Pour ce qui concerne la rupture des pourparlers, l’engagement de la responsabilité repose sur la notion d’abus du droit ; autrement dit, ce qui est sanctionné est l’abus du droit de rupture unilatérale, de sorte que la rupture des négociations n’est ainsi jamais fautive en elle-même et peut seulement le devenir en raison des circonstances dans lesquelles elle intervient.
Parmi les circonstances abusives de rupture, figurent la longueur ou l’état d’avancement des pourparlers, les frais qui ont pu être engagés, la croyance éventuellement suscitée dans l’esprit de l’autre partie quant à la conclusion du contrat, le caractère brutal de la rupture et l’existence ou l’absence d’un motif légitime de rupture. Selon l’article 1112 du même code, l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations pré-contractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. L’article 1112-1 du code civil relativement à l’obligation d’information pré-contractuelle énonce que celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages. C’est à celui qui se dit victime d’une rupture abusive de démontrer les circonstances caractérisant l’abus. En la cause, dans le cadre de la négociation d’un bail commercial, ni l’une ni l’autre des parties n’avait pris la mesure de l’ampleur de travaux de mise aux normes, sans qu’il soit établi qu’il incombait à Francéclat de respecter une quelconque obligation d’information pré-contractuelle à l’égard de P2R Formations, sur les coûts engendrés par de tels travaux. De surcroît, s’il peut être retenu une forme de légèreté dans la conduite des pourparlers, cette légèreté, outre qu’elle se trouve dans le comportement des deux parties, ne saurait être considérée comme constitutive d’un abus |
Résumé de l’affaire :
Contexte de l’affaireLa SAS P2R Formations est un organisme de formation professionnelle dans les domaines du polissage et de l’horlogerie, classé comme établissement recevant du public (ERP) de catégorie 5. Le Comité Francéclat, un comité professionnel d’utilité publique, a engagé des pourparlers avec P2R Formations pour la location de locaux de 400 m² à [Localité 5] à partir de février 2020. Échec des négociationsLes discussions entre P2R Formations et Francéclat n’ont pas abouti, ce qui a conduit P2R Formations à chercher une solution alternative pour ses activités, alors qu’elle était scindée sur deux sites. Francéclat a finalement loué les locaux à d’autres preneurs. P2R Formations a alors assigné Francéclat devant le tribunal judiciaire de Paris, demandant 170 000 euros en réparation d’un préjudice économique. Arguments de P2R FormationsP2R Formations soutient que Francéclat a manqué à son obligation de bonne foi et d’information pré-contractuelle, ce qui a conduit à la rupture des pourparlers. Elle affirme que Francéclat n’a pas pris les mesures nécessaires pour rendre les locaux conformes aux normes ERP et qu’elle a tardé à s’engager sur la prise en charge des travaux de mise aux normes. Arguments de FrancéclatFrancéclat, en défense, conteste les accusations de P2R Formations, affirmant qu’elle n’a pas manqué à ses obligations et qu’elle a agi de bonne foi. Elle souligne que les discussions étaient toujours en cours concernant le prix au moment de la rupture et qu’elle a tenté de trouver des solutions alternatives pour P2R Formations. Décision du tribunalLe tribunal a statué que P2R Formations ne prouvait pas que Francéclat avait manqué à ses obligations d’information ou de bonne foi. En conséquence, P2R Formations a été déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice économique. Francéclat a également été débouté de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive. Conséquences financièresP2R Formations a été condamnée à supporter les dépens de l’instance et à verser 2 000 euros à Francéclat au titre des frais irrépétibles. L’exécution provisoire a été déclarée de droit. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
4ème chambre
2ème section
N° RG 22/00673
N° Portalis 352J-W-B7F-CVZIK
N° MINUTE :
Assignation du :
23 Décembre 2021
JUGEMENT
rendu le 07 novembre 2024
DEMANDERESSE
S.A.S. P2R FORMATIONS
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Karine PEROTIN, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #P505,
et par Me Robert DUMONT, avocat au barreau de BESANCON, avocat plaidant
DÉFENDERESSE
Comité professionnel de développement économique FRANCÉCLAT
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Thomas ROUHETTE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0151,
et par Me Claire MASSIERA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0151
Décision du 07 novembre 2024
4ème chambre 2ème section
N° RG 22/00673 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVZIK
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Nathalie VASSORT-REGRENY, Vice-Présidente
Monsieur Thierry CASTAGNET, Premier Vice-Président Adjoint
Madame Emeline PETIT, Magistrate
assistés de Madame Nadia SHAKI, Greffière lors des débats et de Madame Salomé BARROIS, Greffière lors de la mise à disposition
DÉBATS
À l’audience du 05 septembre 2024 tenue en audience publique devant Madame PETIT, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, avis a été donné aux conseils des parties que la décisions serait rendue par mise à disposition le 31 octobre 2024 prorogée au 07 novembre 2024.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
En premier ressort
La SAS P2R Formations (P2R Formations) est un organisme de formation professionnelle spécialisé dans les domaines du polissage et de l’horlogerie, classé établissement recevant du public (ERP), de catégorie 5.
Le Comité Francéclat (ci-après « Francéclat ») est un comité professionnel de développement économique, relevant de la loi n°78-654 du 22 juin 1978, établissement d’utilité publique sous tutelle de l’Etat. Il intervient au service des secteurs de l’horlogerie, de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie et des arts de la table pour conduire notamment des actions d’aide au développement économique, de promotion commerciale ou d’assistance à l’international.
À compter du mois de février 2020, Francéclat et P2R Formations ont engagé des pourparlers, en vue de la location de bureaux et d’ateliers d’une surface de 400m2 en rez-de-chaussée surélevé, situés [Adresse 2] à [Localité 5].
P2R Formations souhaitait faire face à un accroissement de son activité et la regrouper sur un site unique dès lors qu’elle était scindée sur deux sites, l’un à [Localité 6] pour le domaine du polissage, l’autre à [Localité 5], pour le domaine de l’horlogerie et les services administratifs.
Les pourparlers n’ont pas abouti. Pour la poursuite de son activité, P2R Formations a trouvé une solution alternative. Francéclat a finalement loué ses locaux à d’autres preneurs.
Considérant que l’absence de conclusion du bail avec Francéclat était liée à des manquements de cette dernière dans le cadre des pourparlers, P2R Formations l’a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris par acte du 23 décembre 2021, sollicitant sa condamnation à lui verser la somme de 170 000 euros en réparation d’un préjudice économique résultant de l’impossibilité de louer des locaux.
Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 27 septembre 2023 et intitulées « Conclusions récapitulatives n°2 », ici expressément visées, P2R Formations, demanderesse, sollicite du tribunal judiciaire de Paris de :
« Accueillant la SAS P2R FORMATIONS en son assignation,Condamner FRANCÉCLAT à payer à la SAS P2R FORMATIONS la somme de 170 000 € en réparation de son préjudice économique.Débouter FRANCÉCLAT de toutes ses demandes plus amples ou contrairesCondamner FRANCÉCLAT à verser à la SAS P2R FORMATIONS une indemnité de 4 000 € sur le fondement de l’article 700 du cpc.Condamner FRANCÉCLAT aux entiers dépens. »
Sur sa demande en réparation d’un préjudice économique, P2R Formations se fonde sur les articles 1112 et 1112-1 du code civil relatifs aux négociations pré-contractuelles, notamment à l’obligation d’information pré-contractuelle.
La demanderesse expose que Francéclat aurait manqué tout à la fois à son obligation générale de bonne foi, ainsi qu’à son obligation d’information, considérant qu’elle serait à l’origine de la rupture des pourparlers par son comportement fautif, caractérisé non seulement par l’absence de prise des mesures nécessaires pour mettre à disposition des locaux conformes à la réglementation ERP catégorie 5, en temps utiles, mais encore par l’engagement de pourparlers pour la location de locaux susceptibles d’accueillir du public, sans s’être renseignée sur les modalités de mise aux normes. P2R Formations estime que Francéclat connaissait la nature de son activité et les conséquences induites en termes d’aménagement pour un établissement ERP catégorie 5, à tout le moins qu’elle aurait dû se renseigner en amont des pourparlers pour appréhender la nature et le coût des aménagements nécessaires, dès lors qu’elle proposait des locaux professionnels destinés à l’accueil du public.
Elle ajoute que Francéclat aurait pris l’engagement de faire réaliser à sa charge les travaux de mise aux normes, faisant établir des devis libellés à son propre nom et que son revirement s’agissant de cette prise en charge, officiellement justifié par un coût insupportable pour ses finances, serait intervenu bien trop tardivement puisque la SAS P2R Formations avait déjà donné son préavis de départ et était déjà en possession du nouveau projet de bail proposé par Francéclat.
Sur le moyen soulevé en défense tiré de la constitution par Francéclat d’un dossier en Mairie, P2R Formations ajoute que ce dossier n’aurait pas été constitué en temps utile (au plus tard mi-juillet), pour un emménagement mi-novembre.
Sur le préjudice économique, P2R Formations se prévaut d’un manque à gagner à hauteur de 170 000 euros en termes de chiffre d’affaires pour l’activité d’horlogerie, en raison de l’impossibilité d’accueillir l’ensemble des candidats aux formations d’horlogerie pendant 20 semaines.
Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 30 octobre 2023 et intitulées « Conclusions en réponse n°4 », ici expressément visées, Francéclat, défendeur, sollicite du tribunal judiciaire de Paris de :
« Vu les articles 1112 et 1112-1 du Code civil,
Vu les articles 32-1 et 700 du Code de procédure civile,
• DEBOUTER la SAS P2R Formations de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
• CONDAMNER la SAS P2R Formations, à titre reconventionnel, à payer au Comité Francéclat la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, sans préjudice de l’amende civile qu’elle pourra prononcer,
• CONDAMNER la SAS P2R Formations aux dépens de l’instance, dont distraction au profit de la AARPI Signature Litigation en application de l’article 699 du Code de procédure civile,
• CONDAMNER la SAS P2R Formations à payer au Comité Francéclat une indemnité de 4.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. »
Sur sa demande en réparation d’un préjudice économique formée par P2R Formations, Francéclat se fonde sur les mêmes dispositions du code civil que la demanderesse, mettant l’accent sur la liberté de rupture des pourparlers et son absence de mauvaise foi, dans ce cadre. Il indique ainsi n’avoir ni manqué ni à son obligation de bonne foi, ni à son obligation d’information pré-contractuelle dans la tenue et la rupture des pourparlers, laquelle serait justifiée par plusieurs motifs légitimes, considérant par ailleurs ne pas en être à l’origine.
Sur l’absence de mauvaise foi, il expose que des discussions auraient été toujours en cours sur le prix au moment de la rupture, qu’il n’avait pas entretenu d’illusion sur la conclusion du contrat, ayant toujours eu l’intention de louer les locaux litigieux, comme en témoigneraient les démarches accomplies (devis, échanges, déclaration en mairie). Il ajoute avoir prévenu P2R Formations des difficultés techniques s’agissant de la rampe d’accès et de ce que les délais impartis étaient trop justes pour solliciter plus de devis, particulièrement en période de pandémie. Francéclat indique encore avoir accompli des diligences en vue de trouver une solution alternative pour P2R Formations, la mettant en relation avec « Le Grand [Localité 5] Développement » afin qu’il lui propose des solutions alternatives et l’oriente vers d’autres locaux plus adaptés. Francéclat expose encore s’être assuré de ce que le dossier « P2R » était bien clos avant de donner suite aux demandes d’autres sociétés pour la location des locaux objets des pourparlers.
Francéclat se justifie sur les difficultés liées aux travaux d’aménagement, indiquant être un comité professionnel, sous tutelle, disposant de peu de moyens, quand le montant des travaux correspondait à 75 000€, soit environ 2 ans de loyer.
Sur l’existence de motifs légitimes de rupture des négociations pré-contractuelles, Francéclat expose qu’il y avait une impossibilité d’effectuer les travaux selon le calendrier imposé par P2R Formations du fait du délai de réponse de la mairie et de ce que les parties ne s’étaient, en tout état de cause, pas mise d’accord s’agissant de la prise en charge des coûts des travaux, ajoutant que P2R Formations n’aurait par ailleurs cessé d’annoncer des effectifs évolutifs et croissants, s’agissant des personnes présentes sur le site.
Sur l’obligation pré-contractuelle d’information, Francéclat ne considère pas avoir failli, expliquant qu’elle ne pouvait pas estimer à l’avance, et sans l’aide d’un professionnel, le montant des travaux qui devaient être engagés pour réaliser les travaux d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite, que lui-même n’étant pas un ERP, il ne serait donc pas débiteur d’une obligation d’information à l’égard de P2R Formations à ce sujet ou sur les coûts engendrés par les travaux envisagés, d’autant que P2R Formations ne lui aurait pas communiqué d’informations fiables s’agissant des effectifs présents sur site.
Sur le préjudice, Francéclat, outre qu’il réfute les calculs et attestations produites en demande, énonce qu’en cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne pourrait avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages, explicitant que la réparation du préjudice résultant de la rupture de pourparlers ne peut concerner que les dépenses que la négociation aurait engendrées. S’appuyant sur ces principes, Francéclat considère que P2R Formations doit en tout état de cause être déboutée de sa demande car la somme qu’elle sollicite correspondrait à la compensation de la perte des avantages attendus du contrat de bail ou la perte de chance de les obtenir.
Francéclat forme par ailleurs une demande reconventionnelle en réparation pour procédure abusive à hauteur de 15 000 €, se fondant sur les dispositions de l’article 31-1 du code de procédure civile et invoquant la légèreté blâmable de P2R Formations, dont les demandes seraient particulièrement infondées et les pièces justificatives insuffisantes.
La clôture de l’instruction est intervenue le 23 novembre 2023, par ordonnance du même jour. L’affaire a été audiencée le 5 septembre 2024 et mise en délibéré au 31 octobre 2024, prorogée au 07 novembre 2024.
À titre liminaire, il est rappelé qu’en procédure écrite, la juridiction n’est saisie que des seules demandes reprises au dispositif récapitulatif des dernières écritures régulièrement communiquées avant l’ordonnance de clôture et que les demandes de « donner acte », visant à « constater », à « prononcer », « dire et juger » ou à « dire n’y avoir lieu » notamment, ne constituent pas des prétentions saisissant le juge au sens de l’article 4 du code procédure civile dès lors qu’elles ne confèrent pas de droits spécifiques à la partie qui les requiert. Elles ne donneront donc pas lieu à mention au dispositif du présent jugement.
Il est également rappelé qu’en application de l’article 768 du code de procédure civile, entré en vigueur le 1er janvier 2020 et applicable aux instances en cours à cette date : « Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Les moyens qui n’auraient pas été formulés dans les conclusions précédentes doivent être présentés de manière formellement distincte. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion ».
1/ Sur la demande en réparation formée par P2R Formations, pour non-respect d’une obligation pré-contractuelle d’information et rupture abusive des pourparlers
L’article 1112-1 du code civil relativement à l’obligation d’information pré-contractuelle énonce que celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Selon l’article 1112 du même code, l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations pré-contractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages.
Pour ce qui concerne la rupture des pourparlers, l’engagement de la responsabilité repose sur la notion d’abus du droit ; autrement dit, ce qui est sanctionné est l’abus du droit de rupture unilatérale, de sorte que la rupture des négociations n’est ainsi jamais fautive en elle-même et peut seulement le devenir en raison des circonstances dans lesquelles elle intervient.
Parmi ces circonstances, figurent la longueur ou l’état d’avancement des pourparlers, les frais qui ont pu être engagés, la croyance éventuellement suscitée dans l’esprit de l’autre partie quant à la conclusion du contrat, le caractère brutal de la rupture et l’existence ou l’absence d’un motif légitime de rupture.
C’est à celui qui se dit victime d’une rupture abusive de démontrer les circonstances caractérisant l’abus.
En l’espèce, il s’agit d’examiner les conditions de la rupture de pourparlers relativement à la conclusion d’un bail commercial, plus précisément de déterminer si, dans ce cadre, le bailleur potentiel Francéclat aurait commis des manquements de nature à engager sa responsabilité à l’égard du preneur potentiel, P2R Formations.
À cet égard, P2R Formations considère que Francéclat connaissait sa qualité d’ERP et lui fait le reproche d’avoir proposé à bail des locaux, sans anticiper le coût et la durée des travaux en vue de leur mise en conformité avec la réglementation relative aux ERP.
P2R Formations, qui est à l’origine de la rupture des pourparlers, estime toutefois que sa rupture des relations trouverait sa cause dans cette attitude fautive, l’ayant conduit à anticiper l’absence de solution dans des conditions et délais qui lui auraient convenu, et à chercher une autre solution, pour la poursuite de son activité. Plus précisément, il lui serait apparu qu’une solution ne serait pas trouvée avec Francéclat avant l’issue du préavis de 6 mois qu’elle avait donné pour résilier l’un de ses baux commerciaux.
Il convient ainsi d’examiner la conduite de l’une et l’autre des parties pour déterminer si une attitude fautive de la part de Francéclat serait établie.
Au regard des éléments et pièces versées au dossier de part et d’autre, les pourparlers se sont déroulés de la façon suivante :
le 4 février 2020, Francéclat a transmis à P2R Formations un descriptif des locaux (pièce n°2 de P2R Formations et de Francéclat) ;
le 16 mars 2020, P2R Formations a informé Francéclat de sa qualité d’ERP et de la nécessité d’aménager les locaux, le courriel en question précisant que ces travaux « pourr[aient]être pris en charge soit par le bailleur, soit par le locataire » (pièce n°4 de P2R Formations et de Francéclat : courriel du 16 mars 2020 de P2R à Francéclat) ;
le 4 mai 2020, P2R Formations a donné un préavis de départ de 6 mois, pour ses locaux situés à [Localité 6], le terme du bail de ses autres locaux, situés à [Localité 5], étant fixé au 11 décembre 2022 ;
le 7 mai 2020, Francéclat a transmis un mail à P2R Formations, lui indiquant « retenir sa candidature », (pièce n° 3 de P2R Formations et n°6 de Francéclat) mais il était clair entre les parties que cela supposait des négociations postérieures sur les conditions de la prise de bail ;
le 8 juin 2020, P2R Formations a indiqué à Francéclat « [lui] laisser le soin de réaliser les travaux nécessaires à l’accessibilité PMR […] » et « prendr[e] en charge les travaux nécessaires à son activité », sollicitant une baisse de loyer annuel de 35 000 € à 31 000 € (pièce n°5 de P2R Formations et n°7 de Francéclat : courriel du 8 juin 2020 de P2R Formations à Francéclat) ;
le 11 juin 2020, Francéclat a transmis un courriel à P2R Formations, lui indiquant son accord sur le loyer de 33 000 €, le courrier évoquant les « travaux PMR », sans précision quant à leur prise en charge financière (pièce n°8 de Francéclat) ;
le 15 juillet 2020 Francéclat a transmis un projet de bail à la SAS P2R Formations (pièce n°9 de P2R Formations et n°3 de Francéclat), lequel :ne faisait pas mention d’aménagements spécifiques relativement à la réglementation des ERP, notamment dans son article 2 relativement à la description des locaux.prévoyait, en ses articles 3 et 5 (3- Durée et 5- Loyers et charge) une date de prise d’effet au 24 août 2020,prévoyait en son article 5 un loyer annuel de 33 000 € hors taxes ;
Le 11 août 2020, Francéclat a déposé un dossier de déclaration de travaux en mairie ;
Le 3 septembre 2020, Francéclat a transmis un courriel comprenant des devis portant sur la réalisation des travaux, proposant, au regard de leur montant, d’en prendre en charge 1/3 et de laisser 2/3 à la charge de P2R Formations (pièce n°10 de P2R Formations) ;
Le 7 septembre 2020, en réponse à ce courriel, P2R Formations a notamment fait le reproche à Francéclat d’avoir :« dans un premier temps, pris l’engagement de prendre en charge les travaux nécessaires et indispensables de mise aux normes,dans un second temps […] sollicité une prise en charge financière de [sa] part à concurrence de 50% du montant des travaux.Dans un troisième temps sollicité une prise en charge financière de [sa] part de 2/3 des travaux. […] » (pièce n°12 de P2R Formations et n°13 de Francéclat) ;
Le 8 septembre 2020, P2R Formations a enjoint à Francéclat, par lettre recommandée avec accusé de réception, de réaliser les travaux sans délai, précisant que ses locaux situés à [Localité 6] devaient être libérés au plus tard le 14 novembre 2020 ;
le 27 octobre 2020, P2R Formations a mis en demeure Francéclat de mettre à disposition les locaux à compter du 14 novembre 2020, sous peine de s’exposer au versement de dommages-intérêts pour rupture abusive de pourparlers ;
P2R Formations a prolongé son contrat de bail sur le site de [Localité 6] jusqu’au 31 août 2021, puis elle a signé un contrat de bail avec un autre bailleur au mois d’août 2021.
Ainsi, si l’on se réfère aux échanges entre les parties, il est établi que P2R Formations avait informé Francéclat de sa qualité d’ERP et de la nécessité d’aménager les locaux le 16 mars 2020. Toutefois, le courriel en question précisait que ces travaux « pourr[aient]être pris en charge soit par le bailleur, soit par le locataire » (pièce n°4 de P2R Formations et de Francéclat : courriel du 16 mars 2020 de P2R à Francéclat).
Au regard de ces échanges, il est encore établi qu’avant et après la réception du projet de bail du 15 juillet 2020, les parties ont échangé sur les modalités de la prise en charge des travaux d’aménagement et de mise aux normes des locaux.
Si P2R Formations considère que Francéclat avait pris l’engagement de faire réaliser à sa charge les travaux de mise aux normes, dès lors qu’elle a fait établir des devis à son propre nom, cette circonstance n’est toutefois pas de nature à établir cet engagement, notant à cet égard que les échanges entre les parties mettent au contraire en avant des incertitudes initiales quant à la détermination du débiteur de leur prise en charge.
P2R Formations ne saurait dès lors faire le reproche à Francéclat d’avoir engagé des pourparlers pour la location de locaux susceptibles d’accueillir du public, sans se renseigner sur les modalités de mise aux normes de ses locaux, ni de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour mettre à disposition des locaux conformes, en temps utiles, quand elle-même se proposait initialement de réaliser les travaux nécessaires.
Il appert par ailleurs que le désengagement de P2R Formations est clairement lié à une difficulté lié au délai, cette dernière précisant dans ses dernières mises en demeure que ses locaux situés à [Localité 6] devaient être libérés au plus tard le 14 novembre 2020, raison qui l’a conduite à rechercher une solution alternative.
Or, sur ce point, P2R Formations a donné un préavis de départ pour ses locaux le 4 mai 2020, quand, à cette date, elle n’avait pas même l’accord écrit de ce que sa proposition serait retenue par Francéclat, encore moins l’assurance que les locaux, dont elle savait qu’il n’étaient pas aux normes, le seraient à la date de fin de son préavis.
Il apparaît ainsi, en réalité, que ni l’une ni l’autre des parties n’avait pris la mesure de l’ampleur de tels travaux de mise aux normes, sans qu’il soit établi qu’il incombait à Francéclat de respecter une quelconque obligation d’information pré-contractuelle à l’égard de P2R Formations, sur les coûts engendrés par de tels travaux.
De surcroît, s’il peut être retenu une forme de légèreté dans la conduite des pourparlers, cette légèreté, outre qu’elle se trouve dans le comportement des deux parties, ne saurait être considérée comme constitutive d’un abus de la part de Francéclat.
Au regard de ces considérations et sans qu’il soit nécessaire d’entrer plus avant dans le détail de l’argumentation des parties, il n’est pas établi que Francéclat aurait manqué à une obligation d’information ou fait preuve de mauvaise foi dans la conduite des relations pré-contractuelles.
En l’absence de manquement de P2R Formations, il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur les questions subséquentes de l’éventuel préjudice qui en aurait découlé, ni du lien de causalité entre celui-là et celui-ci.
En conséquence, P2R Formations sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts en réparation d’un préjudice économique.
2/ Sur la demande reconventionnelle de Francéclat en réparation pour procédure abusive
Selon les dispositions de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
L’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.
En l’espèce, si P2R Formations est déboutée de sa demande en réparation, au vu des éléments et pièces versées aux débats et de la discussion dont ils ont fait l’objet, il n’apparaît pas qu’elle aurait engagé une action en justice dans de telles conditions, ni avec une légèreté blâmable, comme le soulève à tort Francéclat.
En conséquence, Francéclat sera débouté de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
3/ Sur les autres demandes
3-1/ Sur les dépens
L’article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En vertu de l’article 699 du code de procédure civile, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.
P2R Formations, demanderesse, qui succombe au titre de la demande principale à l’instance, sera condamnée aux entiers dépens, avec distraction au profit de l’AARPI Signature litigation.
3-2/ Sur les frais irrépétibles
Par application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne, sauf considérations tirée de l’équité, la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
En l’espèce, P2R Formations sera condamnée à verser à Francéclat la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles. P2R Formations sera, quant à elle, déboutée de sa demande à ce titre.
3-3/ Sur l’exécution provisoire
L’exécution provisoire est, en vertu des articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile issus du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019, de droit pour les instances dont relève le cas présent et introduites comme en l’espèce à compter du 1er janvier 2020. Il n’y a pas lieu de l’écarter.
Le tribunal statuant conformément à la loi, publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au greffe le jour du délibéré :
DÉBOUTE la SAS P2R Formations de sa demande en réparation d’un préjudice économique ;
DÉBOUTE le Comité professionnel de développement économique Francéclat de sa demande en réparation pour procédure abusive ;
CONDAMNE la SAS P2R Formations à supporter les dépens, avec distraction au profit de l’AARPI Signature litigation ;
CONDAMNE la SAS P2R Formations à payer au Comité professionnel de développement économique Francéclat la somme de 2 000 euros (deux mille euros) sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.
Fait et jugé à Paris, le 31 octobre 2024.
LA GREFFIÈRE
Salomé BARROIS
LA PRÉSIDENTE
Nathalie VASSORT-REGRENY