M. [P] [J] a été scolarisé à l’école internationale de [Localité 5] pour l’année 2017-2018, pour laquelle ses parents ont payé 16 872 euros. Le 5 décembre 2017, il a été exclu définitivement pour des raisons disciplinaires, décision confirmée le 15 janvier 2018. Ses parents ont contesté ces décisions devant le tribunal administratif de Nice, qui les a annulées le 10 novembre 2020, mais a rejeté leur demande de frais. Ils ont ensuite demandé le remboursement de la moitié des frais de scolarité, sans succès. En juin 2018, ils ont assigné la chambre de commerce devant le tribunal d’instance de Nice, qui a débouté leur demande et les a condamnés à payer 500 euros. Ils ont interjeté appel, et la cour d’appel a infirmé le jugement en juin 2023. En janvier 2024, ils ont assigné l’Agent judiciaire de l’État pour obtenir des dommages et intérêts pour déni de justice. L’Agent judiciaire a demandé l’incompétence du tribunal judiciaire de Paris pour ces demandes, tandis que les époux [J] ont contesté cette position. Le ministère public a également conclu à l’incompétence du tribunal judiciaire. Le juge a déclaré le tribunal judiciaire incompétent pour les demandes indemnitaires et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir. L’affaire a été renvoyée à une audience de mise en état en janvier 2025.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copies exécutoires
délivrées le :
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1/1/1 resp profess du drt
N° RG 24/02037 – N° Portalis 352J-W-B7I-C3FD7
N° MINUTE :
Assignation du :
29 Janvier 2024
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 14 Octobre 2024
DEMANDEURS AU FOND, DÉFENDEURS À L’INCIDENT
Madame [C] [E]
[Adresse 2],
[Adresse 2]
[Localité 3] (PRINCIPAUTÉ)
Monsieur [X] [J]
[Adresse 2],
[Adresse 2]
[Localité 3] (PRINCIPAUTE)
Représentés par Me Valéry KOJEVNIKOV, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0010
DÉFENDEUR AU FOND, DEMANDEUR À L’INCIDENT
AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par Me Pierre D’AZEMAR DE FABREGUES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0137
MINISTÈRE PUBLIC
Monsieur Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS,
Premier Vice-Procureur
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Madame GUIBERT, Vice-présidente
assistée de Gilles ARCAS, Greffier lors des débats et de Marion CHARRIER, Greffier lors du prononcé
DÉBATS
A l’audience du 16 septembre 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 14 Octobre 2024.
ORDONNANCE
Prononcée par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort
M. [P] [J] a été scolarisé pendant trois années à l’école internationale de [Localité 5], établissement dépendant de la chambre du commerce et de l’industrie de [Localité 5] Côte d’Azur.
A cette fin, ses parents, M. [X] [J] et Mme [C] [E], ont versé la somme de 16 872 euros au tire des frais de scolarité pour l’année 2017-2018.
Le 5 décembre 2017, le conseil de discipline de l’établissement a prononcé l’exclusion définitive de l’élève pour un motif disciplinaire.
Par décision du 15 janvier 2018, le conseil d’autorité de l’établissement a confirmé la décision d’exclusion.
Par requête du 5 février 2018, M. [X] [J] et Mme [C] [E] ont saisi le tribunal administratif de Nice aux fins d’annulation des décisions des 5 décembre 2017 et 15 janvier 2018 et de condamnation de la chambre de commerce et d’industrie de [Localité 5] Côte d’Azur au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de la justice administrative.
Par décision du 10 novembre 2020, le tribunal administratif de Nice a annulé les décisions des 5 décembre 2017 et 15 janvier 2018 et a rejeté la demande fondée sur l’article L. 761-2 du code de la justice administrative.
Par courriel du 13 février 2018 réitéré le 13 mars 2018, les époux [J] ont sollicité de la chambre du commerce et de l’industrie de [Localité 5] Côte d’Azur le remboursement de la moitié des frais de scolarité pour l’année 2017-2018, soit la somme de 8 436 euros, sans succès.
Par acte du 5 juin 2018, M. [X] [J] et Mme [C] [E] ont assigné la chambre du commerce et de l’industrue devant le tribunal d’instance de Nice afin d’obtenir le remboursement des frais de scolarité.
Par jugement du 25 juin 2019, le tribunal d’instance de Nice a débouté les époux [J] de leurs demandes et les a condamnés in solidum à payer la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Le 26 juillet 2019, M. [X] [J] et Mme [C] [E] ont interjeté appel de ce jugement.
Par un arrêt du 6 janvier 2022, la cour d’appel d’Aix en Provence ordonnait la révocation de l’ordonnance de clôture. Par un arrêt du 8 juin 2023, elle a ordonné la rectification de l’erreur matérielle entachant le jugement déféré, a déclaré irrecevables les demandes des époux [J] agissant en qualité de représentants de leur fils devenu majeur, a infirmé le jugement du tribunal d’instance de Nice et a statué sur le fond du litige.
Par acte de commissaire de justice du 26 janvier 2024, M. [X] [J] et Mme [C] [E] ont fait assigner l’Agent judiciaire de l’Etat devant le tribunal judiciaire de Paris à leur payer 17 600 euros chacun à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral qu’ils ont subi en raison d’un déni de justice, outre 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
Par conclusions d’incident notifiées par RPVA le 23 mai 2024, l’Agent judiciaire de l’Etat demande au juge de la mise en état de se déclarer incompétent s’agissant des demandes indemnitaires des époux [J] en réparation du dysfonctionnement allégué au cours de la procédure devant le tribunal administratif de Nice, de renvoyer en conséquence les parties à mieux se pourvoir concernant ces demandes, et de renvoyer l’affaire à une audience au fond s’agissant des dysfonctionnements allégués au cours de la procédure devant le tribunal d’instance de Nice et devant la cour d’appel d’AIx en Provence.
Par conclusions notificées pour l’audience du 2 septembre 2024, M. [X] [J] et Mme [C] [E] demandent au juge de la mise en état de déclarer les demandes incidentes irrecevables, de débouter l’Agent judiciaire de l’Etat de ses prétentions et de déclarer le tribunal judiciaire compétent pour connaître de l’entier litige.
Par avis du 30 août 2024, le ministère public conclut à l’incompétence du tribunal judiciaire de Paris pour statuer sur les demandes relatives à la procédure devant le tribunal administratif de Nice.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures dans les conditions de l’article 455 du code de procédure civile.
A l’issue de l’audience des plaidoiries d’incident du 16 septembre 2024, l’ordonnance a été mise en délibéré au 14 octobre 2024.
Il résulte de l’article 789 du code de procédure civile que, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et les incidents mettant fin à l’instance ;
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu’ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ;
2° Allouer une provision pour le procès ;
3° Accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l’exécution de sa décision à la constitution d’une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522;
4° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d’un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;
5° Ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction ;
6° Statuer sur les fins de non-recevoir.
Sur l’exception d’incompétence partielle
Aux termes de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.
Le déni de justice s’entend de tout manquement de l’Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu.
Dans leur assignation, les époux [J] sollicitent la réparation du préjudice né à la fois de la durée de la procédure devant le tribunal administratif de Nice ayant abouti au jugement du 10 novembre 2020 (2 ans et 9 mois) et celle de la procédure devant les juridictions de l’ordre judiciaire.
Par conclusions du 23 mai 2024, l’Agent judiciaire de l’Etat soulève l’incompétence du tribunal judiciaire s’agissant des dysfonctionnements soutenus par les époux [J] au cours de la procédure administrative devant le tribunal administratif de Nice.
– Sur la recevabilité de l’exception d’incompétence partielle
En application de l’article 74 du code de procédure civile, les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non recevoir.
En l’espèce, l’Agent judiciaire de l’Etat a bien soulevé cette exception par conclusions d’incident du 23 mai 2024 avant toute défense au fond ou fin de non recevoir.
Les époux [J] excipent de l’irrecevabilité de cette exception dès lors que l’Agent judiciaire de l’Etat ne respecterait pas l’article 75 du code de procédure civile aux termes duquel s’il est prétendu que la juridiction saisie en première instance ou en appel est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d’irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l’affaire soit portée.
Cette exception d’incompétence est cependant pleinement recevable dès lors que l’article 81 du même code prévoit que, lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence de la juridiction administrative, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir.
Considérant que seul le juge administratif peut statuer sur la prétention indemnitaire des époux [J] s’agissant de la durée de la procédure devant le tribunal administratif de nice, l’Agent judiciaire de l’Etat pouvait légitimement renvoyer dans son dispositif les parties à mieux se pourvoir.
– Sur le bien-fondé de l’exception d’incompétence partielle
En vertu du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs et de jurisprudence constante, le juge judiciaire ne peut se prononcer que sur l’éventuel dysfonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire, l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire ne s’appliquant pas à la juridiction administrative.
Comme les époux [J] le reconnaissent à la page 6 de leurs conclusions d’incident, les deux procédures dont ils critiquent la longueur n’ont pas le même objet, l’une visant à contester une décision d’exclusion d’une école et l’autre visant à solliciter un remboursement contractuel, de sorte qu’elles s’avèrent indépendantes l’une de l’autre.
Dans ces conditions, et en vertu du principe fondamental reconnu par les lois de la République que constitue la séparation des pouvoirs, la critique de la durée de la procédure administrative relève en l’espèce de la compétence matérielle exclusive du juge administratif.
C’est par conséquent à bon droit que l’Agent judiciaire de l’Etat a formé le présent incident. Il convient donc de déclarer le tribunal judiciaire de Paris matériellement incompétent pour connaître des demandes indemnitaires des époux [J] en réparation du dysfonctionnement allégué au cours de la procédure devant le tribunal administratif de Nice et de renvoyer les époux [J], en application de l’article 81 du code de procédure civile, à mieux se pourvoir s’agissant de ces demandes.
Il reviendra dès lors à M. [X] [J] et Mme [C] [E], dans le cadre de la présente instance, d’expurger leurs conclusions de toute demande relative à la procédure engagée devant les tribunaux administratifs.
Sur les mesures de fin d’ordonnance
Les frais irrépétibles et les dépens de l’incident suivront le sort de ceux du fond.
L’affaire est renvoyée à l’audience de mise en état du 6 janvier 2025 à 14h00 aux fins de conclusions en défense au fond de l’Agent judiciaire de l’Etat sur le seul dysfonctionnement allégué au cours de la procédure devant les tribunaux judiciaires.
Le juge de la mise en état statuant après débats en audience publique, par ordonnance contradictoire susceptible d’appel dans les conditions de l’article 795 du code de procédure civile,
DÉCLARONS le tribunal judiciaire de Paris matériellement incompétent au profit des juridictions administratives pour connaître des demandes indemnitaires de M. [X] [J] et Mme [C] [E] en réparation du dysfonctionnement allégué au cours de la procédure devant le tribunal administratif de Nice ;
RENVOYONS en conséquence les parties à mieux se pourvoir concernant les demandes relatives à la procédure devant le tribunal administratif de Nice ;
DISONS que les frais irrépétibles et dépens de l’incident suivront le sort de ceux du fond ;
RENVOYONS l’affaire à l’audience de mise en état dématérialisée du 6 janvier 2025 à 14h00 aux fins de conclusions en défense au fond de l’Agent judiciaire de l’Etat sur le seul dysfonctionnement allégué au cours de la procédure devant les tribunaux judiciaires.
Faite et rendue à Paris le 14 Octobre 2024
Le Greffier Le Juge de la mise en état
Marion CHARRIER Marjolaine GUIBERT