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Les fautes de gestion du dirigeant et l’insuffisance d’actifs

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Les fautes de gestion du dirigeant et l’insuffisance d’actifs

conseil juridique IP World

Le dirigeant qui ne tient pas une comptabilité sincère ou qui ne déclare pas dans les délais une cessation des paiements s’expose à une condamnation pour fautes de gestion.

L’action en insuffisance d’actifs

L’article L.651-2 du code de commerce, tel que modifié par la loi 2016-1691 du 9 décembre 2016 (article 146), applicable aux procédures collectives en cours et aux instances en cours, dispose que, lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.

La pluralité de dirigeants

En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée.

La notion de faute de gestion

S’agissant d’une action en responsabilité civile délictuelle, à caractère indemnitaire, ayant pour objet la réparation du préjudice subi par la collectivité des créanciers, doivent être prouvés l’existence d’une faute de gestion, celle d’un préjudice consistant en une insuffisance d’actif et un lien de causalité entre eux.

Il n’existe pas de définition légale de la notion de faute de gestion, dont les contours ont été dessinés progressivement par la jurisprudence, laquelle, le plus souvent, se réfère au comportement d’un dirigeant normalement avisé, ou encore aux règles minimales de bonne gestion.

Sont retenus aussi bien des actes positifs que des abstentions, à l’exclusion de la faute de simple négligence, depuis la loi du 9 décembre 2016, laquelle est applicable aux procédures collectives en cours et aux instances en cours.

Le non-respect de l’obligation d’effectuer la déclaration de cessation des paiements est une faute de gestion.

En application de l’article L 631-4 du code de commerce, l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements, s’il n’a pas, dans ce délai, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation.

En application de l’article L 653-8, alinéa 3, et de l’article R 653-1, alinéa 2, du code de commerce, la date de cessation des paiements à retenir ne peut être différente de celle fixée par le jugement d’ouverture de la procédure collective, ou un jugement de report.

L’absence de tenue d’une comptabilité sincère est également une faute de gestion.

Les articles L 123-12 à L 123-28 et R 123-72 à R 123-209 du code de commerce imposent aux commerçants personnes physiques et personnes morales la tenue d’une comptabilité donnant un image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise, au moyen de la tenue d’un livre journal, d’un grand livre et d’un livre d’inventaire ; les mouvements doivent être enregistrés chronologiquement au jour le jour et non en fin d’exercice, seuls les comptes annuels étant établis à la clôture de l’exercice. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat, une annexe, qui forment un tout indissociable.

Conformément aux dispositions de l’alinéa 1 de l’article L 123-14 du code de commerce, les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise.

L’insuffisance d’actif qui conditionne la condamnation d’un dirigeant au titre de l’insuffisance d’actif est égale à la différence entre le montant du passif antérieur admis et le montant de l’actif réalisé.

Il n’est pas nécessaire, pour qu’il puisse être fait application des dispositions de l’article L 651-2 du code de commerce, que le passif soit entièrement chiffré, ni que l’actif ait été réalisé. Il suffit que l’insuffisance d’actif soit certaine.

L’article L 653-8 du code de commerce prévoit que dans les cas prévus aux articles L 653-3 à L 653-6, le tribunal peut prononcer à la place de la faillite personnelle, l’interdiction de diriger, gérer, administrer, contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

L’alinéa 3 de ce texte dispose qu’elle peut également être prononcée à l’encontre de toute personne mentionnée à l’article L 653-1 qui a omis sciemment de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements sans avoir, par ailleurs, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation.

L’article L 653-5 de ce code vise la possibilité de prononcer la sanction de faillite personnelle pour :

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D’APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 2



ARRÊT DU 21/09/2023





****





N° de MINUTE :

N° RG 23/00452 – N° Portalis DBVT-V-B7H-UW44



Jugement (N° 2022002431) rendu le 16 janvier 2023 par le tribunal de commerce de Valenciennes







APPELANT



Monsieur [T] [M]

né le [Date naissance 3] 1995 à [Localité 5]

de nationalité française

demeurant [Adresse 1]



représenté par Me Catherine Camus-Demailly, avocat constitué, substituée par Me Lucas Dallongeville, avocats au barreau de Douai

assisté de Me Christophe Bejin, avocat au barreau de Saint-Quentin, avocat plaidant





INTIMÉ



Maître [W] [H], mandataire judiciare, ès qualités de liquidateur de la SAS Kartex création conception, désigné par jugement du tribunal de commerce de Valenciennes du 1er juillet 2019

demeurant [Adresse 2]



représenté par Me Vincent Speder, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué





En présence du ministère public

représenté par M. Christophe Delattre, substitut général







DÉBATS à l’audience publique du 16 mai 2023, tenue par Nadia Cordier magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.



GREFFIER LORS DES DÉBATS :Marlène Tocco



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Samuel Vitse, président de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Agnès Fallenot, conseiller



ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 21 septembre 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige




OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : Cf réquisitions du 5 mai 2023



ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 16 mai 2023



****





Le 19 décembre 2016, Monsieur [T] [M], gérant et associé unique, a créé la SASU Kartex création conception, qui exerçait une activité de commercialisation et distribution de tous articles et produits, de toutes marchandises de toute nature en vue d’achat pour la revente.



Par jugement du 11 mars 2019, le tribunal de commerce de Valenciennes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la SASU Kartex création conception.

Par jugement en date du 1er juillet 2019, confirmé par arrêt de la cour d’appel de Douai en date du 13 février 2020, ce même tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de la société.



Me [W] [H] a été désigné en qualités successives de mandataire judiciaire, puis de liquidateur judiciaire. La date de cessation des paiements a été fixée au 1er février 2018.



Par acte extrajudiciaire en date du 9 mars 2022, Me [H], ès qualités, a fait assigner, par-devant le tribunal commerce de Valenciennes, Monsieur [T] [M] à l’effet de voir, au visa des articles L.651-2, L.651-3, L.653-l, L.653-4, L.653-5 et L.653-8 du code de commerce, prononcer à l’égard de ce dernier une mesure de faillite personnelle ou subsidiairement une mesure d’interdiction de gérer, ainsi qu’une contribution à l’insuffisance d’actif au titre de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif pour un montant de 502 742,62 euros.



Par jugement contradictoire et en premier ressort en date du 16 janvier 2023, le tribunal de commerce de Valenciennes a statué en ces termes :

« Ouï, Madame le procureur de la République en ses réquisitions ;

VU le rapport écrit de Monsieur le juge-commissaire en date du 18 mars 2022 ;

CONDAMNE Monsieur [T] [M], né le [Date naissance 3] 1995 à [Localité 5] (59), de nationalité française, dont la dernière adresse connue est sise [Adresse 4] à payer à Maître [W] [H], es-qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société KARTEX CREATION CONCEPTION, la somme de 300 000 euros,

PRONONCE l’interdiction de diriger, gérer, administrer et contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale et artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale à l’égard de Monsieur [T] [M], né le [Date naissance 3] 1995 à [Localité 5] (59), de nationalité française, dont la dernière adresse connue est [Adresse 4] pour une durée de DIX ANS ;

ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement ;

DIT que la présente décision fera l’objet des publicités prévues par la loi et notamment l’inscription de la condamnation au fichier national des interdits de gérer ;

DIT que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure ».





Par déclaration en date du 27 janvier 2023, M.[T] [M] a interjeté appel de la décision, reprenant l’ensemble des chefs le concernant dans son acte d’appel.

Moyens






MOYENS ET PRÉTENTIONS :



Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 01 mars 2023, M. [T] [M] demande à la cour de :

« Déclarer recevable et fondé l’appel interjeté par [T] [M] à l’encontre du jugement de condamnation, exécutoire par provision, rendu par le Tribunal de Commerce de VALENCIENNES en date du 16.01.2023 sous le n° de rôle 22/002431 ;

Infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a énoncé :

– condamne Monsieur [T] [M], né le [Date naissance 3]1995 à [Localité 5], de nationalité française, dont la dernière adresse connue est sise [Adresse 4] à [Localité 5], à payer à Me [W] [H] es qualité de Liquidateur à la liquidation judiciaire de la Société KARTEX CREATION CONCEPTION la somme de 300 000 euros

– prononce l’interdiction de diriger, gérer, administrer et contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale et artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale à l’égard de Monsieur [T] [M], né le [Date naissance 3]1995 à [Localité 5], de nationalité française, dont la dernière adresse connue est [Adresse 4] à [Localité 5], pour une durée de 10 ans

– dit que la présente décision sera l’objet des publicités prévues par la Loi et notamment l’inscription de la condamnation au fichier national des interdits de gérer ;

Statuant de nouveau,

1° ) Vu les dispositions de l’article L 651-2 du Code de Commerce,

Débouter Me [H] es qualité de ses demandes de condamnation pécuniaire sur le fondement des dispositions de l’article L 651-2 du Code de Commerce, dès lors qu’il n’a été mis en ‘uvre aucune enquête portant sur la solvabilité du dirigeant dans les prévisions de l’article L 651-4 du Code de Commerce, et ce avec toutes suites et conséquences de droit ;

Juger qu’en définitive le passif à prendre en compte pour la détermination de l’insuffisance d’actif s’élève à la somme de 8 679,79 euros ;

Débouter Me [H] es qualité de ses demandes de condamnation pécuniaire sur le fondement des dispositions de l’article L 651-2 du Code de Commerce, dès lors qu’il ne justifie pas, preuve qui lui incombe, d’une insuffisance d’actif de la Société KARTEX CREATION CONCEPTION telle qu’il y aurait matière à condamner son gérant, Monsieur [T] [M], à la contribution à l’insuffisance d’actif en application des dispositions de l’article L 651-2 du Code de Commerce ;

Débouter Me [H] es qualité de ses demandes de condamnation pécuniaire sur le fondement des dispositions de l’article L 651-2 du Code de Commerce, dès lors que le retard dans la déclaration de cessation des paiements reproché à [T] [M] est le fruit d’une simple négligence du dirigeant au sens de l’article L 651-2 du Code de Commerce ;

Débouter Me [H] es qualité de ses demandes de condamnation pécuniaire sur le fondement des dispositions de l’article L 651-2 du Code de Commerce, dès lors que les fautes de gestion exposées par Me [H] es qualité n’ont pas en elles-mêmes contribué à l’insuffisance d’actif ;

EN CONSEQUENCE

Débouter par voie de conséquence Me [H] es qualité de ses entières demandes sur le fondement des dispositions de l’article L 651-2 du Code de Commerce, et ce avec toutes suites et conséquences de droit ;

2° ) Vu les dispositions des articles L 653-1 et ss du Code de Commerce,

Juger que le Tribunal de Commerce de VALENCIENNES a été irrégulièrement saisi, et ce avec toutes suites et conséquences de droit, dès lors qu’aucune demande ou prétention au sens de l’article 4 du CPC n’a été formulée à l’aune des dispositions des articles L 653-1 et ss du Code de Commerce à l’égard de [T] [M] ;

Juger en tout état de cause que les faits reprochés à [T] [M] ne sont pas dûment établis ;

Déclarer par voie de conséquence irrecevable et en tous les cas non fondé ce qui a trait aux articles L 653-1 et ss du Code de Commerce, et ce avec toutes suites et conséquences de droit ;

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour décidait de prononcer une interdiction de gérer à l’encontre de Monsieur [T] [M],

Limiter cette interdiction de gérer afin que Monsieur [T] [M] puisse continuer d’exercer son mandat social au sein de la Société KARAUTOS ;

3° ) Juger que les dépens de la présente instance seront supportés en frais privilégiés de liquidation judiciaire, dont distraction est requise au profit de PROCESSUEL, Avocat aux offres de droit ».



Il revient sur les conséquences à tirer de l’absence d’enquête patrimoniale, pointant l’absence de diligence particulière de la part de Me [H], ès qualités, pour déterminer son état de fortune. La cour n’est dès lors pas à même de statuer sur l’éventualité d’une sanction, au regard de la proportionnalité, le liquidateur ne pouvant qu’être débouté de ses entières demandes.

Il indique donner donc tous les éléments portant sur sa solvabilité et son état de fortune, démontrant que son passif est sensiblement supérieur aux quelques éléments d’actif dont il peut être propriétaire communément avec son épouse. De ce fait, il ne saurait y avoir matière à condamnation.



Il conteste le montant de l’insuffisance d’actif, aux motifs que :

– le liquidateur doit apporter la preuve de l’envoi d’une convocation au débiteur pour que celui-ci puisse participer à la vérification des créances, soulignant que cette convocation n’a jamais été réceptionnée par ses soins, cette convocation ayant été notifiée à une adresse erronée et le courrier restitué à son expéditeur avec la mention : « destinataire inconnu à l’adresse ;

– l’adresse est certes celle de l’extrait K-bis établi au nom de la société Kartex création conception et certifié à la date du 12 mars 2019, c’est-à-dire approximativement un an avant l’envoi de la convocation du 27 février 2020, mais n’est pas celle où il résidait ;

– la vérification du passif doit donc toujours être considérée comme en cours, puisque le dirigeant n’a jamais été convié à procéder à son examen, ce qui impose le rejet en l’état des prétentions du demandeur.



M. [M] formule quelques observations concernant le passif déclaré entre les mains de Me [H],notamment sur les créances Hugo Boss France et Hugo Boss trade mark management, la créance des finances publiques, et en déduit que l’insuffisance d’actif maximale pourrait être fixée à 8 679.79 euros, somme dont il doit enfin être déduit les disponibilités de la liquidation judiciaire, dont le montant précis et actuel n’est pas connu, le liquidateur devant apporter toutes précisions sur ce point.



M. [M] conteste les fautes retenues, soulignant que :

– pour la faute de déclaration tardive, si le tribunal s’est jugé insuffisamment informé pour organiser une enquête, il ne pouvait qu’en être ainsi également pour lui-même en sa qualité de profane, et le retard ne pouvait être qu’une simple négligence, sinon le tribunal de commerce n’aurait pas ordonné une enquête ;

– il n’est donné aucune précision quant à l’accroissement de l’insuffisance d’actif entre la date du 15 mars 2018, à laquelle il aurait dû être procédé à une déclaration de cessation des paiements, et celle du 11 mars 2019, date de reddition du jugement d’ouverture, certaines dettes nées postérieurement ayant pu en outre être apurées avant l’ouverture de la procédure collective ;

– pour la comptabilité irrégulière, rien ne prouve que les « anomalies » mises en exergue par le service fiscal aux termes de la proposition de rectifications 3924 du 10.03.2020 (doc. n° 8) aient été fondées, étant précisé que la société Kartex création conception, agissant en vertu de ses droits propres, n’a pas été à même de les contester valablement, à tout le moins dans le cadre de la procédure de redressement contradictoire, et étant par ailleurs rappelé que les rehaussements ont fait l’objet de la part du contribuable vérifié d’une « acceptation tacite » du fait de l’absence de notification dans les délais des « observations du contribuable » qui avaient été transmises au liquidateur judiciaire, d’autant que ces « anomalies » ne sauraient avoir par définition et en elles-mêmes contribué à l’insuffisance d’actif ;

– rien ne démontre que l’absence de comptabilité sincère ait été la cause d’un retard dans la déclaration de cessation des paiements.



Concernant la sanction professionnelle, il met en exergue qu’aucune prétention n’est émise par le liquidateur, qui s’en remet à l’appréciation du tribunal et invite ce dernier à déterminer le quantum, ce qui ne peut constituer une demande.

Il estime le tribunal irrégulièrement saisi. La demande aurait donc dû être effectuée sur le fondement des dispositions des articles L 653-1 et suivants du code de commerce avant le 11 mars 2022 dernier délai. Le délai de prescription n’a pas fait l’objet de la moindre suspension.

L’action devrait dès lors être déclarée tardive, et ce avec toutes suites et conséquences de droit.



Il n’est pas justifié de l’absence de collaboration invoquée avec les organes. Il n’est nullement apporté la preuve de la « mauvaise foi » du débiteur.











Il demande enfin, si la cour entendait prononcer à son encontre une sanction de nature extra patrimoniale, que l’interdiction de gérer ne concerne pas le mandat social qu’il exerce dans la société Karautos. Lui interdire d’exercer ce mandat social compromet de manière radicale et inéluctable la pérennité de la famille, cette mesure étant totalement inappropriée.





Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 28 mars 2023, Me [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SASU Kartex création conception, demande à la cour de :

« Vu les articles L.651-2, L.651-3 et L.653-1, L.653-4, L.653-5, L.653-8 du Code de commerce.

Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de VALENCIENNES en date du 27 janvier 2023 en toutes ses dispositions.

Débouter Monsieur [M] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Condamner Monsieur [T] [M] à verser à Maître [W] [H], es qualité de liquidateur de la société KARTEX CREATION CONCEPTION la somme de 5000 euros en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

Le condamner aux entiers dépens ».



Au titre de la contribution à l’insuffisance d’actif, Me [H] fait valoir que cette dernière est dûment établie et ne peut être sérieusement contestée dans la mesure où le passif vérifié dans la procédure collective de la société Kartex création conception est conséquent et l’actif limité, même après déduction des créances déclarées par les sociétés Hugo Boss compte tenu du contentieux en cours, de la créance provisionnelle de la DGFIP, celle-ci n’étant pas définitivement arrêtée, et des créances du CGEA, qui sont en réalité traitées comme des créances postérieures.

S’agissant des créances Boss, il indique n’avoir aucune liquidité et avoir bien fait constater au juge-commissaire l’existence d’une instance en cours. Il appartenait à M. [M] de financer la défense s’il le souhaitait.

Le liquidateur rappelle que le passif n’a pas été contesté et a été définitivement admis pour 541 877,82 euros. M. [M] a été dûment convoqué par lettre recommandée en date du 27 février 2020 pour la vérification, à l’adresse connue, faute d’accomplissement des formalités utiles en cas de changement d’adresse.

Il conteste l’intérêt du débat sur la créance fiscale soulignant que ladite créance a été admise au passif sans contestation, précisant que le conseil du débiteur aurait parfaitement pu procéder directement, dès lors qu’il lui avait indiqué ne pas disposer des liquidités permettant une intervention.



Le liquidateur revient sur les différentes fautes :

– l’absence de déclaration de l’état de cessation des paiements, M. [M] n’ayant jamais procédé à une telle déclaration, l’ouverture résultant d’une requête du ministère public, et cette faute ne pouvant être liée à une simple négligence, dès lors que M. [M] ne tenait pas de comptabilité ou une comptabilité totalement erronée pour éluder notamment une partie de la TVA à reverser, comme l’ont constaté les services fiscaux, ce qui cachait la situation réelle de l’entreprise et a retardé la date d’ouverture de la procédure collective ;

– l’absence de tenue d’une comptabilité sincère, le dernier bilan clos, du 31 décembre 2017, ayant été rejeté par les services fiscaux car les chiffres qui y figuraient étaient manifestement faux, ce qui a permis de masquer la situation réelle de la société, de retarder le dépôt de bilan de la société Kartex création conception, en éludant le paiement de ses dettes fiscales,



Le liquidateur soutient qu’il suffit que les fautes de gestion aient contribué à l’insuffisance d’actif, sans qu’elles soient en lien de causalité directe, pour que la cour puisse entrer en voie de condamnation. Le montant mis à la charge du dirigeant est laissé à l’appréciation de la cour, qui n’a pas à établir un lien de causalité entre le montant du passif retenu et la faute de gestion constatée.



Les fautes reprochées au titre de la faillite personnelle sont établies. Il est également acquis que M. [M] s’est abstenu volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, ce dernier n’ayant indiqué au mandataire judiciaire aucune dette et n’ayant fourni aucun nom de créancier. Il a poursuivi une exploitation très déficitaire à des fins personnelles.

Il s’oppose à l’argumentaire de M. [M] soulevant qu’il n’existe aucune prétention élevée dans le délai de prescription, le dispositif de l’assignation ne laissant pourtant aucun doute sur le fait qu’il sollicite une condamnation pécuniaire au titre de la responsabilité pour insuffisance d’actif, outre une condamnation personnelle à une faillite personnelle ou à défaut à une interdiction de gérer, puisque ces deux condamnations ne peuvent se cumuler, le choix entre elles étant laissé par le texte à l’appréciation du tribunal.



Sur l’absence de toute enquête sur la situation patrimoniale, il précise que cette mesure est une simple faculté. M [M] peut parfaitement produire des éléments sur son état de fortune, ce qu’il ne manque pas de faire. Il souligne qu’au vu des éléments donnés par le débiteur, on apprend qu’il a acquis un immeuble peu de temps après la délivrance de l’assignation. Il ne peut être fait le reproche de ne pas avoir eu communication du rapport du juge commis, dès lors qu’il n’en a pas été commis.





Par avis en date du 5 mai 2023, communiqué par les soins du greffe, le ministère public requiert :

-la confirmation du jugement du 16 janvier 2023 en ce qu’il a condamné l’appelant à contribuer à l’insuffisance d’actif tout en limitant cependant le quantum à 100 000 euros.

– l’infirmation partielle du jugement du 16 janvier 2023 en ce qu’il a prononcé une interdiction de gérer de 10 ans tout en reprenant une absence de coopération ainsi qu’une poursuite d’activité déficitaire dans un intérêt personnel, confirmer pour le surplus tout en fixant la durée à 8 ans.



Au titre de la sanction personnelle, il estime les fautes de déclaration de cessation des paiements tardive et d’absence de tenue d’une comptabilité ou de tenue d’une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière caractérisées

Il rappelle que les services fiscaux ont rejeté la comptabilité jugée non probante, ce qui est corroboré par l’affirmation de l’expert-comptable qui a fait état de difficultés pour obtenir des pièces probantes. La carence dans la tenue de la comptabilité ne peut relever d’une simple négligence mais bien d’une volonté de rester dans le flou et de ne pas avoir d’outil de pilotage sérieux, ce qui aggrave la situation en termes d’insuffisance d’actif.

Il revient sur l’absence d’enquête patrimoniale et se dit favorable à une condamnation pécuniaire limitée cependant à la somme de 100 000 euros.



Sur les 4 fautes reprochées pour la sanction professionnelle, il indique que la faute de non-collaboration avec les organes et celle de poursuite de l’activité déficitaire dans un intérêt personnel ne sont pas caractérisées.





***



Le dossier a été communiqué au ministère public le 6 mars 2023.



L’ordonnance de clôture, initialement prévue le 9 mai 2023, a été reportée au 16 mai 2023 pour permettre aux parties de disposer d’un temps suffisant pour prendre connaissance de l’avis du ministère public transmis le 5 mai, veille d’un week-end férié, et d’y répondre le cas échéant.



Aucune des parties n’a pris de conclusions à la suite de la communication de l’avis du ministère public ni sollicité la possibilité de produire une note en délibéré pour y répondre.



À l’audience du 16 mai 2023, le dossier a été mis en délibéré au 21 septembre 2023.

Motivation






MOTIVATION :



– Sur la sanction pécuniaire



L’article L.651-2 du code de commerce, tel que modifié par la loi 2016-1691 du 9 décembre 2016 (article 146), applicable aux procédures collectives en cours et aux instances en cours, dispose que, lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée.



S’agissant d’une action en responsabilité civile délictuelle, à caractère indemnitaire, ayant pour objet la réparation du préjudice subi par la collectivité des créanciers, doivent être prouvés l’existence d’une faute de gestion, celle d’un préjudice consistant en une insuffisance d’actif et un lien de causalité entre eux.



Il n’existe pas de définition légale de la notion de faute de gestion, dont les contours ont été dessinés progressivement par la jurisprudence, laquelle, le plus souvent, se réfère au comportement d’un dirigeant normalement avisé, ou encore aux règles minimales de bonne gestion.

Sont retenus aussi bien des actes positifs que des abstentions, à l’exclusion de la faute de simple négligence, depuis la loi du 9 décembre 2016, laquelle est applicable aux procédures collectives en cours et aux instances en cours.



– sur l’absence de rapport sur le fondement de l’article L 651-4 du code de commerce



Dès lors que l’article L 651-4 du code de commerce n’impose pas la mise en ‘uvre de cette enquête à peine d’irrecevabilité ou de nullité de la procédure mais édicte une simple faculté, l’absence d’enquête de solvabilité ne peut constituer un obstacle à toute condamnation à contribuer à l’insuffisance d’actif, comme le prétend M. [M], d’autant que la juridiction est en mesure de disposer de suffisamment d’éléments sur la situation personnelle et financière par d’autre biais, notamment par les informations données par l’intéressé lui-même, comme en l’espèce, et non critiquées par l’organe de la procédure collective.

Ce moyen est donc inopérant.



– sur l’existence de l’insuffisance d’actif



L’insuffisance d’actif qui conditionne la condamnation d’un dirigeant au titre de l’insuffisance d’actif est égale à la différence entre le montant du passif antérieur admis et le montant de l’actif réalisé.

Il n’est pas nécessaire, pour qu’il puisse être fait application des dispositions de l’article L 651-2 du code de commerce, que le passif soit entièrement chiffré, ni que l’actif ait été réalisé. Il suffit que l’insuffisance d’actif soit certaine.



Comme l’ont justement souligné les premiers juges, M. [M] a bien été invité par le liquidateur à participer à la procédure de vérification, par une convocation notifiée à l’adresse personnelle indiquée sur le K-bis, qui était donc la dernière adresse connue, M. [M] ne soutenant et ne démontrant encore moins qu’il ait régulièrement informé le liquidateur d’un changement de domicile.



Les critiques de M. [M] quant à une vérification du passif de ce fait toujours en cours entraînant une indétermination de l’insuffisance d’actif sont dès lors dénuées de tout sérieux, et visent essentiellement à contester des créances ou à mettre en cause la responsabilité du liquidateur, notamment pour ne pas avoir constitué avocat dans le cadre de litiges opposant la société à ces créanciers, ce qui n’est pas l’objet du présent litige.



L’état vérifié et constitué des créances de la procédure de liquidation judiciaire de la société Kartex création conception, arrêté par ordonnance du 6 mai 2022 par le juge-commissaire de la façon suivante :

– admissions super privilégiées : 9 672 euros,

– admissions privilégiées : 532 178, 67 euros

– admissions provisionnelles : 190 000 euros

-admissions chirographaires : 27,15 euros

– créances contestées : 135 000 euros

– créances rejetées : 0,

est opposable à M. [M] et définitif, ce qui rend sans objet les longs développements consacrés à la contestation des créances qu’ils renferment.





Les remarques de M. [M] sur la créance provisionnelle du Trésor public de 190 000 euros et la créance du CGEA de 10 646,03 euros sont non avenues, dès lors qu’il est manifeste que le liquidateur judiciaire comme le tribunal ont à très juste titre retranché ces dernières de l’insuffisance d’actif reprochée à M. [M].



La déduction des créances Hugo Boss et Hugo Boss Trade Mark contestées pour un montant de 135 000 euros ne valait qu’à raison de l’existence d’une contestation au jour de l’engagement des poursuites, et n’a plus lieu d’être dès lors que ces créances ont fait l’objet d’une fixation par arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 28 septembre 2022, dont il n’est pas contesté qu’il est définitif, à la somme de 50 000 euros en principal, outre les frais irrépétibles.



Contrairement à ce qu’affirme M. [M], l’actif recouvré par le liquidateur est justifié par les pièces produites (état descriptif et estimatif des actifs dépendants de la procédure, copie écran de la liste des encours au 3 mars 2022 et compte individuel en date du 4 octobre 2022) et s’élève à 17 843,14 euros.

Il n’est pas fait état d’actif recouvré ou vendu supplémentaire.



Au vu de l’ensemble de ces éléments, les premiers juges ont à juste titre retenu que l’ insuffisance d’actif était certaine à hauteur de 563 388,38 euros.



– sur les fautes de gestion



a) le non-respect de l’obligation d’effectuer la déclaration de cessation des paiements



En application de l’article L 631-4 du code de commerce, l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements, s’il n’a pas, dans ce délai, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation.



En application de l’article L 653-8, alinéa 3, et de l’article R 653-1, alinéa 2, du code de commerce, la date de cessation des paiements à retenir ne peut être différente de celle fixée par le jugement d’ouverture de la procédure collective, ou un jugement de report.



En l’espèce, il n’est fait état d’aucune contestation du jugement en date du 11 mars 2019 ayant prononcé le redressement judiciaire et ayant arrêté la date de cessation des paiements au 1er février 2018, soit un report d’un peu plus de 12 mois, et dès lors plus de 45 jours au préalable, sans qu’ait été sollicitée auparavant une procédure de conciliation.



La procédure collective n’a été ouverte que sur requête du ministère public, alerté par les défaillances de l’entreprise, notamment au visa d’une ordonnance d’injonction de payer du 6 avril 2018 au titre d’une somme de 1 483 euros due à un client et de 12 chèques rejetés le 29 novembre 2018 pour défaut de provision pour un montant total de 15 949,80 euros, ce qui marque un défaut de trésorerie manifeste que ne pouvait ignorer le dirigeant de l’entreprise.



M. [M] ne peut se retrancher derrière l’enquête ordonnée par jugement du 14 avril 2019 pour prétendre ne pas avoir eu connaissance de l’état de cessation des paiements, ladite enquête n’ayant été rendue indispensable que faute de comptabilité probante produite à la juridiction et de connaissance précise par cette dernière de la situation active de la société, laquelle était nécessairement connue de M. [M] en sa qualité de dirigeant.



Au vu de ces éléments, il ne peut être contesté le caractère conscient et volontaire de cette omission de déclaration par M. [M], qui disposait d’une expérience entrepreneuriale, ne pouvant ignorer le caractère flagrant des difficultés révélées notamment par les multiples rejets de chèques.



Faute d’avoir pris les mesures qui s’imposaient pour enrayer la situation et à tout le moins déclarer l’état de cessation des paiements, M. [M] a ainsi fait montre d’une inertie totale, qui ne constitue pas une simple négligence, mais une attitude volontaire et consciente de ne pas faire face à la gestion et aux obligations qu’elle implique.

Cette faute est constituée.



b) l’absence de tenue d’une comptabilité sincère



Les articles L 123-12 à L 123-28 et R 123-72 à R 123-209 du code de commerce imposent aux commerçants personnes physiques et personnes morales la tenue d’une comptabilité donnant un image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise, au moyen de la tenue d’un livre journal, d’un grand livre et d’un livre d’inventaire ; les mouvements doivent être enregistrés chronologiquement au jour le jour et non en fin d’exercice, seuls les comptes annuels étant établis à la clôture de l’exercice. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat, une annexe, qui forment un tout indissociable.



Conformément aux dispositions de l’alinéa 1 de l’article L 123-14 du code de commerce, les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise.



En sa qualité de gérant, M. [M] avait l’obligation de se soumettre à ces dispositions.



Le dernier bilan établi concerne l’exercice clos le 31 décembre 2017, que l’expert-comptable de l’entreprise avait refusé de valider, comme en atteste son compte rendu de travaux en annexe de la proposition de rectification des services fiscaux. Ceux-ci ont déclaré ce bilan non probant et insincère, après avoir constaté des manquements aux règles comptables et fiscales, notamment des irrégularités affectant la comptabilisation des achats et des ventes, l’absence de justificatif concernant la valorisation des stocks, l’apparition d’une caisse créditrice sur l’ensemble de l’exercice, et des écritures d’opération diverses sans aucun justificatif.



Ces manquements ont conduit l’administration à rectifier les déclarations souscrites et à reconstituer l’exercice 2017 mais également l’exercice 2018, à partir des documents recueillis auprès de la banque BNP Paribas, des services des douanes, ou encore des éléments obtenus dans le cadre de la procédure ouverte au tribunal judiciaire d’Avesnes-sur-Helpe.



Le résultat de l’exercice clos 2017, ainsi déclaré pour 1464 euros, a été estimé à 239 253 euros, soit une discordance de 237 789 euros, l’administration mentionnant un chiffre d’affaires non déclaré de 612 88 euros, soit une minoration de 80,86 % tandis que pour l’année 2018, elle établissait le montant non déclaré de chiffre d’affaires à 723 913 euros, soit 91,20 % de minoration.



L’importance et le caractère répété des manquements constatés, confirmés par l’ampleur de la discordance entre l’exercice clos déclaré et l’exercice reconstitué pour l’année 2017, ainsi que les alertes lancées par l’expert-comptable de l’entreprise établissent que la faute de tenue d’une comptabilité insincère, ainsi constituée, ne relève pas de la simple négligence, mais d’une gestion volontairement opaque et irrégulière, qui a permis de fausser les résultats de l’entreprise et d’éluder le paiement des taxes, ce que ne conteste pas réellement M. [M], lequel se contente de souligner l’absence de démonstration d’une contribution de cette faute à l’insuffisance d’actif reprochée.



– sur le lien de causalité



Il convient de rappeler que le préjudice doit être en lien avec les fautes reprochées qui ont donc contribué à sa réalisation. Il est suffisant, toutefois, que la faute soit l’une des causes de l’insuffisance d’actif, sans qu’il soit nécessaire qu’elle ait contribué à la totalité de l’insuffisance d’actif.

Retenant une conception assez lâche du lien de causalité, la jurisprudence admet en effet la condamnation du dirigeant à supporter la totalité de l’insuffisance d’actif, même si sa ou ses fautes ne sont à l’origine que d’une partie de celle-ci.



En dépit des réfutations de M. [M], ces faits, ensemble comme isolément, ont tous contribué à l’insuffisance d’actif en ce que :

– l’ouverture de la procédure collective n’est intervenue qu’à la requête du ministère public, par jugement du 11 mars 2019, fixant une date de cessation des paiements bien antérieure au prononcé, soit le 1er février 2018 ;

– suite à l’omission d’effectuer rapidement une déclaration de cessation des paiements, des créances sont nées entre le 15 mars 2018 et le 11 mars 2019, et non honorées au vu des déclarations de créances et propositions de rectification des services fiscaux, telles la créance Argic Arrco pour le 2ème trimestre 2018 et suivants (2 755,12 euros) et 1er trimestre 2019 (8 030,78 euros), la créance Urssaf pour janvier et février 2019 (2 604 euros), mais également les impositions pour l’activité menée en 2018, soit suivant la proposition de rectification des services fiscaux la somme de 182 800 euros au titre des droits TVA éludés pour l’exercice 2018, outre les intérêts de retard, majorations sur les sommes dues des chefs du contrôle TVA et imposition des sociétés pour l’exercice 2017 et 2018, ainsi que les amendes pour un montant total de 150 782 euros (52 496 + 63 031+31 950+3 305), outre la créance de la société Hugo Boss Trade mark Management et de la société Hugo Boss France, à hauteur de 50 000 euros au total, pour réparer la masse contrefaisante constituée de 47 648 paires de chaussettes suivant saisie-contrefaçon opérée le 11 mars 2019 et le préjudice commercial né des agissements de concurrence déloyale ;

– si les impositions étaient certes liées à l’activité même de la société et ne sauraient être liées aux fautes mêmes, la gestion insincère et l’absence de comptabilité ont directement engendré des conséquences financières, supportées par la collectivité des créanciers, à hauteur du montant précité de 150 782 euros ;

– cette comptabilité opaque et irrégulière a privé la société d’un résultat nettement supérieur à celui déclaré, puisque, après reconstitution, le résultat de l’exercice clos 2017, déclaré pour 1464 euros, a été estimé à 239 253 euros, soit une discordance de 237 789 euros, l’administration mentionnant un chiffre d’affaires non déclaré de 612 88 euros, soit une minoration de 80,86 %, tandis que pour l’année 2018, elle établissait le montant non déclaré de chiffre d’affaires à 723 913 euros, soit 91,20 % de minoration.



Les créances nées postérieurement au 15 mars 2018 ci-dessus énoncées, les créances résultant des activités opaques ou illicites de la société réalisées entre le 1er mars 2018 et le 11 mars 2019, et enfin la non-comptabilisation des résultats de la société, ont privé cette dernière, et ainsi la masse des créanciers, d’une manne financière conséquente, et sont le résultat d’une gestion volontairement opaque et irrégulière menée par M. [M] en contravention avec les règles élémentaires de comptabilité, de fiscalité et d’honnêteté économique justifiant qu’il soit prononcé une contribution à l’insuffisance d’actif, qui au vu des montants précités, a justement été évalué à un montant de 300 000 euros par les premiers juges, montant qui est proportionné au regard de chacune des fautes établies à l’encontre de M. [M], sans qu’il puisse utilement se retrancher derrière la situation patrimoniale actuelle évoquée, dont rien ne permet de retenir qu’elle reflète la réalité, compte tenu des errements comptables dont il a pu faire preuve.



La décision des premiers juges est donc confirmée de ce chef.



– Sur la sanction personnelle :



L’article L 653-8 du code de commerce prévoit que dans les cas prévus aux articles L 653-3 à L 653-6, le tribunal peut prononcer à la place de la faillite personnelle, l’interdiction de diriger, gérer, administrer, contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

L’alinéa 3 de ce texte dispose qu’elle peut également être prononcée à l’encontre de toute personne mentionnée à l’article L 653-1 qui a omis sciemment de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements sans avoir, par ailleurs, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation.



L’article L 653-5 de ce code vise la possibilité de prononcer la sanction de faillite personnelle pour :

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.



Le tribunal, pour prononcer une interdiction de gérer de 10 ans, a estimé constituées outre cette faute, celles de l’article L 653-8, à savoir d’avoir omis sciemment de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements et d’avoir, de mauvaise foi, manqué à l’obligation de remettre au mandataire judiciaire, à l’administrateur ou au liquidateur les renseignements qu’il est tenu de lui communiquer en application de l’article L 622-6 dans le mois suivant le jugement d’ouverture et sciemment manqué à l’obligation d’information prévue par le second alinéa de l’article L 622-22.



– sur la régularité de la saisine et l’étendue de cette saisine



L’appelant oppose à l’action en sanction personnelle diligentée par le liquidateur judiciaire une fin de non-recevoir tirée de la prescription, estimant que l’assignation délivrée le 9 mars 2022 ne pouvait avoir valablement mis en mouvement l’action en sanction, faute de contenir une prétention en ce sens.



Or contrairement à ce qu’affirme M. [M], l’assignation, délivrée dans le délai de 3 ans commençant à courir le 11 mars 2019 pour avoir été régularisée le 9 mars 2022, comporte bien, outre la demande de condamnation à une contribution à l’insuffisance d’actif, une demande visant à voir prononcer une mesure de sanction personnelle, à savoir une mesure de faillite personnelle ou une mesure d’interdiction de gérer, ce qui constitue bien une prétention, sans qu’il soit nécessaire d’exiger du liquidateur sollicitant la mesure qu’il en fixe la durée dès l’assignation et sans que la proposition alternative de l’une ou l’autre mesure ne constitue une demande indéterminée et indéterminable, le pouvoir d’arbitrer la sanction personnelle adaptée à la situation et sa durée relevant de la juridiction.



La fin de non-recevoir tirée de la prescription faute d’une prétention en la matière dans le délai imparti ne peut qu’être rejetée, étant précisé qu’il sera statué en ajoutant à la décision entreprise, laquelle a omis de statuer sur ce point dans son dispositif, alors même qu’elle avait justement dans sa motivation écarté l’argumentation de M. [M] de ce chef.



Il sera en outre de manière superfétatoire observé que dans le cadre des écritures soutenues oralement devant le tribunal de commerce, le liquidateur avait précisé sa demande, sollicitant à titre principal une mesure de faillite personnelle et à titre subsidiaire une mesure d’interdiction de gérer de 10 ans, ce qui permettait parfaitement à M. [M] de prendre la mesure des faits reprochés et des sanctions sollicitées.



Si le corps des écritures en cause d’appel du liquidateur reprend, sans expressément d’ailleurs l’énoncer, une présentation avec un paragraphe relatif à la mesure de faillite (II) et un paragraphe relatif à la mesure d’interdiction de gérer (III), avec des fautes décrites dans chacun des paragraphes distinctes, laissant penser à une hiérarchie des demandes, le dispositif des écritures, seul élément saisissant la cour, ne vise qu’à « confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Valenciennes en date du 27 janvier 2023 en toutes ses dispositions ».



Ainsi, la cour, qui ne peut aggraver le sort de l’appelant sur son seul appel, n’est pas saisie par les éléments développés au titre de la faillite personnelle, le tribunal de commerce n’ayant prononcé qu’une mesure d’interdiction de gérer, dont il est uniquement demandé la confirmation par le liquidateur, étant observé que développant des moyens identiques à ceux présentés en première instance, ses écritures d’appel sur ce point étant un copié-collé parfait de celles développées devant le tribunal, il est réputé s’approprier les motifs du jugement de ce chef, conformément au dernier alinéa de l’article 954 du code de procédure civile, et que le parquet, en sa qualité de partie jointe, ne peut développer qu’une argumentation au soutien de celle énoncée par la partie principale.



L’allusion, dans ce paragraphe sur l’interdiction de gérer, aux « nombreuses fautes de gestion de M. [T] [M] prévues à l’article L 653-4 » est insuffisante pour constituer une allégation tant des moyens de droit que de fait au soutien de la prétention, faute d’énonciation précise de fait et de caractérisation d’élément de preuve à l’appui de cette assertion, ce qui ne peut valablement saisir la cour.



Dès lors, au regard des éléments développés par le liquidateur dans le cadre de son paragraphe sur la mesure d’interdiction de gérer et des motifs retenus par les premiers juges pour prononcer ladite mesure, la cour est uniquement saisie des fautes de défaut de comptabilité, de défaut de déclaration de l’état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours et de défaut de transmission des informations.

Il n’y a donc pas lieu de répondre aux développements de M. [M] concernant d’autres fautes que celles précitées.



– sur les fautes reprochées



a) l’omission de déclaration de l’état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours :



La date de cessation des paiements a été fixée au 1er février 2018, soit un report d’un peu plus de 12 mois, et dès lors plus de 45 jours au préalable, sans qu’ait été sollicitée auparavant une procédure de conciliation, la procédure collective n’ayant été ouverte que sur requête du ministère public, alerté par les défaillances de l’entreprise, ce que M. [M] en sa qualité de gérant ne pouvait ignorer, le rejet de plus de 12 chèques le 29 novembre 2018 pour défaut de provision d’un montant total de plus de 15 000 euros mettant en lumière un défaut de trésorerie et d’actif disponible manifeste.



Cette inertie totale, face à des signes d’alerte incontestables de difficultés financières sérieuses, ne constitue pas une simple négligence, mais une attitude volontaire et consciente de ne pas faire face à la gestion et aux obligations qu’elle implique.



À juste titre, les premiers juges ont retenu cette faute.



b) le défaut de comptabilité sincère



Comme précédemment évoqué dans le cadre du paragraphe relatif à cette faute au titre de la mesure pécuniaire, M. [M] s’est affranchi du respect des règles comptables élémentaires, conduisant son expert-comptable à refuser la validation des comptes pour l’exercice clos le 31 décembre 2017 et l’administration fiscale à considérer la comptabilité présentée comme non probante, irrégulière et insincère. Aucune comptabilité pour l’exercice 2018 n’a été réalisée.



La production par M. [M] d’une comptabilité insincère pour l’année 2017, l’alerte donnée par son expert-comptable puis le non-paiement volontaire des honoraires de l’expert-comptable conduisant ce dernier à ne pas exercer sa mission, puis la multiplicité des manquements constatés dans l’établissement même du document comptable présenté et l’absence d’établissement d’une comptabilité pour l’exercice 2018 démontrent que M. [M] n’ignorait rien de l’obligation qui pesait sur lui en sa qualité de gérant d’avoir à produire des documents comptables et ne pouvait méconnaître le caractère insincère de la comptabilité produite, au vue de la multiplicité des manquements visant à éluder le paiement des taxes, ce qui constitue non une simple négligence, mais une gestion à tout le moins peu scrupuleuse.

Cette faute est constituée.



c) sur l’absence de renseignements



Tant le liquidateur judiciaire que le tribunal sur ce point procèdent par affirmations, sans caractériser par des faits précis et objectivables la moindre mauvaise foi de M. [M], condition expressément exigée par l’alinéa 2 de l’article L 653-8 du code de commerce.

Cette faute n’est donc pas établie.



– sur la sanction



Tant prises isolément que réunies, chacune des deux fautes retenues et ainsi caractérisées à l’encontre de M. [M] justifie que soit prononcée à son encontre une sanction personnelle, qui ne peut être, en l’espèce, qu’une mesure d’interdiction de gérer.



M. [T] [M] sollicite que cette mesure ne concerne pas le mandat social qu’il détient dans la société Karautos, soulignant qu’une mesure générale compromettrait la pérennité de la famille et ferait souffrir son épouse et son enfant, ce qui ne constitue que de simples affirmations non étayées, M. [M], né en 1995, ne démontrant pas être dans une situation l’empêchant de retrouver un emploi, notamment salarié afin de subvenir aux besoins de sa famille.



De plus, si l’interdiction de gérer peut être limitée à l’exercice d’un mandat social portant sur un type de société ou d’entreprise et si la liberté d’entreprendre doit être préservée, l’abus de ladite liberté, en raison de la multiplicité des fautes, de leur gravité, ou de la nature même des manquements, démontrant un mépris complet des règles économiques, peut justifier le prononcer d’une mesure générale.



Or, les faits ayant permis de retenir les fautes précitées sont d’une particulière gravité et relèvent de comportements réitérés, insincères, construits sur un mépris des règles élémentaires de la vie économique et des obligations comptables pesant sur tout gérant, qui justifient bien le prononcé d’une mesure générale.



Au vu de ces éléments, de la gravité des fautes commises démontrant un mépris pour l’intérêt social et les intérêts des créanciers de la société mais en tenant également compte de la situation personnelle de l’intéressé, et notamment de son jeune âge lors des faits reprochés, la durée de 10 ans est totalement adaptée, ce qui justifie la confirmation du jugement de première instance de ce chef, quand bien même la faute de non-transmission des informations visées aux articles L 622-22 et L 622-6 du code de commerce n’a pas été retenue par la cour.





– Sur les dépens et accessoires 



En application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, M. [M] succombant en ses prétentions, il convient de le condamner aux dépens de première instance et d’appel.



La décision de première instance est infirmée en ce qu’elle a « dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure ».



Il convient en outre de condamner M. [M] au paiement d’une indemnité procédurale de 3 000 euros à Me [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Kartex création conception.

La demande d’indemnité procédurale de M. [M] est rejetée ainsi que la demande de distraction des dépens au profit de la société Processuel.




Dispositif

PAR CES MOTIFS





La cour,



CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes en date du 16 janvier 2023 sauf en ce qu’il a « dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure »



Statuant à nouveau et y ajoutant, en réparant l’omission de statuer,



REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription ;



CONDAMNE M. [M] à payer à Me [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Kartex création conception, une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;



LE DEBOUTE de sa demande d’indemnité procédurale ;



LE CONDAMNE aux dépens de première instance et d’appel ;



DEBOUTE la société Processuel de sa demande de distraction des dépens.







Le greffier







Marlène Tocco







Le président







[G] [N]


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