Les Droits de l’Artiste sur la maison qu’il aménage en sa qualité de Locataire

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Les Droits de l’Artiste sur la maison qu’il aménage en sa qualité de Locataire
Ce point juridique est utile ?

L’artiste-peintre qui aménage l’intérieur et l’extérieur de la maison dont il est locataire, reste investi de son droit moral. L’habitation de l’artiste peut devenir une oeuvre globale.

S’il est admissible que des travaux peuvent être rendus nécessaires pour restaurer la salubrité des lieux, pour autant l’illicéité réside dans le fait que l’artiste ne soit pas consulté quant à la manière dont ces travaux viendront éventuellement altérer son oeuvre.

Par ailleurs, en cas de vente du bien, il est manifestement illicite que le nouveau propriétaire / gestionnaire décide seul de ce qui sera conservé et de ce qui sera altéré dans l’oeuvre globale que constitue l’ancienne maison de l’artiste.

En la cause, la juridiction a fait droit à la première demande de l’artiste en interdiction au gestionnaire du bien de faire tous travaux sur son ancienne maison d’habitation.

Pour rappel, l’article 834 du code de procédure civile dispose que : « Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. »

L’article 835 alinéa 1er du même code dispose que : « Le président du tribunal judiciaire [… peut] toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. »

L’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose notamment que : « L’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.

Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code. »

L’article L111-3 du même code dispose notamment que : « La propriété incorporelle définie par l’article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l’objet matériel. »

L’article L112-1 du même code dispose que : « Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. »

Il est jugé de manière constante au fond pour l’application de ce dernier texte qu’en l’absence de preuve de son caractère illicite, une oeuvre, quelle qu’elle soit, bénéficie de la protection accordée par la loi sur la propriété littéraire et artistique (Cass. Crim., 28 septembre 1999, n°98-83.675, Gérard MENOUD et GÜFA).

Résumé de l’affaire :

Contexte de l’affaire

M. [V] [E], artiste-peintre, a occupé une maison à [Adresse 1] à [Localité 2] (86), où il a réalisé de nombreuses œuvres sur les murs et la façade. Bien que cette maison soit connue localement comme « la maison de [V] [E] », il n’en a jamais été propriétaire. En 2021, il a quitté les lieux, emportant les œuvres non intégrées au bâtiment.

Changement de propriétaire

La maison a été vendue par la Commune de GENÇAY à la SCI LES ATELIERS PARTAGES en 2022. Cette dernière a ensuite mis la maison à disposition de l’association LA MAISON ATELIER, qui a entrepris divers travaux de rénovation.

Procédure judiciaire

Le 8 juillet 2024, M. [V] [E] a assigné l’association LA MAISON ATELIER devant le tribunal judiciaire de Poitiers, demandant l’interdiction des travaux, la remise en état de la maison, et la protection de son nom et de sa notoriété. L’affaire a été renvoyée à plusieurs reprises avant d’être examinée le 2 octobre 2024.

Arguments de M. [V] [E]

M. [V] [E] soutient que LA MAISON ATELIER modifie son héritage artistique sans son consentement, malgré son droit moral sur l’œuvre. Il conteste avoir renoncé à ses droits et affirme que les travaux entrepris nuisent à son œuvre.

Arguments de LA MAISON ATELIER

LA MAISON ATELIER, de son côté, argue que M. [V] [E] n’a pas de droit sur la maison, n’étant qu’un occupant. Elle souligne qu’il a lui-même altéré certaines œuvres avant de partir et qu’elle n’a pas eu connaissance de son refus de modifier l’apparence de la maison.

Décision du juge des référés

Le juge a déclaré l’action de M. [V] [E] recevable, interdisant à LA MAISON ATELIER de réaliser des travaux sur la maison et d’exploiter son nom, sous astreinte. Cependant, la demande de remise en état de la maison a été rejetée, faute de preuves suffisantes.

Provision et dépens

Le juge a accordé à M. [V] [E] une provision de 2.000 euros pour l’atteinte à son œuvre, et a condamné LA MAISON ATELIER à payer 1.200 euros à son conseil. Les dépens ont été mis à la charge de LA MAISON ATELIER.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

6 novembre 2024
Tribunal judiciaire de Poitiers
RG n°
24/00226
MINUTE N° :
DOSSIER : N° RG 24/00226 – N° Portalis DB3J-W-B7I-GM5M

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE POITIERS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

ORDONNANCE DU JUGE DES RÉFÉRÉS
EN DATE DU 06 NOVEMBRE 2024

DEMANDEUR :

LE :

Copie simple à :
– Me BAUDOUIN
– Me BROTTIER

Copie exécutoire à :
– Me BAUDOUIN

Monsieur [V] [E]
demeurant [Adresse 3]

Représenté par Me Alexis BAUDOUIN, avocat au barreau de POITIERS
(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale selon décision n°2024/3113 du bureau d’aide juridictionnelle de POITIERS)

DEFENDERESSE :

Association LA MAISON ATELIER
dont le siège social est sis [Adresse 1]

Représentée par Me Philippe BROTTIER, avocat au barreau de POITIERS
(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale selon décision n°2024/553 du bureau d’aide juridictionnelle de POITIERS)

COMPOSITION :

JUGE DES RÉFÉRÉS : Sébastien VANDROMME-DEWEINE, Juge

GREFFIER : Marie PALEZIS

Débats tenus à l’audience publique de référés du : 02 octobre 2024.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [V] [E] est un artiste-peintre.

Il a longtemps habité mais aussi travaillé dans une maison située [Adresse 1] à [Localité 2] (86), dont il a notamment repeint la majorité des surfaces intérieures mais aussi de la façade extérieure, outre qu’il y entreposait et y exposait de multiples oeuvres. Cette maison pouvait être connue au niveau local comme « la maison de [V] [E] ».

M. [V] [E] a quitté cette maison en 2021, après avoir déménagé l’ensemble des oeuvres qui n’étaient pas directement incorporées au bien immobilier (murs, façades, toiture).

M. [V] [E] n’a toutefois jamais été propriétaire de cette maison, qui a appartenu à divers propriétaires, et qui a été dernièrement revendue par la Commune de GENÇAY à la SCI LES ATELIERS PARTAGES en 2022.

La SCI LES ATELIERS PARTAGES a mis la maison à disposition de l’association LA MAISON ATELIER, constituée le 19 octobre 2022, et qui a entrepris divers travaux dans la maison.

Par acte d’huissier de justice du 08 juillet 2024 remis à personne habilitée, M. [V] [E] a fait assigner l’association LA MAISON ATELIER devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Poitiers, afin principalement d’obtenir l’interdiction de la poursuite des travaux, la remise en état de la maison, l’interdiction de l’exploitation du nom et de la notoriété de M. [V] [E], le tout sous astreinte, outre les frais et dépens.

L’affaire, appelée initialement à l’audience du 14 août 2024, a été renvoyée, à la demande des parties ou de l’une d’entre elles au moins, au 18 septembre et 02 octobre 2024, et a été retenue à cette dernière date.

A l’audience, en demande, M. [V] [E], assisté de son curateur l’APAJH 86, et représenté par son conseil, lequel se réfère à ses conclusions complétées par ses observations orales, demande au juge des référés de, notamment :
Interdire à LA MAISON ATELIER tous travaux sur la maison d’habitation située [Adresse 1] à [Localité 2] (86), sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la date de signification de la décision à intervenir ;Ordonner à LA MAISON ATELIER de remettre en état ladite habitation et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la date de signification de la décision à intervenir ;Interdire à LA MAISON ATELIER toute exploitation du nom et de la notoriété de M. [V] [E], sous quelque forme, à quelque titre que ce soit, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la date de signification de la décision à intervenir ;Condamner LA MAISON ATELIER à payer à M. [V] [E] la somme de 5.000 euros à titre de provision ;Condamner LA MAISON ATELIER à payer à M. [V] [E] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;Condamner LA MAISON ATELIER à payer au conseil de M. [V] [E] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;Condamner LA MAISON ATELIER aux dépens.
Au soutien de ses demandes, M. [V] [E] expose à titre liminaire que la procédure a été régularisée par l’intervention de son curateur en cours d’instance. Sur le principal, il soutient que LA MAISON ATELIER exploite et revendique son héritage artistique sur la maison du [Adresse 1] à [Localité 2], incontestablement connue comme « la maison de [V] ([E]) », ceci sans avoir obtenu son consentement alors qu’il dispose manifestement d’un droit moral ou artistique sur l’oeuvre globale que constitue la maison.Il conteste la circonstance qu’il aurait renoncé à tout droit de ce type, en ce qu’il conteste qu’il se serait désintéressé du devenir de cette maison après son départ.
Il conteste également avoir donné tout accord, même verbal, à LA MAISON ATELIER, pour modifier ou effacer ses oeuvres d’art. Il admet qu’il a dû quitter la maison en raison de son insalubrité croissante, qu’à une époque il a d’ailleurs cessé de vivre dans la maison tout en continuant à venir y travailler et y créer, mais que pour autant la nécessité de travaux de mise aux normes ne suffit pas à justifier la destruction de ses oeuvres telle que décidée unilatéralement par LA MAISON ATELIER et sans concertation avec l’artiste qu’il est.

En défense, LA MAISON ATELIER, représentée par son conseil, lequel se réfère à l’audience à ses conclusions complétées par ses observations orales, demande au juge des référés de, notamment :
Constater qu’il ne demande plus la nullité de l’assignation ;Juger que M. [V] [E] ne justifie nie de sa qualité à agir pour des peintures réalisées sans autorisation, ni de son intérêts à agir contre l’association, ni du fondement juridique sur son droit d’agir ;Juger à l’existence de contestations sérieuses ;Déclarer irrecevable et mal fondé M. [V] [E] en toutes ses demandes, fins et conclusions ;Juger de l’incompétence du juge des référés ;Condamner M. [V] [E] aux dépens.
Au soutien de sa position, LA MAISON ATELIER souligne à titre liminaire qu’elle n’est pas propriétaire du bien immobilier de sorte que M. [V] [E] a manifestement mal dirigé son action. Au principal, elle expose que M. [V] [E] n’a aucun droit sur le bien immobilier du [Adresse 1] à [Localité 2], en ce qu’il en était seulement locataire ou occupant, sans jamais en avoir été propriétaire. LA MAISON ATELIER souligne par ailleurs que M. [V] [E] a de lui-même quitté cette maison en 2021 en emportant tout ce qu’il pouvait emporter comme oeuvres non incorporées à l’immeuble, que s’agissant des peintures sur les murs ou les volets il les a soit détruites lui-même en les recouvrant de peinture blanche ou de X noirs, soit altérées avec des coeurs roses. LA MAISON ATELIER soutient ensuite qu’en substance elle n’a jamais eu connaissance du refus de M. [V] [E] de modifier l’apparence de cette maison, ce dernier ayant pu déclarer au cours d’une visite sur place en avril 2023 qu’il se « fichait » du devenir des peintures restées sur les murs et les plafonds. LA MAISON ATELIER soutient encore que le bien immobilier est en mauvais état et qu’il se dégrade avec le temps, qu’en tout état de cause ni M. [V] [E] ni l’association constituée un temps autour de lui et de la maison n’avaient les moyens de conserver le bien immobilier, et qu’au contraire LA MAISON ATELIER s’est engagée dans une démarche de valorisation et de préservation d’une partie de l’oeuvre de M. [V] [E], ce qui nécessite toutefois de sacrifier une partie des peintures notamment au vu de la nécessité de divers travaux à l’avenir pour la salubrité et la remise aux normes de la maison. LA MAISON ATELIER explique encore que M. [V] [E] ne peut revendiquer aucun droit sur des peintures effectuées sans autorisation sur un bien dont il n’était pas propriétaire. LA MAISON ATEIER souligne enfin que les demandes de M. [V] [E] sont partiellement contradictoires entre elles en ce qu’il demande à la fois la cessation des travaux et la remise en état, qu’en outre la demande de remise en état est inexécutable en l’absence de tout inventaire de l’état de la maison au départ de l’artiste en 2021, et qu’enfin les multiples demandes financières révèlent une volonté manifeste de l’artiste, a posteriori, de battre monnaie en élevant aujourd’hui des revendications qu’il n’avait jamais évoquées dans les années écoulées, ce qui peut être interprété comme l’influence de tiers intéressés derrière M. [V] [E].

Avis a été donné que la décision était mise en délibéré au 06 novembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur les fins de non-recevoir opposées par LA MAISON ATELIER.

L’article 32 du code de procédure civile dispose que : « Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir. »

A titre liminaire, il est rappelé que LA MAISON ATELIER a abandonné son exception de nullité de l’assignation introductive.

En l’espèce, M. [V] [E], valablement assisté de son curateur au jour des débats, agit contre LA MAISON ATELIER en ce que, quoiqu’elle n’en soit pas propriétaire, elle modifie ou détériore les peintures qu’il avait appliquées sur diverses surfaces (murs, plafonds, volets) de la maison du [Adresse 1] à [Localité 2] (86), en invoquant en substance une atteinte à son droit d’auteur ou son droit moral en tant qu’artiste-peintre.

Il résulte de ces seules constatations que l’action est recevable, de sorte que les fins de non-recevoir opposées par LA MAISON ATELIER doivent être rejetées.

2. Sur les demandes principales de M. [V] [E] quant à la maison.

L’article 834 du code de procédure civile dispose que : « Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. »

L’article 835 alinéa 1er du même code dispose que : « Le président du tribunal judiciaire [… peut] toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. »

L’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose notamment que : « L’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.
Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code. »

L’article L111-3 du même code dispose notamment que : « La propriété incorporelle définie par l’article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l’objet matériel. »

L’article L112-1 du même code dispose que : « Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. »

Il est jugé de manière constante au fond pour l’application de ce dernier texte qu’en l’absence de preuve de son caractère illicite, une oeuvre, quelle qu’elle soit, bénéficie de la protection accordée par la loi sur la propriété littéraire et artistique (Cass. Crim., 28 septembre 1999, n°98-83.675, Gérard MENOUD et GÜFA).

En l’espèce, il résulte des éléments mis en débat devant le juge des référés que M. [V] [E], qui a longtemps occupé la maison du [Adresse 1] à [Localité 2] (86), avait notamment peint la majorité des surfaces de cette maison (sols, murs, plafonds, volets), outre qu’il y avait assemblé et disposé divers objets à caractère d’oeuvres d’art (pièces demandeur n°2, 2.1, 3, 3.1). Au vu de la notoriété publique au niveau local de ce lieu depuis lors connu sous le titre de « la maison de [V] ([E]) » (pièces demandeur n°2.1 et 2.2), il n’est pas sérieusement contestable qu’en développant son expression artistique sur les surfaces et dans les volumes de ce bien immobilier, M. [V] [E] a crée une oeuvre de l’esprit au sens de la loi. Le retrait des oeuvres d’art à caractère de biens meubles au jour du départ de M. [V] [E] pour quitter cette maison en 2021 (tableaux, etc.) ne peut être considéré comme ayant retiré le caractère d’oeuvre de l’esprit à la maison elle-même, au vu de l’importance des surfaces et volumes encore occupés par ses créations incorporées au bâtiment.

Si M. [V] [E] n’a jamais été propriétaire de l’immeuble, toutefois il n’est pas rapporté la preuve que l’un quelconque des propriétaires successifs de la maison du [Adresse 1] à [Localité 2] (86) se serait opposé à l’utilisation par M. [V] [E] des surfaces et volumes de la maison comme supports de son expression artistique : il n’est notamment pas démontré que M. [V] [E] aurait été mis en demeure de remettre la maison en état à l’expiration d’un bail ou au jour de son départ définitif des lieux. Il est particulièrement relevé que la commune de [Localité 2] elle-même a été un temps propriétaire de la maison, et qu’elle n’a pas exigé de M. [V] [E] qu’il cesse d’utiliser la maison comme support de son art, y compris en dépit d’une éventuelle contrariété aux règles d’urbanisme. Dès lors, en l’état des éléments mis en débat devant le juge des référés, il n’est pas prouvé que le fait pour M. [V] [E] d’avoir utilisé les surfaces et volumes de la maison comme support de son expression artistique était illicite. Par conséquent, le juge est tenu d’en déduire que la maison telle qu’investie par M. [V] [E], en tant qu’oeuvre globale ou totale, est nécessairement protégée au titre de la propriété intellectuelle.

Il convient de relever que le fait que M. [V] [E] a lui-même modifié la maison avant de la quitter, notamment en recouvrant certaines surfaces avec des croix noires, de la peinture blanche ou des coeurs roses (pièce défenderesse n°2), ne suffit pas à effacer le caractère d’oeuvre de l’esprit, au contraire, dès lors que ces modifications sur l’oeuvre existante peuvent avoir elles-mêmes un caractère de nouveaux gestes artistiques.

Il n’est par ailleurs pas contesté que LA MAISON ATELIER a apporté de sa propre initiative des modifications à la maison du [Adresse 1] à [Localité 2] (86) (pièce demandeur n°8.1). Sur ces modifications, LA MAISON ATELIER ne peut rapporter aucune preuve certaine soit d’une autorisation expresse de l’artiste, soit d’une décision irrévocable de l’artiste d’abandonner toute forme de droit sur ce qu’il a créé. Il est au contraire relevé que dans le présent débat M. [V] [E] conteste le désintérêt que LA MAISON ATELIER lui prête pour son ancienne maison (pièce demandeur n°16, pièce défenderesse n°9).

S’il est admissible que des travaux sont rendus nécessaires pour restaurer la salubrité des lieux, pour autant l’illicéité réside ici dans le fait que M. [V] [E] ne soit pas consulté quant à la manière dont ces travaux viendront éventuellement altérer son oeuvre, outre que les modifications réalisées par LA MAISON ATELIER ne se limitent manifestement pas à des travaux de mise en sécurité (pièce demandeur n°8.1). De manière similaire, il est manifestement illicite que LA MAISON ATELIER décide seule de ce qui sera conservé et de ce qui sera altéré dans l’oeuvre globale que constitue la maison du [Adresse 1] à [Localité 2] (86) telle qu’investie par M. [V] [E].

Aussi, le fait pour LA MAISON ATELIER, quand bien même elle aurait l’autorisation du nouveau propriétaire de la maison du [Adresse 1] à [Localité 2] (86), d’apporter des modifications à l’oeuvre de l’esprit de M. [V] [E] – ceci de manière consciente dès lors que LA MAISON ATELIER reconnaît sans ambiguïté la dimension artistique conférée au lieu par le travail du peintre (pièce demandeur n°7) – constitue à l’évidence un trouble manifestement illicite, qu’il appartient au juge des référés de faire cesser par toute mesure adaptée.

Il convient en conséquence de faire droit à la première demande de M. [V] [E] en interdiction à LA MAISON ATELIER de faire tous travaux sur la maison d’habitation située [Adresse 1] à [Localité 2] (86). Il convient également de faire droit à la troisième demande de M. [V] [E] en interdiction à LA MAISON ATELIER de pratiquer toute exploitation du nom et de la notoriété de M. [V] [E], sous quelque forme, à quelque titre que ce soit, mais seulement en lien avec la maison du [Adresse 1] à [Localité 2] (86). Une astreinte est ordonnée pour garantir l’exécution de chacune de ces deux mesures, qui courront jusqu’au jour où un accord ou un jugement au fond pourra intervenir entre les parties.

En revanche, il ne peut manifestement être fait droit à la deuxième demande de M. [V] [E] tendant à ordonner à LA MAISON ATELIER de remettre en état la maison, en l’absence de description exhaustive de la maison au jour du départ de M. [V] [E], et alors que la remise en état d’une oeuvre d’art peut imposer une expression artistique de nature à altérer l’oeuvre originelle.

3. Sur la demande de provision de M. [V] [E].

Il résulte de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile que dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier.

En l’espèce, en considération de l’atteinte manifestement illicite par LA MAISON ATELIER à l’oeuvre de l’esprit de M. [V] [E], et au vu de la cote de l’artiste telle que justifiée par ce dernier aux débats (pièce demandeur n°1.5), la provision sur dommages et intérêts peut être fixée au-delà de toute contestation sérieuse à 2.000 euros.

4. Sur les autres demandes et les mesures de fin de décision.

4.1. Sur les dépens.

LA MAISON ATELIER supporte les dépens.

4.2. Sur l’exécution provisoire.

Conformément à l’article 514-1 alinéa 3 du code de procédure civile, la présente décision rendue en référé est assortie de plein droit de l’exécution provisoire.

4.3. Sur l’article 700 du code de procédure civile et l’article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.

M. [V] [E] étant bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, il convient d’allouer à son conseil la somme de 1.200 euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et du 2° de l’article 700 du code de procédure civile. En conséquence, la demande de M. [V] [E] au titre du 1° de l’article 700 du code de procédure civile ne peut être admise.

PAR CES MOTIFS

Le juge des référés, statuant par ordonnance contradictoire, en premier ressort, rendue après débats en audience publique par mise à disposition au greffe,

DÉCLARE l’action de M. [V] [E], assisté de son curateur APAJH 86, recevable ;

INTERDIT à LA MAISON ATELIER tous travaux sur la maison d’habitation située [Adresse 1] à [Localité 2] (86), ce jusqu’à ce qu’un accord intervienne entre les parties ou qu’un jugement soit rendu au fond, et ASSORTIT cette obligation d’une astreinte provisoire de 1.000 euros par jour et par infraction à compter de la signification de la présente décision, sans s’en réserver la liquidation ;

INTERDIT à LA MAISON ATELIER toute exploitation du nom et de la notoriété de M. [V] [E], sous quelque forme, à quelque titre que ce soit, en lien avec la maison d’habitation située [Adresse 1] à [Localité 2] (86), ce jusqu’à ce qu’un accord intervienne entre les parties ou qu’un jugement soit rendu au fond, et ASSORTIT cette obligation d’une astreinte provisoire de 1.000 euros par jour et par infraction à compter de la signification de la présente décision, sans s’en réserver la liquidation ;

REJETTE la demande de M. [V] [E] en injonction de remettre la maison en l’état ;

CONDAMNE LA MAISON ATELIER à payer à M. [V] [E], assisté de son curateur APAJH 86, la somme de 2.000 euros à titre de provision ;

CONDAMNE LA MAISON ATELIER à payer au conseil de M. [V] [E] la somme de 1.200 euros au titre de l’article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 et du 2° de l’article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE la demande de M. [V] [E] au titre du 1° de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE LA MAISON ATELIER aux dépens ;

REJETTE toute autre demande ;

DIT qu’il sera procédé à la signification de la présente ordonnance par la partie la plus diligente ;

RAPPELLE l’exécution provisoire de plein droit ;

Le Greffier Le Juge des référés


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