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La circonstance que l’écriture d’un scénario ait fait l’objet d’ateliers collectifs avec des séances participatives ne permet pas de déterminer précisément les élèves qui auraient finalement participé à l’élaboration d’une version finale et la nature de leur contribution particulière. La notion d’oeuvre collective doit donc être écartée en l’espèce. Seul compte le nom de la personne (étudiant) sous laquelle est divulguée l’oeuvre (présomption de titularisé des droits).
Par ailleurs, un scénario de film peut être original même s’il constitue un agencement créatif d’une histoire qui comporte des choix pour l’adaptation d’une oeuvre littéraire. Les modifications induites par une adaptation de roman qu’il s’agisse de sa sphère temporelle, géographique ou des personnages caractérisent parfaitement l’originalité d’une oeuvre et ne peuvent être écartés comme non probant de l’empreinte de la personnalité. Ces modifications constituent au contraire des choix, une composition et un mode narratif qui sont autant de manifestations de la personnalité. La seule affirmation du caractère banal des modifications induites par une adaptation n’est nullement probante d’une absence d’originalité, sauf à dénier par principe à toute adaptation d’une oeuvre la possibilité de constituer une nouvelle oeuvre, ce qui est contraire aux dispositions de l’article L 112-3 du Code de la propriété intellectuelle. S’agissant d’un scénario destiné à la création d’une oeuvre audiovisuelle, la question de la titularité du droit d’auteur doit également être appréhendé au regard des dispositions spécifiques aux oeuvres audiovisuelles et notamment l’article L 113-7 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que “Ont la qualité d’auteur d’une oeuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette oeuvre. Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d’une oeuvre audiovisuelle réalisée en collaboration: 1°) l’auteur du scénario 2°) l’auteur de l’adaptation 3°) l’auteur du texte parlé 4°) l’auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l’oeuvre 5°) le réalisateur. Lorsque l’oeuvre audiovisuelle est tirée d’une oeuvre ou d’un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l’oeuvre orgininaire sont assimilés aux auteurs de l’oeuvre nouvelle.” Toute oeuvre de l’esprit quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination comme rappelé par l’article L 112-1 du même code, dès lors qu’elle est formalisée et présente une certaine originalité bénéficie de la protection des droits d’auteur prévue par le code de la propriété intellectuelle. La question de l’originalité d’un scénario de film qui adapte une oeuvre littéraire et qui est destiné à la création d’une oeuvre audiovisuelle doit également être appréhendée à la lumière des dispositions de l’article L 112-3 du code de la propriété intellectuelle aux termes duquel “ les auteurs de traductions, d’adaptations, transformations ou arrangements des oeuvres de l’esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l’auteur de l’oeuvre originale. …” Lorsque la protection par le droit d’auteur d’une oeuvre est comme en l’espèce contestée en défense, il incombe à celui qui s’en prévaut de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue. En effet, seul l’auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole. Le principe de la contradiction posé par l’article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître précisément les caractéristiques qui fondent l’atteinte qui lui est imputée et apporter la preuve qui lui incombe de l’absence d’originalité. L’originalité s’entend comme le reflet de la personnalité du créateur, et démontre un parti pris esthétique portant l’empreinte de la personnalité de son auteur, de ses choix libres et créatifs et non de simples déclinaisons ou des transpositions, conférant ainsi à l’objet un caractère d’originalité. |
→ Résumé de l’affaireLe litige oppose Mme [Y] [S] [J] à la société CINEMAGIS concernant les droits d’auteur du scénario de film intitulé “L’ombre qui grandit”. Mme [J] revendique les droits d’auteur sur ce scénario et accuse CINEMAGIS d’avoir réalisé un film sans autorisation basé sur ce scénario, demandant des dommages et intérêts ainsi que la destruction des éléments de tournage du film. De son côté, CINEMAGIS conteste les accusations de contrefaçon et demande des dommages et intérêts pour le préjudice subi en raison de l’interdiction de poursuivre le film. L’affaire est en attente de jugement après l’ordonnance de clôture rendue le 11 avril 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
79A
N° RG 21/09443 – N° Portalis DBX6-W-B7F-WBWO
Minute n° 2024/00
AFFAIRE :
[Y] [J]
C/
S.A.R.L. CINEMAGIS
Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : la SELARL BIAIS ET ASSOCIES
Me Marie GUGNON
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 02 JUILLET 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré :
Madame Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente,
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente,
Madame Delphine DUPUIS-DOMINGUEZ, Juge,
Madame Hassna AHMAR-ERRAS, Adjoint administratif faisant fonction de greffier
DEBATS :
A l’audience publique du 21 Mai 2024 sur rapport de Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente, conformément aux dispositions de l’article 785 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT:
Contradictoire
Premier ressort,
Par mise à disposition au greffe,
DEMANDERESSE :
Madame [Y] [J]
née le 26 Novembre 1996 à LIBOURNE (33500)
de nationalité Française
284 cours Balguerie Stuttenberg
33300 BORDEAUX
représentée par Me Marie GUGNON, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
DEFENDERESSE :
S.A.R.L. CINEMAGIS
43 rue Pierre Baour
33300 BORDEAUX
représentée par Maître Frédéric BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant
N° RG 21/09443 – N° Portalis DBX6-W-B7F-WBWO
Au cours de sa troisième année dans l’école supérieure de cinéma CINEMAGIS, en début d’année 2021, le scénario de film intitulé “L’ombre qui grandit” présenté par Mme [Y] [S] [J] a été sélectionnée par un jury de l’école, aux fins de réalisation du film par les étudiants lors de la dernière partie de leur cursus.
Mme [J] (qui fait usage du prénom [S]) a déposé le 18 février 2021 auprès de la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) un scénario pour un film intitulé “L’ombre qui grandit” sous un fichier intitulé “ L’ombre qui grandit V0.4.1.pdf” inspiré du livre “Une histoire sans nom” de [H] [F].
Après des mises en demeure du 10 et 25 mai 2021 de cesser toute activité utilisant son scénario, Mme [Y] [S] [J], revendiquant les droits d’auteur attachés à cette oeuvre, a saisi le tribunal judiciaire de Bordeaux, par acte du 1er décembre 2021délivré à la société CINEMAGIS, d’une action en contrefaçon de droits d’auteur.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 7 décembre 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé complet des moyens développés, Mme [Y] [S] [J] demande au tribunal, au visa des articles L.111-1 et suivants, L.121-1 et suivants, L.331-1 et suivants , L.335-1 et suivants , 699 et 700 du Code de procédure civile, de:
– DIRE Madame [Y] [S] [J] titulaire de droits d’auteurs sur le scénario L’Ombre qui grandit.
– DIRE que la société CINEMAGIS s’est rendue coupable d’actes de contrefaçon de droits d’auteur en réalisant un film sans autorisation sur la base du scénario L’Ombre qui grandit.
– CONDAMNER la société CINEMAGIS à payer à Madame [Y] [S] [J] la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation de ses droits d’auteur.
– CONDAMNER la société CINEMAGIS à payer à Madame [Y] [S] [J] la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi.
– ORDONNER la destruction, constatée par huissier, et aux frais de la société CINEMAGIS, des éléments de tournage du film et copies réalisés en violation des droits de Madame [Y] [S] [J].
– INTERDIRE à la société CINEMAGIS de faire toute référence au film L’Ombre qui grandit et ORDONNER la suppression de tous sites et/ou pages Internet faisant référence au film sous astreinte de 100 Euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir.
En conséquence,
– REJETER l’ensemble des demandes reconventionnelles de la société CINEMAGIS.
– ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
– CONDAMNER la société CINEMAGIS à payer à Madame [Y] [S] [J] la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
– CONDAMNER la société CINEMAGIS aux entiers dépens de l’instance.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 7 mars 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé complet des moyens développés, la SARL CINAMAGIS demande au tribunal, au visa des articles L 111-1 et suivants du code la propriété intellectuelle, 1240 du code civil, de :
– JUGER que Mme [J] échoue à démontrer qu’elle serait l’auteur d’une œuvre originale protégée par le droit d’auteur,
– JUGER que Mme [J] avait donné son accord sur l’utilisation du projet soumis à CINEMAGIS intitulé L’Ombre qui grandit,
– JUGER que CINEMAGIS n’a pas commis d’acte de contrefaçon à l’encontre de Madame [J],
En conséquence,
– DEBOUTER Madame [J] de sa demande de condamnation à l’encontre de CINEMAGIS et plus généralement de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
A titre reconventionnel
– JUGER que Madame [J] a porté atteinte à CINEMAGIS en interdisant la poursuite et l’achèvement du fi lm « « L’Ombre qui grandit »
– CONDAMNER Madame [J] à verser à CINEMAGIS la somme de 15.000 € HT à CINEMAGIS en réparation du préjudice subi du fait de ces agissements.
– CONDAMNER Madame [J] à verser à CINEMAGIS la somme de 5.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 avril 2024.
Sur la protection des droits d’auteur et la titularité des droits d’auteur sur le scénario de L’ombre qui grandit
Mme [J] revendique la titularité des droits d’auteur sur ce scénario dont elle explique avoir travaillé l’écriture depuis 2016, dont elle a déposé une version V 0.4 le 18 février 2021 à la SACD, qui a été présentée au jury qui l’a sélectionné en janvier 2021 et qui a servi de base à la version finale V4.1 du 1er mai 2021 pour laquelle elle revendique les droits d’auteur.
Elle soutient que l’empreinte de sa personnalité sur cette oeuvre réside dans l’écriture du scénario et le travail réalisé sur les personnages inspirés du livre “Une Histoire sans nom”.
Elle conteste la qualification d’oeuvre collective revendiquée par la société CINEMAGIS en faisant valoir qu’aucun élément ne démontre que les étudiants sont intervenus dans l’écriture du scénario. Elle ajoute que d’éventuelles interventions minimes qui auraient pu être effectuées par les étudiants sur le scénario ne lui retirent pas moins l’initiative de la création. Elle relève au contraire qu’elle est reconnue comme auteur du scénario sur la bible de tournage(pièce 20) et dans les écritures adverses et qu’aucun tiers ne revendique de droits d’auteur.
La SARL CINEMAGIS conteste la protection par le droit d’auteur sur l’oeuvre dont elle revendique la paternité en faisant valoir qu’il n’est pas explicité en quoi le document produit en pièce n° 9 serait une oeuvre originale, empreinte de la personnalité de son auteur au motif que la demanderesse se contente de propos généraux pour lesquels il n’est pas démontré qu’ils se retrouvent de manière concrète dans le document écrit et sous quelle forme originale, ajoutant qu’il n’appartient ni au tribunal ni à elle de faire le travail de démonstration de l’originalité à la place de la demanderesse. Elle ajoute que les modifications de noms, de lieux, d’époque ne sont pas des originalités propres à l’auteur mais sont des apports communs à tout travail d’adaptation et présentent un caractère banal.
En second lieu, la SARL CINEMAGIS soutient que si Mme [J] a toujours été créditée comme étant l’auteur du scénario sur les documents de l’école, la version qu’elle a initialement soumise a bénéficié d’un travail collectif de réécriture qui a permis d’aboutir au résultat utilisé pour le tournage. Elle conclut que la version finale du scénario est une oeuvre collective réalisée avec la collaboration et l’accord de Mme [J]. Elle conteste donc l’existence de droits d’auteur exclusif sur le scénario final utilisé pour le tournage.
Sur ce
– sur l’originalité
Toute oeuvre de l’esprit quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination comme rappelé par l’article L 112-1 du même code, dès lors qu’elle est formalisée et présente une certaine originalité bénéficie de la protection des droits d’auteur prévue par le code de la propriété intellectuelle.
La question de l’originalité d’un scénario de film qui adapte une oeuvre littéraire et qui est destiné à la création d’une oeuvre audiovisuelle doit également être appréhendée à la lumière des dispositions de l’article L 112-3 du code de la propriété intellectuelle aux termes duquel “ les auteurs de traductions, d’adaptations, transformations ou arrangements des oeuvres de l’esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l’auteur de l’oeuvre originale. …”
Lorsque la protection par le droit d’auteur d’une oeuvre est comme en l’espèce contestée en défense, il incombe à celui qui s’en prévaut de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue. En effet, seul l’auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole. Le principe de la contradiction posé par l’article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître précisément les caractéristiques qui fondent l’atteinte qui lui est imputée et apporter la preuve qui lui incombe de l’absence d’originalité.
L’originalité s’entend comme le reflet de la personnalité du créateur, et démontre un parti pris esthétique portant l’empreinte de la personnalité de son auteur, de ses choix libres et créatifs et non de simples déclinaisons ou des transpositions, conférant ainsi à l’objet un caractère d’originalité.
En l’espèce, Mme [J] revendique la protection du droit d’auteur sur la version V 4.1 du scénario de L’ombre qui grandit, document écrit, produit en pièce 9, dont le tribunal peut se convaincre qu’il constitue un scénario constitué de 79 séquences. La demanderesse se réfère à la note d’intention en pièce 18 jointe à la version présentée à l’école pour la sélection pour le jury afin de détailler les caractéristiques de l’histoire, du décor, de l’atmosphère et des personnages de ce scénario afin d’expliciter ce qui marque l’empreinte de sa personnalité.
Il n’est pas contesté que ces caractéristiques se retrouvent dans le scénario, peu importe que des extraits de texte ne soient pas précisément cités. Il n’est pas allégué que ces caractéristiques seraient mensongères.
Contrairement à ce qui est soutenu par la défenderesse, les modifications induites par une adaptation de roman qu’il s’agisse de sa spère temporelle, géographique ou des personnages caractérisent parfaitement l’originalité d’une oeuvre et ne peuvent être écartés comme non probant de l’empreinte de la personnalité. Ces modifications constituent au contraire des choix, une composition et un mode narratif qui sont autant de manifestations de la personnalité.
La seule affirmation du caractère banal des modifications induites par une adaptation n’est nullement probante d’une absence d’originalité, sauf à dénier par principe à toute adaptation d’une oeuvre la possibilité de constituer une nouvelle oeuvre, ce qui est contraire aux dispositions de l’article L 112-3 précité.
En tout état de cause, une simple lecture du scénario permet au tribunal de se convaincre qu’il constitue un agencement créatif d’une histoire qui comporte nécessairement des choix narratifs pour l’adaptation d’une oeuvre littéraire.
La version V4.1 du 1er mai 2021 est donc bien protégeable par le droit d’auteur en tant qu’oeuvre de l’esprit du fait de son originalité.
– sur la titularité du droit d’auteur
Selon l’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.
Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial qui son déterminés par les livres 1er et III du présent code […]
L’article L 113-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que la qualité d’auteur appartient , sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’oeuvre est divulguée.
L’auteur s’entend du créateur de l’oeuvre c’est- à- dire celui qui réalise ou exécute personnellement l’oeuvre.
A nouveau, s’agissant d’un scénario destiné à la création d’une oeuvre audiovisuelle, la question de la titularité du droit d’auteur doit également être appréhendé au regard des dispositions spécifiques aux oeuvres audiovisuelles et notamment l’article L 113-7 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que “Ont la qualité d’auteur d’une oeuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette oeuvre. Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d’une oeuvre audiovisuelle réalisée en collaboration: 1°) l’auteur du scénario 2°) l’auteur de l’adaptation 3°) l’auteur du texte parlé 4°) l’auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l’oeuvre 5°) le réalisateur. Lorsque l’oeuvre audiovisuelle est tirée d’une oeuvre ou d’un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l’oeuvre orgininaire sont assimilés aux auteurs de l’oeuvre nouvelle.”
Il convient d’examiner le moyen opposé par la SARL CINEMAGIS qui consiste à revendiquer la titularité des droits d’auteur sur le scénario au motif qu’il constituerait une oeuvre collective, même si elle ne forme aucune prétention au titre de la titularité des droits d’auteur au dispositif de ses conclusions.
Il est constant qu’une personne morale ne peut avoir la qualité d’auteur et qu’elle ne peut être investie à titre originaire des droits de l’auteur que dans le cas d’une oeuvre collective créée à son initiative et divulguée sous son nom.
Selon l’article L 113-2 al 3 du code de la propriété intellectuelle est dite collective l’oeuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration, se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun un droit distinct sur l’ensemble réalisé.
En l’espèce, la version V 4. 1 du 1er mai 2021 est divulguée au nom d’[S] [J] dont la société CINEMAGIS reconnaît parfaitement qu’elle l’a créditée comme auteur sur les documents de l’école. (En ce sens, pièce 20 qui désigne comme auteur du scénario [S] [J] et auteur du story-board [Z] [I] et [T] [M]).
La circonstance que l’écriture du scénario ait fait l’objet d’ateliers collectifs avec des séances participatives ne permet pas de déterminer précisément les élèves qui auraient finalement participé à l’élaboration d’une version finale et la nature de leur contribution particulière. La notion d’oeuvre collective doit donc être écartée en l’espèce.
Mme [J] démontre ainsi qu’elle est l’auteur de la version du scénario objet de la réalisation du film par les élèves de CINEMAGIS. Le moyen soulevé par la défenderesse au titre d’un défaut de titularité des droits d’auteur doit donc être rejeté.
Sur les actes de contrefaçon et les demandes indemnitaires.
Moyens des parties
Mme [J] fait valoir qu’en l’absence d’autorisation expresse de sa part ou de cession de droit du scénario, les actes de réalisation du film hors de sa présence constituent des actes constitutifs de contrefaçon. Elle se plaint d’une atteinte aux droits moraux d’auteur, tant son droit à la paternité que le droit au respect de l’oeuvre.
Elle rétorque à l’argumentation adverse que le règlement intérieur dont se prévaut CINEMAGIS ne saurait lui être opposable tout en critiquant la validité de l’autorisation dont se prévaut la défenderesse en ce qu’elle est rédigée de manière beaucoup trop large et sans que ne soient clairement identifiés les droits concédés à la société CINEMAGIS, par plus que les modes d’exploitations autorisés.
Elle objecte ainsi que l’article 14 de ce règlement intérieur ne peut conférer des droits sur son scénario à l’image de ceux qu’elle aurait pu obtenir d’une cession de droits d’auteur.
Elle ajoute qu’une autorisation d’utilisation, pas plus qu’une cession globale de droits ne peut être déduite de la proposition du scénario au jury de sélection pour la réalisation du film de fin d’année, ni de ses communications sur les différents réseaux sociaux ou de la transmission d’une nouvelle version au 1er mai 2021.
Elle se prévaut d’un droit de repentir ou de retrait de son oeuvre, attaché selon elle au droit de l’auteur de divulguer son oeuvre de l’article L 121-2 du code de la propriété intellectuelle.
Elle rétorque, par ailleurs, à l’argumentation adverse que la société CINEMAGIS ne saurait invoquer à son profit les dispositions de l’article L 121-6 du code de la propriété intellectuelle s’agissant de l’oeuvre audiovisuelle, alors que cette oeuvre audiovisuelle a été créée en contravention des droits de Mme [J].
Elle dénie à la société CINEMAGIS la possibilité de réclamer une indemnité sur le fondement de l’article L 121-4 du code de la propriété intellectuelle, dans le cadre de son droit de retrait , en opposant que la société CINEMAGIS ne peut être considérée comme cessionnaire des droits d’auteur.
Mme [J] sollicite la condamnation de la SARL CINEMAGIS à lui payer une indemnité de 5000 euros en réparation du préjudice matériel et 5000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de la violation de ses droits d’auteur. Elle demande en outre que soit ordonné la destruction des éléments de tournage du film et qu’il soit fait interdiction à CINEMAGIS de faire toute référence au film et au scénario et à supprimer toute référence sur internet.
La SARL CINEMAGIS conteste tout acte de contrefaçon qui suppose que des actes de représentation ou de reproduction sans le consentement de l’auteur en faisant valoir que Mme [J] a incontestablement donné son consentement à l’école pour l’utilisation du scénario à des fins de réaliser une oeuvre audiovisuelle dans le cadre du projet pédagogique de l’école.
Elle conclut que ce consentement résulte de l’application de l’article 14 du règlement intérieur signé par Mme [J] aux termes duquel chaque étudiant autorise l’école à utiliser et à exploiter librement de façon gracieuse et sans aucune restriction, ses écrits, images… réalisés dans le cadre de son cursus au sein de CINEMAGIS. Elle soutient que cet article 14 trouve à s’appliquer aux travaux d’écriture et au scénario final utilisé pour le tournage du film.
Elle ajoute, que même s’il était jugé que cette clause n’est pas applicable, il résulte des faits de la cause que Mme [J] a de son plein gré et en connaissance de cause soumis son projet au jury chargé de sélectionner celui qui ferait l’objet d’une réalisation collective par la promotion et s’est ensuite pleinement investie dans ce travail collectif, en participant à la communication sur la réalisation de ce film et en communiquant encore le 1er mai 2021 une nouvelle version du scénario pour le tournage.
Elle conteste le droit de repentir ou de retrait invoqué par Mme [J], en faisant valoir que cette dernière n’a jamais proposé à l’école de l’indemniser financièrement du préjudice qu’entraînerait le retrait de son autorisation, si bien qu’elle n’a pu jamais exercer valablement ce droit, qu’elle a pensé pouvoir exercer de manière arbitraire sans considération des conséquences financières, organisationnelles et pédagogiques pour l’école et ses étudiants.
S’agissant de la participation à la création d’une oeuvre audiovisuelle, elle invoque en outre la jurisprudence et les dispositions de l’article L 121-6 du code de la propriété intellectuelle aux termes desquels Mme [J] ne pouvait pas valablement interdire à CINEMAGIS la poursuite du tournage.
La SARL CINEMAGIS conteste les préjudices invoqués qu’elle considère inexistants. Elle précise que les ruschs n’ont jamais fait l’objet d’aucun montage en post production, contestant à ce titre la pièce 28 qui constitue un assemblage réalisée par la demanderesse elle même. Elle s’oppose, de même, aux demandes de destruction et d’interdiction dont l’objet est imprécis et oppose qu’elle est droit de faire état du projet pédagogique qui s’est déroulé en 2020/2021.
Sur ce
Il ne peut être sérieusement contesté que le scénario de Mme [J] était destiné à la création d’une oeuvre audiovisuelle, à savoir un film, dans le cadre du cursus de formation dispensé par la SARL CINEMAGIS.
Dès lors, il apparaît que la défenderesse est parfaitement fondée à se prévaloir des dispositions du code de la propriété intellectuelle relative aux oeuvres audiovisuelles.
L’article L 121-6 du CPI dispose ainsi que “ si l’un des auteurs refuse d’achever sa contribution à l’oeuvre audiovisuelle ou se trouve dans l’impossibilité d’achever cette contribution par suite de force majeure, il ne pourra s’opposer à l’utilisation, en vue de l’achèvement de l’oeuvre, de la partie de cette contribution déjà réalisée. Il aura, pour cette contribution, la qualité d’auteur et jouira des droits qui en découlent.”
En l’espèce, il est indéniable que Mme [J] a volontairement contribué au projet de film de sa promotion en présentant son scénario à un jury et en communiquant une version destinée à cette production le 1er mai 2021 avant de faire connaître par courrier recommandé du 10 mai 2021qu’elle souhaitait la cessation de l’utilisation de son scénario à des fins pédagogiques.
Cette situation correspond parfaitement à celle envisagée par l’article L 121-6 du CPI d’un refus d’un des auteurs de l’oeuvre audiovisuelle d’achever sa contribution.
Or, cette disposition autorise expressément l’utilisation de la contribution déjà réalisée en vue de l’achèvement de l’oeuvre.
En l’espèce, les travaux pédagogiques se sont poursuivis après le 10 mai 2021 en vue de la réalisation du film qui, au final, est resté inachevé.
Pour autant, la poursuite de ces travaux pédagogiques de réalisation du film ne saurait constituer des actes contrefaisants. L’article L 121-6 du CPI constitue ainsi une suspension du droit moral de l’auteur pendant la phase d’élaboration de l’oeuvre en offrant la possibilité de faire achever la contribution d’un auteur récalcitrant par un tiers. Cette règle est une reprise d’une solution jurisprudentielle alors qu’il a été jugé que les différents contributeurs à une oeuvre audiovisuelle ne sauraient prétendre imposer leur volonté discrétionnaire. L’intransigeance d’un seul, serait-il le créateur de la plus grande partie de l’oeuvre, ne peut entraîner la ruine de l’oeuvre commune, le prestige d’un coauteur ne pouvant conférer à ce dernier un droit moral de nature supérieure aux autres coauteurs et lui assurer une prééminence à l’égard de ceux-ci. ( CA de Paris 18 avril 1956 ).
La SARL CINEMAGIS peut, de surcroît, exciper de l’article 14 de son règlement intérieur dont elle produit un exemplaire signé et paraphé des initiales AB, dont la signature attribuée à Mme [J] n’est pas déniée. Cette stipulation de l’article 14 qui autorise l’école à utiliser librement, de façon gracieuse les écrits réalisés dans le cadre du cursus et qui envisage le cas d’un contrat de cession de droit d’auteur en cas d’exploitation du film réalisé en fin de cursus apparaît parfaitement conforme aux dispositions précitées de l’article L121-6 du CPI pour le cas des oeuvres audiovisuelles et de nature à être légitimement opposée à Mme [J].
Les demandes indemnitaires formées par Mme [J] au titre d’actes contrefaisants, qui ne sont pas constitués en l’espèce, seront donc rejetées, de même que les demandes de destruction et d’interdiction.
Sur la demande indemnitaire reconventionnelle
Moyens des parties
La SARL CINEMAGIS fait valoir que l’école et la promotion ont été pénalisées par les agissements de Mme [J] qui l’ont conduite à abandonner le projet pédagogique et qui ont porté atteinte à sa réputation, ses accusations concernant une violation de ses droits d’auteur lui causant un préjudice d’image à l’égard des éléves et des tiers. En outre, elle se plaint d’un préjudice financier lié aux dépenses engagées à perte puisque le film n’a jamais été monté ni divulgué alors que cela constitue la finalité de toute oeuvre audiovisuelle. Elle sollicite en conséquence la condamnation de la demanderesse à lui payer la somme de 15.000 euros sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
Mme [J] s’oppose à la demande indemnitaire en faisant valoir que les étudiants ne sont aucunement pénalisés par l’absence de réalisation du film de fin d’année qui n’est pas nécessaire à la délivrance de leur diplôme. Elle fait valoir que la SARL CINEMAGIS ne subit aucun préjudice propre. Elle conteste le préjudice financier allégué au motif qu’il n’est pas démontré par les justificatifs qui sont produits aux débats et alors que les frais engagés pour une telle réalisation sont compris dans les frais d’inscription complétés par un financement participatif organisé pour ce projet.
Sur ce
La demande indemnitaire étant fondée sur la responsabilité civile délictuelle de Mme [J] de l’article 1240 du code civil (Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer) , il convient de déterminer si une faute, un préjudice et un lien de causalité sont caractérisés en l’espèce à l’endroit de la demanderesse.
L’opposition de Mme [J] à ce que l’école poursuive le projet de réalisation du film dans le cadre des travaux pédagogiques proposés aux étudiants apparaît s’être manifestée de manière brutale par courrier du 10 mai 2021 alors qu’il résulte des pièces du dossier que le projet était déjà très avancé et que le 1er mai, Mme [J] prenait toujours une part active dans l’avancée de la réalisation de l’oeuvre audiovisuelle.
Cette opposition n’est justifiée, dans le cadre des écritures, que par l’affirmation non étayée par aucune pièce de désaccords sur des choix de mise en scène qui auraient eu pour effet de dénaturer le scénario et sur les choix relatifs à l’équipe technique, sans que le tribunal ne puisse apprécier l’importance et les conséquences de ces désaccords.
Dans ces conditions, l’opposition de Mme [J] apparaît fautive, dès lors qu’elle compromettait un projet de formation collective.
Les moyens financiers engagés par l’école, s’ils n’ont pas abouti à la réalisation de l’oeuvre achevée, ne sauraient néanmoins constituer un préjudice imputable à Mme [J], en ce qu’ils ont permis au moins pour partie de poursuivre le projet de la promotion.
En revanche, l’attitude de Mme [J], qui s’est méprise sur l’étendue de ses droits d’auteur et ses prérogatives en matière de contribution à une oeuvre audiovisuelle a engendré un nécessaire préjudice d’image, la SARL CINEMAGIS apparaissant bien fondée à se plaindre d’une atteinte à sa réputation du faits d’accusation de violation de droits d’auteur par l’une de ses étudiantes à l’occasion de la réalisation d’un projet éducatif collectif.
Ce préjudice sera justement indemnisé par l’allocation d’une indemnité d’un montant limité à 1000 euros.
Sur les demandes annexes
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SARL CINEMAGIS l’intégralité de ses frais irrépétibles. Mme [J] sera condamnée à lui payer la somme de 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal,
– DIT que la version V 4. 1 du 1er mai 2021 du scénario L’Ombre qui grandit est protégeable par le droit d’auteur ;
– DIT que Mme [Y] [S] [J] est l’auteur de ce scénario,
– REJETTE les demandes de Mme [Y] [S] [J] au titre d’actes contrefaisants;
– CONDAMNE Mme [Y] [S] [J] à payer à la SARL CINEMAGIS la somme de 1000 euros à titre de dommages et intérêts,
– CONDAMNE Mme [Y] [S] [J] à payer à la SARL CINEMAGIS la somme de 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– CONDAMNE Mme [Y] [S] [J] aux dépens.
La présente décision est signée par Madame Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente, et Madame Hassna AHMAR-ERRAS, Adjoint administratif faisant fonction de greffier.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT