le cadre de la présente procédure, plusieurs opposants interpellés par les services libyens à la suite de surveillances techniques étaient identifiés et auditionnés en qualité de parties civiles par les magistrats instructeurs. Ainsi, BU BN BT, O N, Q P, W BN BV, W V et AD AC étaient entendus au cours de l’année 2013, U T en
  1. Arrêtés entre janvier et mai 2011, tous racontaient avoir été détenus pour des durées variables par les services de sécurité intérieure. Ils décrivaient des conditions de détention inhumaines avec des privations de nourriture, de sommeil ou d’hygiène ainsi que des actes de tortures dont des coups de pieds, de poings ou à l’aide d’objets contondants, des simulacres d’exécution, des décharges électriques sur diverses parties du corps, des brûlures, des suspensions dans des positions douloureuses ou encore des menaces de mort ou de viols contre leur personne et des membres de leur famille. Pour la plupart, ils avaient été confrontés lors de leurs interrogatoires à des documents issus de leurs communications privées ou de leurs activités en ligne dont des copies de leurs échanges d’e-mails et des enregistrements de leurs communications sur diverses plateformes telles que Yahoo, Skype, Facebook et d’autres. A l’appui de leurs déclarations, certains produisaient des pièces provenant de leur dossier d’interrogatoire ou des attestations, notamment des interceptions de courriels portant la référence du programme «< B ». Quant à Alasanosi T il affirmait avoir été détenu en fin d’année 1 2009 et avoir été interrogé sur la base d’un dossier volumineux sur lequel apparaissait le logo du projet
    < B » représentant un aigle.
    Certaines expertises médicales pratiquées sur les parties civiles permettaient en outre de révéler des lésions

compatibles avec les tortures alléguées par elles.
Le 18 mai 2018, une commission rogatoire internationale était adressée aux autorités judiciaires du QATAR aux fins d’entendre Moussa KOUSSA qui aurait entretenu des relations avec les services de renseignements étrangers, à l’époque de la conclusion du contrat entre la société Z et les autorités libyennes en 2007, lorsqu’il occupait les fonctions d’officier du renseignement à l’Agence de sûreté extérieure libyenne en charge de la lutte contre le terrorisme mais aussi de la surveillance de la diaspora libyenne et des réseaux de l’opposition libyenne installés à l’extérieur du pays. En décembre 2020, le magistrat instructeur constatait l’absence de réponse des autorités qataries.
L’audition des dirigeants et salariés de la société Z sur le projet « B » 4
Parallèlement, des investigations étaient menées afin de préciser les modalités de conclusion et les termes du contrat de vente du programme < B » de la société Z. En février 2016, une douzaine d’employés de la société étaient placés en garde à vue et laissés libres à l’issue. Par la suite, courant 2016, 2017 et 2019, d’autres témoignages étaient recueillis, pour la plupart s’agissant d’anciens salariés de la société Z, et de personnes ayant participé à la mise en place de «< B » en Libye. La conclusion du contrat en décembre 2006 Le déroulement des négociations contractuelles était précisé à partir des témoignages recueillis, le contrat et les documents contractuels afférents à la vente du produit «< B » n’ayant pas été découverts dans le cadre des investigations. Il était à cet égard allégué par l’ancien directeur commercial d’Z, H G, que tous les fichiers sauvegardés sur disque dur et les échanges de mails afférents à cette vente avaient été effacés sur instructions de J I, fin 2011, début 2012. En tout état de cause, il n’était pas contesté par les dirigeants d’Z que des négociations avaient eu lieu, dès 2006, entre la société 12E présidée par J I et les autorités libyennes, AF A étant intervenu comme intermédiaire dans les négociations. Ainsi, une première rencontre s’était déroulée en Libye vers avril 2006, une autre rencontre s’était tenue dans les locaux d’Z sis à Aix-en-Provence, avant Page 8 7 la signature effective du contrat courant décembre 2006. Entendu en mai 2017 en qualité de témoin sur les circonstances ayant entouré la conclusion du contrat, AF A évoquait une commande dans le cadre d’un rapprochement diplomatique, faite à AG AH par BM BN-BW, chef des services de renseignements libyens. Le témoin déclarait avoir servi d’intermédiaire auprès des autorités libyennes pour la conclusion de ce contrat, destiné aux services de sécurité, mais n’était pas présent lors de la signature du contrat. En octobre 2019, des demandes d’actes étaient déposées par les parties civiles, à savoir l’audition d’BM BN-BW et de AF AI, le versement en procédure de l’audition de BM BN BW réalisée dans le cadre de l’instruction visant le financement de la campagne de AJ AK ainsi que tout document de cette instruction utile à l’enquête s’agissant du contexte dans lequel le contrat < B » était conclu. Les personnes impliquées dans la conclusion du contrat, la conception et le suivi du projet «< B » Les investigations permettaient d’apporter des précisions sur les rôles des dirigeants et des employés plus particulièrement impliqués dans la conception du projet «< B ». Il apparaissait ainsi qu’en 2006, lors de la signature du contrat avec l’Etat libyen, J I occupait le poste de président directeur général de la société I2E TECHNOLOGIES et H G celui de directeur commercial. A partir de 2007, J I devenait président directeur général d’Z SAS suite au changement de nom de cette structure et H G directeur commercial d’Z RSS. En fin d’année 2009, la société Z SAS était rachetée par le groupe BULL dont J I devenait le président directeur général en 2010. Enfin, Z RSS avait été cédée courant 2012 à H G et la société avait été renommée NEXA TECHNOLOGIES. A partir de 2006, F E avait occupé les fonctions de responsable de la partie technique d’ingénierie du projet «< B » et du recrutement des ingénieurs chargés de développer le produit. Il avait ainsi encadré le projet « B », s’occupant du développement du projet, de son suivi, de son installation sur site, du recrutement et du management de l’équipe et de certains aspects commerciaux, notamment de la promotion du produit auprès d’autres prospects comine responsable avant-vente. BN AM, consultant externe, secondait F E et se chargeait plus particulièrement de la partie technique du projet « B ». Sous la direction de F E et BN AM intervenait un pôle d’ingénieurs qui travaillaient sur le projet et étaient spécialisés en cinq groupes. Il s’agissait des groupes « Interface Homme Machine » (IHM), < Sondes / réseau »>, < Base de données », «< Process » et « Opérationnel client », ce dernier groupe étant destiné à aider le client à prendre en main le logiciel. Enfin, un autre employé d’Z recruté en août 2008, D C, avait plus particulièrement été chargé de réaliser, sur site en Libye, des formations au logiciel, au profit du personnel libyen. Il tenait également le rôle de relais auprès de la société Z lors de la survenance de problèmes techniques ou dans la relation avec le client libyen. D’autres salariés s’étaient rendus en Libye pour assurer la maintenance du matériel. L’effectivité du fonctionnement du système d’interception « B » en Libye Les investigations permettaient de recueillir des informations sur l’installation puis le fonctionnement du matériel en Libye. Ainsi, il ressortait des différentes auditions des salariés de la société Z que le logiciel «B » avait été déployé en Libye à partir de 2007. Toutefois, plusieurs employés affirmaient que le système d’interception n’avait pu être véritablement opérationnel qu’à partir de 2010, en raison de dysfonctionnements de la sonde « QOSMOS », conduisant la société Z à recourir fin 2009, début 2010, à une nouvelle sonde < IPOQUE » développée par une société allemande. Une troisième version reposant sur une sonde créée par Z aurait été conçue fin 2010, début 2011, elle n’aurait jamais été mise en place en Libye mais elle avait ensuite été exportée vers d’autres pays étrangers. Page 9 Les témoignages s’accordaient pour confirmer que le système d’interception avait effectivement fonctionné, même de manière dégradée, et qu’en tout état de cause la « recette » avait été versée ce qui correspondait à un paiement de la prestation, attestant ainsi de la fonctionnalité du système qui donnait satisfaction aux autorités libyennes. Ces éléments étaient confortés par certaines pièces versées en procédure qui établissaient l’existence de fiches de surveillance issues du système « B » et renseignées par les services de renseignement libyens. Ainsi, en mars 2014, l’ONG Human Rights Watch transmettait plusieurs documents émanant du service de sécurité intérieure qui portaient la mention < B interception » et consistaient en des formulaires intitulés «formulaire de cible surveillée sur le net » ou «formulaire de suivi sur le net », établis entre 2010 et 2011. Sur ces formulaires, le nom d’utilisateur de la « cible » était renseigné ainsi que son numéro de téléphone et d’ADSL. Enfin, le courriel était repris dans le formulaire et l’opération ayant permis la surveillance, à partir de l’adr https://B/interceptions, était indiquée. Courant 2017, les parties civiles remettaient aussi plusieurs documents issus des archives des services de la sécurité intérieure libyenne, notamment une note de la sûreté intérieure datée du 14 mai 2009 adressée à tous les chefs de services de la sûreté intérieure et relative à l’installation d’un système de surveillance du réseau international d’information et de communication fourni par Z ainsi que des courriers des services de renseignements libyens sur les systèmes de surveillance Z qui étaient de nature à éclairer sur les finalités du système d’interception, lequel visait notamment la surveillance des opposants politiques au régime. S’agissant des fonctionnalités exactes du produit < B », elles n’étaient pas précisément connues, les documents contractuels afférents à la vente n’ayant pas été découverts. Elles ressortaient néanmoins des témoignages recueillis auprès des employés d’Z et de certains documents versés en procédure. Ainsi, le type d’interceptions rendues possibles par B ressortait des auditions du personnel d’Z mais aussi des récits de victimes en fonction des pièces qui leur avaient été présentées lors des interrogatoires précédant leurs tortures. A ce stade des investigations, il apparaissait que ce qui était en clair (http) pouvait être intercepté, à savoir la plupart des mails, recherches internet, consultations de sites et pages en clair des réseaux sociaux. Ce qui était crypté (https, Skype, Facebook) ne pouvait pas l’être, tout comme les communications filaires, GSM et satellite. Ces éléments étaient toutefois à nuancer et pourraient faire l’objet d’une expertise technique ultérieure ou de vérifications complémentaires auprès de sachants. En tout état de cause, dans la présente procédure, les parties civiles auditionnées affirmaient avoir été confrontées à leurs communications électroniques sur Yahoo et autres courriels, sur leur navigation internet et les sites qu’elles consultaient et qui étaient donc techniquement interceptables par le système développé par Z. En outre, il apparaissait que les services de renseignement libyens avaient eu recours à d’autres sociétés étrangères qui avaient également fourni des systèmes d’interception et de surveillance. Les auditions des dirigeants et responsables du projet « B » La classification du matériel d’interception et de surveillance « B » et le cadre applicable en matière d’exportation Lors de leurs auditions, les différents responsables mettaient en avant le caractère légal du système de surveillance Internet, qui serait classifié comme matériel d’interception soumis à autorisation en application des articles R. 226-1 et suivants du code pénal, mais aussi de son exportation. Pour autant, à ce stade de l’instruction et sous réserve d’investigations complémentaires auprès de la DGA, du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SDGSN) et du service des biens à double usage (SBDU), il n’était pas possible de déterminer avec précision les démarches entreprises pour obtenir une éventuelle autorisation à exportation vers la Libye. S’agissant du cadre juridique applicable à l’exportation d’un tel matériel, la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) indiquait sur réquisitions que le système « B » n’était pas classé matériel de guerre et n’était donc pas soumis à une licence d’exportation. Il était précisé que sa classification éventuelle en bien à double usage, relèverait du SBDU et de la commission interministérielle des biens à double usage (CIBDU), étant observé que la création de ces institutions remontait à mars 2010, soit postérieurement à la conclusion du contrat < B ». Ainsi, lors de la conclusion du contrat, les exportations de biens à double usage étaient soumises au régime posé par le Règlement (CE) n°1334/2000 du 22 juin 2000 tel que modifié et mis à jour par le règlement (CE) n°1183/2007 du 18 septembre 2007. Il était observé que si le matériel de surveillance ne figurait pas à Page 10 l’annexe I du Règlement, dans la nomenclature des biens dits « à double usage » et à ce titre soumis à un contrôle à l’exportation, un État pouvait néanmoins interdire ou soumettre à autorisation l’exportation de biens à double usage ne figurant pas sur la liste de l’annexe I « pour des raisons liées à la sécurité publique ou à la sauvegarde des droits de l’homme ». Sur réquisitions, le chef du Service des biens à double usage (SBDU) précisait que sur la période 2006-2011, «les systèmes d’interception et logiciels de contrôle de l’internet n’étaient pas soumis à la réglementation. En effet, la mise sous contrôle BDU des biens type « intercepteur » [n’avait] été effective qu’à partir de l’année 2013 au niveau d’une mesure nationale et 2015 au niveau multilatéral, c’est-à-dire prévu par l’Arrangement de Wassenaar ». La connaissance de l’utilisation potentielle de la technologie « B » par la Libye En tout état de cause, la question relative à la connaissance, par la société Z, de la finalité du produit, à savoir la connaissance de l’utilisation potentielle de la technologie de surveillance ayant pu être opérée en Libye, était posée afin de démontrer ou non, l’implication de la société Z dans la fourniture de moyens aux autorités libyennes qui auraient permis la commission d’actes de torture. Entendu sous le régime de la garde à vue en février 2016, F E indiquait avoir participé aux négociations pré-contractuelles en 2006, notamment lors de deux rencontres avec les services de renseignement libyens, en Libye et à Aix-en-Provence, qui s’étaient tenues en présence de AF A et AN AO, chef de la direction des renseignements militaires libyens. Après la signature du contrat en fin d’année 2006, J I lui avait proposé de travailler sur le projet libyen en lui confiant le développement du produit. Concernant la mise en oeuvre effective du système « B », F E évoquait trois phases successives. La première avait consisté à valider l’architecture globale du système en fonction des attentes du client et s’était déroulée tout au long de l’année 2007 et jusqu’au début de l’année 2008. La deuxième phase avait concerné l’installation du matériel sur site et la correction des dysfonctionnements techniques durant six à neuf mois. Elle s’était terminée avec la présentation au client du système opérationnel en début d’année 2009. Dans ce cadre, F E s’était rendu une dizaine de fois en Libye pour superviser l’installation du matériel, tester et valider le fonctionnement du système. Le serveur avait été installé courant 2008, puis le logiciel < B » avait été mis en place sur le serveur. Enfin, la troisième phase correspondait à la période de formation des opérateurs libyens, à partir du début d’année 2009, pendant six à neuf mois, jusqu’à parvenir à l’autonomisation des utilisateurs. Selon F E, le système « B » avait ainsi fonctionné de 2009 jusqu’à la révolution libyenne en début d’année 2011. De nombreux dysfonctionnements avaient toutefois émaillé l’année 2009, jusqu’au changement de sonde (QOSMOS/IPOQUE) fin 2009, début 2010, époque à partir de laquelle le système avait mieux fonctionné. Interrogé sur l’utilisation du produit « B » par les services de renseignements libyens, F E soutenait que la technologie B avait pour but de développer un système de renseignement de nouvelle génération concernant les flux internet à destination de la lutte anti-terroriste, anti-criminalité. Il affirmait en outre que la société Z n’avait aucun accès aux données nominatives libyennes, la seule fois où cela s’était produit étant lors de la rédaction du manuel utilisateur du logiciel «< B » par D C qui était chargé de la formation des opérateurs et leur avait demandé de fournir des captures d’écran. F E était laissé libre à l’issue de sa garde à vue. Entendu sous le régime de la garde à vue en avril 2016, D C relatait avoir été embauché en août 2018, en qualité de responsable support client au sein d’Z, dans un contexte où le système d’interception < B » ne fonctionnait pas, notamment suite au blocage induit par l’utilisation de filtres trop larges par le client libyen, et ne donnait pas satisfaction. D C s’était vu confier la mission de < débloquer » la situation et de « rassurer le client en étant présent à ses côtés ». Après une rapide formation technique assurée par BN AM à partir d’un manuel utilisateur contenant des « screenshot », il s’était donc rendu en Libye pendant plusieurs mois, à partir d’août 2008, pour former les opérateurs des bâtiments HQI et HQ2 mais aussi pour leur apporter un soutien afin qu’ils puissent devenir autonomes dans l’utilisation du système. Dans le cadre de la formation dispensée, il avait notamment présenté aux opérateurs l’interface < Homme Machine » qui leur permettait de formaliser les règles de recherche, d’exploiter les données collectées, de créer des « cibles ». Il avait ensuite établi un second manuel utilisateur plus complet en reprenant les mêmes « screenshot » à savoir des captures d’écran. Il avait participé à certaines réunions avec le responsable du projet libyen, AN AO, en présence de H G. Lors de ses missions en Libye, il avait eu l’occasion d’intervenir sur les quatre sites où étaient installés à la fois le système « B » au sein d’un bâtiment dénommé GPTC, le système de duplication du flux Internet basé au « KILOMETER 4 » et les opérateurs au sein des bâtiments militaires HQ1 et HQ2. A sa connaissance, le produit < B » avait été Page 11 développé spécialement pour le client libyen et avait ensuite été vendu à d’autres pays, notamment le Maroc, le Qatar, le Gabon et l’Egypte. Il s’agissait d’un système d’interception IP du flux Internet, plus précisément des métadonnées, qui selon lui servait en réalité à confirmer un renseignement que l’opérateur avait déjà obtenu par ailleurs, d’une manière extérieure au système. De plus, en raison de la volumétrie du réseau Internet, il n’était pas possible de faire de recherche globale par mot clé sans risque de saturation du système. Cette recherche par mot clé n’était possible que lorsque des adresses IP ou mails avaient déjà été identifiés et stockés à l’intérieur d’un dossier « cible ». Les données chiffrées n’étaient pas interceptées et aucune interception téléphonique n’était possible. Seul le client déterminait les « cibles » et ses critères d’interception. En cas de difficultés, les ingénieurs d’Z basés en France pouvaient prendre la main à distance sur le système, avec l’autorisation du client. Des déplacements sur place étaient également organisés lorsque la remise en état à distance n’était pas possible. Selon D C, le stèn avait donc fonctionné en ce sens qu’il permettait d’intercepter des données, mais de manière dégradée et ce, au moins jusqu’en fin d’année 2010, début 2011 où il s’était rendu en Libye pour la dernière fois. Entendu comme témoin le 28 février 2017, J I évoquait une normalisation des relations franco-libyennes à partir de 2004, laquelle avait permis de renouer des relations contractuelles avec la Libye. Dans le cadre d’un démarchage de sociétés mis en place par le régime libyen qui affirmait vouloir disposer de matériel pour lutter contre le terrorisme, AF A serait ainsi entré en contact avec lui en 2006. Une première rencontre avait été organisée en Libye vers avril 2006, suivie d’une autre qui s’était tenue dans les locaux d’Z. SAS à Aix-en-Provence où une délégation de Libyens, dont AN AO désigné comme le chef de la direction des renseignements militaires libyens, avait été reçue. Selon J I, le contrat avec les autorités libyennes avait été signé à Tripoli en décembre 2006 par lui-même, en sa qualité de représentant de la société i2e et non par Z qui n’avait pas encore d’existence légale. Le contrat signé pour un montant de 15,5 millions portait sur quatre objets, la fourniture de véhicules de protection, la fourniture d’un système de chiffrement pour la protection du réseau inter-administrations, le monitoring du flux internet entrant et sortant du pays et enfin la formation aux trois premiers objets. La partie relative au flux Internet représentait selon J I un peu moins de 10 millions d’euros, son suivi et son exécution étaient réalisés par Z RSS ainsi que la formation afférente à l’utilisation de cette technologie. Il se disait dans l’incapacité de remettre les documents contractuels afférents à la vente du produit «< B » à la Libye. Enfin, J I affirmait que la société avait agi de manière légale, la finalité du produit étant la lutte contre le terrorisme, et il considérait que la société Z ne pouvait être tenue pour responsable de l’utilisation qui en avait été faite. Il soulignait enfin que des vérifications avaient été faites afin de s’assurer que tout le matériel, objet du contrat, pouvait être exporté en Libye et que seuls les outils de chiffrement avaient fait l’objet d’une autorisation préalable obligatoire. Entendu en qualité de témoin en mars 2017, H G précisait que le contrat < B » avait été conclu avec l’Etat libyen en décembre 2006 avec l’aval des services de la DGSE. A la suite des rencontres survenues en 2006, en Libye et à Aix-en-Provence, il avait travaillé avec F E à la création d’un nouveau produit, en l’occurrence le système « B ». Selon H G, le dossier constitué avait été présenté par J I à BM BN-BW, AN AO et un général libyen responsable du service des achats. Ainsi, en dépit de sa qualité de directeur commercial, il affirmait que J I s’était chargé seul de la négociation du contrat sur la vente du produit, manifestement parce qu’il ne souhaitait pas l’informer des commissions versées. Après la conclusion effective du contrat, J I lui aurait en revanche confié l’entier suivi du dossier interception IP sur la partie technique, le développement et la mise en place du produit en Libye. Il affirmait que les premiers serveurs avaient été livrés fin 2007 et que plusieurs versions successives du système avaient été installées, des dysfonctionnements techniques ayant retardé leur utilisation effective. Lors de ses nombreux déplacements en Libye, jusqu’en février 2011, H G avait principalement eu à faire avec AN SA M mais aussi avec Abdullah BN-BW, chef des services de renseignements libyens. Ainsi, H G reconnaissait que les destinataires du produit « B » étaient les services de renseignements libyens, dont les opérateurs avaient bénéficié d’une formation dispensée par le personnel d’Z, et soutenait qu’à sa connaissance, le système était destiné à rechercher des terroristes. Il affirmait que le système «< B » devait permettre l’interception du flux international IP entrant ou sortant, hors interception satellitaire, la reconstitution des mails et messages instantanés (Chat) non cryptés ainsi que l’extraction de méta-data. Il expliquait que les opérateurs ne pouvaient pas lancer des recherches par mots clés dans le flux international qui était stocké car la masse de données était trop importante. De telles recherches n’étaient possibles que lorsque les opérateurs avaient préalablement appliqué un filtre en renseignant un identifiant IP ou une adresse mail. Il affirmait qu’en tout état de cause, le personnel de la société Z Page 12 n’avait pas accès aux données extraites ni aux identifiants ciblés par les opérateurs. Enfin, s’agissant des démarches entreprises par la société Z pour l’exportation du matériel vendu à la Libye, H G expliquait qu’aucune autorisation préalable à l’exportation n’avait été nécessaire puisque le produit «< B » n’était pas considéré comme du matériel de guerre et ne figurait pas sur la liste des biens à double usage. En revanche, il affirmait que l’étude et la conception en France du système d’interception < B » avaient été réalisées en application des dispositions prévues à l’article R. 226 du code pénal, après autorisation ministérielle. Le placement sous statut de témoin assisté du représentant de la personne morale Z, le 3 0 mai 2017 Le 30 mai 2017, l’actuel président directeur général de la société Z, AP AQ, était placé sous le statut de témoin assisté en sa qualité de représentant légal de la SAS Z RESEAU SECURITE ET SERVICES. Il confirmait que le contrat «< B » avait été signé en 2006, que le système avait été installé en Libye en 2007, et qu’à sa connaissance il n’avait réellement fonctionné qu’en 2008 et 2009 en raison d’anomalies techniques. Les investigations sur commission rogatoire diligentées courant 2021 A partir du 4 mai 2021, des interceptions judiciaires étaient mises en place sur les lignes téléphoniques de H G, fondateur et dirigeant de NEXA TECHNOLOGIES anciennement président d’Z, et de F E, actuel directeur général de NEXA TECHNOLOGIES et ancien chef du projet < B » en Libye chez Z. Si les écoutes diligentées n’apportaient aucun élément d’information sur le contrat que la société aurait conclu avec l’Egypte en 2014, elles laissaient en revanche à penser que les dirigeants de NEXA, H G, F E et ATAU, président de NEXA, ancien dirigeant associé de Z, poursuivaient la commission des faits dénoncés initialement puisqu’il était question de négociations contractuelles relatives à la vente d’une technologie de surveillance massive à l’Arabie Saoudite, à l’armée nationale libyenne du Maréchal Khalifa HAFTAR mais aussi à Madagascar, pays dont les bilans en matière de droits de l’Homme, le placement sous sanctions internationales et le contexte politique et social actuel pouvaient susciter la crainte d’une utilisation à visée répressive. Lors de ces écoutes, il était aussi question de stratégies sur la possibilité de contourner le régime de sanctions internationales concernant la Libye. Le 4 juin 2021, l’OCLCH réalisait une transmission partielle des pièces d’exécution d’une commission G rogatoire du 20 octobre 2017. De nouveaux témoignages avaient été recueillis dans ce cadre, auprès de journalistes et d’anciens employés de la société Z. Diverses réquisitions avaient par ailleurs été établies, notamment auprès de la DGA, du SGDSN, du SBDU. L’opération du 15 juin 2021 et la garde à vue de J I J I était interpellé à son domicile le 15 juin 2021. Sur son parcours professionnel Au cours de sa garde à vue, il était de nouveau entendu sur son parcours professionnel. En 2004, il créait la société CRESCENDO INDUSTRIE et reprenait la direction générale de la société 12E devenue ensuite Z SAS. Fin 2009, début 2010, la société BULL proposait à ses actionnaires de reprendre Z. En mai 2010, il était nommé par l’assemblée générale Directeur général du groupe BULL disposant de 8.000 salariés et ayant un chiffre d’affaire de 1,2 milliards d’euros. En 2014, le groupe ATOS faisait une OPA sur BULL. J I occupait le poste de directeur général de BULL SAS jusqu’à 2020. Il était actuellement président de la SAS CRESCENDO INDUSTRIE dont il était le seul actionnaire et le seul salarié. Il exerçait une activité de conseil aux entreprises. Son salaire brut annuel était de 173.000 euros depuis 2004. Entre 2010 et 2014, il avait en outre perçu une rémunération de 700.000 euros brut chez BULL. Page 13 Entre 2007 et 2011, il était le responsable légal de Z SAS. Il désignait H G comme responsable légal de Y et Z RSS à cette même période. Il précisait que la société Z SAS existait toujours sous l’entité d’AVANTIX. Quant à la filiale Z RSS, elle avait été vendue à H G qui avait repris ses activités, CRESCENDO lui rachetant ses parts à hauteur de 7 millions d’euros. Sur la vente du système d’interception à la Libye Sur le contexte entourant la conclusion du contrat en fin d’année 2006 entre Z SAS et les autorités libyennes, J I maintenait qu’à cette époque, après la visite de AZ BA à Elysée en 2004, le gouvernement libyen voulait de l’aide pour « la lutte antiterroriste et migratoire ». Dans son souvenir, ce contrat portant sur un montant de l’ordre de 15 millions d’euros, comprenait notamment deux volets, l’un concernant la fourniture de véhicules anti-IED (improvised explosive device) et l’autre un système d’écoutes de mails entre la Libye et les pays étrangers. Le premier volet avait été sous-traité à une société tierce étrangère au groupe, Z n’ayant pas la technologie pour le faire. Le second volet avait été traité par la filiale Z RSS. Sur ce volet interception de mails, il contestait avoir proposé un système d’interception massive de flux internet. Lors des négociations portant sur ce point, H G, AR AS et lui-même étaient présents. Il précisait qu’après la signature du premier contrat établi sous le nom I2E en 2006, une renégociation était intervenue en mars-avril 2007 sous l’égide d’Z SAS avec l’obtention de la lettre de crédit qui constituait une forme de transfert du contrat vers la banque. Suite à des difficultés survenues entre la banque étatique libyenne et la banque française à propos de la lettre de crédit, le contrat n’avait démarré qu’en 2007, lors du premier versement. L’argent avait été perçu par Z SAS, le premier versement avait lieu en 2007, le dernier en 2010. Le montant total avait été payé sur 4 ans par la Libye par lettre de crédit. Selon lui, la société I2E/Z avait été citée par AF A auprès des autorités libyennes dans le cadre de leur recherche d’un système de protection des convois et d’écoutes. A cet égard, il affirmait que AF A « était venu les chercher » en disant être mandaté par l’Etat libyen. Aucun contrat n’avait été signé entre AF A et Z. Cette prise de contact s’inscrivait dans un contexte de développement de la coopération entre les gouvernements libyens et français. Après ce contact, 12E/Z répondait à l’appel d’offre. La décision de s’engager avec l’Etat libyen en signant le contrat était prise par les actionnaires, c’est-à-dire lui-même, H G, AT AU et AV AW. Le contrat prévoyait une exécution en deux ans ou deux ans et demi et devait prendre fin en 2010. Le contrat prévoyait également la formation de personnels libyens. A cet égard, une dizaine de personnes venaient en France. Il affirmait que la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD) disposait des identités et des passeports car elle avait fourni l’autorisation. Il ignorait la nature exacte de la formation en France mais il y avait deux aspects, la formation logicielle relevant de la compétence de la société Z RSS et la formation d’enquêteurs ne relevant pas de la compétence de la société. Il ignorait quels services libyens avaient bénéficié de la formation. Si lors de la signature du contrat en lui-même, il s’était rendu seul à Tripoli, il avait effectué d’autres voyages d’affaires en Libye avec des dirigeants d’Z concernés par l’objet du contrat, environ à quatre reprises en 2006 et à deux reprises en 2007. Après la signature du contrat, il n’était plus impliqué dans la gestion opérationnelle qu’il avait laissée à Z RSS dirigée par H G. Ainsi, il prétendait tout ignorer des relations d’Z avec le gouvernement libyen depuis 2009 et son opération de rachat avec la société BULL. Il n’avait pas, à titre personnel, proposé d’autres contrats à la Libye, mais affirmait que H G pouvait l’avoir fait car les sondes fournies devaient évoluer. Interrogé sur l’endroit où pouvait se trouver le contrat < B », J I affirmait qu’après sa signature à Tripoli, le contrat avait été ramené par ses soins et archivé et classé. Il précisait que le contrat se scindait en deux parties, financière et technique. Selon ses déclarations, pour la partie financière, le classement et l’archivage du contrat s’étaient faits dans les locaux d’Z SAS puisque le contrat financier était envoyé à la banque pour l’obtention de la lettre de crédit. La partie technique avait été conservée par Z RSS. Il affirmait ne pas disposer du contrat mais pensait qu’il devait être en possession de l’établissement bancaire, possiblement la Société Générale, qui était intervenu pour les lettres de crédit. Interrogé sur la destruction Page 14 alléguée des documents < B » et la disparition des preuves, il contestait avoir ordonné la destruction du contrat car ce dernier était de toute façon à la banque et le document technique était déjà sur Internet. Confronté aux déclarations de Marc CAMUZAT, ancien employé d’Z, affirmant avoir vu F E se connecter à une « Backdoor » pour effacer ou détruire les serveurs en Libye après la chute de AZ BA, il affirmait tout en ignorer. Sur le produit « B » installé en Libye Le système proposé par Z, mis en place à sa connaissance en 2009, avait pour but d’intercepter des mails entre la Libye et des pays étrangers. Il affirmait que ce système s’était dès lors révélé peu utile. Selon lui, le système permettait d’intercepter les mails qui entraient ou sortaient du pays, soit « quelques dizaines ou centaines de mails simultanés ». Il s’agissait d’un « tout petit système » qui ne permettait pas en outre d’intercepter les communications téléphoniques ou radio. Il précisait que seuls les éléments non chiffrés pouvaient être interceptés par un système de mots clés, comme une requête Google. Selon lui, ce système ne permettait donc pas de casser le chiffrement mis en place par certains opérateurs, à l’instar de GMAIL dès 2007. Techniquement parlant, une sonde était installée sur la fibre libyenne. Les échanges des personnes écoutées étaient envoyés dans une base de données et triés. La sonde triait les messages interceptés selon la nature des protocoles mis en place. Les données considérées comme pertinentes étaient stockées dans une base de données (serveur et disque dur). De mémoire, il estimait que ce disque dur faisait entre 1 et 10 To. Le logiciel créait ensuite une interface de visualisation. Il était possible de faire des requêtes manuelles, comme sur n’importe quel système classique d’écoutes. La sonde utilisée pour les interceptions était une sonde classique du commerce. Initialement, c’était la société française QOSMOS qui avait eu la préférence pour la fourniture de la sonde mais il ignorait si elle avait été effectivement retenue. Sur les autorisations d’exportation du produit « B » vers la Libye Il affirmait que l’ensemble des formalités légales avaient été respectées et que la DRSD avait lu le contrat avant sa signature. Z RSS s’était occupée de ces formalités. Confronté aux déclarations de AX AY, ancien directeur général d’I2E, selon lesquelles il l’aurait contacté pour des difficultés liées à des autorisations d’export, il répondait qu’il n’y avait pas eu de « difficultés dans le sens légal de l’exportation ». Selon lui, H G devait être en possession d’un écrit mentionnant l’autorisation ou l’absence d’autorisation pour l’exportation du matériel. Il affirmait qu’en tout état de cause cet écrit avait été demandé et fourni. Cependant, il ne voyait lui-même jamais ce document. Sur sa connaissance de la situation en Libye et du respect des droits de l’Homme à l’époque J I affirmait que son rôle était de vendre des produits et qu’il ne s’agissait pas de la responsabilité d’une entreprise de se poser ce genre de question. Par ailleurs, le système vendu concernait les échanges internationaux et non les échanges nationaux. Enfin, selon lui, « les conditions d’usage de ce système [n’étaient] pas du ressort de la société, [c’était] du ressort de l’Etat ». Il insistait sur le fait qu’il était « vendeur de système » et qu’il n’avait pas le contrôle sur la nature des enquêtes qui étaient faites grâce à ce système. Sur l’annonce dans la presse de « l’affaire Z » Selon J I, plusieurs réunions de crise chez BULL avaient été décidées. L’équipe de communication et le conseil d’administration y assistaient. Lui-même, en tant que Président du conseil, était présent. L’équipe de communication devait gérer les relations avec la presse tandis que le conseil d’administration s’occupait des relations avec les investisseurs. Son positionnement, comme président du conseil, était de se séparer de Z RSS. Il excluait tout cas de conscience « éthique » sur le système < B » par des membres de l’équipe de Z RSS avant 2011 et affirmait qu’à sa connaissance l’instabilité du régime libyen n’avait pas suscité d’émotion particulière au sein d’Z. Il exposait avoir été très affecté à titre personnel car son intégrité avait été mise en cause. Il s’agissait d’une des raisons pour lesquelles il s’était écarté de ces activités, y compris en France car il ne pouvait pas « contrôler l’intégralité de l’usage » de la technologie mise à disposition. Page 15 L’interrogatoire de première comparution et la mise en examen de J I, le 16 juin 2021 J I était présenté le 16 juin 2021 aux magistrats instructeurs aux fins d’interrogatoire de première comparution. Lors de son interrogatoire de première comparution, J I confirmait ses déclarations faites en garde à vue. Il précisait que lors des négociations contractuelles avec la Libye, il avait été amené à rencontrer BM BN-BW et le fils de AZ BA, en qualité de représentants de l’Etat. Il considérait que ces personnes avaient marqué leur désintérêt sur les sujets présentés car la liste des demandes de la Libye était alors énorme après la levée de l’embargo. D’autres sociétés avaient conclu des contrats concernant des matériels de guerre. Il confirmait qu’Z avait développé le produit B pour la Libye, ce qui était conforme à la pratique du groupe Z de créer des < produits à façon » à partir d’un cahier des charges. Il confirmait que la société Z avait été payée par le gouvernement libyen pour la prestation fournie. Il affirmait que le gouvernement français les avait incités à installer le système d’interception en Libye, cette incitation s’étant manifestée « par des contacts classiques » avec les ministères de la défense et de l’intérieur et des membres de la DGSE et de la DGA. Selon J I, la France avait un intérêt à ce que le système soit fourni, elle cherchait à développer des partenariats avec la Libye, dans un contexte de lutte anti-terroriste et de contrôle des flux migratoires venant de Libye. Il insistait sur le contexte politique d’ouverture qui présidait. Il maintenait que la société avait uniquement fourni un «petit système permettant une interception ciblée d’un flux limité » et que l’usage qui en avait été fait ne relevait pas de leur ressort. Il soulignait également que s’il avait participé à la signature du contrat, il n’avait nullement été impliqué dans son exécution. Enfin, il affirmait que s’il avait eu connaissance d’une utilisation malveillante du système, il aurait été mis fin à ce contrat. A l’issue, J I était mis en examen du chef de complicité d’actes de torture commis en Libye entre 2007 et 2011. Il était laissé libre. La mise en examen de la société SAS Z RSS Le 18 juin 2021, un avis de mise en examen d’une personne ayant le statut de témoin assisté, notifié le 21 juin 2021 par lettre recommandée avec accusé de réception, était adressé à BB BC, représentant légal de la SAS Z RSS, du chef de complicité d’actes de torture commis en Libye entre 2007 et 2011. Par courrier du 23 juin 2011, BB BC précisait que la SAS Z RSS avait changé de dénomination sociale depuis le 22 juin 2017 et s’appelait désormais BULL ISS. II indiquait que la société contestait la qualification pénale retenue et entendait saisir la chambre de l’instruction d’une requête en nullité de cette mise en examen. Le placement en garde de vue de L K Le 6 juillet 2021, L K, ancien président du directoire de la société QOSMOS de septembre 2005 à octobre 2018, était placé en garde à vue. Entendu sur la sonde développée par QOSMOS, il précisait qu’elle avait été créée en 2000 par deux ingénieurs, BD BE et BF BG, qui avaient développé la technologie de « Deep pack inspection ‘> (DPI). A partir de 2005, la société travaillait au développement d’une stratégie d’entreprise reposant sur le « network intelligence » et l’analyse de trafic. La société était identifiée par la DGSE et le ministère de la défense comme un partenaire potentiel susceptible de fournir des applications de défense. En 2006, la société QOSMOS signait un contrat d’interception légale avec la DGSE et l’Agence Nationale de la Sécurité et des Systèmes d’Information (ANSSI).
Dans ce contexte, il affirmait que le directeur technique de la DGSE, BH BI, avait invité la société QOSMOS à développer la partie « interception légale » de leur activité en les mettant en relation avec la 1 société I2E devenue Z, « dans un secret absolu » afin de développer une solution d’interception. L K ignorait alors que le contrat concernait la Libye, le client n’ayant pas été dévoilé par
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la DGSE. La première rencontre entre QOSMOS et I2E s’était tenue fin 2006, début 2007 et la signature du contrat était intervenue en mars 2007. Lors de la vente à la société Z de la sonde dénommée
< JUPITER », il ignorait toujours l’identité du client final, respectant en cela le caractère confidentiel défense afférent à ce type de contrat. Avant la signature du contrat, plusieurs rencontres avaient eu lieu, impliquant H G et J I, en présence de F E, afin de déterminer les capacités de QOSMOS à créer la brique technologique destinée à être intégrée au système «< B » développé par 12E/Z. Il insistait ainsi sur le fait que la brique technologique n’était absolument pas un «produit tout en un » mais devait être intégrée à un système pour fonctionner. Il soulignait que cette brique d’analyse de protocoles et d’extraction d’informations pouvait en réalité recevoir de nombreuses applications et notamment être utilisée comme un simple outil d’analyse réseau. L K précisait que la sonde développée par QOSMOS pouvait reconnaître des milliers de protocoles et qu’il était possible de répondre au cas par cas aux demandes des clients visant à reconnaître d’autres protocoles spécifiques. La sonde était donc créée en fonction des spécifications faites par le client. Afin de paramétrer la sonde, le client pouvait fournir des traces du flux IP du pays qui étaient ensuite analysées en laboratoire. Selon lui, ces traces permettaient d’analyser les protocoles qui étaient, dans leur grande majorité, communs à différents pays. A sa connaissance, la société QOSMOS n’avait pas identifié le pays, utilisateur final de la solution « B », mais il renvoyait aux techniciens sur cette question. Il ajoutait que les relations entre les sociétés QOSMOS et Z avaient toujours été « compliquées » et que le contrat avait été rompu en raison des difficultés de fonctionnement de la sonde. Dans son souvenir, l’identité du client final avait été connue dans ce contexte de relations tendues, au moment de la rupture du contrat. Outre le fait qu’il ignorait l’identité de l’utilisateur final lors de la vente, L K soulignait qu’à sa connaissance, la sonde «< JUPITER » n’avait pas fonctionné, ce qui avait d’ailleurs occasionné un litige avec la société Z qui avait réclamé la somme de 1,5 millions d’euros. Confronté aux déclarations de certains témoins et de mis en cause faisant état d’un fonctionnement de la sonde « JUPITER », certes défectueux mais pas inexistant, L K disait ignorer ce qui avait fonctionné précisément. Il soulignait le très fort mécontentement d’Z qui n’avait, en tout état de cause, jamais remis < l’acceptance », document contractuel établissant la reconnaissance par le client du fonctionnement du produit. Deux emails adressés par H G à L K, les 5 et 27 septembre 2007, versés en procédure, mentionnaient en outre le fait que les sondes fournies par QOSMOS n’étaient pas opérationnelles. Une procédure judiciaire opposant les sociétés s’en était suivie devant le tribunal de commerce, la société Z sollicitant l’octroi d’une somme à titre de préjudice, cette demande se fondant sur la contestation de la qualité des sondes livrées. Un protocole d’accord transactionnel était finalement signé le 27 août 2010 par lequel la société QOSMOS reconnaissait de facto le caractère non-opérationnel de ses sondes. L K précisait qu’à partir de 2011, la société avait décidé de ne plus intervenir sur le marché de l’interception légale faute de pouvoir maîtriser l’usage qui en serait fait par l’utilisateur final. Confronté au résultat d’une réquisition adressée à l’Institut national de la propriété intellectuelle établissant que seule la société QOSMOS avait, entre 2004 et 2011, déposé des brevets en lien avec la reconnaissance des protocoles, la captation et l’analyse de flux en profondeur, L K précisait qu’ils disposaient en réalité d’un logiciel très simple permettant la reconnaissance du protocole, l’extraction d’informations et la performance hauts débits. L K était laissé libre à l’issue de sa garde à vue. Les mises en examen de H G, F E et D C L’interrogatoire de première comparution de H G, le 7 juillet 2021 Le 7 juillet 2021, lors de son interrogatoire de première comparution, H G confirmait ses précédentes déclarations relatives aux circonstances de conclusion du contrat avec l’Etat libyen en 2006, soulignant que la phase des négociations dans ce dossier, très confidentiel et critique d’un point de vue financier, avait été gérée par son associé J I qui lui avait fait savoir, aux alentours de Page 17 l’automne 2006, qu’il était « en discussion avec la Libye sur recommandation de l’Etat français ». A l’époque, la commande devait représenter 50% du chiffre d’affaire de la société. La société ne disposait pas alors d’un service de conformité ni de direction juridique. Il pensait se souvenir que, dans le cadre d’échanges informels avec les services français, J I et lui-même avaient simplement vérifié que la solution était incluse dans l’Arrangement de WASSENAAR. Avant la signature, il avait été en contact régulier avec AN AO qu’il présentait comme le directeur technique du renseignement militaire, ainsi que les prénommés Abdelhakim et W qui étaient des conseillers techniques. Il avait également rencontré l’intermédiaire AF A à plusieurs reprises, notamment lors de négociations en présence de ressortissants libyens. Le recours à cette intermédiation n’était pas dans les habitudes de la société. Le montant de la commission versée à cet apporteur d’affaires n’avait pas fait l’objet de discussions au sein de la société, il avait appris que le montant de cette commission s’élevait à 30% en 2007 ou 2008, lorsque J I lui avait demandé d’établir un document technique pour justifier mensongèrement la commission. Malgré une légère opposition qu’il avait manifestée auprès de J I, H G reconnaissait avoir établi un faux document sur instructions de ce dernier. Il avait considéré que cette commission était particulièrement significative puisque, habituellement, les apporteurs d’affaires recevaient une commission inférieure à 10%. Après la signature du contrat, il avait rencontré à une reprise BM BN-BW à Tripoli, en présence de F E, afin de lui présenter les différentes solutions d’interceptions de communications que la société pouvait vendre, mais aucune n’avait suscité d’intérêt et il n’y avait pas eu de suite dans la mesure où il disposait déjà des équipements par d’autres sociétés. S’agissant de la solution technique vendue à l’Etat libyen, H G confirmait que le produit d’interception des flux internet du pays n’existait pas avant la conclusion du contrat qui avait permis de financer la recherche et développement. La société Z avait alors recherché une société partenaire pour les aider à répondre à la demande. Sur recommandation des services français, ils s’étaient orientés vers la société QOSMOS, «fournisseur privilégié des services français », laquelle pouvait leur fournir, en sous-traitance, la sonde Deep Packet Inspection qui était le coeur de la solution. H G confirmait que le système dénommé « B » portait sur l’interception des flux internet du pays, dans les sens entrant ou sortant, à partir d’une gateway internationale. Concrètement, à partir du moment où les flux passaient par cette gateway, la solution permettait l’interception du contenu des mails non chiffrés, de certains chats non chiffrés et des sites de connexion renseignés à partir d’une adresse IP. La recherche par mots clés n’était possible qu’après une première sélection sur une adresse IP, un email ou un nom de domaine. Le développement de la solution était confié par J I à la filiale Z RSS qui comptait un ancien membre de la DGSI, BN AM, lequel avait déjà développé un produit similaire pour les services français. En 2008, la société présentait une première version opérationnelle du produit avec la sonde QOSMOS. Toutefois, le système fonctionnait « par bribes » en raison des défaillances de la sonde qui était remplacée, fin 2009, par la sonde IPOQUE qui, elle, fonctionnait. A partir de 2010, la société décidait de créer sa propre sonde Z afin de développer la propriété intellectuelle de la société. La société Z s’appuyait sur son employé D C qui assurait les formations sur place en Libye et faisait remonter les incidents signalés par les opérateurs, en particulier le grief tiré de l’incapacité à gérer la partie chiffrée. Les équipes basées en France pouvaient alors prendre la main à distance sur le système et le reproduire, c’est-à-dire «rejouer les captures de trafic ». Il affirmait que, même si cela était techniquement possible, la société Z ne cherchait jamais à accéder aux recherches faites par les Libyens car cela aurait pu être considéré comme de l’espionnage. Sur la finalité du système, il maintenait que celui-ci avait vocation à servir pour la lutte contre le terrorisme afin de surveiller des échanges entre de potentiels terroristes. Les risques liés à l’utilisation du produit n’avaient 1 pas été soulevés en interne lors des négociations et de la signature du contrat. Alors même qu’il indiquait savoir que la Libye était une dictature qui affichait une volonté de normalisation, il justifiait cette absence de questionnement par l’implication très forte et rassurante pour la société, des services français et de l’Etat français dans ce dossier. En outre, lors de ses nombreux déplacements en Libye, il n’avait jamais abordé avec AN AO et ses conseillers techniques la question des cibles ni plus largement celle de l’utilisation du système. Page 18 A l’issue de l’interrogatoire, il était mis en examen du chef de complicité d’actes de torture commis en Libye entre 2007 et 2011, et laissé libre. L’interrogatoire de première comparution de F E, le 8 juillet 2021 Le 8 juillet 2021, lors de son interrogatoire de première comparution, F E confirmait la teneur de ses précédentes déclarations. Il revenait sur les circonstances dans lesquelles il avait été amené à rejoindre le projet « B » alors qu’il était un ingénieur informatique de 25 ans. Il confirmait s’être rendu en Libye avec H G pour réaliser une présentation des produits de sécurité informatique. Outre AN AO qui était leur principal interlocuteur, il avait assisté à une rencontre avec une personne dont il apprenait a posteriori qu’il s’agissait BM BN-BW mais ne se rappelait pas la teneur des discussions qui avaient eu lieu. A partir de janvier 2007, F E commençait à travailler à la construction du système « B » avec BN AM qui s’était plus particulièrement chargé de construire un système de renseignements, fort de son expérience dans les services français. F E s’était quant à lui chargé du recrutement de l’équipe des développeurs. Parallèlement, ils avaient entamé un partenariat avec la société QOSMOS mais il ignorait si l’identité du client final avait été dévoilée à leur partenaire ou si celui-ci l’avait appris dans le cadre du projet. Dans son souvenir, ils parvenaient à une première version stable pouvant être présentée au client au début de l’année 2008. Le déploiement en Libye s’ensuivait mais ils constataient alors que le système n’était en réalité pas opérationnel techniquement. De nombreux correctifs étaient apportés au système tout au long de l’année 2008. Pour autant, malgré les améliorations apportées, il estimait que le système global avait pu fonctionner au mieux à 50% avec la sonde QOSMOS. Les relations contractuelles s’étaient donc arrêtées avec QOSMOS et avaient débuté avec IPOQUE. La première version opérationnelle avec la sonde IPOQUE avait vu le jour courant 2009 et le système était désormais stabilisé. F E faisait une présentation concrète du fonctionnement du système «< B » ayant existé en Libye qu’il subdivisait en cinq rubriques de la manière suivante : captation, reconstruction, analyse, stockage et exploitation. S’agissant de l’utilisation du système, il maintenait qu’à sa connaissance celui-ci était destiné à la lutte contre le terrorisme. Il insistait sur le fait que le contrat avait été amené par la DGSE et conclu avec l’accord des services de renseignements français, ce contexte l’ayant rassuré sur la finalité de l’opération. F E soulignait à cet égard qu’il existait une « backdoor » dans le système, conçue par les services de la DGSE. Il affirmait qu’en 2008, les services de renseignements avaient demandé à pouvoir travailler avec Z afin que la société leur fournisse une capacité à se connecter d’une manière non traçable sur le système libyen. Cette backdoor » conçue par les services français avait été installée dans le système pour leur permettre de connaître la liste des cibles. Selon F E, l’existence de cette < backdoor » le confortait dans l’idée que l’Etat français pouvait contrôler l’utilisation du système et, en cas de mauvaise utilisation, faire en sorte que le système ne fonctionne plus. L’existence de cette « backdoor » était restée relativement secrète au sein de la société, seuls J I, H G, lui-même et un autre ingénieur étant informés. F E précisait que dès 2008, il avait été appelé sur d’autres projets et n’était plus aussi investi dans le dossier libyen. C’étaient D C et AJ BJ qui étaient au contact du client. Concernant les interlocuteurs en Libye, il confirmait que les employés de la société avaient surtout eu des contacts avec AN AO et BK BL. Les incidents techniques étaient remontés par l’intermédiaire de D C qui était sur place en Libye. La société disposait d’un serveur de tests localisé dans les locaux français qui lui permettait de répliquer un bug logiciel et de valider sa correction. Il ne s’agissait pas d’un serveur offrant une synchronisation des interfaces entre la Libye et la France. F E relatait les circonstances dans lesquelles la société avait été amenée à abandonner la sonde IPOQUE. La société IPOQUE ayant été rachetée par une autre société concurrente d’Z, les coûts avaient été multipliés conduisant Z à développer en interne une sonde. Il affirmait par ailleurs que le système «< 100% Z » n’avait pas fonctionné en Libye puisqu’il avait existé après avril 2011. Concernant la demande des autorités libyennes d’augmenter les capacités du système en raison de l’augmentation du débit internet depuis la conception du système, il lui semblait qu’une légère augmentation avait été réalisée avec la sonde IPOQUE (1 à 4 Gbit) mais que l’augmentation majeure sollicitée (4 à 20 Gbit) n’avait pas été réalisée du fait des circonstances. Page 19 L’interrogatoire de première comparution de D C, le 13 juillet 2021 Interrogé en première comparution le 13 juillet 2021, D C confirmait ses précédentes déclarations. Après son embauche chez Z, il avait été envoyé en Libye afin de « faire le lien » avec le client, améliorer la communication et assurer une formation aux opérateurs. Son principal interlocuteur sur place était BK BL. Présent en Libye d’août 2008 à août 2010, il avait exclusivement travaillé sur le produit < B » pendant la première année, jusqu’en août 2009, avant de basculer sur un autre projet relatif aux véhicules anti-IED fournis à la Libye. Il affirmait ignorer l’utilisation que les Libyens faisaient du système « B » car il n’intervenait pas sur la partie technique. Ainsi, il contestait avoir assuré à proprement parler la maintenance du système sur place car il n’avait pas les compétences d’ingénierie pour le faire. Saisi par le client d’une difficulté qui survenait, il s’attachait à comprendre ce qui dysfonctionnait pour remonter l’information aux ingénieurs d’Z qu’il contactait ensuite par téléphone afin de résoudre à distance le problème signalé. Si nécessaire, le client activait un lien pour permettre aux ingénieurs d’Z de se connecter à distance au serveur et résoudre l’incident. Si cela ne suffisait pas, un ingénieur français était dépêché en Libye, ce qui avait dû se produire à 5 ou 6 reprises entre août 2008 et août 2009. De manière générale, il précisait avoir été très régulièrement sollicité dans le cadre de cette activité de maintenance et soulignait la forte insatisfaction de son interlocuteur BK BL au cours de cette première année. Il ne pouvait apporter de précisions sur l’évolution concrète du système après le remplacement de la sonde QOSMOS par celle de la société IPOQUE, mais confirmait que < B » avait continué de fonctionner. Interrogé sur la situation des droits de l’Homme en Libye, D C précisait qu’il n’avait pas d’analyse géopolitique de la situation. A l’époque où il avait accepté de travailler en CDI pour Z, il était au chômage et avait compris que le projet était soutenu par le gouvernement français. A l’issue de l’interrogatoire, il était mis en examen du chef de complicité d’actes de torture commis en Libye entre 2007 et 2011, et laissé libre. L’interrogatoire au fond de J I, le 20 septembre 2021 Lors de son interrogatoire au fond, le 20 septembre 2021, J I confirmait la teneur de ses précédentes déclarations. Sur la signature du contrat et le recours aux intermédiaires S’agissant du recours par la société 12E à des sociétés libanaises agissant comme intermédiaires, en l’espèce COMO HOLDING et TRI STAR HOLDING LTD, pour lesquelles les factures versées en procédure faisaient apparaître un montant total de 4,5 millions d’euros, J I précisait qu’il avait été nécessaire de signer à la fois un contrat d’assistance commerciale et un contrat de prestation technique courant avril 2007. Il s’agissait du premier contrat de développement à l’export conclu avec un Etat par la société 12E qui manquait d’expérience en ce domaine et il apparaissait indispensable de passer par un agent commercial en charge d’aider la société pour la négociation sur la lettre de crédit. La prestation technique consistant à créer un data center et des centres de contrôle était l’objet du second contrat passé avec TRI STAR HOLDING LTD. J I soutenait ainsi que les prestations réalisées par ces intermédiaires étaient réelles. Il contestait à cet égard les déclarations de H G laissant supposer que les contrats COMO et TRI STAR étaient destinés à couvrir le versement de commissions au profit de AF A. Confronté aux déclarations de H G le mettant en cause comme ayant demandé la destruction des documents contractuels après le scandale médiatique et le dépôt de la plainte en septembre 2011, J I les réfutait en affirmant que le contrat conclu avec la Libye était conservé par l’établissement bancaire qui était intervenu pour le paiement, qu’à cette époque les négociations de reprise de l’activité : d’Z RSS par H G étaient en cours et que, en tout état de cause, il n’avait aucun moyen matériel de procéder à une telle destruction en l’absence d’un accès aux archives mails conservés sur la base centrale d’Z RSS, protégée « secret défense ». Il ne pouvait toutefois expliquer de telles accusations portées à son encontre si ce n’était par une volonté de « [le] charger » suite à des désaccords entre eux. 4 Page 20 1 Sur les premiers contacts avec les autorités libyennes et le contexte local J I précisait avoir été amené à rencontrer BM BN-BW à deux reprises, avant et après la signature du contrat, mais affirmait qu’il n’avait jamais été question avec lui du contrat signé avec la Libye. Dans le prolongement de ses précédentes déclarations, il soulignait en outre le contexte de relance des relations commerciales avec la Libye. Il insistait sur le fait qu’ils n’avaient pas vendu « un matériel de torture » mais un « matériel de renseignement » et qu’il n’avait en tout état de cause jamais été destinataire, au moment du contrat, puis lors de l’exécution de celui-ci, de remontée d’informations « en interne, en externe ou par le gouvernement » sur le fait que des personnes aient pu être torturées. Questionné sur le fait que, malgré le renouement des relations entre la France et la Libye, il pouvait être considéré comme documenté et acquis que des actes de torture étaient perpétrés en Libye à l’époque de la conclusion du contrat et qu’il existait une persistance d’inquiétudes sur la question des droits de l’homme, J I admettait « un aveu d’incompétence » sur la situation libyenne. Il ajoutait ne pas avoir davantage eu connaissance des rapports d’ONG publiés entre 2008 et 2011 qui dressaient un constat alarmant sur la situation en Libye. La plainte avait été pour lui « une véritable surprise ». Sur le périmètre et la classification du système «< B » J I maintenait ses précédentes déclarations sur le caractère « ciblé » des interceptions, à l’exclusion des données chiffrées. A cet égard, il soulignait le manque de performance du système, et partant l’insatisfaction du client, alors que l’industrie de l’Internet était passée « massivement en chiffré », empêchant de facto l’interception de telles données. Il contestait le fait que le système ait pu intercepter « massivement ‘> les données par le traitement de nor reux protocoles, les documents versés en procédure en attestant ne constituant selon lui que des plaquettes commerciales ou des documents recensant l’expression de besoins.
S’agissant de la classification du système, il affirmait que les démarches de vérification entreprises par la société, toujours soucieuse de ne pas perdre son accréditation, avaient conclu au fait qu’il n’était pas soumis à autorisation.
Sur le recours à des sociétés partenaires pour le développement de la sonde
J I affirmait n’être nullement intervenu lors de la rupture des relations contractuelles avec QOSMOS puis lors du choix de la société IPOQUE. Il était en revanche informé des difficultés de fonctionnement de la sonde QOSMOS comme l’attestaient des échanges de mails entre L K et H G, courant septembre 2007.
En dernier lieu, L K était entendu par le magistrat instructeur en qualité de témoin assisté le 5 novembre 2021.
L’information se poursuit.
La chambre de l’instruction est saisie des requêtes et appels suivants :

  • requête de la société Z (2021/08703):
    Par requête enregistrée le 17 décembre 2021, le conseil de la société Z Réseau Sécurité et Services (Z RSS) sollicite, au visa de l’article 6§1 et §2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article préliminaire du code de procédure pénale et des articles 2, 3, 80 et suivants, 113-2, 113-3, 113-4 et 116, 170, 171, 172, 173, 174, 194, 197, 199, 200, 206, 209, 216,
    217, 801 et 802 du même code, et des articles 121-1, 121-2 et 121-7 du code pénal,
  • l’annulation de l’intégralité des actes d’information postérieurs à l’ordonnance du 23 mai 2012, soit la nullité de l’intégralité du dossier d’information à compter de la cote D649,
  • a minima, l’annulation de l’audition de H G en qualité de simple témoin du 28 mars 2017 ainsi que tous les actes d’investigations subséquents (D1173, D1293, D1294, D1306, D1307, D1314 à D1323),
  • l’annulation de la mise en examen d’Z RSS (D1623 et D1624),
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    aux motifs que :
  • le magistrat instructeur n’était pas régulièrement saisi de la procédure, à défaut de réquisitoire introductif, le magistrat instructeur n’était pas valablement saisi de la procédure par son ordonnance disant y avoir lieu à informer du 23 mai 2012, rendue hors délai prescrit par l’article 82 du code de procédure pénale,
  • la mise en examen du 18 juin 2021 est nulle, faute pour Z RSS de pouvoir déterminer avec précision la période de prévention et les faits exacts qui lui sont reprochés, 1
  • la mise en examen du 18 juin 2021 est nulle, faute d’accès d’Z RSS à des pièces essentielles de la procédure préalablement à sa mise en examen,
  • la mise en examen du 18 juin 2021 est nulle, du fait de l’audition de Monsieur H G en qualité :
    de simple témoin,
  • aucun élément probant ne permet de lier l’utilisation du logiciel B aux actes de tortures allégués par les parties civiles, et aucun indice grave ou concordant ne rend vraisemblable qu’Z RSS ait pu participer, comme complice, à la commission de l’infraction visée par la plainte, en vertu des dispositions de l’article 80-1 du Code de procédure pénale.
  • appel de J I contre l’ordonnance ayant refusé de lui octroyer le statut de témoin assisté (2021/08979);
  • requête de H G (2022/01348) :
    Par requête enregistrée le 6 janvier 2022, le conseil de H G sollicite, au visa des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article préliminaire du code de procédure pénale et des articles 80-1, 116, 173, 173-1, 174, 174-1 et 802 du même code, et des articles 121-1, 121-6, 121-7, 222-1 et 221-12 du code pénal,
  • à titre principal, l’annulation de l’ensemble de la procédure à compter du 23 mai 2012, à titre subsidiaire,
    l’annulation de l’audition de H G du 28 mars 2017

  • l’annulation de la mise en examen de H G du 7 juillet 2021, ainsi que de la procédure
    ·
    subséquente, et son placement sous le statut de témoin assisté.
  • requête de F E (2022/01349) :
    Par requête enregistrée le 7 janvier 2022, le conseil de F E sollicite, au visa des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article préliminaire du code de procédure pénale et des articles 80, 80-1, 82, 86, 116, 119, 173, 173-1, 174, 174-1 et 802 du même code, et des articles 121-1 et 121-7 du code pénal,
  • l’annulation de l’intégralité de la procédure à compter de l’ordonnance du 23 mai 2012 :
  • l’annulation de la mise en examen de F E ainsi que de la procédure subséquente et le placement de F E sous le statut de témoin assisté.
  • requête de D C (2022/01350):
    Par requête enregistrée le 11 janvier 2022, le conseil de D C sollicite, au visa des articles 6§1 et
    §3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 82, 86,173 et 173-1 du code de procédure pénale, et 80-1 du code pénal, de :
    constater l’absence de réquisitoire introductif et l’absence d’ordonnance du juge d’instruction dans les 5 jours du réquisitoire de non informer, dire et juger irrégulière la désignation du juge d’instruction, et en conséquence annuler l’intégralité de la procédure à compter du 23 mai 2012 et en tout état de cause, constater la mise en examen tardive et en toute hypothèse l’absence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de D C en tant que complice d’actes de torture et de disparitions forcées en Libye entre 2008 et 2011, et en conséquence annuler la mise en examen de D C, et le dire placé sous le statut de témoin assisté.
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    1
    7 SUR QUOI, LA COUR
    Les requêtes et appel qui viennent d’être évoqués se rapportant tous à la même procédure, il convient, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de les examiner ensemble et en conséquence d’ordonner la jonction des dossiers 2021/08703, 2021/08979, 2022/01348, 2022/01349 et 2022/01350, sous le seul numéro 2021/08703.
    Ces requêtes et appel seront examinés après l’examen d’un moyen de défense des parties civiles tiré de la forclusion.
    L’irrecevabilité de certains moyens de nullité
    La FIDH et certains particuliers contestent la recevabilité de certaines requêtes, sur le fondement des dispositions de l’article 173-1 du code de procédure pénale, qui dispose que « la personne mise en examen doit faire état des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant son interrogatoire de première comparution » dans un délai de six mois « à compter de la notification de sa mise en examen », ajoutant « qu’il en est de même pour le témoin assisté à compter de sa première audition ».
    En l’espèce, le réquisitoire de non informer est du 26 mars 2012, l’ordonnance par laquelle le magistrat instructeur a dit y avoir lieu à informer est du 23 mai 2012, l’appel du Parquet contre cette ordonnance date du 29 mai 2012, l’arrêt de la Chambre de céans confirmant l’ordonnance est du 15 janvier 2013, ensuite de quoi une commission rogatoire était délivrée le 12 août 2014, en exécution de laquelle des perquisitions étaient réalisées le 17 février 2016, des auditions, en particulier celle de F E et D C, étaient faites en février et avril 2016.
    En application de ce texte, le délai dont disposent les mis en examen ou les témoins assistés pour soulever des nullités de la procédure antérieure à leur interrogatoire de première comparution ou à leur première audition n’est que de six mois, étant précisé qu’il est constant qu’une mise en examen ultérieure à l’audition comme témoin assisté n’ouvre pas un nouveau délai à celui qui en est l’objet.
    Pour ce qui est du sort des requérants, il apparaît que : la société Z a été placée sous le statut de témoin assisté par procès-verbal du 30 mai 2017 (D1184), puis mise en examen par procès-verbal du 18 juin 2021 (D1623), J I a été mis en examen le 16 juin 2021 (D1617),
  • H G, entendu comme témoin sur commission rogatoire le 3 mars 2017 (D1173, D1199), a été mis en examen le 7 juillet 2021 (D1626),
  • F E a été mis en examen le 8 juillet 2021 (D1629), D C a été mis en examen le 13 juillet 2021 (D1653).
    Ainsi, la société Z, dont la requête date du 17 décembre 2021, soit plus de six mois après son audition comme témoin assisté du 30 mai 2017, sera déclarée irrecevable en ses moyens de nullité relatifs aux actes commis avant cette audition, soit ceux concernant l’absence alléguée de réquisitoire introductif, l’ordonnance prétendument tardive disant y avoir lieu à instruire, et l’étendue de la saisine du magistrat instructeur. Pour ce qui est du moyen relatif à l’audition comme témoin de son représentant légal, H G, il sera également déclaré irrecevable en tant qu’il émane de la société Z, puisque l’audition contestée est antérieure à l’audition comme témoin assisté de cette société, mais sera néanmoins examiné ci-dessous en tant qu’émanant de H G lui-même, puisque la requête de celui-ci est postérieure de six mois moins un jour à sa première comparution.
    Les autres requêtes ou appel seront déclarés recevables.
    L’absence de réquisitoire introductif, l’ordonnance disant y avoir lieu à informer et la saisine du magistrat instructeur
    Par leurs requêtes, H G, F E et D C contestent la validité de l’entière procédure depuis le 23 mai 2012.
    Ils soutiennent d’une part que, à la suite du réquisitoire du Parquet du 26 mars 2012 tendant au non-lieu à informer, le magistrat instructeur a passé outre par une ordonnance n’ayant pas respecté le délai prescrit par
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    l’article 82 du code de procédure pénale.
    Ils ajoutent que, dans la mesure où ni le réquisitoire du 26 mars 2012, ni l’ordonnance du 23 mai 2012, ni l’arrêt de la chambre de l’instruction du 15 janvier 2013 n’ont déterminé le périmètre de saisine du juge d’instruction, l’information est irrégulière, entraînant la nullité de toute la procédure.
    Il convient d’examiner ces deux points.
  • l’introduction de la procédure 1
    Les conseils de H G estiment dans leur mémoire que « l’absence de respect de tout délai dans la délivrance d’une ordonnance passant outre les réquisitions de non-informer doit être sanctionnée », de sorte que le juge d’instruction ne pouvait informer puisqu’en l’espèce l’ordonnance n’a pas été rendue dans le délai de cinq jours de l’article 82 du code de procédure pénale.
    Selon l’avocate de D C, “cette ordonnance du juge d’instruction rendue hors délai doit être considérée comme équivalant à l’absence totale d’ordonnance, aboutissant à la nullité de la saisine du juge
    d’instruction et de l’intégralité de la procédure”.
    Pour les conseils de F E, « la saisine du magistrat instructeur est irrégulière, dès lors que celle-ci s’est effectuée en l’absence de tout réquisitoire introductif », et « le magistrat instructeur a choisi d’outrepasser les réquisitions de non-informer du Parquet en violation des conditions légales applicables » édictées par ce même article 82.
    Cela étant, il résulte des dispositions de l’article 51 du code de procédure pénale que le juge d’instruction ne peut informer qu’après avoir été saisi, soit par un réquisitoire introductif du procureur de la République, soit par une plainte avec constitution de partie civile, tandis que les parties civiles rappellent à bon droit que dans ce dernier cas, le juge d’instruction a le devoir d’instruire, quelles que soient les réquisitions du ministère public, la plainte avec constitution de partie civile régulièrement déposée produisant, pour ce qui est de la mise en mouvement de l’action publique, les mêmes effets qu’un réquisitoire du procureur de la République.
    En l’espèce, le juge d’instruction a été saisi par la plainte avec constitution de partie civile déposée valablement le 19 octobre 2011 par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) (D1).
    Il a été dit plus haut que, à la suite du réquisitoire du 26 mars 2012 tendant au non-lieu à informer au vu de l’impossibilité, selon le Parquet, « de qualifier pénalement les faits reprochés » (D585), le magistrat instructeur a, le 23 mai 2012, dit y avoir lieu à informer, l’information ayant justement pour but, selon lui, « de se prononcer sur le bienfondé de la poursuite » (D649), cette ordonnance étant confirmée par l’arrêt du 15 janvier 2013 de la chambre de l’instruction (D693).
    Par cet arrêt, la chambre de céans, pour qui n’existait donc aucune cause affectant l’action publique elle-même, estimait qu’il appartenait au magistrat instructeur d’instruire sur les faits dont il avait été saisi par la plainte avec constitution de partie civile.
    D’autre part, contrairement à ce qui est soutenu par les requérants, les dispositions de l’article 82 du code de procédure pénale selon lesquelles « si le juge d’instruction ne suit pas les réquisitions du procureur de la République, il doit, sans préjudice des dispositions de l’article 137-4, rendre une ordonnance motivée dans les cinq jours de ces réquisitions », ne s’appliquent qu’aux réquisitions prises dans le cours d’une instruction, également appelées réquisitions supplétives et tendant à l’accomplissement de « tous actes lui paraissant utiles à la manifestation de la vérité et toutes mesures de sûreté nécessaires », mais absolument pas aux réquisitions prises après dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile qui dépendent de l’article 86 du même Code, de sorte qu’en l’espèce le magistrat instructeur pouvait valablement dire y avoir lieu à informer sans avoir à respecter un quelconque délai.
    Les moyens relatifs à l’absence de réquisitoire introductif et à la tardiveté de l’ordonnance du 23 mai 2012 seront donc rejetés.
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    : – le périmètre de la saisine
    A en croire les requérants, il serait impossible de déterminer précisément la nature et la période des faits qui leur sont reprochés. 1
    Le conseil de F E considère que la plainte avec constitution de partie civile “ne permet pas d’identifier de faits précis ou de limites temporelles permettant au magistrat instructeur d’instruire sur des faits précis, et aux accusés (sic) de pouvoir se défendre utilement et/ou de solliciter la nullité des actes 1
    } outrepassant les bornes de la poursuite”.
    Selon les conseils de H G, « la plainte ne vise aucun faits précis, ni ne vise de période spécifique qui permettraient de fixer les bornes matérielles et temporelles de l’instruction », les parties civiles ne visant en réalité qu’un seul fait précis, la conclusion d’un contrat, et une seule année, à savoir 2007.
    De la même façon, le mémoire déposé dans l’intérêt de D C souligne que la plainte avec constitution de partie civile « est formulée de façon générale et imprécise, se contentant de condamner les actes de torture commis en Libye », se contentant également « de dénoncer une coopération entre l’Etat libyen et Z qui aurait duré plusieurs années à compter de 2007-2008, de lister quelques noms de victimes de tortures ou de disparition ».
    Cependant, il résulte de ladite plainte avec constitution de partie civile que les plaignants reprochaient à la société Z d’avoir conclu, en 2007, un contrat de mise à disposition de technologie lié au logiciel B, permettant l’interception de communications, de traitement de données et d’analyse, et d’avoir ainsi coopéré, jusqu’en 2011, avec les autorités libyennes et plus spécifiquement avec le régime de AZ BA, et ce alors qu’étaient commises dans ce pays de graves violations aux droits de l’Homme, à savoir des crimes de torture et de traitements inhumains et dégradants, tels que définis par la Convention contre la torture de 1987 et prévus par les articles 222-1 et suivants du code pénal.
    La plainte évoquait notamment un fichier transcrivant une conversation tenue en février 2011 et plusieurs rapports d’Amnesty International décrivant des tortures et autres traitement cruels, inhumains ou dégradants perpetrés jusqu’en 2011 en Libye. Ne se contentant pas de la conclusion du contrat et de la livraison du logiciel B, elle évoquait plus généralement le soutien logistique qui aurait été apportée par Z au régime libyen jusqu’en 2011 pour assurer le fonctionnement dudit logiciel, de sorte que la période visée était clairement celle allant de 2007 à 2011.
    Ainsi, le périmètre de la saisine paraissant suffisamment délimité, les moyens seront rejetés.
    L’accès aux pièces de la procédure
    Par sa requête du 17 décembre 2021, la société Z soutient n’avoir pas eu accès à l’intégralité des pièces de la procédure « alors qu’elles étaient essentielles et déterminantes » pour décider de sa mise en examen.
    La société explique dans son mémoire que, deux ans avant sa mise en examen de juin 2021, les associations plaignantes ont déposé une demande d’actes « dont l’exécution n’a pourtant été retranscrite que très sommairement à la procédure ».
    Elle précise que, par demande du 4 octobre 2019, les avocats de la FIDH et de la LDH ont demandé au juge d’instruction, afin de « recenser les principaux éléments permettant de caractériser la responsabilité pénale de la société Z, de ses dirigeants et de ses représentants », de verser à la procédure l’audition d’Abdellah BW réalisée dans le cadre d’une autre information, relative au financement supposé de la campagne de AJ AK, ainsi que « l’ensemble des documents » issus de cette procédure, qui selon les plaignants apparaissaient « pertinents aux fins de comprendre le contexte dans lequel le contrat B a été conclu ». Dans cette même demande d’actes, une nouvelle audition de AF A, compte tenu de son rôle d’intermédiaire lors des négociations en vue de la signature du contrat B, était également sollicitée.
    Selon le mémoire de la société Z, aucune réponse à cette demande d’actes ne figure au dossier, alors que le juge d’instruction avait un délai d’un mois pour y répondre en cas de refus, et « les actes sollicités ont été, au moins partiellement, accomplis ».
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    La société ajoute que la nouvelle juge d’instruction a demandé aux enquêteurs par un soit-transmis du 4 février 2021 d’exploiter le dossier relatif au financement de la campagne du président AK, mais ces pièces n’ont pas été versées à la procédure, l’OCLCH se contentant d’un bref résumé de 5 pages (D1534), lequel “ne 1 permet nullement de vérifier la teneur des informations qui seraient éventuellement et prétendument retenues 1
    à charge contre Z”. :
    Opérant ainsi un tri, l’OCLCH aurait eu connaissance des pièces qui pourraient apparaître comme déterminantes dans la décision de mise en examen sans qu’Z ait pu les voir, tandis qu’à l’inverse des pièces qu’elle aurait pu utiliser au soutien de sa défense n’ont jamais été portées à sa connaissance.
    Enfin, la juge d’instruction aurait également demandé des pièces émanant d’une troisième procédure, un CD lui étant remis dès le 18 mars 2021 par le Parquet, mais ce n’est que le 17 novembre 2021 que la juge d’instruction établissait un procès-verbal de jonction en choisissant, « de manière totalement subjective » de ne joindre en procédure que certaines pièces utiles à la manifestation de la vérité, privant ainsi selon son avocat la société Z de consulter l’intégralité de la procédure et les éléments ayant conduit à sa mise en examen.
    Pareillement, le conseil de H G expose dans sa requête du 6 janvier 2022 et dans son mémoire n’avoir pas eu accès aux « pièces déterminantes du dossier ».
    Il estime que l’exigence d’accès à l’entier dossier de la procédure portée par l’article 116 du code de procédure pénale n’a pas été respectée en ce qui concerne son client, d’une part parce que les enquêteurs de l’OCLCH « ont exploité, sur autorisation du magistrat instructeur, plusieurs pièces issues d’une autre procédure pénale concernant notamment le rôle de Monsieur A dans le rapprochement entre la France et la Libye »,
    alors que l’examen du dossier s’est résumé à « un rapport d’exploitation succinct » sans que les autres pièces aient été versées à la présente procédure, et d’autre part que ces pièces n’ont été versées que tardivement, quatre mois après sa mise en examen, « alors que le magistrat instructeur en dispose depuis le 18 mars 2021 ».
    Cela étant, il apparaît en premier lieu qu’un magistrat instructeur n’a aucune obligation, quand il annexe à son dossier des copies de pièces extraites d’une autre procédure, de joindre l’intégralité de ce second dossier, étant le seul à apprécier l’intérêt, pour la manifestation de la vérité, de telle ou telle pièce, de sorte que la société Z est mal venue à reprocher à la juge d’instruction d’avoir choisi les pièces annexées au présent dossier et de ne pas lui avoir permis de consulter l’intégralité d’une procédure qui, pour l’essentiel, ne la concernait pas.
    Par ailleurs, la société Z, qui bénéficiait du statut de témoin assisté depuis le 30 mai 2017, avait la possibilité de demander aux magistrats instructeurs de procéder à certaines auditions, d’effectuer certains actes ou de joindre à leur procédure certaines pièces, ainsi que l’ont d’ailleurs fait les parties civiles, de sorte qu’une nouvelle fois elle ne saurait efficacement aujourd’hui se plaindre de l’absence de pièces qu’elle n’a jamais demandées, tout comme elle avait la possibilité de solliciter une audition, qui lui aurait permis, une fois encore, de consulter l’entier dossier de la procédure qui, lui seul, a pu fonder sa mise en examen.
    Enfin, force est de constater que les requérants ne démontrent nullement que des pièces auxquelles ils n’ont pas eu accès, figurant dans une autre procédure, auraient fondé leurs mises en examen, de sorte qu’ils n’ont aucun grief à agir de ce chef.
    Les moyens seront donc rejetés.
    L’audition de H G
    H G soutient également que sa mise en examen serait nulle pour « défaut de notification de son droit de bénéficier du statut de témoin assisté ».
    Rappelant que selon les dispositions de l’article 113-2 du code de procédure pénale, toute personne nommément visée par une plainte avec constitution de partie civile doit être avisée de son droit d’être entendue comme témoin assisté par le magistrat instructeur, il considère que « lorsque la personne visée dans la plainte avec constitution de partie civile est une personne morale, non seulement est-il nécessaire de l’aviser de ce droit par le biais de son représentant lors de l’audition, mais il est également indispensable d’aviser son représentant légal à l’époque des faits », soit lui-même.
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  1. Or, remarque-t-il, alors que la société Z a fait l’objet d’une audition sous le statut de témoin assisté le 30 mai 2017, tel n’a pas été le cas de H G, qui a été entendu comme simple témoin le 28 mars 2017, sans que son procès-verbal d’audition porte trace de l’avis dont s’agit (D1173).
    Il en conclut que, fondée sur cette audition selon lui irrégulière, sa mise en examen ultérieure est entachée de nullité.
    Cependant, comme l’indique le procureur général dans ses écritures, il résulte des dispositions de l’article 121 2 alinéa 1er du code pénal que la responsabilité des personnes morales « est indépendante de celle de leurs représentants », étant précisé qu’au stade de la mise en examen il n’est pas nécessaire d’identifier son représentant au moment des faits.
    En outre, force est de constater qu’à aucun moment le nom de H G n’apparaît dans la plainte avec constitution de partie civile, de sorte qu’il ne peut nullement être considéré comme ayant été nommément visé par cette plainte déposée contre X.
    En dernier lieu, le requérant ne démontre nullement que cette audition comme témoin a été le support nécessaire de sa mise en examen intervenue le 7 juillet 2021.
    Le moyen sera donc rejeté.
    La validité des mises en examen en regard des indices graves ou concordants
    Ainsi qu’il a été dit, les différents mis en examen considèrent que leur mise en examen est nulle, faute d’indices graves ou concordants tendant à montrer qu’ils ont participé à l’infraction.
    Il convient d’examiner ci-après chacune des situations.
  • la société Z
    La société requérante soutient dans sa requête et dans son mémoire qu’aucun élément probant ne permet de lier l’utilisation du logiciel B aux actes de torture allégués, par les parties civiles, de sorte qu’aucun indice grave ou concordant ne rend vraisemblable qu’elle ait pu participer, comme complice, à l’infraction visée par la plainte avec constitution de partie civile.
    Rappelant que ledit logiciel ne pouvait intercepter que des données internet non-cryptées, à l’exclusion donc, d’une part des propos cryptés, résultant par exemple des conversations Skype ou Viber, d’autre part des conversations téléphoniques, GSM, satellites et filaires, elle considère que les déclarations des parties civiles sont incompatibles avec une utilisation de ce logiciel préalablement à leur arrestation.
    Plus précisément, le conseil de la société Z relève que l’une des parties civiles, O ATWATI, a déclaré en audition (D733): « on m’a fait écouter des conversations orales sur Skype entre moi et un opposant, W BO, qui réside aux USA », tandis qu’un autre plaignant, U T a indiqué qu’on lui avait fait écouter une conversation téléphonique et une conversation sur Skype (D946), tandis qu’un autre, BX BY BZ, a parlé de conversations qui étaient en majeure partie sur Viber et sur Skype (D959-D960).
    Pareillement, d’autres parties civiles, AB AA et AC AD (D770 et D774), ont déclaré que la plupart de leurs conversations téléphoniques, que ce soit par satellite ou par GSM, avaient été interceptées, ce que ne permettait pas B, tandis que d’autres, W BN BS et W BR (D737, D740), soupçonnent que leurs mots de passe aient été volés, alors qu’aucun mot de passe ne peut être intercepté en utilisant B.
    Il est ajouté que la Libye était vraisemblablement en possession, avant la signature du contrat avec elle, de plusieurs technologies permettant l’interception de courriels, l’une des parties civiles évoquant l’accès à un de ses courriels de 2004, et plus tard à des logiciels d’intrusion permettant l’accès à certaines données, que ne pouvait intercepter B, la société requérante donnant à ce titre le nom d’autres sociétés qui auraient été en contact avec les autorités libyennes et leur auraient fourni d’autres logiciels et d’autres technologies 1
    d’interception et de surveillance.
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    Cela étant, il est constant, en premier lieu et comme le rappelle le procureur général dans ses écritures, que la
    .
    ¡
    Libye a eu recours de façon systématique à la torture, en particulier par ses services de renseignement, vis-à-vis :
    B des opposants politiques au régime, durant la période de prévention, ce recours étant rappelé de manière précise dans la procédure, qui rappelle notamment le recours à la violence, aux arrestations et emprisonnements arbitraires, et la torture contre les opposants, soumis à des traitements cruels, inhumains et dégradants.
    Etaient ainsi produits à l’appui de la plainte avec constitution de partie civile des extraits du rapport du Département d’Etat américain de mars 2010 concernant la Libye, le rapport d’Amnesty International de la même époque intitulé “Libya of tomorrow, what hope for Human Rights ?”, un autre rapport de septembre 2011 de cette même organisation, tous documents qui décrivent la pratique de la torture en Libye, tandis que le rapport du comité des droits de l’Homme de l’ONU, relatant ses sessions tenues en 2007 et 2008, demandait à la Libye quelles mesures elle entendait prendre pour faire cesser la pratique par elle de toutes formes de torture et de peines et traitements cruels, inhumains et dégradants, et pour faire en sorte que toute la lumière soit faite sur ces tortures et mauvais traitements.
    Les parties civiles rappelaient à cette occasion qu’un mandat d’arrêt avait été émis le 27 juin 2011 par la Cour pénale internationale à l’encontre d’BM BN-CB, beau-frère par alliance de AZ BA et chef du service de renseignement libyen, pour sa participation en tant qu’auteur indirect à des meurtres en tant que crimes contre l’humanité et persécutions en tant que crimes contre l’humanité, faits commis en février
    2011, la Cour retenant que l’intéressé savait que son comportement faisait partie d’une attaque généralisée et systématique lancée contre la population civile perçue comme opposante, notamment par l’utilisation de la torture.
    Même si la société Z évoque dans ses écritures la levée de l’embargo contre la Libye en 2003 et le rapprochement avec la France à compter de l’accord de coopération culturelle, scientifique et technique signé en 2004 entre les deux pays, et qu’elle soutient qu’elle « n’a pas elle-même cherché à entrer en négociation avec la Libye », mais qu’elle a « été démarchée et présentée aux autorités libyennes à l’initiative de Monsieur AF A et sur la recommandation des autorités françaises », elle ne conteste nullement dans ses écritures, ni les actes de tortures et de mauvais traitements commis de façon contemporaine dans ce pays et qui viennent d’être brièvement rappelés, ni la connaissance qu’elle pouvait elle-même avoir de la commission de ces actes.
    En deuxième lieu, il suffit selon l’article 121-7 du code pénal que l’aide ou assistance apportée ait « facilité la préparation ou la consommation » du crime sans qu’il soit nécessaire que le complice éventuel ait participé à 4
    l’infraction principale, ou que sa participation ait été indispensable à la réalisation de cette infraction, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que le complice des actes de torture ait adhéré à la conception ou l’exécution de ces actes ou qu’il les approuve, puisqu’il suffit qu’il ait eu connaissance de la commission de ces actes et que, par son aide ou assistance, il les ait facilités.
    Or en l’espèce, il ne saurait être réellement contesté que le logiciel B a facilité la commission des actes de torture, puisque permettant au pouvoir en place de repérer les opposants éventuels, de suivre leur localisation et d’identifier leur environnement, phase préalable et indispensable à l’arrestation, à l’emprisonnement et aux actes de torture qui allaient suivre.
    En effet, si l’on peut regretter qu’aucune expertise technique n’ait été ordonnée dans le cadre de l’information pour connaître de façon certaine et incontestable toutes les capacités dudit logiciel, il apparaît aux dires même de la société requérante qu’il permettait de reconstituer les emails et les documents joints, les conversations Chat et les conversations sur internet (VoIP), le manuel utilisateur remis aux autorités libyennes détaillant les communications IP susceptibles d’être interceptées et reconstituées, à savoir email, webmail type Gmail, VoIP, chat type MSN, http et moteurs de recherches.
    Même si les techniciens d’Z entendus au cours de l’information ont tous indiqué que seuls les flux internet et les courriers électroniques pouvaient donc être interceptés grâce au logiciel B ainsi que les voix en téléphonie sur IP, et non les flux de téléphonie et les conversations sur Skype ou Facebook ou encore les sms, il n’en demeure pas moins que ces interceptions étaient comme il vient d’être dit de nature à permettre l’identification en masse d’opposants, et donc d’assister de façon certaine les services de renseignements libyens dans les crimes de torture qu’ils allaient commettre sur eux.
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    T
    1
  • D’ailleurs, certaines des parties civiles entendues ont vu marqué le nom d’B sur les documents et dossiers qui leur étaient présentés par les autorités lors des interrogatoires afin de les faire réagir à certaines de leurs conversations ou préciser l’identité de certains de leurs correspondants.
    En troisième lieu, il n’est pas nécessaire que l’aide ou l’assistance dont s’agit ait été exclusive à partir du moment où, ainsi qu’il vient d’être dit, elle a été effective.
    Ainsi sont inopérants les développements de la société Z sur les autres logiciels qui auraient été utilisés par les autorités libyennes, fournis par des sociétés américaines, sud-africaines, chinoises, allemandes ou anglaises, du moment qu’elle-même a bel et bien fourni le logiciel B à ces autorités.
    Tous les éléments qui viennent d’être étudiés constituent autant d’indices concordants rendant vraisemblable que la société Z ait participé comme complice à la commission des actes de torture visés dans la plainte.
    Le moyen sera donc rejeté.
  • J I
    Il ne s’agit pas d’une requête tendant à la nullité de la mise en examen de l’intéressé pour absence d’indices graves ou concordants, mais de l’appel de l’intéressé contre l’ordonnance de la juge d’instruction du 28 octobre 2021 qui a refusé de lui octroyer le statut de témoin assisté, en application des dispositions de l’article 80-1-1 du code de procédure pénale.
    J I, ainsi qu’il a été dit plus haut, était président directeur général de la société 12E TECHNOLOGIES. A ce titre, c’est lui qui, en 2006, a signé le contrat avec les autorités libyennes. A partir de 2007, année où le contrat a été renégocié pour atteindre un montant total de 15,6 millions d’euros, il est devenu président directeur général d’Z SAS. Lorsque cette société, en fin d’année 2009, a été rachetée par le groupe BULL, J I est devenu le président directeur général de cette dernière société.
    Il est à noter que ce contrat libyen n’a pas été retrouvé. Lorsqu’il a été entendu par les enquêteurs sur l’endroit où pouvaient se trouver tous les documents contractuels relatifs à la fourniture du logiciel B, J I a déclaré : « nous ne les retrouvons pas et ce n’est pas faute d’avoir cherché » (D1162). Lorsque la même question a été posée à H G, celui-ci a expliqué que, « fin 2011 début 2012, J I nous a demandé de tout détruire » (D1173), ce qui a été fait, les disques durs étant effacés ainsi que les échanges de mails.
    J I a été mis en examen le 16 juin 2021 du chef de complicité d’actes de torture commis en Libye entre 2007 et 2011.
    Comme le précise la juge d’instruction dans son ordonnance contestée, il lui est reproché d’avoir, en sa qualité de président d’Z, fourni aux autorités libyennes, représentées notamment par le chef des services de renseignement BM BN-CB, le logiciel B, puis assuré le bon fonctionnement, la maintenance de ce logiciel et la formation du personnel libyen, alors qu’à la même période plusieurs instances nationales, internationales et des organisations non gouvernementales dénonçaient publiquement les disparitions forcées, l’utilisation de la torture et des traitements inhumains et dégradants par le gouvernement libyen auquel était destiné ce matériel de surveillance B.
    Après son interrogatoire du 20 septembre 2021, le conseil de J I a sollicité son placement sous le statut de témoin assisté, par requête du 29 septembre 2021 contenant les arguments suivants :
  • la nature du matériel ne constitue pas un indice de complicité d’actes de torture,
  • l’Etat français n’a pas interdit cette vente mais l’a même encouragée,
  • les rapports opposés à son client ne constituent pas des indices à son encontre.
    Dans son ordonnance du 28 octobre 2021, la juge d’instruction a répondu à ces trois points.
    Pour ce qui est de la nature du matériel, elle a d’abord précisé que, plus que la nature elle-même du logiciel, c’est la fourniture « d’un tel matériel à l’Etat libyen, à une époque et dans des circonstances bien particulières détaillées dans la qualification qui justifient » la mise en examen, alors que dans les conditions qui ont présidé
    Page 29
    :
    à la conclusion du contrat dont s’agit figuraient le recours à un intermédiaire, AF A, “rémunéré

à hauteur de 4,5 milllons d’euros sur la base de contrats rédigés a posteriori, qualifiés de faux« par H G, ainsi que la rencontre, préalablement à la signature du contrat, entre J I et CA BN CB, »à l’époque déjà condamné par la cour d’assises spéciale de Paris le 10 mars 1999 à la réclusion criminelle à perpétuité”. Outre les possibilités offertes par B, la juge d’instruction a relevé également que la collaboration entre la société Z et l’Etat libyen ne s’est pas limitée à la fourniture de ce logiciel, puisqu’ont eu lieu également de la maintenance et de la formation du personnel, le départ de Libye n’étant dû qu’à la survenance de la révolution intervenue dans ce pays.
S’agissant du deuxième point, la juge d’instruction a considéré que, à part « son caractère particulièrement flou », l’argument du comportement de l’Etat français n’avait aucune valeur juridique, dans la mesure où la société Z, entièrement détenue et dirigée par des personnes privées, était totalement libre de son activité sans être tenue de suivre les orientations de la puissance publique.
1
Enfin, pour ce qui est de l’ignorance « réelle ou supposée » de J I de la teneur des rapports d’organisations gouvernementales ou non gouvernementales et, plus généralement, sur la situation en Libye à l’époque où la société Z était présente dans ce pays, elle a constitué pour la juge d’instruction un « élément à charge à son encontre », tandis que les rapports eux-mêmes, qui auraient été selon le mis en examen publiés postérieurement à la signature du contrat, couvraient au contraire « l’intégralité de cette période », a conclu la juge d’instruction.
Pour contester cette ordonnance, le conseil de J I, qui rappelle que les éléments constitutifs de la complicité comprennent notamment une connaissance précise des agissements de ceux à qui il est reproché d’avoir prêté aide ou assistance, reprend globalement dans son mémoire les arguments qui avaient été présentés à l’appui de la requête.
Après avoir souligné que le système B n’était ni un matériel de guerre, ni un bien pouvant être considéré comme présentant un double usage, et donc non soumis à l’autorisation de la CIEEMG, il estime que les éléments relatifs à la conclusion du contrat, à savoir le recours comme intermédiaire à AF A et la présence d’CA BN-CB ne sont pas constitutifs d’indices à l’encontre de son client, tandis que ni la fonctionnalité du logiciel B, ni les rapports des ONG, ne sauraient selon lui constituer des indices à l’encontre de J I.
Il ajoute que l’infraction poursuivie nécessite « un acte personnel de son auteur, et qu’il n’existe nullement, dans notre droit, une imputation criminelle résultant de la seule fonction occupée par une personne ».
Cependant, sur ce dernier point, il résulte clairement que ce n’est pas pour sa seule fonction que J I a été mis en examen, mais pour son comportement personnel, puisque c’est lui personnellement, comme il a été dit, qui a signé le contrat liant sa société avec la Libye, c’est lui qui a choisi d’avoir recours à un intermédiaire, comportement qui n’aurait pas été forcément celui de la personne morale, et c’est lui aussi qui a accepté de rencontrer, même si ce n’est que brièvement comme il le souligne, CA BN CB.
A ce sujet, s’il n’apparaît pas sérieusement envisageable que J I, que ce soit par l’étude des rapports de certaines autorités ou de certaines ONG mais même par la simple lecture de la presse grand public, n’ait jamais entendu parler des agissements qui viennent d’être rappelés ci-dessus, c’est-à-dire des actes de torture et des traitements inhumains qui se déroulaient en Libye, il est encore moins crédible qu’il ne se soit pas a minima renseigné sur les actes pour lesquels l’homme qu’il allait rencontrer, à savoir CA BN CB, chef de la sécurité militaire de ce pays, avait été condamné, de sorte qu’il est malvenu aujourd’hui à faire valoir une absence de connaissance précise des agissements de ceux à qui il s’apprêtait, par la fourniture du logiciel B, à prêter secours ou assistance.
Enfin, il a été dit que ce logiciel, s’il ne permettait pas l’interception de certaines communications, notamment téléphoniques, ainsi que certaines conversations, donnait néanmoins, en particulier pour tout ce qui concerne les centres d’intérêt et les fréquentations des personnes considérées comme suspectes, des informations précieuses aux autorités, ainsi que le laisse penser la circonstance selon laquelle la Libye aurait déboursé plus de 15 millions d’euros pour l’obtenir.
Ainsi l’ordonnance contestée, parfaitement motivée, sera confirmée.
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 – H G
H G a été mis en examen le 7 juillet 2021 du chef de complicité d’actes de torture commis en Libye entre 2007 et 2011, « en fournissant, par l’intermédiaire de la société Z au sein de laquelle il exerçait en qualité de directeur commercial, aux autorités libyennes, représentées notamment dans le cadre des négociations par le chef des services de renseignement BM BN-CB, un logiciel B destiné à intercepter des flux internet (notamment des mails, chats, données de navigation et conversation sur IP) puis en assurant le bon fonctionnement, la maintenance de ce logiciel et la formation de personnel libyen alors qu’au cours de cette période plusieurs instances nationales (notamment le Département d’Etat américain), internationales (notamment le comité des Droits de l’Homme des Nations Unies) et des organisations non gouvernementales (notamment Amnesty international) dénonçaient publiquement les disparitions forcées, l’utilisation de la torture et des traitements inhumains et dégradants par le gouvernement libyen auquel était destiné le matériel de surveillance B ».
Lui aussi soutient dans sa requête du 6 janvier 2022 et dans le mémoire de ses conseils qu’il n’existe pas d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’il ait pu participer, comme complice, à la commission des crimes de tortures visés par la plainte, dès lors que le logiciel B n’est pas à l’origine de l’interception de conversations SKYPE des parties civiles constituées compte tenu de ses fonctionnalités, et que certaines parties civiles ont déclaré que leurs conversations téléphoniques auraient été interceptées et leurs mots de passes volés, ce que ne permettait pas non plus le logiciel B.
Ce qui a été dit ci-dessus au sujet, d’une part des actes de torture et traitements inhumains et dégradants commis en Libye à cette époque, d’autre part des fonctionnalités du logiciel B, s’applique à H G, dont les arguments sur ces points n’apparaissent pas pertinents.
Il soutient également, s’agissant de l’élément intentionnel de l’infraction, qu’aucun élément ne permet de considérer qu’il aurait eu une connaissance précise de crimes commis ou qui allaient être commis par certaines autorités libyennes et que, par son intervention, il en facilitait la préparation ou la consommation.
Il rappelle le contexte général dans lequel ce contrat a été conclu et exécuté, indiquant que son objet était de renforcer la lutte contre le terrorisme, de sorte que la sollicitation, l’appui, et la présence constante des services extérieurs français dans ce dossier avait renforcé sa conviction que ces actions ne participaient à aucune activité répréhensible, et a fortiori criminelle, et qu’au contraire, elles étaient également conformes aux intérêts de la France.
Cela étant, comme l’indique le procureur général dans ses écritures et comme il vient d’être dit à propos de la situation de J I, l’argument tiré d’une ignorance de la situation en Libye ne saurait convaincre alors que le fait qu’il était pratiqué en Libye des actes de tortures et de traitements inhumains et dégradants était notoire, tant dans les rapports plus ou moins diffusés que dans les médias grand public, la dénonciation de ces graves violations des droits de l’Homme ayant notamment été relayée par la presse française à l’occasion de la visite en France du chef de l’Etat libyen en décembre 2007.
Ainsi que le rappellent les parties civiles, H G, qui avait racheté courant 2004, en compagnie de J I et de quelques autres, la société 12E devenue ensuite Z dont il a été nommé directeur commercial avant de présider une filiale, la société Z RSS, a effectué plusieurs séjours en Libye, tant pour présenter le logiciel B que pour définir les besoins des autorités libyennes, ayant en particulier rencontré AN AO et CA BN-BW, chef du renseignement libyen. Aux dires de plusieurs témoins, il s’est occupé opérationnellement du projet B, vérifiant le bon déroulé de la livraison et assurant la désignation des équipes pour développer la solution.
Il était en conséquence aux premières loges pour comprendre la finalité de l’utilisation, par le régime libyen, du logiciel B ainsi que le sort réservé aux opposants, de sorte que l’absence de l’élément intentionnel qu’il invoque ne saurait prospérer.
Par ailleurs, plutôt que l’intérêt de la France et la lutte contre le terrorisme, la décision de contracter avec l’Etat libyen et de procéder à de la maintenance et à de la formation du personnel libyen reposait davantage sur des considérations commerciales et financières, le contrat dont s’agit ayant représenté à l’époque environ 50% du chiffre d’affaires de la société.
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Dès lors, le moyen sera rejeté. 1

  • D C
    D C a été mis en examen le 13 juillet 2021 pour complicité d’acte de torture commis en Libye entre 2008 et 2011 (D1653).
    Son conseil soulève dans sa requête du 11 janvier 2022 et dans son mémoire la tardiveté de sa mise en examen en faisant valoir que, placé en garde à vue en avril 2016, il n’a pas alors été déféré au magistrat instructeur, recevant 5 ans plus tard, alors qu’aucun élément nouveau le concernant n’était apparu en procédure, une convocation en vue de sa première comparution.
    Cependant, aucun texte n’oblige le magistrat instructeur à se faire déférer tous les gardés à vue qu’il envisage de mettre en examen, au point qu’il est même courant que des suspects soient convoqués en vue d’une mise en examen bien après la fin de leur garde à vue.
    Ainsi que le rappelle le procureur général dans ses écritures, l’existence d’éléments nouveaux entre cette audition en garde à vue et la mise en examen n’est en rien une condition de validité de celle-ci, l’article 105 du code de procédure pénale proscrivant seulement d’entendre comme témoin toute personne à l’encontre de laquelle il existe des « indices graves et concordants d’avoir participé aux faits dont le juge d’instruction est saisi », ce qui n’a pas été le cas pour D C, qui n’a plus été entendu entre sa levée de garde à vue et son interrogatoire de première comparution.
    Le moyen sera rejeté.
    Pour ce qui est du fond, le requérant invoque en premier lieu l’absence d’indices graves ou concordants « sur l’élément matériel de la complicité d’actes de torture », expliquant qu’il ne peut lui être reproché la fourniture du logiciel B aux autorités libyennes, puisqu’il a été recruté par Z après les négociations et la conclusion du contrat avec l’Etat libyen, et même postérieurement à la livraison du système B.

Il ajoute que sa mission sur place n’était nullement d’assurer la maintenance de ce système, puisqu’il n’avait aucune qualification d’ingénieur et était novice concernant ces techniques d’interception, mais essentiellement de servir de relais entre les Libyens et les ingénieurs restés en France.
De même, précise-t-il, la formation du personnel libyen avait été initiée par d’autres formateurs, soit les employés restés en France et ceux étant sur place en Libye, lui-même n’étant intervenu que sur la fin.
Il fait également valoir l’absence de tout élément intentionnel en indiquant que, s’il s’était « un peu renseigné » au moment de son embauche sur la situation en Libye, rien ne lui laissait entendre qu’il prenait “un risque à 1
s’y rendre et/ou à traiter avec l’Etat libyen”. 1
De fait, il ressort clairement de la procédure, en particulier de l’audition des salariés de la société Z et des propres déclarations de l’intéressé (D1121 et D1653 notamment), que D C n’exerçait aucun pouvoir de direction au sein de cette société et n’a pris aucune part aux tractations et réunions ayant abouti à la signature du contrat avec les autorités libyennes.
Ayant accepté le poste offert par la société avant tout parce que sa femme et lui étaient au chômage et qu’il avait pris cette offre comme étant « une opportunité », il n’avait ni à promouvoir un logiciel conçu hors de lui, ni à former du personnel puisqu’il n’était pas ingénieur, ni à assurer la maintenance, mais seulement à faire le lien entre les salariés restés en France et les besoins qui lui étaient soumis en Libye, ni à faire en sorte que la société, dont il n’était pas actionnaire, voie grandir son chiffre d’affaires et prospère.
Les circonstances, mises en avant par le procureur général ainsi que par les parties civiles, qu’il ait participé à plusieurs réunions avec le responsable du projet libyen AN AO, qu’il ait séjourné plusieurs mois en Libye à partir du mois d’août 2008 ou encore qu’il ait présenté aux opérateurs libyens les fonctionnalités d’une interface du logiciel permettant de formaliser les règles de recherche, ne suffisent pas à caractériser, en ce qui le concerne, les indices graves ou concordants d’avoir participé aux faits de complicité d’actes de torture qui lui sont reprochés.
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‘Il convient donc d’annuler sa mise en examen, D C bénéficiant désormais du statut de témoin assisté, en application des dispositions de l’article 174-1 du code de procédure pénale. “

  • F E
    F E a été mis en examen le 8 juillet 2021 pour complicité d’actes de torture commis en Libye entre 2007 et 2011 (D1629).
    Dans sa requête du 7 janvier 2022 et dans le mémoire de ses conseils, F E, outre qu’il reprend sur la tardiveté alléguée de sa mise en examen le même moyen qui sera rejeté pour les mêmes raisons que vient de l’être celui de D C, estime lui aussi que sa mise en examen est nulle en l’absence d’indices graves ou concordants.
    Rappelant qu’après une scolarité à l’Ecole nationale supérieure d’électrotechnique il a obtenu son diplôme d’ingénieur en 2004, il explique que 12E, prédécesseur d’Z, a été son premier employeur, exerçant successivement les fonctions d’ingénieur développement, de chef de projet, de responsable réseau sécurité, et responsable Business Unit en charge du projet B, puis responsable avant-vente au sein de la filiale Z RSS en 2008.
    Il occupait donc « lors des crimes dont il se serait rendu complice », est-il écrit dans son mémoire, le poste d’ingénieur informatique spécialisé dans la sécurité informatique, le cryptage des communications et les données. Lorsqu’il s’est rendu en 2006 aux réunions, à Aix-en-Provence puis à Tripoli, il n’a fait qu’agir « conformément aux instructions qui lui avaient été données », n’apprenant qu’à la fin de l’année 2006,« sans avoir pris part aux négociations et sans avoir pu obtenir d’informations supplémentaires quant aux intentions du régime libyen », que le contrat était sur le point d’être signé.
    Il invoque ainsi un « rôle mineur », puisqu’il n’a jamais été associé aux décisions prises par l’instance dirigeante de la société, et précise que dès 2009, il a, de par ses nouvelles fonctions, pris ses distances avec le projet B, son rôle se bornant selon lui essentiellement au recrutement d’ingénieurs destinés à développer le produit.
    Il ajoute avoir tout ignoré de l’usage effectif du logiciel, de même que « des crimes commis par le régime libyen du fait du climat politique et diplomatique ».
    La FIDH et d’autres parties civiles soutiennent au contraire que « le rôle de Monsieur F E dans la fourniture et la facilitation de l’utilisation du logiciel B par le régime libyen » était « majeur », puisque ayant participé à des réunions en présence de la délégation libyenne, présenté la gamme de produits, devenant « une figure centrale dans la conclusion et l’exécution du contrat ».
    Cependant, s’il résulte effectivement de la procédure que F E a pris en charge la partie technique du développement du logiciel dont s’agit, qu’il a assisté à des réunions et s’est rendu à plusieurs reprises en Libye, de sorte que son rôle ne peut pas être qualifié de mineur, il n’en demeure pas moins que, pour autant, il s’est contenté de l’aspect purement technique du logiciel, sans que puisse lui être imputé le moindre pouvoir d’impulsion ou de direction.
    Au niveau qui était le sien, rien n’établit qu’il ait eu connaissance de l’utilisation du logiciel qui serait faite, puisqu’était mis en avant, tant par sa direction que par les interlocuteurs libyens, la volonté affichée de lutter contre le terrorisme, tandis que l’aspect politique de la collaboration avec le régime libyen ne ressortait pas de ses compétences.
    Son intervention technique ne suffit pas à caractériser les indices graves ou concordants d’avoir participé aux faits de complicité d’actes de torture qui lui sont reprochés.
    Il convient donc d’annuler sa mise en examen, F E bénéficiant désormais lui aussi du statut de témoin assisté, en application des dispositions de l’article 174-1 du code de procédure pénale.
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    PAR CES MOTIFS
    LA COUR
    Vu les articles 170, 171, 172, 173, 174, 194, 197, 199, 200, 206, 209, 216, 217, 801 et 802 du code de procédure pénale,
    EN LA FORME
    Dit les saisines recevables, sauf pour ce qui est des moyens de nullité présentés par la société Z relatifs aux actes commis avant son audition comme témoin assisté, soit ceux concernant l’absence alléguée de réquisitoire introductif, l’ordonnance prétendument tardive disant y avoir lieu à instruire, et l’étendue de la saisine du magistrat instructeur, ainsi qu’à l’audition de H G ;
    Dit l’appel de l’ordonnance aux fins de rejet d’octroi du statut de témoin assisté recevable;
    AU FOND
    Ordonne la jonction des dossiers 2021/08703, 2021/08979, 2022/01348, 2022/01349 et 2022/01350, sous le seul numéro 2021/08703;
    Annule les mises en examen de D C et de F CC CD;
    Dit que D C et F E auront désormais le statut de témoin assisté ;
    Rejette les autres requêtes, et dit n’y avoir lieu à annulation d’un acte ou d’une pièce de la procédure ;
    Confirme l’ordonnance du 28 octobre 2021 ayant rejeté la demande de J I à bénéficier du statut de témoin assisté ;
    Dit qu’il sera fait retour du dossier au juge d’instruction saisi pour poursuite de l’information.
    ORDONNE que le présent arrêt soit exécuté à la diligence de M. le Procureur Général.
    LE PRÉSIDENT.LE GREFFIER,
    wy POUR COPIE CERTIFIÉE CONFORME
    Le Greffier

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