Les allégations de harcèlement moral dans le cadre d’une résiliation de contrat de travail.

·

·

Les allégations de harcèlement moral dans le cadre d’une résiliation de contrat de travail.

Contexte de l’affaire

Monsieur [E] [S] a été embauché par la S.A.R.L. Brico [Localité 4] en tant que gestionnaire de rayon le 1er février 2016. Il a été promu chef de secteur à partir du 16 janvier 2017, mais les relations de travail se sont détériorées, conduisant à un entretien préalable au licenciement le 8 janvier 2020.

Demande de résiliation judiciaire

Le 16 janvier 2020, Monsieur [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Lorient pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, ainsi que des sommes pour heures supplémentaires, congés payés, dommages et intérêts pour licenciement nul et harcèlement moral. Il a été licencié pour insuffisance professionnelle le 22 janvier 2020, après avoir saisi le tribunal.

Jugement du conseil de prud’hommes

Le 14 juin 2021, le conseil de prud’hommes a débouté Monsieur [S] de ses demandes d’heures supplémentaires et de congés payés, a reconnu le harcèlement moral, a prononcé la résiliation judiciaire de son contrat, et a condamné la S.A.R.L. Brico à verser des dommages et intérêts pour licenciement nul et harcèlement moral.

Appel de la S.A.R.L. Brico

La S.A.R.L. Brico a interjeté appel le 28 juin 2021, demandant la confirmation du jugement en ce qui concerne le débouté de Monsieur [S] pour les heures supplémentaires, mais l’infirmation de la résiliation judiciaire et la reconnaissance de la validité du licenciement.

Réponse de Monsieur [S]

Monsieur [S] a également interjeté appel, demandant l’infirmation du jugement sur le débouté des heures supplémentaires et la confirmation de la résiliation judiciaire, ainsi que des dommages et intérêts.

Analyse des heures supplémentaires

La cour a examiné les demandes de Monsieur [S] concernant les heures supplémentaires, concluant qu’il avait fourni des éléments suffisants pour prouver l’existence de ces heures, et a condamné la S.A.R.L. Brico à lui verser 6 375,78 euros pour les heures supplémentaires et 637,57 euros pour les congés payés afférents.

Harcèlement moral et résiliation judiciaire

La cour a analysé les allégations de harcèlement moral, concluant que les agissements de l’employeur avaient dégradé les conditions de travail de Monsieur [S]. Cependant, elle a infirmé la décision de résiliation judiciaire, considérant que les reproches de l’employeur étaient justifiés par des éléments objectifs.

Licenciement pour insuffisance professionnelle

La cour a noté que Monsieur [S] n’avait pas contesté le licenciement pour insuffisance professionnelle dans ses conclusions, ce qui a conduit à ne pas examiner la légitimité de ce licenciement.

Dépens et frais

Chacune des parties ayant partiellement succombé, la cour a décidé que chaque partie conserverait la charge de ses propres dépens, sans application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Quelles sont les conditions pour qu’un salarié puisse demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail ?

La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être demandée par un salarié sur le fondement de l’article 1304 du Code civil.

Cet article stipule que les manquements de l’employeur doivent rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

La résiliation judiciaire prononcée à l’initiative du salarié aux torts de l’employeur produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d’un licenciement nul.

Il est donc essentiel que le salarié démontre que les agissements de l’employeur ont eu un impact significatif sur ses conditions de travail, justifiant ainsi la demande de résiliation.

En l’espèce, Monsieur [S] a saisi le conseil de prud’hommes en raison de ce qu’il considère comme des actes de harcèlement moral, ce qui pourrait constituer un motif légitime pour demander la résiliation judiciaire de son contrat.

Quels sont les éléments constitutifs du harcèlement moral au travail ?

Selon l’article L. 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail.

Ces agissements peuvent porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, altérer sa santé physique ou mentale, ou compromettre son avenir professionnel.

L’article L. 1152-3 précise que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions relatives au harcèlement moral est nulle.

Pour établir l’existence d’un harcèlement moral, le juge doit examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, y compris les documents médicaux, et apprécier si les faits établis laissent supposer l’existence d’un harcèlement.

Dans le cas de Monsieur [S], il a présenté plusieurs éléments, tels que des modifications de son contrat de travail sans formation adéquate, des reproches injustifiés, et des pressions pour accepter une rupture conventionnelle, qui pourraient constituer des actes de harcèlement moral.

Comment se prononce le juge sur l’existence d’heures supplémentaires non rémunérées ?

L’article L. 3171-4 du Code du travail stipule qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies.

L’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, doit répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble des éléments présentés par les parties.

Dans le cas de Monsieur [S], il a fourni des tableaux récapitulatifs des heures supplémentaires réalisées, ce qui a permis à la cour de conclure à l’existence de ces heures supplémentaires.

La société Brico [Localité 4] n’ayant pas produit de documents de contrôle pour justifier les horaires réellement suivis, la cour a retenu que Monsieur [S] avait bien accompli les heures supplémentaires revendiquées.

Quelles sont les conséquences d’un licenciement jugé nul ou sans cause réelle et sérieuse ?

Lorsqu’un licenciement est jugé nul ou sans cause réelle et sérieuse, il produit des effets similaires à ceux d’une résiliation judiciaire prononcée aux torts de l’employeur.

Cela signifie que le salarié a droit à des indemnités, notamment des dommages et intérêts pour le préjudice subi.

L’article L. 1235-3 du Code du travail précise que le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est fixé par le juge, en tenant compte de la situation du salarié et de la durée de son contrat.

Dans le cas de Monsieur [S], bien que la cour ait infirmé la demande de résiliation judiciaire, elle a reconnu le droit à des rappels de salaire pour heures supplémentaires, ce qui témoigne d’une reconnaissance partielle de ses droits en tant que salarié.

Quelles sont les implications de l’article 700 du Code de procédure civile dans ce type de litige ?

L’article 700 du Code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles, c’est-à-dire des frais engagés pour la procédure qui ne peuvent pas être récupérés.

Cependant, dans le cas où chacune des parties succombe partiellement, le juge peut décider de ne pas faire application de cet article, comme cela a été le cas dans l’affaire de Monsieur [S].

La cour a décidé que chacune des parties conserverait la charge de ses propres dépens, ce qui signifie qu’aucune des parties n’aura à payer les frais de l’autre, reflétant ainsi la complexité et la nature partagée des résultats de la procédure.


 

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

13 novembre 2024
Cour d’appel de Rennes
RG
21/03914
8ème Ch Prud’homale

ARRÊT N°441

N° RG 21/03914 –

N° Portalis DBVL-V-B7F-RY3A

S.A.R.L. BRICO [Localité 4]

C/

M. [E] [S]

Sur appel du jugement du C.P.H. de LORIENT du 14/06/2021

RG 20/00010

Infirmation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-Me Gildas BONRAISIN

-Me Sandrine CARON-LE QUERE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 13 NOVEMBRE 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Nadège BOSSARD, Présidente de la chambre,

Assesseur : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Anne-Laure DELACOUR, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 19 Septembre 2024

devant Madame Anne-Laure DELACOUR, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 13 Novembre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

APPELANTE et intimée à titre incident :

La S.A.R.L. BRICO [Localité 4] prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 2]

[Localité 4]

Présente à l’audience en la personne de son gérant, M. [G] [D] et représentée par Me Gildas BONRAISIN de la SELAS JURI OUEST, Avocat au Barreau du MANS

INTIMÉ et appelant à titre incident :

Monsieur [E] [S]

né le 10 Avril 1980 à [Localité 5] (75)

demeurant [Adresse 1]

[Localité 3]

Ayant Me Sandrine CARON-LE QUERE, Avocat au Barreau de LORIENT, pour Avocat constitué

Monsieur [E] [S] a été embauché par la S.A.R.L. Brico [Localité 4] en qualité de gestionnaire de rayon selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er février 2016. Il était en charge du rayon décoration.

A compter du 16 janvier 2017, la société Brico [Localité 4] l’a nommé chef de secteur, correspondant à la qualification agent de maîtrise, degré H, niveau IV, au coefficient 220 avec application de la convention collective nationale du bricolage.

Les relations de travail se sont par la suite dégradées, et le 8 janvier 2020, M. [S] a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement.

Le 16 janvier 2020, M. [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Lorient aux fins de :

‘ Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail,

‘ Condamner la S.A.R.L. Brico [Localité 4] à payer à M. [S] les sommes suivantes :

– 6 612,81 € bruts d’heures supplémentaires,

– 661,28 € bruts de congés payés afférents,

– 31 190 € de dommages et intérêts pour nullité du licenciement,

– 10 000 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

‘ Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,

‘ Ordonner la remise d’un bulletin de paie et des documents de fin de contrat conformes au jugement sous astreinte de 80 €.

Le 22 janvier 2020, soit postérieurement à la saisine du conseil de prud’hommes, M. [S] a été licencié pour insuffisance professionnelle.

La cour est saisie de l’appel régulièrement interjeté par la S.A.R.L. Brico [Localité 4] le 28 juin 2021 contre le jugement du 14 juin 2021, par lequel le conseil de prud’hommes de Lorient a :

‘ Débouté M. [S] de ses demandes d’heures supplémentaires et de congés payés afférents,

‘ Dit que les agissements de la S.A.R.L. Brico [Localité 4] envers M. [S] étaient constitutifs d’un harcèlement moral,

‘ Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [S],

‘ Condamné la S.A.R.L. Brico [Localité 4] à lui verser les sommes suivantes :

– 31 190 € de dommages et intérêts pour nullité du licenciement,

– 10 000 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– 2 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

– entiers dépens

‘ Ordonné à la S.A.R.L. Brico [Localité 4] de remettre à M. [S] les documents de fin de contrat conformes au présent jugement sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’astreinte.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 8 septembre 2021 suivant lesquelles la S.A.R.L. Brico [Localité 4] demande à la cour de :

‘ Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Lorient en ce que celui-ci a débouté M. [S] de sa demande au titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires et congés payés s’y rapportant,

‘ Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Lorient en ce que celui-ci a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [S] aux torts exclusifs de la S.A.R.L. Brico [Localité 4],

Statuant à nouveau,

‘ Relever le bien fondé du licenciement ayant été prononcé a l’égard de M. [S] par la S.A.R.L. Brico [Localité 4],

‘ Condamner M. [S] à hauteur de 2 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

‘ Condamner M. [S] aux entiers dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 2 décembre 2021, suivant lesquelles M. [S] demande à la cour de :

‘ Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté M. [S] de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires,

‘ Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en qu’il a :

– prononcé la résiliation judiciaire de M. [S],

– condamné la S.A.R.L. Brico [Localité 4] à verser à M. [S] les sommes suivantes :

– 31 190 € de dommages et intérêts pour nullité du licenciement,

– 10 000 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné la remise d’un bulletin de paie et des documents de fin de contrat conformes au jugement,

Statuant à nouveau,

‘ Condamner la S.A.R.L. Brico [Localité 4] au paiement de la somme de

– 6 375,78 € bruts à titre de rappel de salaire relatif aux heures supplémentaires,

– 637,58 € bruts au titre des congés payés afférents,

– 3.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 20 juin 2024.

Par application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

– sur les heures supplémentaires

L’article L.3121-27 du code du travail dispose que la durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à 35 heures par semaine.

L’article L.3121-28 du même code précise que toute heure accomplie au delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

L’article L3121-33-II-2° du code du travail dispose: ‘Une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut également : (…)

2° Prévoir le remplacement de tout ou partie du paiement des heures supplémentaires, ainsi que des majorations, par un repos compensateur équivalent (…)’.

Le contrat de travail signé et régularisé le 1er février 2016 fixe à 35 heures la durée hebdomadaire du travail de Monsieur [S] (soit 151, 67 heures par mois), ‘effectuées selon l’horaire en vigueur dans la société Brico [Localité 4]’, avec possibilité d’effectuer des heures supplémentaires ‘dans les limites des dispositions légales et réglementaires’.

En application de l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, Monsieur [S], sollicite le paiement de l’ensemble des heures supplémentaires réalisées au delà de 35 heures pour les années 2017, 2018 et 2019 soit la somme totale de 6 375,78 euros. Il indique qu’il remettait chaque mois à son employeur le relevé des heures supplémentaires accomplies chaque semaine , lequel lui octroyait des ‘repos’ sans cadre juridique.

A l’appui de sa demande, Monsieur [S] présente des tableaux récapitulant, pour chaque année (2017, 2018 et 2019), les semaines travaillées et mentionnant pour chacune d’elle le nombre d’heures supplémentaires réalisées ainsi que la majoration afférente (avec application d’un taux horaire brut de 16,46 euros). (Pièces 16 et 17)

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.

Si l’employeur critique les éléments avancés par le salarié, comme n’étant pas suffisamment étayés, il n’en fournit aucun de nature à justifier les horaires qui auraient réellement été suivis par M. [S] et ne produit aucun document de contrôle relatif au décompte de la durée de travail.

La cour a dès lors la conviction que M. [S] a réalisé les heures supplémentaires qu’il revendique.

M. [S] en sollicite le paiement considérant que ces heures supplémentaires ne pouvaient faire l’objet d’une seule contrepartie en repos compensateur.

Il n’est pas contesté que la société a accordé des repos compensateurs en contrepartie des heures supplémentaires réalisées, comme cela résulte des ‘formulaires de demande de congés payés ou de récupération ‘remplis par le salarié. (pièce 15 de l’employeur)

Toutefois, alors que le remplacement du paiement des heures supplémentaires par un repos compensateur doit être prévu par convention ou accord collectif d’établissement ou de branche, conformément aux dispositions précitées de l’article L3121-33-II-2° du code du travail, il n’est en l’occurrence pas justifié d’un tel accord par la société Brico [Localité 4]. Le contrat de travail régularisé entre les parties ne fait pas davantage référence à l’octroi d’ un repos compensateur de remplacement en lieu et place du paiement majoré des heures supplémentaires.

Il en résulte que la société Brico [Localité 4] est redevable à l’égard de monsieur [S] de l’ensemble des heures supplémentaires réalisées au delà de 35 heures.

Au regard des éléments ainsi discutés, la cour retient que M. [S] a accompli les heures supplémentaires dont il sollicite le paiement, pour un total de 321 heures pour les années 2017 à 2019 dont 319 heures au taux majoré de 25% et deux heures au taux majoré de 50%.

En considération de ces éléments, et du salaire horaire de base de Monsieur [S] fixé à 16,46 euros, la société Brico [Localité 4] est en conséquence redevable, au titre des rappels de salaire pour les heures supplémentaires réalisées, des sommes respectives de 2 394,93 euros pour l’année 2017, 2 890,79 euros pour l’année 2018 et 1 327,09 euros pour l’année 2019, soit la somme totale de 6 612,81 euros.

Après déduction de la somme de 237,03 euros versée par la société Brico [Localité 4] en cours de procédure, celle ci doit être condamnée à payer à Monsieur [S] la somme de 6 375,78 euros à titre de rappels d’heures supplémentaires et 637, 57 euros de congés payés afférents.

Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef

‘ sur la demande de résiliation judiciaire :

La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être demandée par un salarié sur le fondement de l’article 1304 du code civil. Les manquements de l’employeur, susceptibles de justifier cette demande, doivent rendre impossible la poursuite du contrat de travail. La résiliation judiciaire prononcée à l’initiative du salarié aux torts de l’employeur produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d’un licenciement nul.

Dès lors que Monsieur [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Lorient d’une demande de résiliation judiciaire en date du 16 janvier 2020, soit avant la notification de son licenciement pour insuffisance professionnelle, intervenue par courrier du 22 janvier 2020, il appartient donc à la cour d’examiner les éléments présentés par Monsieur [S] à l’appui de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

En l’espèce, Monsieur [S] soutient avoir été victime d’actes de harcèlement moral se traduisant par une modification unilatérale du contrat de travail sans formation adaptée pour le nouveau poste de chef de secteur, par le fait d’avoir dû pallier les absences suite à une rotation de personnel importante, par des reproches injustifiés suite à la dénonciation de l’absence de prime qu’une collègue avait pourtant obtenue, par des pressions pour accepter une rupture conventionnelle, et enfin par des objectifs disproportionnés et irréalisables, d’autant plus que le rayon luminaire, plus rentable, lui avait été retiré.

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L. 1152-3 du code du travail prévoit que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

En application de l’article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement, et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le harcèlement moral peut en outre résulter de méthodes de gestion mises en ‘uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il n’est d’abord pas contesté que Monsieur [S], qui était initialement embauché comme gestionnaire de rayon, a été promu chef de secteur en charge des rayons bois, sanitaire et décoration, à compter du 1er janvier 2017, sans qu’un avenant écrit ne soit toutefois régularisé.

Si les entretiens de performance réalisés à compter de janvier 2017 mentionnent que le poste occupé par Monsieur [S] est celui de chef de secteur, cela ne peut pour autant suppléer la régularisation d’un avenant et d’une fiche de poste signée, lui permettant d’avoir une connaissance concrète de la nature de ses fonctions.

La modification des fonctions de Monsieur [S] sans avenant et sans fiche de poste est donc établie.

En revanche, alors que Monsieur [S] indique qu’il n’a pas pu bénéficier de formations adaptées à l’exécution de ses nouvelles fonctions, il ne justifie pas avoir sollicité de telles formations, lesquelles auraient été refusées par sa hiérarchie, si bien que la cour ne retient donc pas ce fait comme établi.

Concernant la prime exceptionnelle, il n’est pas contesté que Monsieur [S] n’a pas obtenu cette prime pourtant accordée à l’une des vendeuses de son équipe en avril 2018.

Ce fait est ainsi établi.

Sur le turn over important des équipes, Monsieur [S] indique qu’ en 2018, il a été contraint de s’investir de manière importante afin de pallier l’absence de personnel, en assumant les tâches de vendeur ou de manutentionnaire en sus de ses propres fonctions. Il considère que cette situation est en lien avec le fait que la société lui a alors adressé des reproches injustifiés et a exercé à son égard une pression importante en lien avec les résultats.

Pour établir ces faits, Monsieur [S] communique :

– un courrier adressé par son employeur le 22 août 2018 à la suite du rendez vous qui s’est tenu à la même date, rappelant que Monsieur [S] n’est plus en charge du rayon sanitaire depuis mars 2018 afin de se consacrer aux rayons décoration et bois avec pour objectif de recruter et former les membres de son équipe. Faisant le bilan de son action, tant sur le plan du chiffre d’affaire, du management de l’équipe, de la gestion des produits et des implantations, ainsi que de la communication, ce courrier reproche à Monsieur [S] de ne pas avoir atteint les objectifs fixés sur le plan du CA et du management des équipes, en indiquant qu’il est ainsi maintenu comme chef de secteur sur le périmètre de la décoration et du bois jusqu’au 31 décembre 2018.

– plusieurs échanges de mails ou courriers avec la direction entre juillet 2019 et janvier 2020, dont il résulte que des reproches ont été formulés à l’égard de Monsieur [S], concernant le non respect des objectifs fixés notamment en ce qui concerne la réalisation du chiffre d’affaire ou la gestion de son équipe, et le fait qu’une rupture conventionnelle lui ait été proposée, alors que Monsieur [S] conteste tout manquement ou insuffisance de sa part,.

Dans ses courriers en réponse, Monsieur [S] dénonce également l’importance de sa charge de travail, l’absence de soutien et la pression qu’il indique subir de la part de sa hiérarchie afin de l’inciter au départ (notamment en lui proposant une rupture conventionnelle). Il reproche enfin à son employeur de lui avoir retiré à compter de septembre 2019 la gestion du rayon luminaire inclus dans le rayon décoration, et d’avoir, à la suite du refus de lui accorder une prime, accentué la pression à son égard.

Monsieur [S] dénonce ainsi une attitude de son employeur qu’il qualifie lui-même comme difficile à vivre et ‘harcelante’ à son égard. (Mail du 29 novembre 2019, et courrier transmis le 6 janvier 2020, pièces 5 et 7 )

M. [S] produit en outre trois attestations émanant d’anciens salariés de son équipe.

[P] [M], ancienne vendeuse au sein du magasin Mr Bricolage [Localité 4] (Brico [Localité 4]) atteste ainsi que Monsieur [S] était ‘proche de ses équipes ‘ et que ‘l’organisation des tâches était donnée tous les jours de façon claire et précise ‘, qu’il était ‘à l’écoute de ses équipes et toujours disponible pour nous aider lors des nombreuses implantations à faire au sein du magasin’, qu’il ‘faisait part des changements de plannings en avance’ concluant que Monsieur [S] était ‘un chef d’équipe compétent et a permis à son équipe d’évoluer de façon positive’ (pièce 19).

[B] [U], ancien employé, indique pour sa part que Monsieur [S] était bien ‘présent sur les diverses tâches’et qu’il suivait les commandes et aidait à la mise en place des produits dans les rayons (pièce 20).

Enfin, [N] [L] précise que Monsieur [S] l’a formé et soutenu, qu’il était ‘doté d’une personnalité bienveillante et d’une grande franchise’ et qu’il a ‘fait preuve de beaucoup de patience et de pédagogie ‘, ainsi que d’une ‘capacité d’écoute’, l’ayant épaulé lors des 6 mois passés dans l’entreprise. (Pièce 21).

Ces attestations témoignent ainsi des qualités professionnelles de Monsieur [S].

Ainsi, même si Monsieur [S] ne communique aucun élément d’ordre médical en lien avec une possible dégradation de son état de santé, il résulte des échanges de mails et courriers ainsi communiqués que la société Brico [Localité 4], qui l’a nommé chef de secteur sans lui préciser par écrit la nature de ses fonctions et de ses tâches, avant de lui reprocher un non respect des attendus et des résultats escomptés, a maintenu à son égard une pression importante, y compris par la sollicitation d’une rupture conventionnelle, et ce alors même que Monsieur [S] avait alerté sur son ressenti et sur les effets psychologiques de cette pression (comme cela résulte notamment de son mail du 29 novembre 2019).

Pris dans leur ensemble, les faits ainsi retenus par la cour, qui sont de nature à dégrader les conditions de travail ou à porter atteinte aux droits, à la dignité ou à la santé physique et mentale du salarié, laissent supposer l’existence d’une situation de harcèlement moral, et il incombe dès lors à l’employeur de démontrer que ses agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Concernant la prime qui n’a pas été accordée à Monsieur [S], la société Brico [Localité 4] rappelle qu’elle était exceptionnelle et à la discrétion de la société, et qu’en outre celle ci a été accordée à une salariée affectée au secteur d’activité de Monsieur [S] ;

Il résulte de l’entretien de performance du 15 janvier 2019 que Monsieur [S] reconnaissait lui-même l’implication importante de la salariée ayant été gratifiée au sein du rayon décoration, dont il ne conteste pas la prime, si bien que l’octroi de celle-ci est bien justifiée de manière objective, et ne participe pas à des faits de harcèlement de moral.

Concernant les reproches et les pressions, l’employeur considère que Monsieur [S] ne répondait pas aux attentes du poste concernant l’exercice de son activité professionnelle de chef de secteur. Il produit les divers courriers adressés à Monsieur [S] quant au bilan de son activité :

– courrier du 22 août 2018 reprochant à Monsieur [S] de ne pas avoir atteint les objectifs fixés sur le plan du chiffre d’affaire et du management des équipes, en indiquant qu’il est ainsi maintenu comme chef de secteur sur le périmètre de la décoration et du bois jusqu’au 31 décembre 2018.

– courrier du 15 juillet 2019 dont il résulte que sur les divers points (objectifs de CA, management de l’équipe, gestion des commandes, implantations, communication), Monsieur [S] n’était pas aux ‘attendus’ du poste de chef de secteur, un nouveau point devant être fait le 22 juillet

– courrier du 17 décembre 2019 adressé à Monsieur [S] par le gérant du magasin ([G] [D]) rappelant que ses objectifs qui avaient été fixés en janvier 2019 n’ont pas été atteints et rappelant la demande de rupture conventionnelle pour ‘éviter une situation brutale’. Ce courrier explique également la raison pour laquelle le sous-rayon luminaires a été réorganisé, afin de permettre à Monsieur [S] de se consacrer à la formation d’un nouveau salarié du rayon bois, et à la gestion de la décoration technique, ajoutant que l’investissement dans l’aménagement du rayon luminaire était important et devait trouver rapidement un retour sur investissement. Il mentionnait également que ‘notre confiance en vous pour mener à bien cet objectif est érodée (voir nos entretiens précédents)’, en ajoutant que cela avait permis une augmentation conséquente du CA du sous-rayon luminaire, sans que cela ne soit le cas des rayons bois et décoration technique.

Ce courrier s’achève ainsi ‘seul le manque de résultat et les difficultés de management que vous ne surmontez pas nous font estimer que notre collaboration doit cesser (…) J’estime vous avoir donné suffisamment de temps pour trouver une autre direction à votre carrière professionnelle dans une autre entreprise’.

Il résulte en outre de la lecture de l’entretien de performance du 12 janvier 2018 portant sur l’année 2017 que les objectifs fixés par rayon n’avaient pas été atteints, Monsieur [S] évoquant lui-même une ‘année compliquée au niveau business et globalement peu positive. Il en est de même des objectifs de l’année suivante, comme cela résulte de l’entretien de performance du 15 janvier 2019 portant sur l’année 2018.

Les objectifs de l’année à venir pour chacun des rayons étaient par ailleurs formalisés au sein de ces entretiens annuels, si bien que Monsieur [S] en avait connaissance.

Concernant les attributions de Monsieur [S], l’employeur justifie du retrait du rayon sanitaire à compter de mars 2018 avec maintien des rayons décoration et bois, puis du retrait du sous-rayon luminaire (inclus dans le rayon décoration) à compter de septembre 2019 par une nouvelle organisation et le fait que les objectifs n’étaient pas atteints, étant précisé que Monsieur [S] était maintenu à son poste de chef de secteur avec la même qualification et rémunération. Ces agissements ne sont donc pas de nature à caractériser une rétrogradation du salarié.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’employeur apporte à ses remarques et à ses décisions concernant les performances de Monsieur [S], dont celle relative au retrait du rayon luminaire, une justification objective.

Sans qu’il soit nécessaire à ce stade de se prononcer sur la réalité de l’insuffisance professionnelle imputée à Monsieur [S] dans le cadre de son licenciement, il résulte des pièces produites que les reproches formulés par l’employeur, en ce compris la proposition de rupture conventionnelle, se fondent sur des éléments factuels relatifs aux objectifs à atteindre et aux qualités de management et de gestion de Monsieur [S], de sorte que les agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail au motif d’agissements constitutifs de harcèlement moral, et considéré que cette résiliation produisait les effets d’un licenciement nul.

Sur le bien-fondé du licenciement :

Aux termes de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, ‘la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion’.

Dans le dispositif de ses conclusions, Monsieur [S] ne formule pas de demande subsidiaire tendant à voir déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé à son encontre pour insuffisance professionnelle, si bien que la cour n’est donc saisie d’aucune demande à ce titre.

En outre, s’il conclut, au visa de l’article L 1134-4 al 1 de code du travail, à la nullité du licenciement au motif qu’il s’agit d’une mesure décidée par l’employeur en rétorsion à son action en justice, Monsieur [S] ne formalise pas davantage de demande à ce titre au sein du dispositif de ses conclusions, ne sollicitant que la confirmation du prononcé de la résiliation judiciaire produisant les effets d’un licenciement nul car en lien avec des agissements de harcèlement moral.

La cour considère donc qu’elle n’est pas saisie des demandes et prétentions en contestation du licenciement, qu’elles tendent à prononcer la nullité de ce dernier sur le fondement de l’article L 1134-4 al 1 de code du travail, ou à déclarer celui-ci sans cause réelle et sérieuse.

*

Sur les dépens et frais irrépétibles

Chacune des parties succombant partiellement, il ne sera pas fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant contradictoirement, publiquement, par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions contestées.

Statuant à nouveau des chefs infirmés

CONDAMNE la SARL Brico [Localité 4] à payer à Monsieur [E] [S] la somme de 6 375,78 euros à titre de rappels d’heures supplémentaires outre 637,57 euros au titre des congés payés afférents.

Avec intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du conseil de prud’hommes.

DEBOUTE Monsieur [E] [S] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.

DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

DIT que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x