Les conditions du détournement de clientèle
Les conditions du détournement de clientèle
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Afin de créer sa nouvelle société, un associé est en droit de garder la même adresse et le même numéro de téléphone que son ancienne structure.

Conditions du détournement de clientèle fautif

Pour caractériser un détournement de clientèle fautif, de nature à engager la responsabilité délictuelle de son auteur sur le fondement de l’article 1240 du code civil, la preuve doit être rapportée de procédés déloyaux à l’origine de ce détournement, caractérisant un abus de la liberté du commerce.

L’absence de clause de non-concurrence

En l’absence de clause de non-concurrence, le détournement de clientèle ne peut résulter du seul fait que des clients se reportent sur le commerce ouvert par l’ancien salarié, le démarchage de la clientèle de l’ancien employeur n’étant constitutif de concurrence déloyale que s’il est réalisé par des moyens critiquables, contraires aux usages loyaux du commerce.

Adresse et téléphone identiques : oui c’est légal  

Le fait d’avoir installé le siège social de sa société à l’adresse de l’ancien siège de la société Agence A, dont le local au rez-de-chaussée du l’immeuble était fermé depuis septembre 2015 mais qui poursuivait son activité dans de nouveaux locaux, ne caractérise pas en soi un détournement de clientèle de la part de l’associé, en l’absence d’éléments de nature à établir qu’il en est effectivement résulté une confusion dans l’esprit de la clientèle.

L’utilisation du même numéro de téléphone portable ne serait susceptible de caractériser une pratique déloyale de l’associé que s’il était démontré qu’elle a effectivement permis une captation de la clientèle, tenue dans l’ignorance, lors d’échanges téléphoniques, de la modification dans la situation juridique de l’intéressée. 



COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

Chambre commerciale

ARRET DU 03 JANVIER 2023

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 21/00556 – N° Portalis DBVK-V-B7F-O3D4

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 17 DECEMBRE 2020

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BEZIERS

N° RG 19/00448

APPELANTES :

Madame [B] [N]

née le 24 Décembre 1964 à [Localité 11] (17)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me Adrien COHEN BOULAKIA, avocat au barreau de MONTPELLIER

S.A.S. B@B AGNES [N] COMMUNICATION, prise en la personne de son président

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me Adrien COHEN BOULAKIA, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEES :

S.A.R.L. ROUGE VIF JUNIUM (anciennement dénommée AGENCE A) agissant poursuites et diligences de son représentant légal

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentée par Me Marie NOURRIT-FRESET de la SCP AVOCARREDHORT, avocat au barreau de BEZIERS, avocat postulant

Représentée par Me Valérie LEGER, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant

S.A.S. ROUGE VIF agissant poursuites et diligences de son représentant légal

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentée par Me Marie NOURRIT-FRESET de la SCP AVOCARREDHORT, avocat au barreau de BEZIERS, avocat postulant

Représentée par Me Valérie LEGER, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant

Ordonnance de clôture du 04 Octobre 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 OCTOBRE 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre

Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller

M. Thibault GRAFFIN, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Audrey VALERO

ARRET :

— Contradictoire

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

— signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.

*

* *

FAITS et PROCÉDURE – MOYENS et PRÉTENTIONS DES PARTIES:

Selon statuts établis le 11 janvier 1999, [B] [N] et [G] [S] ont créé la SARL Studio A, ensuite dénommée Agence A puis Rouge vif junium, société ayant son siège [Adresse 2] (Hérault) et une activité d’agence de publicité et de communication ; Mme [N], bien que liée à la société Studio A par un contrat de travail à temps partiel conclu le 4 juillet 2000 (en tant d’employée administrative), en a été la dirigeante de fait.

En septembre 2012, à la suite de diverses cessions de parts et d’une augmentation de capital, la SAS Rouge Vif est devenue associée majoritaire, à hauteur de 51% du capital, de la société nouvellement dénommée Agence A, dont [F] [O] est devenu le gérant ; Mme [N] est restée associée avec 49% du capital, et a été embauchée sur un poste salarié de directrice d’agence.

Le 18 août 2015, Mme [N] a été placée en arrêt maladie ; le 11 décembre 2015, la société Agence A lui a notifié son licenciement pour inaptitude médicalement constatée et impossibilité de reclassement.

La SAS B@B [B] [N] communication, dont la présidente est Mme [N], a été immatriculée le 20 janvier 2016 au registre du commerce et des sociétés avec pour activité toute opération de formation, de conseil en relation publique et communication.

Par exploit du 13 octobre 2017, la société Agence A et la société Rouge vif, se plaignant de divers actes de concurrence déloyale à l’origine d’un détournement de clientèle, ont fait assigner la société B@B [B] [N] communication et Mme [N] devant le tribunal de grande instance de Béziers en responsabilité et indemnisation de leur préjudice.

Le tribunal judiciaire de Béziers, par jugement du 17 décembre 2020, a notamment :

— condamné in solidum, la société B@B [B] [N] communication et Mme [N] à payer :

‘ à la société Rouge vif la somme de 4960,84 euros,

‘ à la société Agence A la somme de 50 000 euros,

— condamné la société B@B [B] [N] communication et Mme [N] à publier, à leurs frais, le dispositif du jugement dans le journal « Midi libre » éditions [Localité 9]/[Localité 7]/[Localité 12],

— déclaré recevables les demandes reconventionnelles formulées par la société B@B [B] [N] communication et Mme [N],

— débouté la société B@B [B] [N] communication et Mme [N] de ces mêmes demandes,

— condamné in solidum la société B@B [B] [N] communication et Mme [N] à payer la somme de 2000 euros à la société Agence A et la société Rouge vif sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné in solidum la société B@B [B] [N] communication et Mme [N] aux dépens avec distraction au profit de la SCP Avocat Carredhort,

— ordonné l’exécution provisoire.

La société B@B [B] [N] communication et Mme [N] ont régulièrement relevé appel, le 27 janvier 2021, de ce jugement ; elles ont ensuite saisi aux fins d’arrêt de l’exécution provisoire le premier président lequel, par une ordonnance de référé du 5 mai 2021, a fait droit à leur demande mais uniquement à hauteur de la somme de 9136,84 euros, reliquat après les saisies-attribution pratiquées le 24 février 2021, et rejeté le surplus de leurs prétentions.

Les appelantes demandent à la cour, dans leurs conclusions n° 3 déposées le 16 février 2022 via le RPVA et au visa des articles 1240 et 1241 du code civil, de :

(‘)

— infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Montpellier (sic) du 17 décembre 2020 en ce qu’il :

‘ les a condamnés in solidum à payer à la société Rouge vif la somme de 4960,84 euros et à la société Agence A la somme de 50 000 euros,

‘ les a condamnés à publier, à leurs frais, le dispositif du jugement dans le journal « Midi libre » éditions [Localité 9]/[Localité 7]/[Localité 12],

‘ les a condamnés in solidum à payer la somme de 2000 euros à la société Agence A et la société Rouge vif sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ les a condamnés in solidum aux dépens avec distraction au profit de la SCP Avocat Carredhort,

En conséquence,

— rejeter l’ensemble des demandes des sociétés Rouge vif junium et Rouge vif,

En tout état de cause,

— condamner in solidum les sociétés Rouge vif junium et Rouge vif au paiement de la somme de 6000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Au soutien de leur appel, elles font essentiellement valoir que :

— le seul fait que les anciens clients de la société Agence A devenue Rouge vif junium soient devenus ceux de la société B@B [B] [N] communication est impropre à caractériser un détournement de clientèle constitutif de concurrence déloyale,

— Mme [N] n’a manifesté aucune volonté d’induire en erreur la clientèle en choisissant comme siège à la société B@B [B] [N] l’adresse de l’ancien siège social de la société Agence A puisque cette adresse correspond à celle de son domicile personnel (au 1er étage) et d’un local dont elle est propriétaire (au 3ème étage), dans lequel la société Agence A exerçait son activité avant de déménager au rez-de-chaussée à compter du 1er décembre 2011,

— le fait de conserver son numéro de téléphone portable personnel ne peut être, non plus, constitutif de concurrence déloyale, alors que sa demande d’attribution d’un nouveau numéro de téléphone lui avait été refusée par son employeur,

— la reprise de la charte graphique des communes de Caux et de Bédarieux ne constitue pas davantage un acte de concurrence déloyale puisque le client est titulaire des droits de propriété intellectuelle attachés aux visuels, le tribunal ayant fait une confusion entre les fichiers sources, comme ceux rachetés par la commune d'[Localité 7], permettant la gestion des visuels via le logiciel « InDesign », et les visuels eux-mêmes,

— il n’est d’ailleurs pas démontré que la société B@B [B] [N] communication ait utilisé les fichiers informatiques de la société Agence A,

— l’existence d’un détournement de clientèle par des moyens déloyaux n’est donc pas prouvé, sachant qu’elle a été contacté directement par la responsable de la communication de la ville d'[Localité 7] et qu’elle a régulièrement répondu à un appel d’offre émis par la ville de [Localité 13], qui a retenu sa candidature,

— la preuve du lien de causalité entre le préjudice invoqué et les prétendus actes de concurrence déloyale n’est pas rapportée, la baisse du chiffre d’affaires de la société Agence A devenue Rouge vif junium étant essentiellement due à la fermeture de ses locaux à [Localité 7].

Formant appel incident, la société Rouge vif junium et la société Rouge vif, dans leurs conclusions déposées le 31 août 2022 par le RPVA, sollicitent de voir réformer le jugement entrepris en ce qu’il a réduit à 50 000 euros le montant de la condamnation en réparation du préjudice subi par la société Agence A, devenue Rouge vif junium, et condamner en conséquence la société B@B [B] [N] communication et Mme [N] au paiement de la somme de 227 986 euros en réparation du préjudice subi par cette société ; elles concluent à la confirmation du jugement pour le surplus et à la condamnation des appelantes au paiement de la somme de 5000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Elles exposent en substance que :

— Mme [N] a commis des actes de concurrence déloyale puisqu’elle a entretenu la confusion dans l’esprit des clients de la société Agence A, devenue Rouge vif junium, en exerçant la même activité que celle-ci et à la même adresse, le fait que cette dernière ait transféré son siège à [Localité 9] puis à nouveau à [Localité 7] étant indifférent dans l’appréciation de la faute,

— sa qualité de salariée et d’associée lui a ainsi permis d’utiliser des informations privilégiées, obtenues en ces qualités, notamment les noms et coordonnés des clients, et de détourner en particulier la clientèle des villes de [Localité 10], [Localité 8] et [Localité 13],

— elle a entretenu la confusion en utilisant le même numéro de téléphone portable que celui qu’elle utilisait lorsqu’elle travaillait au sein de la société Agence A, numéro ne pouvant être considéré comme personnel, s’agissant d’un abonnement payé par son employeur,

— certains travaux ont même été réalisés par Mme [N] avant la création de sa société, alors qu’elle était encore salariée et en arrêt maladie, comme la carte de v’ux de la ville d'[Localité 7],

— de plus, elle a utilisé pour son compte les créations graphiques appartenant à la société Agence A, devenue Rouge vif junium, le bulletin de la ville de [Localité 10] de janvier 2016 n’ayant d’ailleurs pu être exécuté qu’en utilisant les fichiers informatiques de cette société, dont elle a repris la charte graphique,

— les actes de concurrence déloyale commis par Mme [N], notamment le détournement de ces principaux clients, a généré un préjudice consistant en une perte de chiffre d’affaires,

— ainsi, la société Rouge vif a perdu la ville de [Localité 8], qui était un client historique, avec lequel elle avait réalisé en 2014 un chiffre d’affaires de 4960,84 euros,

— la société Agence A, devenue Rouge vif junium, a notamment perdu la clientèle des villes de [Localité 10], [Localité 7] et [Localité 13],

— son préjudice peut être chiffré à la perte du chiffre d’affaires entre 2014 et 2016, soit 227 986 euros (249 934 euros -21 948 euros), sans qu’elle ait à justifier de frais d’investissement ou de publicité destinés à « contrer » les actes de concurrence déloyale.

La société B@B [B] [N] communication et Mme [N] ont déposé, le 30 septembre 2022, des conclusions n° 4 avec cinq pièces nouvelles (n° 36 à 40), dont les intimées ont sollicité le rejet par des conclusions n° 4 déposées le 17 octobre 2022.

Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

C’est en l’état que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 4 octobre 2022.

MOTIFS de la DECISION :

1- Le rejet des conclusions n° 4 et des pièces nouvelles déposées le 30 septembre 2022 par la société B@B [B] [N] communication et Mme [N] :

Le fait pour les appelantes de déposer, le vendredi 30 septembre 2022, à la veille d’un week-end, des conclusions n° 4 comportant des développements supplémentaires et cinq pièces nouvelles (n° 36 à 40), alors que l’ordonnance de clôture devait intervenir le mardi 4 octobre 2022, mettant ainsi les intimées dans l’impossibilité d’en prendre connaissance et, éventuellement, d’y répondre avant la clôture de l’instruction, caractérise une violation du principe du contradictoire et du droit au procès équitable, énoncés aux articles 16 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; il y a donc lieu de déclarer irrecevables les conclusions n° 4 et les cinq pièces nouvelles, déposées le 30 septembre 2022 par la société B@B [B] [N] communication et Mme [N].

Les conclusions de la société Rouge vif junium et de la société Rouge vif déposées le 17 octobre 2022 après clôture de l’instruction doivent également être déclarées irrecevables en application de l’article 802 du code de procédure civile, applicable par renvoi de l’article 907, sauf en ce qu’elles tendent au rejet des conclusions des appelantes du 30 septembre 2022 pour non-respect du principe du contradictoire.

2- Le fond du litige :

Pour caractériser un détournement de clientèle fautif, de nature à engager la responsabilité délictuelle de son auteur sur le fondement de l’article 1240 du code civil, la preuve doit être rapportée de procédés déloyaux à l’origine de ce détournement, caractérisant un abus de la liberté du commerce ; ainsi, en l’absence de clause de non-concurrence, le détournement de clientèle ne peut résulter du seul fait que des clients se reportent sur le commerce ouvert par l’ancien salarié, le démarchage de la clientèle de l’ancien employeur n’étant constitutif de concurrence déloyale que s’il est réalisé par des moyens critiquables, contraires aux usages loyaux du commerce.

En l’espèce, il résulte des pièces produites que la société Agence A, aujourd’hui dénommée Rouge vif junium, dont Mme [N] était la salariée en tant que directrice d’agence avant d’être licencié le 11 décembre 2015, exerçait son activité dans un local commercial situé au rez-de-chaussée de l’immeuble du [Adresse 2] en vertu d’un bail commercial à effet du 1er décembre 2011, qu’à la suite de l’indisponibilité de Mme [N], en arrêt de travail depuis le 18 août 2015, le local commercial a été fermé à compter de septembre 2015 comme en attestent divers commerçants voisins (Mme [M], Mme [Y], Mme [W]’), que la société Agence A a résilié le bail commercial de ce local à effet du 31 décembre 2015 avant de s’installer dans un nouveau local situé à [Localité 9] ([Adresse 3]) et qu’à compter du 5 janvier 2016, date d’établissement des statuts de la société B@B [B] [N] communication, Mme [N] a démarré son activité d’agence de communication via la société ainsi créée à la même adresse du [Adresse 2], sachant qu’elle est propriétaire dans l’immeuble de son appartement situé au 1er étage et de plusieurs pièces au 3ème étage utilisées jusqu’en 2011 par la société Studio A, devenue Agence A.

Le fait d’avoir installé le siège social de sa société B@B [B] [N] communication à l’adresse de l’ancien siège de la société Agence A, dont le local au rez-de-chaussée du l’immeuble du [Adresse 2] était fermé depuis septembre 2015 mais qui poursuivait son activité dans de nouveaux locaux à [Localité 9], ne caractérise pas en soi un détournement de clientèle de la part de Mme [N] en l’absence d’éléments de nature à établir qu’il en est effectivement résulté une confusion dans l’esprit de la clientèle, constituée essentiellement de communes du département de l’Hérault confiant à une agence de communication l’édition des bulletins périodiques d’information, clientèle ainsi induite en erreur sur l’identité du prestataire auquel elle s’adressait ; en effet, la clientèle a toujours été en relation avec Mme [N], notamment comme directrice salariée de l’agence de communication exploitée par la société Agence A, et rien n’indique que la création de la société B@B [B] [N] communication, sous couvert de laquelle Mme [N] a poursuivi la même activité après son licenciement, a été dissimulée à la clientèle, qui aurait donc été captée de manière illicite.

Au contraire, plusieurs éléments tendent à prouver que la clientèle était parfaitement informée de la création par Mme [N] de la structure sous laquelle elle exploitait, depuis début janvier 2016, sa propre agence de communication ; ainsi, le maire de la ville de [Localité 10] l’a sollicitée, par courrier du 4 janvier 2016, en vue de l’édition des bulletins municipaux à venir, ayant appris la fermeture des bureaux de l’Agence A à [Localité 7] et l’ouverture de sa nouvelle société (sic) ; de même, la responsable de la communication de la ville d'[Localité 7] l’a assurée, par un courriel du 18 mars 2016, que la ville souhaitait faire appel à elle en tant qu’acteur local, suite à l’ouverture de sa nouvelle agence (sic) ; en outre, c’est bien à l’« Agence B at B » que le président de l’office du tourisme de [Localité 13] a notifié, le 15 janvier 2016, le marché et le cahier des charges pour la conception graphique, l’impression, le façonnage et la livraison du plan de la ville.

Contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, la preuve d’un détournement de clientèle consécutif à l’utilisation de l’adresse du siège social de la société Agence A n’est donc pas rapportée, sachant que Mme [N] n’était tenue d’aucune obligation de non-concurrence sur un secteur englobant la ville d'[Localité 7] et les communes environnantes.

Il est constant que lorsqu’elle travaillait pour le compte de la société Agence A, Mme [N] utilisait, pour les besoins de son activité professionnelle, son numéro personnel de téléphone portable ([XXXXXXXX01]), d’ailleurs associé à un numéro de téléphone fixe et à un numéro de télécopieur, et dont elle a continué à se servir après la création de sa société B@B [B] [N] communication, ce numéro de téléphone portable apparaissant notamment sur le bulletin municipal n° 128 de la ville de [Localité 10] de janvier 2016 sous la rubrique « Maquette et mise en page » ; pour autant, l’utilisation du même numéro de téléphone portable ne serait susceptible de caractériser une pratique déloyale de la part de Mme [N] que s’il était démontré qu’elle a effectivement permis une captation de la clientèle, tenue dans l’ignorance, lors d’échanges téléphoniques, de la modification dans la situation juridique de l’intéressée ; or, il a été indiqué plus haut que certains clients, en particulier les villes de [Localité 10] et d'[Localité 7], étaient parfaitement informés de la création par Mme [N] de sa société B@B [B] [N] communication, ce dont il se déduit que l’utilisation par celle-ci du numéro de téléphone portable, dont elle se servait en tant que directrice d’agence salariée de la société Agence A, n’a pu avoir aucune incidence dans le départ de ces clients.

Au surplus, par courriel du 13 mai 2013, Mme [N] avait suggéré au gérant de la société Agence A de souscrire un nouvel abonnement téléphonique pour plus de clarté et de rapidité (sic), après avoir rappelé qu’elle utilisait à des fins professionnelles depuis 15 ou 16 ans un numéro de téléphone personnel (lié à un abonnement Bouygues Telecom).

Le premier juge a, par ailleurs, considéré que la société B@B [B] [N] communication et Mme [N] avaient commis des actes de concurrence déloyale en utilisant pour leur compte les créations graphiques appartenant aux sociétés du groupe Rouge vif, notamment pour l’édition des plaquettes d’information des villes de [Localité 10] et de [Localité 8] ; il a tiré d’une attestation, produite aux débats, selon laquelle la ville d'[Localité 7] avait dû racheter les fichiers à la société Rouge vif pour pouvoir les traiter en interne et les finaliser, la preuve que les créations graphiques appartenaient bien à cette dernière et non à ses clients.

Cependant, les fichiers, dont il est question, ne peuvent correspondre qu’aux fichiers des supports de communication visuelle créés par la société Rouge vif avec un logiciel de PAO (publication assistée par ordinateur), intégrant la charte graphique du client laquelle regroupe l’ensemble des codes et des règles définissant l’identité visuelle de celui-ci ; si les bulletins d’information des villes de [Localité 10] et [Localité 8] élaborés par la société B@B [B] [N] communication utilisent la même charte graphique que les bulletins d’information créés antérieurement par la société Agence A ou la société Rouge vif, rien ne permet d’affirmer que cette charte graphique, protégée comme oeuvre de l’esprit au sens de l’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle, soit la propriété de ces sociétés, qui seraient ainsi titulaires des droits d’auteur ; les appelantes communiquent d’ailleurs un exemplaire du journal municipal d’information de [Localité 8] édité en décembre 2018, ayant été élaboré par une autre agence de communication (le studio de création graphique la Chose Verte) et utilisant la même charte graphique, ce qui tend à prouver que les droits de propriétéintellectuelle sur la charte graphique appartiennent en l’occurrence, non à l’agence de communication, mais à la ville de [Localité 8].

Enfin, s’il est établi que le maire de [Localité 10] a, le 4 janvier 2016, confié à Mme [N] l’édition des bulletins municipaux, le premier bulletin élaboré par la société B@B [B] [N] communication étant celui de janvier 2016, et que le président de l’office du tourisme de [Localité 13] a, dès le 15 janvier 2016, confié à cette société la réalisation du plan de la ville, il ne peut pour autant en être déduit, en dépit du laps de temps très court s’étant écoulé entre le licenciement de Mme [N] et la création de sa société B@b [B] [N] communication, l’existence d’un démarchage abusif de la clientèle ; s’agissant plus particulièrement de l’édition du bulletin d’information de la ville de [Localité 10] de janvier 2016, aucun élément ne permet de corroborer l’hypothèse émise par les intimées quant à l’utilisation par la société B@B [B] [N] communication des fichiers sources appartenant à la société Agence A, que Mme [N] aurait copié lorsqu’elle était salariée de celle-ci.

Dès lors, le report de la clientèle de la société Agence A, devenue Rouge vif junium, et de la société Rouge vif sur la société B@B [B] [N] communication, ayant débuté son activité début janvier 2016, n’est pas en soi révélateur d’une concurrence déloyale ; la preuve d’un démarchage illicite de la clientèle à l’origine de la perte, alléguée, de chiffre d’affaires n’est pas, en effet, rapportée en l’état des pièces produites, ce dont il résulte que le jugement entrepris ne peut qu’être infirmé dans toutes ses dispositions et que les sociétés Rouge vif junium et Rouge vif doivent être déboutées de l’ensemble de leurs prétentions.

Les sociétés Rouge vif junium et Rouge vif qui succombent, doivent être condamnées aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à payer à la société B@B [B] [N] communication et à Mme [N], ensemble, la somme de 3000 euros au titre des frais non taxables que celles-ci ont dû exposer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare irrecevables les conclusions n° 4 et les cinq pièces nouvelles, déposées le 30 septembre 2022 par la société B@B [B] [N] communication et Mme [N],

Déclare également irrecevables les conclusions de la société Rouge vif junium et de la société Rouge vif déposées le 17 octobre 2022, sauf en ce qu’elles tendent au rejet des conclusions des appelantes du 30 septembre 2022 pour non-respect du principe du contradictoire,

Au fond, infirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Béziers en date du 17 décembre 2020 et statuant à nouveau,

Déboute la société Agence A, devenue Rouge vif junium, et la société Rouge vif de l’ensemble de leurs prétentions,

Condamne les sociétés Rouge vif junium et Rouge vif aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à payer à la société B@B [B] [N] communication et à Mme [N], ensemble, la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du même code,

le greffier, le président,


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