Les pratiques commerciales agressives en matière d’annonce de gains publicitaires

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Les pratiques commerciales agressives en matière d’annonce de gains publicitaires
Ce point juridique est utile ?

En matière de pratique commerciale agressive, il n’est pas nécessaire pour être qualifié d’agressif que le comportement du professionnel ait été réitéré.

En matière de participation à des opérations de jeux publicitaires, il a été jugé que le destinataire d’une annonce de gain s’est légitimement senti dans l’obligation de passer commande pour ne pas perdre l’avantage que constituait le gain de la somme de 4 218 euros par ailleurs présenté comme certain, ce qu’il a fait.

En outre il doit être admis que le seul fait d’avoir dû réclamer à plusieurs reprises l’attribution du gain présenté comme certain a été à l’origine d’un préjudice moral évalué à la somme de 800 euros que la société organisatrice a été condamnée à lui payer avec intérêts au taux légal.

Aux termes de l’article L. 121-6 du code de la consommation : “Une pratique commerciale est agressive lorsque du fait de sollicitations répétées et insistantes ou de l’usage d’une contrainte physique ou morale, et compte tenu des circonstances qui l’entourent :

1° Elle altère ou est de nature à altérer de manière significative la liberté de choix d’un consommateur ;

2° Elle vicie ou est de nature à vicier le consentement d’un consommateur ;

3° Elle entrave l’exercice des droits contractuels d’un consommateur.

Afin de déterminer si une pratique commerciale recourt au harcèlement, à la contrainte, y compris la force physique, ou à une influence injustifiée, les éléments suivants sont pris en considération :

1° Le moment et l’endroit où la pratique est mise en oeuvre, sa nature et sa persistance ;

2° Le recours à la menace physique ou verbale ;

3° L’exploitation, en connaissance de cause, par le professionnel, de tout malheur ou circonstance particulière d’une gravité propre à altérer le jugement du consommateur, dans le but d’influencer la décision du consommateur à l’égard du produit ;

4° Tout obstacle non contractuel important ou disproportionné imposé par le professionnel lorsque le consommateur souhaite faire valoir ses droits contractuels, et notamment celui de mettre fin au contrat ou de changer de produit ou de fournisseur ;

5° Toute menace d’action alors que cette action n’est pas légalement possible”.

L’article L. 121-7 du même code répute agressives au sens de l’article susvisé les pratiques commerciales qui ont pour objet [‘] 7° De donner l’impression que le consommateur a déjà gagné, gagnera ou gagnera en accomplissant tel acte, un prix ou un autre avantage équivalent, alors que, en fait :

– soit il n’existe pas de prix ou autre avantage équivalent ;

– soit l’accomplissement d’une action en rapport avec la demande du prix ou autre avantage équivalent est subordonné à l’obligation pour le consommateur de verser de l’argent ou de supporter un coût.

Résumé de l’affaire : La société Senior et Cie, opérant sous l’enseigne Bleu Bonheur, a envoyé à Mme [P] un jeu avec un fac-similé d’un chèque de 4 218 euros, l’incitant à renvoyer le chèque pour obtenir le gain. Mme [P] a renvoyé le chèque, croyant avoir gagné, mais la société a contesté cette affirmation. En janvier 2019, Mme [P] a assigné la société en justice pour obtenir le paiement de la somme, ce qui a conduit à un jugement en mars 2021 condamnant la société à payer 4 218 euros, mais rejetant sa demande de dommages et intérêts.

La société a soulevé une exception d’incompétence, et le tribunal a jugé que Mme [P] pouvait assigner dans sa juridiction de résidence. Cependant, la cour d’appel de Dijon a infirmé ce jugement en septembre 2022, déclarant le tribunal de Dijon incompétent et renvoyant l’affaire à la cour d’appel de Paris, considérant que l’organisation du jeu était un quasi-contrat et que la compétence était celle du tribunal du domicile du défendeur.

La société Senior et Cie a interjeté appel, demandant la réformation du jugement et le déboutement de Mme [P] de ses demandes. Elle a soutenu que Mme [P] devait prouver l’existence d’un engagement certain pour le gain, l’absence d’aléa, sa croyance dans le gain, et un préjudice. De son côté, Mme [P] a également interjeté appel, affirmant que la société avait utilisé une pratique commerciale agressive et demandant la confirmation du jugement initial, ainsi que des dommages et intérêts.

Les deux parties ont présenté leurs arguments respectifs, et l’affaire a été clôturée le 21 mai 2024, avec une audience prévue pour le 5 juin 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

19 septembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
23/00196
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 9 – A

ARRÊT DU 19 SEPTEMBRE 2024

(n° , 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/00196 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CG3VK

Décision déférée à la Cour : Arrêt du 1er septembre 2022 – Cour d’Appel de DIJON – RG n° 21/00459

APPELANTE

La SASU SENIOR & CIE exploitant sous l’enseigne BLEU BONHEUR agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés de droit audit siège

N° SIRET : 300 094 562 00299

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Christophe BÉHEULIÈRE de la SARL VON B, avocat au barreau de PARIS, toque : C1511

assistée de Me Isabelle MERVAILLE-GUEMGHAR, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE

Madame [L] [D] épouse [P]

née le 24 avril 1938 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée et assistée de Me Jérémie MANCHUEL, avocat au barreau de PARIS, toque ; D1256

ayant pour avocat plaidant Me Eric RUTHER, avocat au barreau de DIJON, toque : 106

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 5 juin 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Muriel DURAND, Présidente de chambre

Mme Laurence ARBELLOT, Conseillère

Mme Sophie COULIBEUF, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Muriel DURAND, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Mme Camille LEPAGE

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Muriel DURAND, Présidente et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société Senior et Cie exploitant sous l’enseigne Bleu Bonheur est une société de vente par correspondance spécialisée dans la commercialisation de vêtements féminins et d’articles pour la maison et présente une sélection d’articles en majorité destinés aux séniors.

Fin février 2017, Mme [L] [P] a reçu de cette société un jeu comportant un fac-similé d’un chèque de 4 218 euros qu’il fallait renvoyer pour obtenir la somme, ce qu’elle a fait en considérant qu’elle était la gagnante mais la société Senior et Cie lui a fait savoir que tel n’était pas le cas et ne lui a pas délivré le gain.

Par acte du 4 janvier 2019, Mme [P] a fait assigner la société Senior et Cie devant le tribunal judiciaire de Dijon en paiement de cette somme de 4 218 euros outre des dommages et intérêts et une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile lequel, par jugement contradictoire du 15 mars 2021, s’est déclaré territorialement compétent et a condamné la société Senior et Cie sous l’enseigne Bleu Bonheur à lui payer la somme de 4 218 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision outre 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens de première instance et a débouté Mme [P] de sa demande de dommages et intérêts.

Sur l’exception d’incompétence soulevée par la société Senior et Cie, le premier juge a relevé que l’article L. 141-5 du code de la consommation permettait à Mme [P] qui demeurait à [Localité 3] d’assigner devant la juridiction du lieu où elle demeurait lors de la conclusion du contrat ou de la survenance du fait dommageable.

Sur le fond, il a considéré que le libellé des documents reçus par Mme [P] la désignait comme seule et unique gagnante du chèque de 4 218 euros et ne mettait en évidence aucun aléa d’autant que la société Senior et Cie soutenait que l’aléa consistait en la nécessité d’être en possession du chèque numéro 000 6453 et que c’était précisément ce numéro qui était inscrit sur le chèque envoyé à Mme [P].

Il a rejeté la demande de dommages et intérêts en retenant que Mme [P] ne justifiait d’aucun préjudice moral et se contentait d’en affirmer l’existence.

Mme [P] a interjeté appel de cette décision devant la cour d’appel de Dijon laquelle, par arrêt du 1er septembre 2022, a infirmé le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, a déclaré le tribunal judiciaire de Dijon incompétent pour connaître du litige et au visa de l’article 90 du code de procédure civile a ordonné le renvoi devant la cour d’appel de Paris, dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et a condamné Mme [P] aux dépens d’appel.

La cour d’appel de Dijon a considéré que l’organisation d’un jeu publicitaire annonçant un gain à une personne dénommée était un quasi-contrat et non un contrat si bien qu’elle ne disposait pas de l’option de compétence ouverte par l’article 46 du code de procédure civile et que Mme [P] n’avait pas formé de demande sur le fondement de l’article L. 121-7 du code de la consommation qu’elle avait cité si bien que l’option de compétence de l’article L. 141-45 du code de la consommation ne lui était pas non plus ouverte et que seul le tribunal du domicile du défendeur était compétent, à savoir le tribunal de proximité de Saint-Ouen en application de l’article 42 du code de procédure civile. Elle a en conséquence infirmé le jugement et fait application de l’article 90 du même code dont il résulte que lorsque la cour infirme du chef de la compétence et si elle n’est pas juridiction d’appel, la cour, en infirmant du chef de la compétence la décision attaquée, renvoie l’affaire devant la cour qui est juridiction d’appel relativement à la juridiction qui eût été compétente en première instance, décision qui s’impose aux parties et à la cour de renvoi.

Le dossier a été transmis à la cour d’appel de Paris.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er mai 2023, la société Senior et Cie demande à la cour d’appel de Paris :

– de la recevoir en son appel,

– de réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Dijon en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté Mme [P] de sa demande au titre de dommages et intérêts,

– de recevoir Mme [P] en son appel incident et de la déclarer non fondée,

– ce faisant, statuant à nouveau, de débouter Mme [P] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme de son appel incident et par conséquent de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté cette dernière de sa demande au titre des dommages et intérêts,

– de condamner Mme [P] au paiement de la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers frais et dépens de 1ère instance et d’appel.

Elle fait valoir que pour que la cour puisse la condamner à verser la somme de 4 218 euros à Mme [P] qui n’était pas la véritable gagnante du concours, il faut que celle-ci démontre :

– l’existence d’un engagement certain dans un document publicitaire de lui verser le lot,

– l’absence de mention du caractère aléatoire du gain annoncé,

– sa croyance dans la réalité du gain,

– l’existence d’un préjudice.

Elle soutient que l’aléa est bien mis en évidence à première lecture contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, qu’elle avait remis à ce dernier en original lors de l’audience de plaidoirie, l’entier pli scellé de l’animation qui avait été envoyé mais que le pli n’a pas été ouvert par le tribunal, que de son côté Mme [P] n’avait pas remis la totalité des documents reçus et que par définition, cette dernière ne pouvait pas remettre l’original puisqu’elle le lui avait renvoyé. Elle affirme qu’à aucun moment il n’est annoncé à Mme [P] qu’elle est la gagnante du chèque de 4 218 euros de telle sorte qu’il n’y a aucun engagement certain de lui remettre cette somme. Elle ajoute qu’il est clairement fait référence au fait que plusieurs destinataires ont reçu le numéro du chèque spécimen 000 6453 et qu’un huissier a tiré au sort le gagnant parmi ces destinataires, que la procédure n’est nullement nominative et que ce n’est pas le chèque spécimen en la possession de Mme [P] qui a été tiré au sort.

Elle ajoute que Mme [P] ne démontre absolument pas en quoi les documents reçus l’auraient persuadée d’avoir gagné la somme de 4 218 euros, l’examen de ses multiples correspondances démontrant le contraire.

Elle conteste toute pratique commerciale agressive, soutient que pour obtenir des dommages et intérêts, Mme [P] doit démontrer avoir fait l’objet de sollicitations répétées ce qui n’est pas le cas, que rien ne l’obligeait à commander et qu’il était précisé que le jeu était gratuit et sans obligation d’achat. Elle affirme que les avantages auxquels il était renoncé en l’absence de commande n’était pas la possibilité de gagner mais des réductions et des cadeaux divers.

Par conclusions notifiées par RPVA le 27 mars 2023, Mme [P] demande à la cour :

– en ce qui concerne l’appel principal de la société Senior et Cie :

– en ce qui concerne le premier chef de jugement critiqué à savoir le règlement de la somme de 4 218 euros à son profit, de déclarer que la société Senior et Cie lui a annoncé un gain sans mettre en évidence à la première lecture l’existence d’un aléa, qu’elle a utilisé une pratique commerciale agressive et en conséquence, de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Senior et Cie à lui régler la somme de 4 218 euros,

– en ce qui concerne le deuxième chef de jugement critiqué à savoir le règlement de la somme de 500 euros au titre de l’article 700 et les dépens, de confirmer le jugement entrepris,

– en ce qui concerne son appel incident sur le rejet de sa demande de dommages et intérêts, d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts, et statuant à nouveau, de condamner la société Senior et Cie à lui régler la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts augmentés des intérêts au taux légal à compter de l’assignation,

– en tout état de cause, de condamner la société Senior et Cie à lui régler la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d’appel, en jugeant que Maître Jérémie Manchuel, avocat pourra procéder à leur recouvrement comme cela est prescrit à l’article 699 du code de procédure civile.

Elle fait valoir qu’elle a sincèrement pensé ayant découvert qu’elle avait un chèque portant le numéro gagnant qu’elle était la gagnante du prix, qu’elle a renvoyé le chèque spécimen en procédant également à une commande.

Elle ajoute que sur le document il n’est pas fait état d’un tirage au sort. Elle affirme qu’elle avait communiqué l’ensemble des éléments qu’elle a eus en sa possession et la photocopie du document avec le chèque qu’elle a renvoyé. Elle conteste que le règlement du jeu lui ait été communiqué et fait en tout état de cause valoir que ce règlement manque de clarté et est peu lisible pour une personne âgée. Elle soutient être recevable et fondée à solliciter la condamnation de la société Senior et Cie à lui payer cette somme de 4 218 euros.

Elle relève avoir dû écrire à plusieurs reprises pour réclamer le règlement de la somme de 4 218 euros et qu’il a fallu 79 jours à la société Senior et Cie pour l’informer de ce qu’elle n’avait pas officiellement gagné. Elle ajoute que l’enveloppe était au surplus libellée de telle sorte qu’elle a pensé qu’il fallait commander pour obtenir le chèque. Elle soutient avoir très mal vécu cette situation qui lui a notamment occasionné du stress, ayant des répercussions sur son sommeil et subir un préjudice financier et moral.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 mai 2024 et l’affaire a été appelée à l’audience du 5 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il est rappelé que la cour n’est pas tenue de statuer sur les demandes de “dire et juger” qui ne sont pas des prétentions juridiques.

Sur le versement de la somme de 4 218 euros

Selon l’article 1300 du code civil, les quasi-contrats sont des faits purement volontaires dont il résulte un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit et parfois un engagement de leur auteur envers autrui. Il en résulte que l’organisateur d’un jeu publicitaire qui annonce un gain à personne dénommée sans mettre en évidence, à première lecture, l’existence d’un aléa, s’oblige par ce fait purement volontaire, à le délivrer.

Il résulte des pièces produites par les deux parties qui sont identiques que Mme [P] a reçu un courrier “déposé le 24/02/2017” qui lui était nominativement adressé, comportait son numéro de cliente et mentionnait dans un cadre à fond bleuté “concerne le premier prix mis en jeu :” puis en gros caractères majuscules “LA CLIENTE EN POSSESSION DE CE NUMERO, DESIGNEE GAGNANTE, 000 6453 (en rouge) VA RECEVOIR LA SOMME DE 4.218,00 EUROS”, suivie de la mention “informations importantes” avec deux flèches rouges renvoyant à l’encadré suivant ainsi libellé :

“Une seule et unique cliente en France a reçu le chèque spécimen gagnant la somme de 4.218,00 euros. Madame [P], si vous avez reçu le chèque spécimen de 4 218,00 euros portant le numéro 000 6453 désigné gagnant du 1er prix, alors c’est sûr nous pourrons déclarer ” Vous êtes notre grande gagnante Madame [P]” “.

Sur la gauche était reproduite une carte de France avec une loupe et au centre de cette loupe : “MADAME [P] [L] [Adresse 2]”.

Cet encadré était suivi de la mention suivante : “Voici le chèque spécimen personnel édité à votre nom sous contrôle de notre service des jeux”.

Ainsi que l’a relevé le premier juge, le seul aléa décelable à première lecture était l’attribution ou non d’un chèque comportant ce numéro. Or il est constant que le chèque envoyé à Mme [P] a permis après grattage, de découvrir que le spécimen de chèque qui lui avait été remis présentait le numéro gagnant 000 6453. La mention du nom de Mme [P] au centre de la carte de France, grossi par le dessin d’une loupe venait au surplus accréditer le fait qu’elle était la seule gagnante en France.

Au dos de ce document la mention “officiel” apparaît en diagonale à gauche avec le texte suivant en majuscules “GARANTIE DE PAIEMENT D’UN CHEQUE DE 4 218,00 EUROS” suivie d’un encadré blanc avec la mention suivante en gros caractères majuscules “Mme [P] VOTRE REPONSE EST ATTENDUE DE TOUTE URGENCE ! CECI EST NOTRE DERNIER APPEL AVANT LA REMISE DU CHEQUE DE 4.218,00 €” outre une mention “important” en rouge.

Le document se poursuit par les mentions suivantes en très gros caractères sur des aplats de couleurs différentes : “PROCEDURE OFFICIELLE DE REMISE DU PREMIER PRIX

1- la gagnante doit être majeure.

2- son nom a été désigné gagnant du 1er prix par notre Huissier de Justice.

3- après avoir pris connaissance du numéro et du montant figurant sur le chèque-spécimen, il faut remplir la Demande d’Enregistrement du Chèque et participer en retournant son chèque-spécimen par courrier ou en se manifestant par téléphone auprès de nos conseillères.

4- la gagnante du premier prix sera avertie par courrier recommandé de la part de notre service des gains des modalités de remise de son chèque.

Visas garantie de Gain du Service concerné

Pour accord ce jour”

suivie du fac-similé d’une signature en rouge, du fac-similé d’un tampon d’huissier mentionnant “TIRAGE CONTROLE PAR L’HUISSIER DE JUSTICE” et d’une signature en noir sur ce tampon.

Il est ensuite apposé la mention suivante : “ATTENTION conformément au règlement en vigueur, lequel a été déposé chez notre Huissier de Justice, le fait de ne pas réclamer son prix entraîne l’annulation pure et simple des droits de la gagnante concernée”, puis sous cet encadré la mention “voir règlement joint”.

Contrairement à ce que soutient la société Senior et Cie, il n’est nullement précisé que plusieurs clientes sont susceptibles d’avoir reçu le même chèque spécimen comportant le numéro gagnant et qu’il sera ensuite procédé à un tirage au sort entre elles. A l’inverse, la lecture de ce document laisse penser à toute personne qu’il n’existe qu’un seul chèque-spécimen comportant le numéro gagnant et que dès lors qu’elle est en possession de celui-ci, c’est qu’elle a d’ores et déjà été tirée au sort par l’huissier de justice qui l’a déclarée gagnante et qu’elle peut obtenir le bien à la seule condition d’être majeure et de respecter la procédure de remise, ce que Mme [P] a fait. La cour observe au surplus que la clientèle visée par la société Senior et Cie est une clientèle relativement âgée.

La société Senior et Cie ne saurait pour se dédouaner soutenir qu’il est fait référence au règlement joint lequel est moins affirmatif. La cour observe d’ailleurs que le règlement du jeu ne permettait pas de jeter un doute sur la certitude du gain de 4 218 euros par Mme [P], puisqu’une lecture attentive permet d’apprendre dans l’article 6 que le gagnant du 1er prix a été tiré au sort avant l’envoi des documents, de sorte que cette lecture par Mme [P] alors âgée de 78 ans comme née le 21 avril 1938, ne pouvait que confirmer qu’elle était bien la gagnante du prix de 4 218 euros et avait déjà été tirée au sort.

Contrairement à ce que soutient la société Senior et Cie, Mme [P] n’a jamais mis en doute dans ses courriers de réclamation qu’elle était bien la gagnante de ce chèque de 4 218 euros avant que l’organisateur du jeu ne lui apporte un démenti.

Dès lors il convient comme l’avait fait le premier juge dont la décision a été entièrement infirmée par la cour d’appel de Dijon ayant statué sur la compétence, de condamner la société Senior et Cie à payer cette somme de 4 218 euros à Mme [P] avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision du 15 mars 2021.

Sur la demande de dommages et intérêts

Aux termes de l’article L. 121-6 du code de la consommation : “Une pratique commerciale est agressive lorsque du fait de sollicitations répétées et insistantes ou de l’usage d’une contrainte physique ou morale, et compte tenu des circonstances qui l’entourent :

1° Elle altère ou est de nature à altérer de manière significative la liberté de choix d’un consommateur ;

2° Elle vicie ou est de nature à vicier le consentement d’un consommateur ;

3° Elle entrave l’exercice des droits contractuels d’un consommateur.

Afin de déterminer si une pratique commerciale recourt au harcèlement, à la contrainte, y compris la force physique, ou à une influence injustifiée, les éléments suivants sont pris en considération :

1° Le moment et l’endroit où la pratique est mise en oeuvre, sa nature et sa persistance ;

2° Le recours à la menace physique ou verbale ;

3° L’exploitation, en connaissance de cause, par le professionnel, de tout malheur ou circonstance particulière d’une gravité propre à altérer le jugement du consommateur, dans le but d’influencer la décision du consommateur à l’égard du produit ;

4° Tout obstacle non contractuel important ou disproportionné imposé par le professionnel lorsque le consommateur souhaite faire valoir ses droits contractuels, et notamment celui de mettre fin au contrat ou de changer de produit ou de fournisseur ;

5° Toute menace d’action alors que cette action n’est pas légalement possible”.

L’article L. 121-7 du même code répute agressives au sens de l’article susvisé les pratiques commerciales qui ont pour objet [‘] 7° De donner l’impression que le consommateur a déjà gagné, gagnera ou gagnera en accomplissant tel acte, un prix ou un autre avantage équivalent, alors que, en fait :

– soit il n’existe pas de prix ou autre avantage équivalent ;

– soit l’accomplissement d’une action en rapport avec la demande du prix ou autre avantage équivalent est subordonné à l’obligation pour le consommateur de verser de l’argent ou de supporter un coût.

Contrairement à ce que soutient la société Senior et Cie, il n’est donc pas nécessaire pour être qualifié d’agressif que le comportement ait été réitéré.

En l’espèce, la seule enveloppe fournie dans la liasse publicitaire destinée à renvoyer le chèque et le cas échéant à passer une commande, mentionne sur le recto outre l’adresse de la société Senior et Cie, un encadré rouge mentionnant “OUI : oui je commande et je veux bénéficier de tous mes avantages” et en gris “NON : non, je ne commande pas : je renonce à tous mes avantages” et au recto sur le rabat “avant de fermer cette enveloppe vérifiez vos noms et adresses et indiquer votre email sur votre bon de commande. Merci”, et sur le corps de l’enveloppe la photographie d’une cocotte micro-ondes rose annoncée au prix de “4,90 € seulement” avec le descriptif de cet objet. La société Senior et Cie ne saurait prétendre que ceci n’est pas de nature à faire penser au consommateur que pour obtenir le bien il lui faut passer commande. En effet à aucun moment sur le document concernant le jeu ne figure de mention précisant qu’il est gratuit et sans obligation d’achat, et si dans la liasse envoyée que la présente cour a pris le soin d’ouvrir, figurent effectivement un catalogue avec des offres promotionnelles, l’enveloppe en question ne mentionne nullement que les avantages en question concernent ces offres et non le jeu. Enfin, si la cliente n’utilisait l’enveloppe que pour renvoyer sa participation au jeu et n’y joignait aucune commande, il est si évident qu’elle n’achetait pas et ne pouvait donc bénéficier de réduction sur des achats non effectués ou d’avantages en lien avec ces achats, lesquels sont pour leur part bien mentionnés dans les documents d’achat, que ces mentions sur l’enveloppe n’avaient strictement aucun intérêt ni caractère informatif. Ils n’étaient donc là que dans le but de tromper en faisant naître la crainte de la perte du gain, par ailleurs annoncé comme certain et d’inciter la cliente âgée à passer une commande dans le seul but d’obtenir le gain.

Il doit donc être considéré que Mme [P] s’est légitimement sentie dans l’obligation de passer commande pour ne pas perdre l’avantage que constituait le gain de la somme de 4 218 euros par ailleurs présenté comme certain, ce qu’elle a fait. En outre il doit être admis que le seul fait d’avoir dû réclamer à plusieurs reprises l’attribution du gain présenté comme certain a été à l’origine d’un préjudice moral qu’il convient d’évaluer à la somme de 800 euros que la société Senior et Cie doit donc être condamnée à lui payer avec intérêts au taux légal à compter de ce jour.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société Senior et Cie qui succombe doit être condamnée à payer les dépens de première instance et de la présente procédure d’appel, ces derniers avec distraction au profit de Maître Jérémie Manchuel, avocat en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Il apparaît en outre équitable de lui faire supporter les frais irrépétibles engagés par Mme [P] à hauteur de la somme de 4 000 euros à laquelle elle estime elle-même le coût d’une telle procédure, ladite somme portant également intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant par arrêt contradictoire en dernier ressort,

Vu l’arrêt de la cour d’appel de Dijon du 1er septembre 2022 ;

Condamne la société Senior et Cie à payer à Mme [L] [P] les sommes de :

– 4 218 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision représentant le montant du gain annoncé,

– 800 euros de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

– 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Condamne la société Senior et Cie aux dépens de l’instance devant le tribunal judiciaire de Dijon et de la présente procédure d’appel devant la cour d’appel de Paris ces derniers avec distraction au profit de Maître Jérémie Manchuel, avocat en application de l’article 699 du code de procédure civile ;

Rejette toute demande plus ample ou contraire.

La greffière La présidente


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