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La concurrence parasitaire se définit comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts, de son savoir-faire ainsi que de sa notoriété obtenant ainsi un avantage concurrentiel.
Une société se limitant à revendiquer des ‘concepts et des stratégies’ sans autre précision, ne démontre pas que ceux-ci sont le résultat d’efforts et d’un savoir-faire particulier, susceptibles de représenter une valeur économique, ni, à supposer que cela soit établi, d’avoir fait l’objet d’une appropriation ou d’une exploitation non autorisées |
→ Résumé de l’affaireIntroductionA titre liminaire, la cour rappelle que les demandes de ‘dire et juger’, ‘constater’, ‘dire’, dans la mesure où elles consistent en une reprise de simples moyens ou arguments ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4 et 5 du code de procédure civile de sorte que la cour ne statuera pas sur celles-ci. Sur la demande de dommages-intérêts de 2.288.451 €C’est par de justes et pertinents motifs, dont les débats devant la cour n’ont pas altéré la pertinence, que les premiers juges ont débouté les appelantes de leurs demandes, de sorte qu’ils seront adoptés et complétés par la cour. Sur la responsabilité de la société TotalLa société Creative Content, au visa de l’article 1104 du code civil et des articles 7 et 15.1 du contrat litigieux conclu le 26 octobre 2016 entre les deux parties, fait valoir que dans le contexte d’un appel d’offres, la bonne foi contractuelle doit conduire l’organisateur de cet appel d’offres à respecter une égalité de traitement entre les candidats. Elle soutient en l’espèce que la société Total a manqué à son obligation de bonne foi en premier lieu, en reprenant dans le cadre d’un appel d’offres, procédure à laquelle elle n’avait jamais été soumise auparavant, les prestations qui lui avait été confiées depuis plusieurs années, en second lieu en lui laissant croire qu’elle pouvait espérer un flux d’affaires pour l’année 2017, enfin en troisième lieu en mettant en oeuvre une procédure d’appel d’offres, biaisée et déloyale, destinée à seulement quatre soumissionnaires dont l’agence Sustain créée par deux de ses anciennes collaboratrices (Mmes [F] et [L]). Elle sollicite la condamnation de la société Total, solidairement avec les autres intimées, à la somme de 2.288.450 € avec intérêt légal à compter du 31 décembre 2016. La société Total fait valoir qu’aucun prestataire ne dispose d’un droit absolu au maintien de son contrat et que tout opérateur économique est libre de changer de prestataire, que ce soit via l’organisation d’une mise en concurrence ou non. Elle précise que la société Creative Content a été informée de la mise en oeuvre d’un appel d’offres quatre mois avant son lancement sans émettre la moindre réserve quant à l’organisation de l’appel d’offres, auquel elle a participé de son plein gré, sachant qu’elle était mise en concurrence avec d’autres agences. Elle expose que cet appel d’offre s’inscrivait, d’une part, dans le cadre d’une réorganisation de son service Achats visant notamment à optimiser et harmoniser les process de sélection des prestataires et, d’autre part, résultait d’une volonté d’améliorer et d’optimiser les prestations de ‘brand content’, que le choix d’un appel d’offres fermé et réservé à 4 agences dont la société Creative Content qui collaborait avec elle depuis trois ans, n’est pas une procédure inhabituelle et n’est donc pas déloyale. Elle affirme qu’à aucun moment elle n’a fait croire à la société Creative Content qu’elle était assurée de remporter l’appel d’offres, qu’elle a fait preuve d’une parfaite transparence en lui indiquant qu’elle était insatisfaite de ses prestations à plusieurs reprises, que la société Creative Content a été informée dès le 30 septembre 2016 qu’elle n’était pas retenue de sorte que lorsqu’elle a signé le contrat de prestations de services le 25 octobre 2016, elle était déjà informée qu’elle n’était pas retenue pour participer au deuxième tour de l’appel d’offres et ne serait pas sélectionnée pour fournir de prestations de brand content pour l’année 2017, qu’elle n’ignorait pas en outre, dès le 29 août 2016, que Mme [F] avait participé à l’appel d’offres de sorte que la société Creative Content ne pouvait pas sérieusement croire au maintien d’un volume d’affaire significatif en 2017. Elle réfute l’argument de la société Creative Content et de son liquidateur selon lequel l’appel d’offres aurait été déloyal. Elle rappelle qu’elle n’avait aucune obligation de procéder à une mise en concurrence avant de changer de prestataire, ni de justifier son choix et qu’au demeurant l’appelante ne justifie pas de ses allégations. Elle fait valoir qu’elle n’a commis aucune faute en consultant la société Sustain, animée par les anciennes collaboratrices de la société Creative Content, rappelant qu’un ancien salarié est libre de concurrencer son ancien employeur en utilisant les compétences acquises auprès de celui-ci, le cas échéant en participant au même appel d’offres que lui, ce qui vaut pour Mme [L], ancienne salariée de l’appelante, et a fortiori pour Mme [F] qui n’était que prestataire de services de cette dernière. Enfin elle ajoute qu’il n’est pas démontré que Mmes [F] et/ou [L] aient disposé de sa part de quelconques informations relatives à la candidature à l’appel d’offres de Creative Content, dont elles auraient pu se servir pour la concurrencer déloyalement, ce que l’appelante et son liquidateur ont reconnu en renonçant à interjeter appel de la décision qui a prononcé la rétractation de l’ordonnance de saisie. Elle sollicite la confirmation du jugement entrepris qui a débouté la société Creative Content et son liquidateur de toutes leurs demandes. Sur la responsabilité de Mme [F]La société Creative Content sollicite, au visa de l’article 1104 du code civil et des articles 4 et 9 du contrat 6 octobre 2014 la liant avec Mme [F], l’infirmation du jugement entrepris qui a considéré que cette dernière n’avait pas manqué à ses obligations de bonne foi et de confidentialité. Elle soutient que chaque partie doit s’abstenir de tout abus, adopter un comportement raisonnable et modéré sans agir dans son intérêt exclusif ni nuire de manière injustifiée à son partenaire. Elle fait valoir qu’en l’espèce, Mme [F] a violé son obligation de loyauté et de bonne foi en agissant en qualité de prestataire pour son compte tout en poursuivant parallèlement ses prestations pour le compte de la société Total et, alors qu’elle était cofondatrice de l’agence Sustain, placée en concurrence directe avec elle pour l’attribution de l’appel d’offres, favorisant cette dernière, sans toutefois l’informer de ce conflit d’intérêts compte tenu de ses liens contractuels. Elle expose également que Mme [F] a violé son obligation de confidentialité en transmettant à l’agence Sustain des informations confidentielles lui appartenant relatives notamment à sa réponse à l’appel d’offres destinées à la société Total puisqu’elle a continué de collaborer avec elle après la création de l’agence Sustain ainsi qu’elle en rapporte la preuve aux termes d’un procès-verbal d’huissier du 19 juin 2018. Mme [F] rappelle qu’aux termes du contrat du 6 octobre 2014 il était convenu qu’elle puisse agir en toute indépendance sans être tenue par une clause d’exclusivité ou de non-concurrence. Elle fait valoir qu’au terme du contrat signé le 25 octobre 2016 entre la société Total et la société Creative Content cette dernière a cédé tous droits sur toutes éventuelles créations réalisées au profit de la société Total de sorte qu’elle ne peut revendiquer la propriété d’une quelconque création ainsi réalisée. Elle réfute toute violation de son obligation de bonne foi. Elle fait valoir que l’obligation de bonne foi participe du contrôle de la bonne exécution du contrat mais ne peut ajouter de nouvelles obligations, qu’à aucun moment la société appelante ne lui a reproché un quelconque manquement au titre de l’exécution du contrat, que le contrat ne comporte aucune obligation d’information réciproque, que dès lors les appelantes sont mal fondées à lui reprocher de ne pas les avoir averties de l’existence de ses propres projets professionnels, lesquels ne ressortent pas de l’exécution du contrat de prestations de services et n’étaient pas susceptibles d’avoir un impact sur la qualité des prestations fournies et ce, même au cours de l’exécution de son préavis. Elle soutient qu’en l’absence de dispositions contractuelles lui interdisant l’exercice d’une activité concurrente de celle de la société Creative Content, elle était, en qualité de prestataire indépendante, libre de soumettre à la société Total une offre de services, dans le cadre du libre jeu de la concurrence entre opérateurs économiques et de créer pour ce faire l’agence Sustain avec Mme [L]. Elle expose que les appelantes ne rapportent pas la preuve d’une quelconque violation d’informations confidentielles dont le contrat ne précise pas la définition, le procès-verbal produit par les appelantes étant sur ce point silencieux. Sur la responsabilité de Mme [L]La société Creative Content sollicite l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a considéré que Mme [L] n’avait pas commis d’actes de concurrence déloyale à son encontre. Elle fait valoir, au visa de l’article 1240 du code civil, que l’action en concurrence déloyale suppose seulement l’existence de faits générateurs d’un préjudice sans avoir à rapporter la preuve d’éléments additionnels tels qu’un rapport de concurrence. Elle fait sien le principe posé selon elle par la jurisprudence selon lequel le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé l’ancien salarié d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité de ce dernier et obtenues par ce salarié pendant l’exécution de son contrat de travail, constitue un acte de concurrence déloyale. Elle soutient, au visa de l’article 1137 du code civil, que Mme [L] a employé des ‘méthodes dolosives’ par dissimulation intentionnelle d’une information, la création d’une agence concurrente, dont elle savait le caractère déterminant pour les appelantes afin d’obtenir la levée de sa clause de non-concurrence prévue à son contrat de travail. Elle affirme que Mme [L] a bénéficié de documents confidentiels adressés par l’une de ses collaboratrices (Mme [Y]) relatifs à sa réponse à l’appel d’offres de la société Total qu’elle a communiqués à Mme [F], toujours en relation avec elle ainsi qu’avec la société Total. Elle dénonce le comportement adopté par Mme [L] et Mme [F] qui a conduit au départ de deux de ses quatre collaborateurs en vue de créer une agence concurrente puis au détournement de son client, la société Total, représentant entre 50 et 75 % de son chiffre d’affaires sur la période 2014 ‘ 2016, provoquant ainsi sa désorganisation menant à son redressement puis à sa liquidation judiciaire. Mme [L] sollicite la confirmation du jugement entrepris qui a débouté la société Creative Content et son liquidateur de l’ensemble de leurs demandes à son encontre. Elle fait valoir, au visa des articles 6 et 9 du code de procédure civile et des articles 1315 et 1382 anciens du code civil, que seules des manoeuvres déloyales sont de nature à rendre illicite une action consistant à conquérir le client d’un opérateur concurrent, que tel n’est pas le cas d’une personne qui met à profit son expérience et ses connaissances acquises au profit d’un autre employeur même agissant dans le même secteur que celui de la société dont elle était antérieurement salariée, qu’il ne peut être présumé que les informations confidentielles ont été transmises à l’entreprise du seul fait de la création d’une entreprise concurrente par l’ex salarié. Elle rappelle qu’il appartient aux appelantes de rapporter la preuve d’une part d’un débauchage illicite et d’autre part d’une désorganisation qui en est la conséquence. Elle soutient qu’en l’espèce la rupture conventionnelle a été conclue et la clause de non-concurrence levée par la société Creative Content en toute connaissance de cause, cette dernière étant informée de son projet de création de l’agence Sustain, ainsi que les échanges de correspondance permettent de le constater, de sorte qu’elle était libre, en accord avec son ancien employeur, d’exercer une activité concurrente et notamment de soumissionner à l’appel d’offres de la société Total. Elle affirme que son départ n’a pas été coordonné avec Mme [F] et la société Total, contrairement aux allégations des appelantes qui n’en rapportent pas la preuve et ne démontrent pas que celui-ci a entraîné une désorganisation au point de conduire la société Creative Content à la liquidation judiciaire alors qu’elle pouvait opérer normalement. Elle réfute avoir reçu des éléments confidentiels d’une salariée de la société Creative Content (Mme [Y]), le procès-verbal produit par les appelantes étant dépourvu de toute force probatoire à cet égard et concernant un travail de création graphique réalisé par Mme [Y] à titre personnel. Elle conteste avoir utilisé l’expérience technique de son employeur en reproduisant prétendument à l’identique la stratégie déjà créée par celui-ci alors qu’elle disposait d’une expérience significative dans ce domaine avant son embauche par la société Creative Content. Sur les actes de parasitismeLa société Creative Content, à titre subsidiaire, sollicite la condamnation des intimées pour parasitisme. Elle critique les premiers juges qui lui ont reproché de ne pas rapporter la preuve d’une faute spécifique définie comme le fait de s’inspirer, de copier une valeur économique d’autrui individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’un investissement, se contentant d’évoquer des « concepts stratégie » repris par l’agence Sustain sans préciser en quoi ils consistaient. La concurrence parasitaire se définit comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts, de son savoir-faire ainsi que de sa notoriété obtenant ainsi un avantage concurrentiel. La société Creative Content, se limitant à revendiquer des ‘concepts et des stratégies’ sans autre précision, ne démontre pas que ceux-ci sont le résultat d’efforts et d’un savoir-faire particulier, susceptibles de représenter une valeur économique, ni, à supposer que cela soit établi, d’avoir fait l’objet d’une appropriation ou d’une exploitation non autorisées par la société Sustain qui n’est pas partie au procès, dans le cadre de l’appel d’offres que cette dernière a remporté. La société Creative Content ne justifie pas de l’utilisation fautive par la société Total, et/ou Mme [F] et/ou Mme [L], dans le cadre de la procédure d’appel d’offres, de ces ‘concepts et statégies’ à les supposer investis d’une valeur économique dont elle pourrait se prévaloir. Les documents relatifs à l’appel d’offres et aux réponses à celui-ci ne sont pas produits. Le jugement entrepris sera également confirmé sur ce point. Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civileLe jugement, qui a condamné le liquidateur de la société Creative Content aux dépens et aux frais irrépétibles, doit être infirmé. Les dépens de première instance et d’appel seront fixés au passif de la procédure collective de la société Creative Content. Compte tenu de la liquidation judiciaire de cette dernière, la distraction des dépens ne peut être ordonnée. Par ailleurs, il conviendra de fixer au passif de la procédure collective de la société Creative Content la créance de chacune des intimées à la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE
VERSAILLES
Code nac : 39H
Chambre commerciale 3-1
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 MAI 2024
N° RG 22/06057 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VOES
AFFAIRE :
S.A.S. CREATIVE CONTENT
…
C/
[W] [F]
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Septembre 2022 par le Tribunal judiciaire de NANTERRE
N° Chambre : 7
N° RG : 18/11484
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Martine DUPUIS
Me Emilie VERNHET LAMOLY
Me Mélina PEDROLETTI
TJ NANTERRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.S. CREATIVE CONTENT
[Adresse 1]
[Localité 8]
S.E.L.A.R.L. C. [U] prise en la personne de Me [C] [U] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société CREATIVE CONTENT
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentées par Me Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Pascal WILHELM & Me Emilie DUMUR de la SELAS WILHELM & ASSOCIES, Plaidants, avocats au barreau de Paris
APPELANTES
Madame [W] [F]
[Adresse 7]
[Localité 5]
Madame [J] [L]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentées par Me Emilie VERNHET LAMOLY de la SCP SVA, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0055 et Me Arnaud LAURENT de la SCP SVA, Plaidant, avocat au barreau de Montpellier
Société TOTALENERGIES SE (anciennement dénommée TOTAL SA)
RCS Nanterre n° 542 051 180
[Adresse 3]
[Localité 9]
Représentée par Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 et Me Maïlys DERIAT & Me Antoine DEROT de la SELARL REINHART MARVILLE TORRE, Plaidants, avocats au barreau de Paris
INTIMEES
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 Février 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller faisant fonction de président,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
Le 24 juillet 2013, la SAS Creative Content, qui exerce une activité de conseil en contenus de marque (« Brand Content ») et de producteur de contenus éditoriaux, et Mme [J] [L] ont conclu un contrat de travail à durée indéterminée, aux termes duquel Mme [L] a été engagée en qualité de directrice éditoriale.
Le 6 octobre 2014, la société Creative Content a également conclu un contrat-cadre de prestations de services avec Mme [W] [F]. Ce contrat avait pour objet de définir les conditions de réalisation des créations et prestations de Mme [F] sur les projets qui lui seraient confiés par la société Creative Content.
Par courrier en date du 10 mars 2016, Mme [L] a informé la société Creative Content qu’elle souhaitait quitter l’entreprise pour des raisons personnelles et a sollicité à cet effet une rupture conventionnelle de son contrat de travail et la levée de sa clause de non-concurrence, ce que la société Creative Content a accepté. Le contrat de travail a ainsi pris fin le 2 mai 2016.
La société Creative Content avait été retenue par la société Total Energies SE (la société Total) comme agence de conseil « brand content » depuis fin 2014. Les relations commerciales entre ces deux sociétés ont donné lieu, le 25 octobre 2016, à la signature d’un contrat de prestations de services de conseil en « brand content » à effet rétroactif au 1er janvier 2016.
En mars 2016, la société Creative Content a été informée par la société Total de l’ouverture imminente d’une procédure d’appel d’offres intitulée ‘Corporate Brand content Better Energy Wordwide’ portant sur des prestations de stratégie éditoriale de marque pour l’année 2017. La société Creative Content a participé à cet appel d’offres et a déposé son dossier en septembre 2016, conformément au calendrier d’appel d’offres établi par la société Total.
La société Creative Content n’a pas été appelée à participer au second tour et les relations commerciales entre la société Creative Content et la société Total ont pris fin le 31 décembre 2016.
Mme [F] a mis fin le 22 août 2016 à son contrat de prestations de services pour convenances personnelles.
La société Creative Content, soupçonnant un comportement frauduleux et déloyal à son encontre de la part de la société Total, de Mme [F] et de Mme [L], l’appel d’offres ayant été remporté par l’agence Sustain, créée par ses deux anciennes collaboratrices, a saisi le président du tribunal de commerce de Nanterre, par voie de requête, afin que la saisie de courriels entre la société Total, Mme [F] et Mme [L], soit ordonnée et diligentée au siège de la société Total.
Cette saisie a été ordonnée par décision du 20 avril 2017.
La société Creative Content a été placée en redressement judiciaire au mois de mai 2017.
Le 4 août 2017, la rétractation de l’ordonnance de saisie a été prononcée, en raison du caractère disproportionné de la mesure.
Par actes d’huissier délivrés les 6, 9 et 10 novembre 2017, la société Creative Content, la SELARL C. [U], en la personne de Maître [C] [U], ès-qualités de mandataire judiciaire de la société Creative Content, et la SELARL Gay [R], en la personne de Maître [N] [R], ès-qualités d’administrateur judiciaire de la société Creative Content, ont fait assigner la société Total, Mme [W] [F] et Mme [J] [L], devant le tribunal de commerce de Nanterre, aux fins notamment de voir condamner solidairement les défenderesses au paiement de la somme de 2.329.467 € de dommages-intérêts, outre 30.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Creative Content a fait l’objet d’une liquidation judiciaire par décision du tribunal de commerce du 27 mars 2018, qui a nommé la SELARL C. [U] en la personne de Maître [U], ès qualités de liquidateur judiciaire.
Par jugement prononcé le 18 septembre 2018, le tribunal de commerce de Nanterre s’est, notamment, dit incompétent s’agissant de Mme [W] [F] au profit du tribunal de grande instance de Nanterre et a renvoyé l’ensemble de l’instance devant ce tribunal.
Par jugement du 22 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
– Débouté la société Creative Content et la SELARL [U], prise en la personne de Maître [U], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Creative Content, de l’intégralité de leurs demandes ;
– Condamné la SELARL [U], prise en la personne de Maître [U], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Creative Content, au paiement de la somme de 6.000 € à la société Total, de 6.000 € à Mme [W] [F] et de 6.000 € à Mme [J] [L], sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné la SELARL [U], prise en la personne de Maître [U], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Creative Content, aux entiers dépens ;
– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.
Par déclaration du 3 octobre 2022, la société Creative Content et la SELARL [U] prise en la personne de Maître [C] [U], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Creative Content, ont interjeté appel de ce jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 5 décembre 2023, la société Creative Content et la SELARL [U] prise en la personne de Maître [C] [U], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Creative Content demandent à la cour de :
– Infirmer, en toutes ses dispositions, le jugement du 22 septembre 2022 du tribunal judiciaire de Nanterre, et notamment en ce qu’il a :
– Débouté la société Creative Content et la SELARL [U] en la personne de Maître [U], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Creative Content, de l’intégralité de leurs demandes ;
– Condamné la SELARL [U] en la personne de Maître [U], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Creative Content, au paiement de la somme de 6.000 € à la société Total, de 6.000 € à Mme [W] [F] et de 6.000 € à Mme [J] [L], sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné la SELARL [U] en la personne de Maître [U], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Creative Content, aux entiers dépens ;
En conséquence,
– Débouter la société Total Energies SE, Mme [F] et Mme [L] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
– Condamner solidairement la société Total Energies SE, Mme [F] et Mme [L] à verser à la société Creative Content la somme de 2.288.451 € avec intérêt de retard au taux légal à la date du 31 décembre 2016, sauf à parfaire au titre de la réparation des préjudices subis par elle du fait de leurs agissements fautifs ;
En tout état de cause,
– Condamner solidairement la société Total, Mme [F] et Mme [L] à verser à la société Creative Content la somme de 50.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner solidairement la société Total, Mme [F] et Mme [L] aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 6 décembre 2023, Mme [J] [L] demande à la cour de :
– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre le 22 septembre 2022 ;
Statuant à nouveau,
– Dire et juger que Mme [L] n’a commis aucune faute délictuelle à l’encontre de la société Creative Content ;
– Dire et juger que Maître [U] ès-qualités ne démontre aucun des préjudices prétendument subis par la société Creative Content ni sur le principe ni sur le quantum ;
– Dire et juger que ces préjudices sont sans aucun lien avec les fautes reprochées à Mme [L] ;
En conséquence,
– Débouter les appelants de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
– Exclure toute responsabilité de Mme [L] ;
En tout état de cause,
– Condamner Maître [U] ès-qualités à verser à Mme [L] une somme de 9.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner Maître [U] ès-qualités aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 6 décembre 2023, Mme [W] [F] demande à la cour de :
– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre le 22 septembre 2022 ;
Statuant à nouveau,
– Dire et juger que Mme [F] n’a violé aucune de ses obligations contractuelles ;
– Dire et juger que Mme [F] n’a pas manqué à l’obligation de bonne foi ;
– Dire et juger que Mme [F] n’a violé aucune obligation de confidentialité ;
– Dire et juger que Mme [F] n’a commis aucun acte de parasitisme comme auteure ou complice ;
– Dire et juger que la société Creative Content ne rapporte la preuve de l’existence d’aucun préjudice en lien avec les fautes reprochées ;
En conséquence,
– Débouter les appelants de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
– Condamner les appelants au paiement d’une somme de 9.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 outre les entiers dépens de l’instance.
Par dernières conclusions du 27 novembre 2023, la société Total demande à la cour de :
– Déclarer la SAS Creative Concept et la SELARL C. [U], prise en la personne de Maître [C] [U] ès-qualités de liquidateur de la société Creative Concept, mal fondées en leur appel, les débouter ;
A titre principal,
– Juger que la société Total n’a commis aucun manquement contractuel de nature à engager sa responsabilité ;
– Juger que la société Total n’a commis aucun acte de parasitisme de nature à engager sa responsabilité ;
En conséquence,
– Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 22 septembre 2022 ;
A titre subsidiaire,
– Juger qu’il n’existe aucun lien de causalité entre les fautes reprochées à la société Total et les préjudices invoqués par la société Creative Content et la SELARL C. [U], ès-qualités de liquidateur judiciaire ;
– Juger que la société Creative Content et la SELARL C. [U], ès-qualités de liquidateur judiciaire, ne justifient ni de l’existence ni du montant des préjudices qu’elles invoquent ;
En conséquence,
– Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 22 septembre 2022 ;
En tout état de cause,
– Condamner la SELARL C. [U], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Creative Content, à payer à la société Total la somme de 20.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la SELARL C. [U], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Creative Content, aux entiers dépens de l’instance dont le montant sera recouvré par Maître Mélina Pedroletti Avocat conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 janvier 2024.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l’article 455 du code de procédure civile.
A titre liminaire, la cour rappelle que les demandes de ‘dire et juger’, ‘constater’, ‘dire’, dans la mesure où elles consistent en une reprise de simples moyens ou arguments ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4 et 5 du code de procédure civile de sorte que la cour ne statuera pas sur celles-ci.
Sur la demande de dommages-intérêts de 2.288.451 €
C’est par de justes et pertinents motifs, dont les débats devant la cour n’ont pas altéré la pertinence, que les premiers juges ont débouté les appelantes de leurs demandes, de sorte qu’ils seront adoptés et complétés par la cour.
Sur la responsabilité de la société Total
La société Creative Content, au visa de l’article 1104 du code civil et des articles 7 et 15.1 du contrat litigieux conclu le 26 octobre 2016 entre les deux parties, fait valoir que dans le contexte d’un appel d’offres, la bonne foi contractuelle doit conduire l’organisateur de cet appel d’offres à respecter une égalité de traitement entre les candidats.
Elle soutient en l’espèce que la société Total a manqué à son obligation de bonne foi en premier lieu, en reprenant dans le cadre d’un appel d’offres, procédure à laquelle elle n’avait jamais été soumise auparavant, les prestations qui lui avait été confiées depuis plusieurs années, en second lieu en lui laissant croire qu’elle pouvait espérer un flux d’affaires pour l’année 2017, enfin en troisième lieu en mettant en oeuvre une procédure d’appel d’offres, biaisée et déloyale, destinée à seulement quatre soumissionnaires dont l’agence Sustain créée par deux de ses anciennes collaboratrices (Mmes [F] et [L]).
Elle sollicite la condamnation de la société Total, solidairement avec les autres intimées, à la somme de 2.288.450 € avec intérêt légal à compter du 31 décembre 2016.
La société Total fait valoir qu’aucun prestataire ne dispose d’un droit absolu au maintien de son contrat et que tout opérateur économique est libre de changer de prestataire, que ce soit via l’organisation d’une mise en concurrence ou non.
Elle précise que la société Creative Content a été informée de la mise en oeuvre d’un appel d’offres quatre mois avant son lancement sans émettre la moindre réserve quant à l’organisation de l’appel d’offres, auquel elle a participé de son plein gré, sachant qu’elle était mise en concurrence avec d’autres agences.
Elle expose que cet appel d’offre s’inscrivait, d’une part, dans le cadre d’une réorganisation de son service Achats visant notamment à optimiser et harmoniser les process de sélection des prestataires et, d’autre part, résultait d’une volonté d’améliorer et d’optimiser les prestations de ‘brand content’, que le choix d’un appel d’offres fermé et réservé à 4 agences dont la société Creative Content qui collaborait avec elle depuis trois ans, n’est pas une procédure inhabituelle et n’est donc pas déloyale.
Elle affirme qu’à aucun moment elle n’a fait croire à la société Creative Content qu’elle était assurée de remporter l’appel d’offres, qu’elle a fait preuve d’une parfaite transparence en lui indiquant qu’elle était insatisfaite de ses prestations à plusieurs reprises, que la société Creative Content a été informée dès le 30 septembre 2016 qu’elle n’était pas retenue de sorte que lorsqu’elle a signé le contrat de prestations de services le 25 octobre 2016, elle était déjà informée qu’elle n’était pas retenue pour participer au deuxième tour de l’appel d’offres et ne serait pas sélectionnée pour fournir de prestations de brand content pour l’année 2017, qu’elle n’ignorait pas en outre, dès le 29 août 2016, que Mme [F] avait participé à l’appel d’offres de sorte que la société Creative Content ne pouvait pas sérieusement croire au maintien d’un volume d’affaire significatif en 2017.
Elle réfute l’argument de la société Creative Content et de son liquidateur selon lequel l’appel d’offres aurait été déloyal. Elle rappelle qu’elle n’avait aucune obligation de procéder à une mise en concurrence avant de changer de prestataire, ni de justifier son choix et qu’au demeurant l’appelante ne justifie pas de ses allégations
Elle fait valoir qu’elle n’a commis aucune faute en consultant la société Sustain, animée par les anciennes collaboratrices de la société Creative Content, rappelant qu’un ancien salarié est libre de concurrencer son ancien employeur en utilisant les compétences acquises auprès de celui-ci, le cas échéant en participant au même appel d’offres que lui, ce qui vaut pour Mme [L], ancienne salariée de l’appelante, et a fortiori pour Mme [F] qui n’était que prestataire de services de cette dernière.
Enfin elle ajoute qu’il n’est pas démontré que Mmes [F] et/ou [L] aient disposé de sa part de quelconques informations relatives à la candidature à l’appel d’offres de Creative Content, dont elles auraient pu se servir pour la concurrencer déloyalement, ce que l’appelante et son liquidateur ont reconnu en renonçant à interjeter appel de la décision qui a prononcé la rétractation de l’ordonnance de saisie.
Elle sollicite la confirmation du jugement entrepris qui a débouté la société Creative Content et son liquidateur de toutes leurs demandes.
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L’article 1104 du code civil dispose que : ‘Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public’. Les articles 7 (‘Obligations du client’), premier alinéa, et 15.1 (‘Coopération de bonne foi’) du contrat litigieux conclu le 26 octobre 2016 entre la société Creative Content et la société Total (le Contrat) prévoient respectivement :
– ‘Le Client s’engage à :
. coopérer de bonne foi avec le Prestataire. Dans ce cadre, il veillera à répondre aux demandes d’information du Prestataire et, plus généralement, à lui communiquer les informations qui seront jugées utiles pour l’accomplissement par le Prestataire des prestations.’.
– ‘Les parties s’engagent à coopérer pleinement pour la bonne exécution du Contrat et se concerteront régulièrement afin d’évaluer la qualité et l’avancement des prestations….’.
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Le Contrat, dont la société Creative Content considère qu’il a été exécuté de mauvaise foi par la société Total, prévoit en son article 3.3 ‘Absence d’exclusivité’ que ‘Le contrat ne peut être interprété comme un engagement d’exclusivité au profit du Prestataire pour la réalisation de prestations similaires aux Prestations, y compris pendant la durée du Contrat’.
L’article 5 ‘DUREE’ du Contrat précise qu’il prend effet rétroactivement à la date du 1er janvier 2016 pour une durée d’un an soit jusqu’au 31 décembre 2016 et qu’il ne pourra ‘en aucun cas’ être tacitement prorogé.
L’article 19.1 ‘Cession au Client des droits du Prestataire’ établit le principe selon lequel la société Creative Content cède, en contrepartie de la rémunération prévue au Contrat, ses droits de propriété intellectuelle susceptibles de s’appliquer aux prestations fournies dans le cadre du Contrat à la société Total, les parties ayant également régularisé le 22 août 2016 un contrat de cession de droits de propriété intellectuelle portant sur des contenus vidéos destinés à la « communication corporate » livrés à la société Total en 2015.
La société Creative Content ne soutient pas, par ailleurs, qu’une disposition du Contrat s’opposerait à la mise en oeuvre par la société Total d’une procédure d’appel d’offres portant, notamment pendant la durée du Contrat, sur des prestations de même nature que celles qu’elle a proposées depuis 2014 à la société Total.
La société Creative Content a, en outre, été informée loyalement par la société Total le 1er mars 2016 de ce qu’un appel d’offres allait être lancé ainsi que cela résulte d’un courriel du 13 avril 2016 de la société Total à la société Creative Content, ce qui n’est pas contesté et, ce, avant même que les négociations qui aboutiront à la signature du Contrat le 25 octobre 2016 ne commencent (‘Enfin, comme [A] [E] vous l’a dit lors d’une réunion le 01/03 dernier, nous vous avons informé à nouveau que TOTAL SA lancera un appel d’offres courant 2016 sur l’ensemble des prestations de brand content couvertes par Creative Content. Creative Content fera bien sûr partie des fournisseurs interrogés lors de cet appel d’offres.’ (pièce 8 -Total)
La société Creative Content ne démontre pas que la société Total a fait preuve de mauvaise foi ou de déloyauté en mettant en oeuvre cet appel d’offres pendant la durée du Contrat.
La société Creative Content ne peut davantage soutenir que la société Total lui aurait assuré ‘Un maintien de flux d’affaires’. Le Contrat ne le prévoit pas. Le courriel de la société Total du 30 septembre 2016 (pièce 34 – Creative Content), seul document produit par l’appelante à l’appui de son argumentation, l’informe de ce qu’elle ne sera pas retenue à l’issue de l’appel d’offres et s’achève ainsi : ‘Nous remercions toute votre équipe pour sa participation sur ce dossier et ne manquerons pas de vous solliciter sur d’autres sujets le cas échéant’ (souligné par la cour) ce qui ne peut être assimilé à une garantie de maintien d’un flux d’affaires.
Enfin, dans le contexte rappelé ci-dessus, la société Total était libre d’organiser comme elle l’entendait la procédure d’appel d’offres, lancée le 26 juillet 2016, en limitant sa consultation à quatre sociétés de son choix dont la société Creative Content.
La société Sustain a participé à cet appel d’offres et sera lauréate. Le dossier révèle qu’elle a été créée par (i) Mme [L], dont le contrat de travail qui la liait à la société Creative Content a été rompu le 2 mai 2016, selon une convention de rupture conventionnelle, avec levée de la clause de non-concurrence et de respect de clientèle, et animée (ii) par Mme [F] dont le contrat de prestations de services conclu avec la société Creative Content a été résilié à effet du 29 août 2016 (pièce 11 – Creative Content ; pièce 5 – [F]).
La société Creative Content en tire argument pour reprocher à la société Total d’avoir mis en place une procédure d’appel d’offres biaisée et déloyale.
La société Creative Content était informée depuis le 1er mars 2016 de cet appel d’offres. Elle a ainsi pu s’y préparer avant les autres candidats. Elle a néanmoins consenti à rompre conventionnellement le contrat de travail de Mme [L] le 2 mai 2016 (avec levée de l’obligation de non-concurrence) dont le principe avait été évoqué dès le mois de janvier 2016.
Elle était informée depuis le 24 mai 2016 du souhait de Mme [F] de la quitter (pièce 11 – Creative Content) de sorte qu’elle n’ignorait pas que ses deux anciennes collaboratrices, l’une salariée, l’autre prestataire, avait repris leur liberté dans un contexte de possible remise en cause, par appel d’offres, de sa relation avec la société Total, avec l’éventualité qu’elles rejoignent soit directement la société Total soit une société susceptible de la concurrencer.
La société Creative Content ne cite aucune disposition du Contrat qui s’opposerait à la consultation de la société Sustain du fait de sa composition (ex : clause d’interdiction de solliciter directement ou indirectement des collaborateurs anciens ou présents), la société Total était ainsi libre d’échanger avec la société Sustain sans enfreindre le Contrat.
La société Creative Content ne démontre pas, en outre, que la société Total a incité ces deux personnes à constituer une société concurrente de la sienne dans la perspective de l’appel d’offres.
La société Total n’avait pas non plus, comme les premiers juges l’ont souligné, l’obligation de communiquer à la société Creative Content avant la signature du Contrat (23 octobre 2016) , l’identité de la société retenue à l’issue de la procédure d’appel d’offres.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Creative Content des ses demandes formées à l’encontre de la société Total.
Sur la responsabilité de Mme [F]
La société Creative Content sollicite, au visa de l’article 1104 du code civil et des articles 4 et 9 du contrat 6 octobre 2014 la liant avec Mme [F], l’infirmation du jugement entrepris qui a considéré que cette dernière n’avait pas manqué à ses obligations de bonne foi et de confidentialité.
Elle soutient que chaque partie doit s’abstenir de tout abus, adopter un comportement raisonnable et modéré sans agir dans son intérêt exclusif ni nuire de manière injustifiée à son partenaire.
Elle fait valoir qu’en l’espèce, Mme [F] a violé son obligation de loyauté et de bonne foi en agissant en qualité de prestataire pour son compte tout en poursuivant parallèlement ses prestations pour le compte de la société Total et, alors qu’elle était cofondatrice de l’agence Sustain, placée en concurrence directe avec elle pour l’attribution de l’appel d’offres, favorisant cette dernière, sans toutefois l’informer de ce conflit d’intérêts compte tenu de ses liens contractuels.
Elle expose également que Mme [F] a violé son obligation de confidentialité en transmettant à l’agence Sustain des informations confidentielles lui appartenant relatives notamment à sa réponse à l’appel d’offres destinées à la société Total puisqu’elle a continué de collaborer avec elle après la création de l’agence Sustain ainsi qu’elle en rapporte la preuve aux termes d’un procès-verbal d’huissier du 19 juin 2018.
Mme [F] rappelle qu’aux termes du contrat du 6 octobre 2014 il était convenu qu’elle puisse agir en toute indépendance sans être tenue par une clause d’exclusivité ou de non-concurrence.
Elle fait valoir qu’au terme du contrat signé le 25 octobre 2016 entre la société Total et la société Creative Content cette dernière a cédé tous droits sur toutes éventuelles créations réalisées au profit de la société Total de sorte qu’elle ne peut revendiquer la propriété d’une quelconque création ainsi réalisée.
Elle réfute toute violation de son obligation de bonne foi. Elle fait valoir que l’obligation de bonne foi participe du contrôle de la bonne exécution du contrat mais ne peut ajouter de nouvelles obligations, qu’à aucun moment la société appelante ne lui a reproché un quelconque manquement au titre de l’exécution du contrat, que le contrat ne comporte aucune obligation d’information réciproque, que dès lors les appelantes sont mal fondées à lui reprocher de ne pas les avoir averties de l’existence de ses propres projets professionnels, lesquels ne ressortent pas de l’exécution du contrat de prestations de services et n’étaient pas susceptibles d’avoir un impact sur la qualité des prestations fournies et ce, même au cours de l’exécution de son préavis.
Elle soutient qu’en l’absence de dispositions contractuelles lui interdisant l’exercice d’une activité concurrente de celle de la société Creative Content, elle était, en qualité de prestataire indépendante, libre de soumettre à la société Total une offre de services, dans le cadre du libre jeu de la concurrence entre opérateurs économiques et de créer pour ce faire l’agence Sustain avec Mme [L].
Elle expose que les appelantes ne rapportent pas la preuve d’une quelconque violation d’informations confidentielles dont le contrat ne précise pas la définition, le procès-verbal produit par les appelantes étant sur ce point silencieux.
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Ainsi qu’il a été rappelé précédemment, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi, cette disposition étant d’ordre public.
Les dispositions, citées par la société Creative Content (articles 4 et 9) du contrat cadre de prestations de services du 6 octobre 2014 conclu entre la société Creative Content et Mme [F] (le Contrat de Prestations) stipulent que :
– Article 4 ‘Durée’ (quatrième paragraphe) :
‘il est expressément convenu entre les parties que les dispositions relatives à la confidentialité et à la propriété intellectuelle ou celles le prévoyant expressément continueront à s’appliquer entre les parties,même en cas de cessation du contrat cadre’,
– Article 9 ‘Confidentialité’ :
9.1 [‘] Les Informations Confidentielles concerneront notamment les informations et secrets industriels, marketing, commerciaux ou tarifaires relatifs aux opérations conduites par CREATIVE CONTENT ou ses Clients Finaux.
9.2 Le Prestataire s’engage expressément : [‘] (iii) A ne pas divulguer les Informations Confidentielles, à une personne, entreprise, société ou tiers quelconque.
9.4 Le Prestataire reconnaît que toute violation des termes du présent article pourrait causer un dommage particulièrement grave à CREATIVE CONTENT, laquelle sera fondée à obtenir la réparation du préjudice subi.
9.5 Il est expressément convenu entre les Parties que l’obligation de confidentialité sera maintenue pendant une durée de cinq (5) ans à compter de l’expiration du Contrat Cadre et ce quelle qu’en soit la cause.’
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Le Contrat de Prestations, dont les parties ont estimé qu’il était à durée indéterminée, ne prévoit pas d’exclusivité de prestations au profit de la société Creative Content. Ainsi que les premiers juges l’ont relevé, il ne prévoit pas davantage de disposition imposant à Mme [F] une obligation de non-concurrence.
Cette dernière pouvait donc proposer ses services aussi bien à la société Total qu’à la société Sustain y compris dans le cadre de l’appel d’offres pendant l’exécution du Contrat de Prestations, à condition de ne pas utiliser les informations considérées contractuellement comme confidentielles et auxquelles elle aurait pu avoir accès dans le cadre de l’exécution du Contrat de Prestations.
Mme [F] était, par ailleurs, libre de résilier celui-ci à tout moment à condition de respecter un préavis de 30 jours (article 8), ce qu’elle a fait (pièce 11 – Creative Content). Elle en a été d’ailleurs dispensée (pièce 5 – [F] ; pièce 22 – Creative Content) avec effet au 2 septembre 2016.
Elle était également libre de créer une société concurrente. Il sera simplement relevé que la société Creative Content ne rapporte pas la preuve de la date précise à laquelle Mme [F] aurait constitué en 2016, avec Mme [L], la société Sustain. L’Extrait, non daté, du site Internet de la société Sustain ( pièce 12 – Creative Content) est insuffisant à cet égard.
La société Creative Content n’établit pas que Mme [F] a manqué à son obligation de bonne foi et de loyauté.
La société Creative Content n’établit pas que Mme [F] aurait apporté à la société Sustain, en particulier dans le cadre de la procédure d’appel d’offres, des informations considérées comme confidentielles au titre du Contrat de Prestations.
La société Creative Content se fonde sur un extrait de procès-verbal d’huissier du 19 juin 2018 (sa pièce 28) qui a constaté qu’en août 2016 des fichiers relatifs à l’appel d’offres de la société Total auraient été transférés de l’ordinateur d’une salariée de la société Creative Content sur le disque dur appartenant à la société Sustain.
Le constat relate qu’à partir de l’ordinateur portable d’une salariée de la société Content Creative (Mme [Y]) deux fichiers ont été transférés vers la société Sustain (un fichier dénommé ‘Plan reco AO V3″ le 17 août 2016 d’1,6 MB ; un autre intitulé ‘Plan reco AO V4″ de 1,9 MB) avec pour chacun des fichiers, le chemin d’accès suivant : ‘\E reelanceSUSTAINSUSTAIN A0 TOTAL’.
Le contenu de ces fichiers n’a pas été communiqué aux débats de sorte que l’on ne peut déterminer si les informations qui y sont contenues peuvent être qualifiées d’informations confidentielles au sens du Contrat de Prestations, la désignation de ceux-ci pouvant également être comprise comme la communication de la version V3 puis V4 du contenu de différentes versions de l’appel d’offres (AO) préparées par la société Total.
Par ailleurs, rien ne permet d’établir, contrairement à ce que la société Creative Content affirme, que Mme [F] est à l’origine de ce transfert, puisque selon le procès-verbal les investigations ont été menées à partir de l’ordinateur de Mme [Y], salariée de la société Creative Content.
La société Creative Content succombe à justifier l’existence d’une violation des obligations contractuelles de Mme [F] au titre de la confidentialité.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Creative Content de ses demandes dirigées à l’encontre de Mme [F] dans le cadre de l’exécution du Contrat de Prestations.
Sur la responsabilité de Mme [L]
La société Creative Content sollicite l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a considéré que Mme [L] n’avait pas commis d’actes de concurrence déloyale à son encontre.
Elle fait valoir, au visa de l’article 1240 du code civil, que l’action en concurrence déloyale suppose seulement l’existence de faits générateurs d’un préjudice sans avoir à rapporter la preuve d’éléments additionnels tels qu’un rapport de concurrence. Elle fait sien le principe posé selon elle par la jurisprudence selon lequel le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé l’ancien salarié d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité de ce dernier et obtenues par ce salarié pendant l’exécution de son contrat de travail, constitue un acte de concurrence déloyale.
Elle soutient, au visa de l’article 1137 du code civil, que Mme [L] a employé des ‘méthodes dolosives’ par dissimulation intentionnelle d’une information, la création d’une agence concurrente, dont elle savait le caractère déterminant pour les appelantes afin d’obtenir la levée de sa clause de non-concurrence prévue à son contrat de travail.
Elle affirme que Mme [L] a bénéficié de documents confidentiels adressés par l’une de ses collaboratrices (Mme [Y]) relatifs à sa réponse à l’appel d’offres de la société Total qu’elle a communiqués à Mme [F], toujours en relation avec elle ainsi qu’avec la société Total.
Elle dénonce le comportement adopté par Mme [L] et Mme [F] qui a conduit au départ de deux de ses quatre collaborateurs en vue de créer une agence concurrente puis au détournement de son client, la société Total, représentant entre 50 et 75 % de son chiffre d’affaires sur la période 2014 ‘ 2016, provoquant ainsi sa désorganisation menant à son redressement puis à sa liquidation judiciaire.
Mme [L] sollicite la confirmation du jugement entrepris qui a débouté la société Creative Content et son liquidateur de l’ensemble de leurs demandes à son encontre.
Elle fait valoir, au visa des articles 6 et 9 du code de procédure civile et des articles 1315 et 1382 anciens du code civil, que seules des manoeuvres déloyales sont de nature à rendre illicite une action consistant à conquérir le client d’un opérateur concurrent, que tel n’est pas le cas d’une personne qui met à profit son expérience et ses connaissances acquises au profit d’un autre employeur même agissant dans le même secteur que celui de la société dont elle était antérieurement salariée, qu’il ne peut être présumé que les informations confidentielles ont été transmises à l’entreprise du seul fait de la création d’une entreprise concurrente par l’ex salarié.
Elle rappelle qu’il appartient aux appelantes de rapporter la preuve d’une part d’un débauchage illicite et d’autre part d’une désorganisation qui en est la conséquence.
Elle soutient qu’en l’espèce la rupture conventionnelle a été conclue et la clause de non-concurrence levée par la société Creative Content en toute connaissance de cause, cette dernière étant informée de son projet de création de l’agence Sustain, ainsi que les échanges de correspondance permettent de le constater, de sorte qu’elle était libre, en accord avec son ancien employeur, d’exercer une activité concurrente et notamment de soumissionner à l’appel d’offres de la société Total.
Elle affirme que son départ n’a pas été coordonné avec Mme [F] et la société Total, contrairement aux allégations des appelantes qui n’en rapportent pas la preuve et ne démontrent pas que celui-ci a entraîné une désorganisation au point de conduire la société Creative Content à la liquidation judiciaire alors qu’elle pouvait opérer normalement.
Elle réfute avoir reçu des éléments confidentiels d’une salariée de la société Creative Content (Mme [Y]), le procès-verbal produit par les appelantes étant dépourvu de toute force probatoire à cet égard et concernant un travail de création graphique réalisé par Mme [Y] à titre personnel.
Elle conteste avoir utilisé l’expérience technique de son employeur en reproduisant prétendument à l’identique la stratégie déjà créée par celui-ci alors qu’elle disposait d’une expérience significative dans ce domaine avant son embauche par la société Creative Content.
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Mme [L] a été salariée de la société Creative Content du 24 juillet 2013 au 2 mai 2016. La rupture du contrat de travail a été actée dans le cadre d’une rupture conventionnelle dont le principe avait été évoqué dès le mois de janvier 2016 (pièce 6 – [L]) avec levée de la clause de non-concurrence et ‘de respect de clientèle’ en contrepartie de laquelle la salariée a renonçé à la contrepartie financière prévue au contrat de travail.
La société Creative Content reproche à Mme [L] d’avoir dissimulé son intention de créer une entreprise concurrente avec le concours de Mme [F] et la société Total, faisant valoir des motifs personnels et non professionnels, usant ainsi de manoeuvres dolosives pour obtenir le consentement de son employeur à la convention de rupture conventionnelle avec levée de sa clause de non-concurrence.
Il a été précédemment établi que la société Creative Content ne justifiait pas de manquements contractuels commis par la société Total ou par Mme [F].
La convention de rupture n’a pas à être motivée de sorte que Mme [L] n’était pas tenue de s’en justifier et qu’elle n’avait aucune obligation de révéler à son employeur durant l’exécution de son contrat de travail ses projets professionnels une fois celui-ci rompu. En outre la convention (pièce 10 – Creative Content) rappelle en préambule que ‘Suite à la demande de Madame [L], les parties aux présentes ont envisagé la rupture conventionnelle de son contrat de travail…’ sans autre précision sur la motivation de la salariée de sorte que la dissimulation, au point de vicier le consentement de l’employeur comme il est soutenu, n’est pas établie. Enfin l’employeur disposait d’un délai de rétractation de 15 jours après signature de la convention de rupture pour dénoncer celle-ci ce qu’il n’a pas fait.
Une fois son contrat de travail rompu, Mme [L] était donc libre de créer une entreprise concurrente – l’appelante reconnaissant qu’elle a été créée ‘quelques semaines’ après son départ de l’entreprise (n°139 de ses écritures) – et de se rapprocher de la société Total afin de répondre à son appel d’offres et de solliciter tout prestataire de son choix (ex : Mme [F]) pour l’y aider.
La société Creative Content ne rapporte pas la preuve de ce que Mme [L] aurait emporté ou fait usage de documents confidentiels lui appartenant et ce au profit de la société Sustain en vue de répondre à l’appel d’offres de la société Total, le procès-verbal du 19 juin 2018 précédemment commenté étant insuffisant à cet égard (pièce 28 – Creative Content).
L’appelante ne démontre pas, au surplus, qu’en l’absence de ces documents Mme [L] aurait été incapable de répondre à l’appel d’offres.
La société Creative Content ne verse aucun élément chiffré démontrant que le départ de deux de ses quatre collaborateurs – en réalité une salariée et un prestataire de services – en vue de créer une agence concurrente et le prétendu détournement de son client, la société Total, auraient provoqué sa désorganisation menant à son redressement puis à sa liquidation judiciaire.
La société Creative Content ne justifie pas de manoeuvres prétendument commises par Mme [L], qualifiées de déloyales, pour s’approprier son client, la société Total, ou dolosives, pour s’affranchir de la clause de non-concurrence.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Creative Content des demandes formées à l’encontre deMme [L].
Sur les actes de parasitisme
La société Creative Content, à titre subsidiaire, sollicite la condamnation des intimées pour parasitisme. Elle critique les premiers juges qui lui ont reproché de ne pas rapporter la preuve d’une faute spécifique définie comme le fait de s’inspirer, de copier une valeur économique d’autrui individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’un investissement, se contentant d’évoquer des « concepts stratégie » repris par l’agence Sustain sans préciser en quoi ils consistaient.
L’appelante, au visa de l’article 1240 du code civil, reproche à la société Total ainsi qu’à Mme [F] et Mme [L] une concurrence déloyale parasitaire
Elle fait valoir qu’elle a développé un réel savoir-faire, fruit d’investissements, dont la valeur économique est clairement identifiable, ainsi que les nombreuses récompenses obtenues en témoignent.
Elle expose que ce savoir-faire a fait l’objet d’un détournement au profit de la société Total et de la société Sustain dans le cadre d’un appel d’offres destiné à reprendre les prestations auparavant fournies par ses soins avec son savoir-faire et sa stratégie, s’inscrivant ainsi dans son sillage, pour les confier à la société Sustain concurrente.
La société Total rappelle qu’il est de principe que la reprise d’une prestation ou d’un concept non protégeable – ce qui est le cas des prestations fournies par l’appelante – est insuffisante à caractériser l’existence d’actes de parasitisme, les idées étant de libre parcours de sorte qu’elle n’a commis aucune faute en mettant en concurrence divers prestataires dans le cadre de son appel d’offres.
Elle soutient que les appelantes ne rapportent pas la preuve de la valeur économique de leur savoir-faire allégué qui doit être distinct de celui de Mme [F] et Mme [L], ni des investissements réalisés pour créer cette valeur et encore moins de l’appropriation fautive de cette valeur par la société Total.
Elle fait valoir qu’elle n’a commis aucun acte de parasitisme de nature à engager sa responsabilité.
Mme [F] soutient que les appelantes prétendent avoir développé un « savoir-faire » consistant « dans la conception et la mise en oeuvre d’une stratégie sociale média et de contenus éditoriaux originaux » alors qu’il s’agit de dispositifs qui existent depuis de nombreuses années, insusceptibles d’appropriation par les appelantes, sans omettre le fait qu’elle-même dispose d’une expérience avérée dans ce domaine.
Elle fait valoir que les appelantes ne justifient pas d’investissements à l’origine de la création de la valeur économique alléguée ni du détournement prétendu de cette valeur par elle-même, les intimées n’ayant jamais exprimé la volonté de s’inscrire dans leur sillage.
Mme [L] rappelle qu’il est de principe que les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept ne constitue pas un acte de parasitisme.
Elle soutient qu’en l’espèce la société Creative Content avait été informée dès le mois d’avril 2016 par la société Total, ainsi qu’il est rappelé dans le contrat du 25 octobre 2016 liant ces deux sociétés, qu’un appel d’offres portant sur les prestations fournies jusque-là par la société Creative Content serait lancé en 2016. Elle précise que la société Creative Content n’a jamais créé le concept de ‘brand concept’ contrairement à ce qu’affirme l’appelante qui au demeurant ne justifie pas d’une appropriation privative sur ce concept de sorte que sa reprise serait constitutive de parasitisme.
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La concurrence parasitaire se définit comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts, de son savoir-faire ainsi que de sa notoriété obtenant ainsi un avantage concurrentiel.
La société Creative Content, se limitant à revendiquer des ‘concepts et des stratégies’ sans autre précision, ne démontre pas que ceux-ci sont le résultat d’efforts et d’un savoir-faire particulier, susceptibles de représenter une valeur économique, ni, à supposer que cela soit établi, d’avoir fait l’objet d’une appropriation ou d’une exploitation non autorisées par la société Sustain qui n’est pas partie au procès, dans le cadre de l’appel d’offres que cette dernière a remporté.
La société Creative Content ne justifie pas de l’utilisation fautive par la société Total, et/ou Mme [F] et/ou Mme [L], dans le cadre de la procédure d’appel d’offres, de ces ‘concepts et statégies’ à les supposer investis d’une valeur économique dont elle pourrait se prévaloir. Les documents relatifs à l’appel d’offres et aux réponses à celui-ci ne sont pas produits.
Le jugement entrepris sera également confirmé sur ce point.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Le jugement, qui a condamné le liquidateur de la société Creative Content aux dépens et aux frais irrépétibles, doit être infirmé.
Les dépens de première instance et d’appel seront fixés au passif de la procédure collective de la société Creative Content. Compte tenu de la liquidation judiciaire de cette dernière, la distraction des dépens ne peut être ordonnée.
Par ailleurs, il conviendra de fixer au passif de la procédure collective de la société Creative Content la créance de chacune des intimées à la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 22 septembre 2022, sauf en celles de ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles,
Statuant à nouveau des chefs infirmées,
Fixe au passif de la procédure collective de la SAS CREATIVE CONTENT représentée par la SELARL [C]. [U], prise en la personne de Maître [U], ès-qualités de liquidateur judiciaire, les dépens de première instance et d’appel,
Fixe au passif de la procédure collective de la SAS CREATIVE CONTENT représentée par la SELARL C. [U], prise en la personne de Maître [C] [U], ès-qualités de liquidateur judiciaire, les créances de la société TOTAL ENERGIES SE, de Mme [W] [F] et de Mme [J] [L] au titre de l’article 700 du code de procédure civile, à hauteur de 6.000 € chacune,
Rejette toutes autres demandes.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Bérangère MEURANT, Conseiller faisant fonction de président, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le conseiller,