Levée de fonds : la rupture abusive de la lettre d’intention

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Levée de fonds : la rupture abusive de la lettre d’intention
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Attention à bien préciser si une lettre d’intention conclue pour une durée déterminée peut être rompue de façon anticipée et pour quelles causes.

En l’espèce, c’est en considération du projet de création de la société Dual-T-Biologics par les signataires que le CEA a signé la lettre d’intention. C’est par conséquent à juste titre que l’essaimage prévu a été la cause déterminante de l’engagement et que le retrait d’un signataire a rendu caduc la lettre d’intention.

Les parties restent tenues de respecter le principe de bonne foi, principe directeur du contrat de sa négociation à sa résiliation, de sorte que leur responsabilité ne peut être engagée qu’en cas de manquement à ce principe.

C’est à tort que les demandeurs soutiennent que la lettre d’intention constituait un contrat d’une durée déterminée de quinze mois ne pouvant être résilié avant son terme qu’en cas de faute grave de l’une des parties. Par suite, même à supposer que, par sa correspondance du 12 juin 2019, le CEA ait rompu les négociations, le seul fait que cette résiliation soit intervenue avant le terme du délai de quinze mois et sans qu’aucune faute ne soit invoquée est insuffisant pour engager sa responsabilité. Il convient par conséquent d’examiner les conditions dans lesquelles les négociations ont pris fin.

Il est constant et cela est d’ailleurs expressément rappelé dans le préambule de la lettre d’intention que celle-ci a été signée après la présentation du projet de création de la société Dual-T-Biologics devant la commission d’essaimage du CEA pour accompagner le développement de cette société et que M. [P], qui est l’un des inventeurs du brevet sur lequel devait porter la licence objet des négociations, était un acteur essentiel de ce projet qui s’intégrait dans le dispositif d’essaimage mis en place par le CEA.

Aux termes de l’article 1103 du code civil, « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

L’article 1104 du même code dispose : « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ».

En application de l’article 1112 de ce code, « L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.

En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages. ».

S’agissant des règles d’interprétation des contrats, il résulte des articles 1188 et 1189 du code civil que :
– « Le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes.

Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation. »,

– « Toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier.

Lorsque, dans l’intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle-ci. ».

Il est par ailleurs de principe que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

Résumé de l’affaire : En 2018, M. [X] [P], chercheur au CEA, a contacté M. [D] [W], dirigeant de Kleos Pharma, pour exploiter un brevet du CEA. Un accord de confidentialité a été signé le 17 octobre 2018. Le projet a été présenté le 7 février 2019 à la commission d’essaimage du CEA, et une lettre d’intention a été signée les 20 et 26 février 2019 entre le CEA et la société Dual-T-Biologics, représentée par M. [W]. En mars 2019, M. [P] a décidé de ne pas poursuivre le projet, entraînant l’échec des discussions entre le CEA et Kleos Pharma. En mai 2020, Kleos Pharma a cité le CEA et M. [P] en justice pour obtenir réparation du préjudice lié à la rupture des discussions. M. [W] a ensuite rejoint l’instance. Le 9 septembre 2021, le juge a déclaré Kleos Pharma et M. [W] recevables dans leurs demandes. En mai 2023, Kleos Pharma et M. [W] ont demandé des indemnités au tribunal, tandis que le CEA a demandé le rejet de ces demandes. M. [P] a également demandé le rejet des demandes de Kleos Pharma et des dommages-intérêts pour procédure abusive. La clôture de la procédure a été prononcée le 19 septembre 2023.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

24 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
20/04899
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

4ème chambre 1ère section

N° RG 20/04899
N° Portalis 352J-W-B7E-CSFFU

N° MINUTE :

Assignations du :
14 et 18 Mai 2020

JUGEMENT
rendu le 24 Septembre 2024
DEMANDERESSE

S.A.R.L. KLEOS PHARMA
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Antoine SIMON, de l’ASSOCIATION L.E.A – Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #K0159

DÉFENDEURS

E.P.I.C. COMMISSARIAT A L’ENERGIE ATOMIQUE ET AUX ENERGIES ALTERNATIVES (CEA)
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 6]
représenté par Me Kyra RUBINSTEIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0520

Monsieur [X] [P]
[Adresse 4]
[Localité 7]
représenté par Me Alexander MEYER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0113, et par Me Cécile CUVIER-RODIERE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0994

Décision du 24 Septembre 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 20/04899 – N° Portalis 352J-W-B7E-CSFFU

PARTIE INTERVENANTE

Monsieur [D] [W]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représenté par Me Antoine SIMON de l’ASSOCIATION L.E.A – Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #K0159

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Julie MASMONTEIL, Juge
Pierre CHAFFENET, Juge

assistés de Nadia SHAKI, Greffier,

DÉBATS

A l’audience du 11 Juin 2024 tenue en audience publique devant Madame DETIENNE, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Au cours de l’année 2018, M. [X] [P], chercheur salarié au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (ci-après le CEA), s’est rapproché de M. [D] [W], dirigeant de la SARL Kleos Pharma, afin d’exploiter un brevet déposé le 1er février 2010 par le CEA dont il est l’un des inventeurs.

C’est dans ce cadre que, le 17 octobre 2018, un accord de confidentialité a été signé entre la société Kleos Pharma et le CEA pour couvrir les discussions portant sur le « procédé vaccinal développé et breveté par l’équipe de monsieur [X] [P] du service de pharmacologie et d’immuno-analyse et ses applications en thérapeutique préventive et curative ».

Le projet a été présenté le 7 février 2019 à la commission d’essaimage du CEA par MM. [P] et [W] au nom de la société Dual-T-Biologics qui devait être constituée pour le mener à bien.

Les 20 et 26 février 2019, le CEA et la société Dual-T-Biologics, alors en cours de constitution et représentée par M. [W], ont signé une lettre d’intention.
Au mois de mars 2019, M. [P] a fait savoir qu’il ne souhaitait pas continuer le projet. Des discussions se sont poursuivies entre le CEA et la société Kleos Pharma mais elles n’ont pas abouti.

C’est dans ce contexte que, par actes d’huissier des 14 et 18 mai 2020, la société Kleos Pharma a fait citer le CEA et M. [P] devant ce tribunal aux fins de les voir condamner in solidum à l’indemniser du préjudice résultant de la rupture des discussions.

Aux termes de conclusions notifiées par la voie électronique le 1er juin 2021, M. [W] est intervenu volontairement à l’instance.

Par ordonnance du 9 septembre 2021, le juge de la mise en état a rejeté les fins de non-recevoir tirées du défaut d’intérêt et de qualité à agir de la société Kleos Pharma et a déclaré la société Kleos Pharma et M. [W] recevables en leurs demandes.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 mai 2023, la société Kleos Pharma et M. [W] demandent au tribunal de :

« Vu les articles 1231-1 et 1231-2 du code civil,
Vu l’article 1240 du code civil,
Vu subsidiairement les articles 1112 et 1242 du code civil,
A. Condamner le COMMISSARIAT A L’ENERGIE ATOMIQUE ET AUX ENERGIES ALTERNATIVES et Monsieur [X] [P] in solidum à verser à la société KLEOS PHARMA :
– 44.112,76 € au titre des frais exposés en pure perte ;
– 29.247,61 € à titre de compensation de la moitié du loyer du bail commercial des locaux devenus inutiles ;
– 3.500 € au titre de la moitié des frais d’agence immobilière ;
– 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice d’image ;
– 8.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
à Monsieur [D] [W] :
– la somme de 52.530 € à titre d’indemnisation des pertes de revenus nets subies du fait du temps consacré au projet ;
– la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts ;
– la somme de 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
B. Ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir aux frais du COMMISSARIAT A L’ENERGIE ATOMIQUE ET AUX ENERGIES ALTERNATIVES et Monsieur [X] [P] in solidum, dans trois revues, magazines ou journaux, au choix de KLEOS PHARMA et de M. [D] [W], sans que le coût de cette publication ne puisse dépasser 10.000 € par publication, ainsi qu’en première page du site internet du CEA (www.cea.fr) pendant une durée de 30 jours, sans que le coût de cette publication ne puisse dépasser 10.000 €.
C. Condamner le COMMISSARIAT A L’ENERGIE ATOMIQUE ET AUX ENERGIES ALTERNATIVES et Monsieur [X] [P] in solidum aux entiers dépens de l’instance et autoriser Maître Antoine SIMON à les recouvrer directement en application de l’article 699 du code de procédure civile. ».

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 3 mars 2023, le CEA demande au tribunal de :

« Vu les articles 1231-1et 1231-2, 1240, 1242 du Code civil,
Vu l’article 9 du Code de procédure civile,
Vu l’article 514-1 du Code de Procédure Civile,
Débouter la société Kleos Pharma et Monsieur [D] [W] de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions dirigées contre le Commissariat à l’Energie Atomique et aux Energies Alternatives.
Ecarter l’exécution provisoire de droit en raison de son incompatibilité avec la nature de l’affaire.
Condamner solidairement la société Kleos Pharma et Monsieur [D] [W] à payer au Commissariat à l’Energie Atomique et aux Energies Alternatives une somme de 11.000 euros, en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamner solidairement la société Kleos Pharma et Monsieur [D] [W] au paiement des dépens de la procédure. ».

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 14 septembre 2023, M. [P] demande au tribunal de :

« Vu les articles 56 et 514-1 du Code de Procédure Civile,
Vu les articles 1240 et 1353 du Code civil
Débouter la société KLEOS PHARMA SARL et M. [D] [W] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.
Dire n’y avoir lieu à exécution provisoire en cas de condamnation de M. [X] [P].
Condamner la société KLEOS PHARMA SARL et M. [D] [W] à verser la somme de 10. 000 euros de dommages et intérêts à M. [X] [P] pour procédure abusive.
Les condamner à lui verser la somme de 5. 000 euros en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Les condamner aux entiers dépens. ».

La clôture de la procédure a été prononcée le 19 septembre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux dernières écritures des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité du CEA

Au visa des articles 1112, 1231-1, 1231-2 et 1240 du code civil, la société Kleos Pharma et M. [W] reprochent au CEA d’avoir, le 12 juin 2019, abusivement résilié la lettre d’intention alors que celle-ci avait été conclue pour une durée de quinze mois sans faculté de résiliation anticipée. Ils soutiennent que les termes de cette lettre révèlent la volonté des parties d’inscrire leurs négociations dans une durée longue et d’exclure toute faculté de rupture avant l’échéance convenue, que seule une faute d’une gravité suffisante peut permettre de rompre de façon anticipée un contrat à durée déterminée et qu’en l’espèce, le CEA n’invoque aucune faute, la résiliation étant justifiée par les convenances personnelles de M. [P] que le CEA n’a même pas vérifiées. Ils font également valoir qu’au vu des termes de son courrier du 12 juin 2019 qui sont dépourvus de toute ambiguïté, le CEA ne peut pas contester être à l’origine de la résiliation et que sa proposition portant sur un projet plus restreint était une « fausse » proposition, sans substance réelle, notamment sans aucun accompagnement, ni collaboration scientifique. Ils en concluent que la résiliation est intervenue sans raison sérieuse et légitime et est arbitraire.

Ils prétendent encore qu’un important travail avait été réalisé avant la signature de la lettre d’intention, notamment pour la présentation du projet à la commission d’essaimage du CEA du 7 février 2019, que le CEA les a confortés dans ce travail et leur a fait croire que les négociations étaient en bonne voie.

Ils soutiennent que la responsabilité du CEA est également engagée sur le fondement de l’article 1242 du code civil en sa qualité d’employeur de M. [P] qui s’est retiré sans raison du projet.

Le CEA objecte que la société Kleos Pharma et M. [W] opèrent une confusion entre la durée du contrat de négociation et la liberté de mettre un terme aux pourparlers, que leur interprétation de la lettre d’intention ne correspond pas à son esprit, qu’il convient de distinguer les conditions encadrant la négociation du futur contrat de licence de la liberté de négocier, que le délai de quinze mois avait principalement pour objet de couvrir l’exclusivité accordée à la société Dual-T-Biologics et l’obligation de confidentialité mais qu’en dépit de cette durée, les parties n’avaient pas perdu leur liberté d’interrompre les discussions avant terme.

Il soutient que le départ de M. [P] a de facto rendu le projet initial caduc et a fait perdre à la lettre d’intention sa cause puisque celle-ci avait été signée dans le cadre du dispositif d’essaimage pour répondre au souhait de M. [P] de créer une société et que du fait de son retrait, il ne pouvait plus disposer de 45% de son capital, un tel pourcentage étant incompatible avec son statut de salarié. Il considère donc qu’il aurait été fondé à se retirer des discussions, qu’il a au contraire accepté de les poursuivre et a soumis à M. [W] une nouvelle proposition qui pouvait être menée en dehors du projet d’essaimage.

Il affirme également que sa correspondance du 12 juin 2019 ne caractérise nullement une rupture fautive des pourparlers, qu’il se contente d’y exposer les raisons pour lesquelles il ne peut pas accepter le projet modifié proposé par M. [W], que la nouvelle proposition qu’il lui a alors faite portait sur de nombreuses indications avec un potentiel commercial important mais que celui-ci n’a pas été en mesure de constituer l’équipe scientifique nécessaire et qu’il ne peut pas lui en imputer la responsabilité. Il prétend aussi qu’en réclamant un périmètre de licence extrêmement large sans tenir compte de ses réserves, M. [W] a mis en échec les négociations, qu’il était, en effet, incohérent d’exiger un tel périmètre sans garantie de financement, ni équipe suffisamment formée.

Il fait encore valoir qu’il n’a jamais entretenu les demandeurs dans la croyance d’une conclusion certaine d’un contrat de licence et qu’à supposer que son courrier du 12 juin 2019 puisse être analysé comme une rupture des discussions initiées dans le cadre de la lettre d’intention, les pourparlers n’avaient pas, à cette date, atteint un stade avancé.

Il conteste enfin que sa responsabilité puisse être engagée sur le fondement de l’article 1242 du code civil dans la mesure où, dans le cadre du dispositif d’essaimage, le salarié n’agit pas en qualité de préposé. Il ajoute que la faute de M. [P] n’est pas démontrée, que sa décision de constituer la société Dual-T-Biologics puis de se retirer du projet relevait d’un choix de vie dans lequel il n’avait pas à interférer, que compte tenu de la précocité de son retrait, il n’avait aucune raison de le considérer comme fautif et que n’étant pas impliqué dans ses relations avec M. [W], il ne pouvait pas apprécier la pertinence de ses motifs.

Sur ce,

Aux termes de l’article 1103 du code civil, « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

L’article 1104 du même code dispose : « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ».

En application de l’article 1112 de ce code, « L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages. ».

S’agissant des règles d’interprétation des contrats, il résulte des articles 1188 et 1189 du code civil que :
– « Le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes.
Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation. »,
– « Toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier. 
Lorsque, dans l’intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle-ci. ».

Il est par ailleurs de principe que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

En l’espèce, le préambule de la lettre d’intention objet du litige indique :

« Le 7 février 2019, M. [D] [W], associé co-gérant de la SARL KLEOS PHARMA, a présenté devant les membres du Comité Essaimage du CEA son projet de création de la société « DUAL-T-BIOLOGICS ».

Le modèle de développement de la société DUAL-T-BIOLOGICS repose sur l’exploitation d’un vecteur protéique permettant d’amplifier l’immunogénicité de toutes sortes de protéines et peptides d’intérêt vaccinal. Il s’agit d’une technologie développée par [X] [P] (…) susceptible d’être utilisée dans le cadre de thérapies vaccinales, notamment en oncologie.

Afin que la société DUAL-T-BIOLOGICS puisse pleinement exploiter la technologie brevetée par le CEA dans le cadre de ses activités industrielles et commerciales, M. [W] a sollicité le CEA en vue d’obtenir pour la future société une licence exclusive d’exploitation du brevet du CEA.

Les Parties sont donc entrées en négociation pour discuter les éléments de ladite licence exclusive. Elles entendent poursuivre leurs discussions à partir des conditions exposées dans la présente lettre d’intention (ci-après la Lettre d’Intention). ».

Il est ensuite stipulé :

« ARTICLE 1 – OBJET –

1.1 A compter de l’entrée en vigueur des présentes, les Parties s’engagent à poursuivre à titre exclusif les négociations concernant une licence exclusive concédée à la Société sur le monde entier (ci-après « La Licence « ) (…) et portant sur :
– la demande prioritaire FR1000392 déposée par le CEA le 01/02/2010 (…) et intitulée « COMPLEXE MOLECULAIRE DE CIBLAGE DES ANTIGENES VERS LES CELLULES PRESENTATRICES D’ANTIGENES ET SES APPLICATIONS POUR LA VACCINATION » (Inventeurs : [P] [X], [A] [S], [F] [U], [J] [O]), étendue par la demande internationale PCT/IB2011/050437 (référence CEA AD11682) déposée le 01/02/2011.
(…)
1.3 Les parties ne sont toutefois en rien engagées à la conclusion de la Licence. Conformément à l’engagement ci-dessus, il est précisé que le CEA s’engage expressément, pour toute la durée des présentes, à ne pas entrer en discussion, ni à mener de discussion, directement ou indirectement, avec tout tiers pour une éventuelle collaboration ayant le même objet que les présentes, la Société bénéficiant d’une exclusivité de négociation.
(…)
ARTICLE 2 – BONNE FOI – RESPONSABILITE

2.1 Les Parties s’engagent à conduire les négociations de bonne foi à partir des termes et conditions mentionnées aux présentes qui constitue la base de leur discussion sur la Licence. Les Parties feront leurs meilleurs efforts afin de conclure, le cas échéant, ces négociations par la signature de la Licence.

2.2 Toutefois, la présente Lettre d’Intention, bien que juridiquement contraignante en ce qui concerne la confidentialité décrite à l’Article 3, ne créé pas d’obligation de conclure pour les Parties de sorte que les Parties ne pourront voir leur responsabilité engagée en cas d’échec de leurs négociations à l’expiration du terme.

2.3 Par conséquent, hormis le respect du principe de négociation de bonne foi, l’unique base pour engager la responsabilité de l’une quelconque des Parties sera la violation des obligations de confidentialité contenues dans la présente Lettre d’Intention.
(…)
ARTICLE 4 – DUREE

4.1 La présente lettre d’intention entre en vigueur à compter de sa signature par les deux Parties, et expirera à l’issue d’un délai de quinze (15) mois à compter de la signature de la présente lettre d’intention.

4.2 Il est entendu entre les Parties que l’enregistrement de la Société au Registre du Commerce et des Sociétés ne saurait survenir plus de neuf (9) mois à compter de la signature de la présente Lettre d’Intention par les Parties.

4.3 Dans le cas où la Société ne serait pas définitivement créée et enregistrée au Registre du Commerce et des Sociétés à l’expiration d’une durée de neuf (9) mois à compter de la signature de la présente Lettre d’Intention par les Parties, la présente Lettre d’Intention sera résiliée automatiquement et de plein droit. (…) ».

Il résulte de la lecture combinée des articles précités, notamment des articles 2.1, 2.2 et 2.3, qui doivent s’interpréter les uns par rapport aux autres, que le délai de quinze mois mentionné à l’article 4.1 concernait l’exclusivité de négociation consentie à la société Dual–T– Biologics et l’obligation de confidentialité objet de l’article 3. Pour le surplus, les parties étaient tenues de respecter le principe de bonne foi, principe directeur du contrat de sa négociation à sa résiliation, de sorte que leur responsabilité ne peut être engagée qu’en cas de manquement à ce principe.

C’est par conséquent à tort que les demandeurs soutiennent que la lettre d’intention constituait un contrat d’une durée déterminée de quinze mois ne pouvant être résilié avant son terme qu’en cas de faute grave de l’une des parties. Par suite, même à supposer que, par sa correspondance du 12 juin 2019, le CEA ait rompu les négociations, le seul fait que cette résiliation soit intervenue avant le terme du délai de quinze mois et sans qu’aucune faute ne soit invoquée est insuffisant pour engager sa responsabilité. Il convient par conséquent d’examiner les conditions dans lesquelles les négociations ont pris fin.

Il est constant et cela est d’ailleurs expressément rappelé dans le préambule de la lettre d’intention que celle-ci a été signée après la présentation du projet de création de la société Dual-T-Biologics devant la commission d’essaimage du CEA pour accompagner le développement de cette société et que M. [P], qui est l’un des inventeurs du brevet sur lequel devait porter la licence objet des négociations, était un acteur essentiel de ce projet qui s’intégrait dans le dispositif d’essaimage mis en place par le CEA.

Ce dispositif permet à des chercheurs du CEA de participer à un projet de création de start-up selon des modalités différentes en fonction de leur degré d’implication. Ils peuvent ainsi soit rester salarié du CEA en occupant des fonctions de conseiller scientifique au sein de la société créée et en détenant 15% de son capital mais sans rôle opérationnel, soit quitter le CEA pour rejoindre la société en bénéficiant de mesures d’accompagnement (prise en charge du salaire pendant la période d’incubation, prêt d’honneur, droit de retour). Pour accéder à ce dispositif, le chercheur doit obtenir l’accord de la commission d’essaimage sur son projet puis le lui soumettre régulièrement afin qu’elle en évalue la progression.

Dans le cas présent, M. [P] avait fait le choix de quitter le CEA pour occuper un rôle opérationnel au sein de la société Dual-T-Biologics dont il devait détenir 45% du capital. Le document de présentation remis à la commission d’essaimage le présente d’ailleurs comme le co-fondateur de la société avec M. [W] en le plaçant à la tête de la direction scientifique et en mettant en avant leur complémentarité.

Il en résulte que c’est en considération du projet de création de la société Dual-T-Biologics par M. [P] et M. [W] dans le cadre de la demande de mise en incubation de M. [P] que le CEA a signé la lettre d’intention. C’est par conséquent à juste titre qu’il soutient que cet essaimage a été la cause déterminante de son engagement et que le retrait de M. [P] qui a de fait mis un terme à son projet d’essaimage et à la création de la société Dual–T–Biologics dans les conditions initialement envisagées a rendu caduc la lettre d’intention. Compte tenu de la nature du dispositif d’essaimage précédemment exposée qui repose sur l’initiative d’un salarié qui souhaite mener à bien un projet de création d’entreprise que le CEA se contente d’accompagner, celui-ci ne pouvait que prendre acte de ce retrait. Les demandeurs ne peuvent donc pas lui faire grief d’avoir indiqué qu’il ne lui appartenait pas « d’évaluer le bienfondé » de la décision de M. [P].

Les parties ont toutefois poursuivi leurs discussions après l’abandon du projet par M. [P]. En effet, par courrier électronique du 16 avril 2019, M. [W] a demandé au CEA si, à la suite de ce retrait, il avait une proposition à lui faire en exposant d’ores et déjà les grandes lignes d’une offre qu’il formulait avec la société Kleos Pharma consistant notamment dans la conclusion d’un « contrat de collaboration dans lequel M. [P] n’essaime pas ».

Une réunion a été organisée le 10 mai 2019 et le 16 mai, M. [W] et la société Kleos Pharma ont transmis au CEA une proposition détaillée tendant à « honorer la lettre d’intention » en indiquant qu’ils pensaient avoir « les compétences, les ressources et les moyens de mener à bien ce projet ». Cette proposition concernait donc, comme le projet porté par la société Dual–T–Biologics, les domaines de l’infectieux et de l’oncologie, avec notamment le développement de vaccins contre la leptospirose, d’une part, et contre les cancers du côlon et du col de l’utérus, d’autre part.

Par lettre du 12 juin 2019, le CEA a répondu à M. [W] qu’il ne pouvait pas donner une suite favorable à cette proposition en exposant de façon détaillée ses motifs tenant principalement au fait que celle-ci était très proche du projet Dual–T–Biologics qui devait être développé dans le cadre de l’essaimage de M. [P] dont l’implication était nécessaire tant au niveau scientifique (demandes de brevets complémentaires et de perfectionnement, utilisation des équipements associés à ses travaux..) que pour la recherche de financement. Il lui a, dans le même temps, proposé un contrat de licence sur un périmètre plus restreint que celui de la lettre d’intention repris dans la proposition du 16 mai 2019 (les herpès virus hormis le HHV-5 et le cancer du col de l’utérus) en précisant qu’il ne pourrait pas l’ « accompagner à travers une collaboration scientifique, ni garantir de déposer une demande de brevet de perfectionnement lié au brevet AD11682. ».

Le 12 juillet 2019, M. [W] et la société Kleos Pharma ont répondu au CEA, d’une part, que pour mettre en œuvre ce nouveau projet, ils avaient besoin d’une formation et d’un soutien technique et, d’autre part, concernant le périmètre de la licence, qu’ils maintenaient leur demande du 16 mai 2019 ou, à défaut, souhaitaient que soient ajoutées au périmètre proposé par le CEA, la médecine vétérinaire (a minima dans le domaine de l’infectieux) ainsi que la leptospirose. Ils ajoutaient qu’à défaut, l’offre du CEA ne serait pas considérée comme réaliste et qu’ils solliciteraient la compensation des investissements financiers et humains engagés à perte. Le CEA n’ayant pas donné une suite favorable à ces demandes, la société Kleos Pharma et M. [W] ont saisi la juridiction de céans.

C’est au visa de la correspondance précitée du 12 juin 2019 que les demandeurs reprochent au CEA d’avoir abusivement résilié la lettre d’intention et interrompu leurs négociations.

Cependant, il convient, en premier lieu, de rappeler que dans le cadre de la lettre d’intention, les parties n’avaient pas l’obligation de conclure un contrat de licence d’exploitation exclusive portant sur le brevet AD11682. Le CEA n’était a fortiori pas plus tenu de conclure un tel contrat lorsque les négociations se sont poursuivies après le retrait de M. [P] compte tenu des conditions de signature de la lettre d’intention évoquées ci-avant et du lien existant avec le projet d’essaimage de M. [P].

En deuxième lieu, dans ce courrier, le CEA ne met pas un terme aux négociations. Il expose de manière détaillée les motifs le conduisant à refuser la proposition formulée le 16 mai 2019 par M. [W], motifs qui apparaissent cohérents au regard de l’historique du projet, et les demandeurs ne démontrent pas que la proposition d’une licence portant sur un périmètre plus restreint n’était pas sérieuse et partant était faite de mauvaise foi, celle-ci permettant de travailler au développement de sept vaccins.

Si, pour justifier du caractère fantaisiste de cette proposition, ils invoquent l’absence d’assistance scientifique et de collaboration reprenant ainsi l’exigence formulée dans leur courrier électronique du 12 juillet 2019, une telle exigence apparaît en contradiction avec les moyens et compétences dont ils s’étaient prévalus le 16 mai 2019. Ils avaient en effet alors indiqué disposer des ressources nécessaires pour mener à bien le projet de licence initial, avoir des contacts, notamment « au sein du DU d’Immunologie de Pr. [B] et Pr [C] » et souhaiter proposer le poste de référent technique qui devait être occupé par M. [P] « à un autre ponte en immunologie, en échange de parts dans la société ». Ils formulaient également plusieurs propositions au sujet de jeunes docteurs devant faire partie de l’équipe dont l’une en dehors du personnel disposant d’une formation au sein du CEA. Ils évoquaient aussi la possibilité de mener à bien le projet sans avoir recours à un contrat de collaboration avec le CEA en hébergeant l’environnement nécessaire au sein d’un nouvel incubateur spécialisé en biotechnologie et précisaient, s’agissant de l’amélioration de la technologie : « Nous espérons pouvoir, dans le cadre d’une collaboration avec le CEA inclure une partie d’amélioration de la technologie. Si le contrat de collaboration n’a pas lieu, nous utiliserons la technologie telle quelle et trouverons à moyens termes les leviers pour développer et améliorer notre technologie ». Il apparaît au surplus incohérent qu’ils aient prétendu que le périmètre proposé était insuffisant alors qu’ils reconnaissaient dans le même temps ne pas disposer de la formation et des moyens nécessaires pour développer une licence portant sur un périmètre plus restreint.

Il convient, en dernier lieu, de relever que M. [P] s’est retiré du projet un mois après la signature de la lettre d’intention, que le CEA a poursuivi les négociations sans aucune réserve et que les demandeurs ne rapportent pas la preuve qu’il les a entretenus dans la croyance d’une conclusion certaine du contrat de licence, la signature de l’accord de confidentialité du 17 octobre 2018 et les échanges de M. [W] et M. [P] avant la signature de la lettre d’intention n’étant nullement probants pour ce faire. Ils ne démontrent pas davantage qu’à la date du 12 juin 2019, les pourparlers avaient atteint un certain degré de précision.

Du tout, il résulte que les demandeurs échouent à rapporter la preuve que, le 12 juin 2019, le CEA a abusivement résilié la lettre d’intention et mis un terme à leurs discussions.

Ils ne peuvent par ailleurs pas rechercher la responsabilité du CEA en qualité de commettant de M. [P]. En effet, il est de principe que le lien de préposition, d’où découle la responsabilité mise à la charge des commettants par l’article 1242 alinéa 5 du code civil, suppose que ceux-ci ont le droit de faire acte d’autorité en donnant à leurs préposés des ordres ou des instructions sur la manière de remplir les emplois qui leur ont été confiés pour un temps et un objet déterminés. Or, dans le cadre du dispositif d’essaimage, le CEA ne dispose pas d’un tel pouvoir. Il se contente d’accepter que le salarié bénéficie du dispositif et de contrôler l’évolution du projet. Ainsi, que le souligne justement le CEA, il ne pouvait pas se substituer à M. [P] pour apprécier si les conditions de son association avec M. [W] étaient toujours réunies et s’il souhaitait ou non quitter son emploi salarié. Il en résulte que même si le CEA avait interrogé M. [P] sur les raisons de son retrait, il n’aurait pas pu le contraindre à revenir sur sa décision.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, la société Kleos Pharma et M. [W] seront déboutés des demandes de dommages et intérêts qu’ils forment à l’encontre du CEA.

Sur la responsabilité de M. [P]

Au visa de l’article 1240 du code civil, la société Kleos Pharma et M. [W] reprochent à M. [P] de s’être rendu complice de la violation par le CEA de ses obligations contractuelles dès lors qu’en se retirant du projet, il l’a placé dans l’impossibilité de les respecter, notamment l’obligation de négociation exclusive d’une durée de quinze mois prévue à la lettre d’intention. Mettant en avant l’implication évidente et constante de M. [P] dans le projet, ils prétendent que c’est en considération de sa participation que la lettre d’intention a été signée et que le CEA impute sa résiliation à son retrait. Ils soutiennent que M. [P] les a démarchés, les a fait travailler, qu’il ne leur a pas adressés les éléments nécessaires aux demandes de financement, puis qu’il s’est retiré du projet avec une légèreté blâmable pour des raisons de convenance personnelle. Ils affirment sur ce point que M. [P] ne rapporte pas la preuve des fautes qu’il leur impute pour justifier son départ et contestent toute faute.

M. [P] oppose qu’il n’était pas engagé par la lettre d’intention, qu’il avait initié avec M. [W] des discussions en vue de mettre en place une collaboration, notamment par la création de la société Dual-T-Biologics, qu’il s’agissait d’un processus long dont la commission d’essaimage n’était que la première étape, que la rupture est intervenue en phase précontractuelle où la liberté de rompre est la règle et qu’il n’a fait preuve d’aucune déloyauté.

Il prétend en effet qu’il n’a fait que tirer les conséquences du constat de ce qu’il ne pouvait pas s’associer avec M. [W], leur binôme ne présentant pas le niveau d’entente et de confiance nécessaire pour ce faire et qu’il s’est retiré de façon précoce permettant ainsi à M. [W] de développer un nouveau projet avec le CEA mais que celui-ci a refusé les propositions qui lui ont été faites en formulant des exigences déraisonnables.

Il soutient également que le CEA ayant respecté les termes de la lettre d’intention, il ne peut pas être tenu pour complice d’une violation qui n’existe pas, que M. [W] était le seul à bénéficier d’une exclusivité pour la négociation du contrat de licence et de la subvention du concours I-Lab et que son retrait ne l’empêchait donc pas de rechercher un accord de licence avec le CEA ce qui a d’ailleurs été le cas.

Il ajoute que les préjudices invoqués par M. [W] ne sont pas en lien causal avec la faute qu’il lui impute dès lors qu’après son retrait du projet, il a choisi de faire évoluer le contrat vers une autre structure en négociant de nouveaux domaines d’application avec le CEA et qu’il a refusé la proposition qui lui a été faite pour des motifs sans lien avec son départ.

S’agissant des demandes formulées par la société Kleos Pharma, il fait valoir qu’il n’avait aucune relation avec elle et que M. [W] devait s’impliquer personnellement et non au travers de la société. Il prétend également que les préjudices invoqués par la société ne sont pas en lien causal avec son retrait dès lors que les négociations se sont poursuivies postérieurement.

Sur ce,

En application des articles 1240, 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile, il appartient à la société Kleos Pharma et à M. [W] qui recherchent la responsabilité extra-contractuelle de M. [P] de rapporter la preuve d’une faute de ce dernier et d’un préjudice en lien causal avec cette faute.

Or il ressort des développements qui précèdent qu’après le départ du M. [P], les négociations se sont poursuivies et que le CEA n’a pas le 12 juin 2019 abusivement résilié la lettre d’intention et mis un terme aux discussions. Le retrait de M. [P] a uniquement conduit le CEA à refuser la nouvelle proposition de M. [W] sans pour autant que ce refus puisse, comme indiqué ci-avant, s’analyser en une résiliation abusive de la lettre d’intention.

Il est en outre constant que les premiers contacts entre M. [W] et M. [P] ont eu lieu au mois de juillet 2018 et qu’ils ont travaillé ensemble à la constitution des dossiers présentés à la commission d’essaimage le 7 février 2019 et au concours I-Lab le 7 mars 2019. M. [P] relève toutefois à juste titre qu’il s’est retiré du projet moins d’un mois après la signature de la lettre d’intention alors que celle-ci prévoyait une constitution de la société Dual–T–Biologics dans un délai de neuf mois et une exclusivité de négociation d’une durée de quinze mois ce qui laissait un temps suffisant à M. [W] pour faire évoluer le projet et atteindre les objectifs fixés.

M. [P] doit également être suivi lorsqu’il affirme que le projet Dual–T– Biologics s’inscrivait dans la durée et nécessitait une étroite collaboration et une confiance réciproque entre M. [W] et lui. Or, indépendamment du bien-fondé des griefs invoqués par M. [P], il ressort de la lecture de son courrier électronique du 19 mars 2019 et du courrier électronique de M. [W] du 16 avril suivant que cette confiance et l’affectio societatis nécessaire à la création de la société Dual–T–Biologics avaient disparu. Il sera précisé que les demandeurs ne peuvent pas reprocher à M. [P] d’avoir, par l’envoi de son courriel du 19 mars 2019, cherché à se constituer une preuve à lui-même, sa rédaction étant antérieure à la naissance litige et qu’en toute hypothèse, le principe selon lequel nul ne peut se constituer une preuve à lui-même n’est pas applicable à la preuve des faits juridiques. Dans ce courriel, M. [P] exprime son désaccord sur le recrutement de Mme [Z], son incompréhension de ce que certaines de ses demandes, qui relevaient pourtant selon lui de son domaine de compétence, n’aient pas été prises en compte et en définitive son sentiment que son point de vue n’était pas pris en considération. Dans son courriel du 16 avril 2019, M. [W] critique quant à lui certaines demandes de M. [P] en indiquant que « Cette exigence de ratification à 100% de ses commentaires semblent fortement montrer une tentative de mise en place d’un lien de subordination et non de collaboration » et que « ces éléments incohérents et fluctuants ne sont pas à la hauteur d’un gestionnaire de start-up ».

Dans ces conditions, il n’est pas démontré que M. [P] a fait preuve d’une légèreté blâmable en se retirant du projet.

Les demandeurs ne rapportent donc la preuve ni d’une faute de M. [P], ni d’un préjudice en lien causal avec la faute invoquée. Ils seront déboutés de la demande de dommages et intérêts qu’ils forment à son encontre.

Sur la demande de dommages et intérêts de M. [P]

L’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts que dans le cas de malice, mauvaise foi ou erreur équipollente au dol. L’appréciation inexacte que la société Kleos Pharma et M. [W] ont faite de leurs droits n’étant pas en soi constitutive d’une faute et M. [P] ne rapportant la preuve ni de leur mauvaise foi, ni du préjudice qu’il allègue, il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes

Au vu de l’issue du litige, la demande de publication destinée à rétablir l’image de la société Kleos Pharma et de M. [W] sera rejetée.

La société Kleos Pharma et M. [W] qui succombent seront condamnés in solidum aux dépens et à payer au CEA la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Ils devront payer la même somme à M. [P].

L’exécution provisoire est, en vertu des articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile issus du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019, de droit pour les instances introduites comme en l’espèce à compter du 1er janvier 2020. Si le CEA demande à ce que celle-ci soit écartée au motif qu’elle serait incompatible avec la nature de l’affaire, il ne développe aucune argumentation pour en justifier. Quant à M. [P], il ne formule cette demande qu’en cas de condamnation prononcée à son encontre. Rien ne s’opposant au prononcé de l’exécution provisoire, il n’y a pas lieu de l’écarter.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

Déboute M. [D] [W] et la SARL Kleos Pharma de leurs demandes de dommages et intérêts formées à l’encontre du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives et de M. [X] [P] ;

Déboute M. [X] [P] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne in solidum M. [D] [W] et la SARL Kleos Pharma à payer au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [D] [W] et la SARL Kleos Pharma à payer à M. [X] [P] la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum M. [D] [W] et la SARL Kleos Pharma aux dépens ;

Dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires qui ont été reprises dans l’exposé du litige ;

Fait et jugé à Paris le 24 Septembre 2024.

Le Greffier La Présidente
Nadia SHAKI Géraldine DETIENNE


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