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M. [I] a été employé par la société Ingedis de 2019 à 2022, utilisant le logiciel Revit. Le 29 avril 2022, une rupture conventionnelle a été convenue, libérant M. [I] de la clause de non-concurrence, mais il est resté soumis à une clause de confidentialité. Le 1er août 2022, il a créé la société Struktura Ingenierie, utilisant également Revit. En juillet 2023, Ingedis a accusé Struktura de concurrence déloyale et a demandé une mesure de constatation au tribunal de commerce de Nantes, qui a ordonné une saisie de documents le 26 juillet 2023. Cette saisie a été exécutée le 11 septembre 2023. M. [I] et Struktura ont contesté cette ordonnance, et le 9 janvier 2024, le tribunal a rétracté l’ordonnance du 26 juillet, annulé la saisie et ordonné la restitution des documents. Ingedis a interjeté appel le 19 janvier 2024. Les parties ont formulé leurs prétentions respectives, Ingedis demandant la réformation de l’ordonnance du 9 janvier, tandis que M. [I] et Struktura ont demandé la confirmation de cette ordonnance.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°337
N° RG 24/00375 – N° Portalis DBVL-V-B7I-UOCC
(Réf 1ère instance : 2023007568)
S.A.S. INGEDIS
C/
M. [J] [I]
S.A.S. STRUKTURA INGENIERIE
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me VERRANDO
Me FEREZOU
Copie certifiée conforme délivrée
le :
à : TC de NANTES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 24 SEPTEMBRE 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre, rapporteur
Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Frédérique HABARE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 11 Juin 2024
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 24 Septembre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
APPELANTE :
S.A.S. INGEDIS
immatriculée au registre du Commerce et des Sociétés de LA ROCHE SUR YON, sous le numéro 823 471 644, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LX RENNES-ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Antoine IFFENECKER de la SELARL QUARTZ AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau des SABLES D’OLONNE
INTIMÉS :
Monsieur [J] [I]
né le 02 Août 1976 à [Localité 8]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Jennifer LABARRE substituant Me Antoine FEREZOU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
S.A.S. STRUKTURA INGENIERIE
immatriculée sous le numéro 918 116 013 au R.C.S. de NANTES, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Jennifer LABARRE substituant Me Antoine FEREZOU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
M. [I] a été salarié de la société Abak Ingenierire, devenue société Ingedis, de 2019 à 2022.
Il utilisait les logiciels Revit, utilisé par les professionnels de la construction, la conception architecturale, les études structure et MEP.
Le 29 avril 2022 la société Ingedis et M. [I] ont convenu une rupture conventionnelle du contrat de travail. M. [I] a été libéré de la clause non-concurrence de ce contrat, mais il est resté tenu par une clause de confidentialité.
Le 1er aout 2022, M. [I] a constitué la société Struktura Ingenierie (la société Struktura) avec pour objet toutes activités de bureau d’étude et conseils en bâtiment. Il utilise pour son activité le logiciel Revit.
Estimant que la société Struktura se livrait à des acte de concurrence déloyale, par requête du 21 juillet 2023, la société Ingedis a saisi le président du tribunal de commerce de Nantes, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, aux fins de faire désigner un huissier de justice pour procéder à une mesure de constat et saisie de documents en rapport avec de prétendus faits de concurrence déloyale reprochés à la société Struktura.
Il a été fait droit à cette demande par ordonnance du 26 juillet 2023 du président du tribunal de commerce de Nantes qui a :
– Jugé recevable la société Ingedis en sa requête et l’a dite bien fondée, pour justifier d’un motif légitime et que par ailleurs, les éléments de preuve recherchés constitués de logiciels, fichiers informatiques, correspondances électroniques, tous les éléments aisément dissimulables et destructibles justi’ent qu’il soit dérogé au principe du contradictoire.
– Commis la société Jorand-Gobert-Van Gorkum en la personne de M. [F] à [Localité 7], Huissiers de Justice, sis [Adresse 1], [Localité 8] avec mission de :
– Se rendre dans un délai de trois mois, au lieu d’exploitation de société Struktura sis [Adresse 2], [Localité 4] (établissement secondaire immatriculé sous le SIRET 91811601300023),
– Recueillir tous les éléments de preuves de nature a démontrer les agissements allégués dans la requête, concernant le logiciel Revit,
– Se faire si besoin assister pour l’aider par tout clerc ou personne assermentée travaillant dans son étude pour écrire ou dactylographier le procès-verbal sur les lieux de l’opération,
– Se faire assister pour l’aider par tout expert informatique de son choix,
– Requérir si besoin est le concours d’un serrurier et/ou le concours de la force publique, et a se faire ouvrir au besoin toute pièce ou meuble fermé ou pourraient se trouver les informations recherchées,
– Accéder aux supports informatiques (disque dur interne et tout support de stockage matériel d’ordinateur ou tablette ou téléphone portable, ou immatériel de type “cloud” en ligne) qui s’y trouverait et susceptible de contenir les éléments recherchés, au besoin en passant outre la résistance de la partie adverse comme par exemple un refus de communiquer ses codes d’accès, et ce, en employant tout moyen technique approprié préservant l’intégrité des supports et données visés,
– Rechercher, par toute méthode appropriée (mots clefs ou autre), les éléments de preuve suivants :
– Tous documents émis par, ou à entête de la société Abak Ingenierie ou de la société Ingedis, en particulier les gabarits (matrices) qu’elles ont développés dans le logiciel Revit, sans limite de date dans le temps,
– Gabarits (matrices) réalisées dans le logiciel Revit par la société Strukturaou M. [I], depuis le 30 avril 2022, date à partir de laquelle M. [I] est sorti des effectifs de la société Ingedis, Mails, échanges de mails, messages (type SMS, MESSENGER, WHATSAPP, SIGNAL, TELEGRAM, etc.) de M. [I] et de la société Strukturaavec les clients de la société Ingedis, et avec les clients ou salariés de la société Ingedis, ce depuis le 30 avril 2022, date à partir de laquelle M. [I] est sorti des effectifs de la société Ingedis en lien avec le logiciel Revit,
– Correspondances téléphoniques de M. [I] avec les clients de la société Ingedis et avec les clients ou salariés de la société Ingedis, ce depuis le 30 avril 2022, date à partir de laquelle M. [I] est sorti des effectifs de la société Ingedis en lien avec le logiciel Revit,
– Consigner les déclarations des répondants et toutes paroles échangées à l’occasion de ses opérations, en s’abstenant de toute interpellation autre que nécessaire à l’accomplissement de sa mission,
– Dresser procès-verbal auquel seront annexés les éléments recueillis,
– Conserver les copies réalisées en qualité de séquestre comme indiqué ci-dessous,
– Dit que la société Strukturadevra collaborer à la bonne exécution de la présente ordonnance, notamment en désignant l’emplacement des documents et ‘chiers visés dans l’ordonnance, en collaborant à lever toute difficulté matérielle ou technique concernant notamment des logins ou mots de passe conditionnant l’accès à ses ordinateur(s), téléphones mobiles, ‘chiers ou tout autre support de stockage,
– Dit que les personnes présentes sur les lieux des opérations devront s’abstenir de faire obstruction aux opérations et devront permettre l’accès aux ordinateurs, téléphones mobiles personnels ou professionnels, connexions diverses et fournir ou saisir elles-mêmes les codes d’accès, mots de passe, notamment informatiques, nécessaires à l’exécution de la mission,
– Dit qu’il pourra lui en être référé en cas de contestation, mais seulement après exécution de sa mission par l’huissier de justice désigné, et, à peine d’irrecevabilité, au plus tard dans les quinze jours de l’exécution de la mesure d’instruction ordonnée par la présente décision,
– Dit que les éléments prélevés resteront en séquestre au sein de l’étude de l’huissier de justice instrumentaire sans qu’il puisse en donner connaissance ou en remettre copie à quiconque, ni même en disposer,
– Dit que cette mesure de séquestre aura une durée d’un mois et que passé ce délai,sauf saisine de la juridiction compétente en contestation par toute personne intéressée, la mesure de séquestre sera automatiquement levée et les éléments prélevés seront mis à la disposition des parties par l’huissier sans nouvelle autorisation judiciaire,
– Par application de l’article R153-1 du code de commerce si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l’article 497 du code de procédure civile dans le délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire est levée et les pièces seront transmises au requérant,
– Ordonné le séquestre des documents saisis,
– Dit que la présente ordonnance sera exécutoire sur minute,
– Dit que la société Ingedis sera condamnée aux dépens dont le coût de la présente ordonnance.
L’ordonnance sur requête a été exécutée le 11 septembre 2023.
M. [I] et la société Struktura ont assigné la société Ingedis en rétractation de l’ordonnance sur requête du 26 juillet 2023.
Par ordonnance du 9 janvier 2024, le président du tribunal de commerce de Nantes a :
– Jugé M. [J] [I] et la société Strukturasont recevables et bien-fondés en leurs demandes fins et conclusions,
– Rétracté l’ordonnance rendue par le tribunal de céans le 26 juillet 2023, en toutes ses dispositions,
– Annulé les opérations de saisie réalisées le 11 septembre 2023 par le commissaire de justice,
– Ordonné que les pièces et supports saisis lors de l’intervention du commissaire de justice lors des opérations du 11 septembre 2023 soient rendues à M. [I] et à la société Struktura ou détruites dans le délai d’un mois à compter de la notification de la présente ordonnance sous réserve d’appel de la société Ingedis,
– Débouté la société Ingedis du surplus de ses demandes fins et conclusions,
– Condamné la société Ingedis à payer à M. [I] et à la société Struktura la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné la société Ingedis aux entiers dépens de l’instance,
La société Ingedis a interjeté appel le 19 janvier 2024.
Les dernières conclusions de la société Ingedis sont en date du 19 avril 2024. Les dernières conclusions de M. [I] et de la société Strukturasont en date du 30 avril 2024.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 mai 2024.
PRETENTIONS ET MOYENS :
La société Ingedis demande à la cour de :
– Recevoir la société Ingedis en son appel, le dire bien fondé et y faisant droit,
– Infirmer et au besoin Réformer l’ordonnance du 9 janvier 2024 du président du tribunal de commerce de Nantes en toutes ses dispositions critiquées, c’est-à-dire en ce qu’elle a :
– Jugé M. [J] [I] et la société Struktura sont recevables et bien-fondés en leurs demandes fins et conclusions,
– Rétracté l’ordonnance rendue par le tribunal de céans le 26 juillet 2023, en toutes ses dispositions,
– Annulé les opérations de saisie réalisées le 11 septembre 2023 par le commissaire de justice,
– Ordonné que les pièces et supports saisis lors de l’intervention du commissaire de justice lors des opérations du 11 septembre 2023 soient rendues à M. [I] et à la société Struktura ou détruites dans le délai d’un mois à compter de la notification de la présente ordonnance sous réserve d’appel de la société Ingedis,
– Débouté la société Ingedis du surplus de ses demandes fins et conclusions,
– Condamné la société Ingedis à payer à M. [I] et à la société Struktura la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné la société Ingedis aux entiers dépens de l’instance,
Et statuant à nouveau :
– Juger M. [I] irrecevable à demander la rétractation,
-Débouter M. [I] et sa société Strukturade toutes leurs demandes, fins et conclusions,
Et rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse mal fondée :
– Condamner in solidum M. [I] et sa société Struktura à payer à la société Ingedis la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en indemnisation de ses frais irrépétibles de première instance,
– Condamner in solidum M. [I] et sa société Struktura aux entiers dépens de première instance en ce compris, les frais de greffe exposés au titre de l’ordonnance du 26 juillet 2023, tous les frais de la mesure exécutée du 11 septembre 2023, et tous les frais de la procédure en rétractation,
Y ajoutant
– Condamner in solidum M. [I] et sa société Struktura à payer à la société Ingedis la somme de 7 .000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en indemnisation de ses frais irrépétibles d’appel,
– Condamner in solidum M. [I] et sa société Struktura aux entiers dépens d’appel, avec distraction au profit de l’avocat soussigné aux offres de droit.
M. [I] et la société Strukturademandent à la cour de :
– Déclarer la société Strukturaet M [I] recevables et bien fondés en toutes leurs demandes, fins et conclusions,
– Débouter la société Ingedis de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
En conséquence :
– Confirmer l’ordonnance du 9 janvier 2024 en toutes ses dispositions, notamment en ce qu’elle a justement jugé M [I] recevable en ses demandes, fins et conclusions,
– Confirmer l’ordonnance du 9 janvier 2024 en toutes ses dispositions, notamment en ce qu’elle a justement ordonné la rétractation de l’ordonnance rendue sur requête du 26 juillet 2023,
– Confirmer l’ordonnance du 9 janvier 2024 en toutes ses dispositions, notamment en ce qu’elle a justement condamné Ingedis à payer 1.500 euros à Strukturaet M [I] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
– Condamner la société Ingedis au paiement d’une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts en application de l’article 559 du code de procédure civile pour abus du droit d’ester en justice,
En tout état de cause :
– Condamner la société Ingedis à payer aux demandeurs la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d’appel.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des partles il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
Sur la recevabilité de la demande de rétractation formée par M. [I]:
La société Ingedis fait valoir que M. [I] n’était pas visé par l’ordonnance sur requête et qu’il serait donc irrecevable à en demander la rétractation.
La société Ingedis fait valoir que la société Struktura aurait utilisé des gabarits que M. [I] aurait copiés avant son départ de l’entreprise. Selon elle, M. [I] aurait ainsi violé l’obligation de confidentialité à laquelle il était tenu du fait du contrat de travail. La mission confiée au commissaire de justice visait à plusieurs reprises la recherches de pièces tendant à établir les agissements de M. [I] nommément désigné.
Il apparaît ainsi que la société Ingedis se prévaut notamment d’un manquement personnel de M. [I] à ses obligations contractuelles. M. [I] a donc un intérêt personnel à contester la mesure. Il y aura lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de la société Ingedis tendant à l’irrecevabilité des demandes de M. [I].
Sur les mesures tendant à conserver ou établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige :
C’est en principe aux parties qu’incombe la charge de prouver les faits propres à fonder leurs prétentions :
Article 9 du code de procédure civile :
Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Une partie peut cependant obtenir l’organisation d’une mesure d’instruction judiciaire avant même l’engagement d’un procès :
Article 145 du code de procédure civile :
S’il existe un motif légitime conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
La demande de mesure d’instruction présentée sur requête ne peut être accueillie que s’il est justifié d’un motif légitime, si la mesure ordonnée est proportionnée à son objectif et s’il est justifié qu’il est nécessaire de ne pas respecter le principe de la contradiction.
Sur l’existence d’un motif légitime :
La société Ingedis fait valoir que la société Struktura aurait utilisé des gabarits que M. [I] aurait copiés avant son départ de l’entreprise.
Le logiciel Revit est un logiciel professionnel. Il permet la présentation par les bureaux d’études de plans d’intervention destinés aux techniciens appelés à intervenir sur un chantier de construction. Cette présentation prend notamment la forme de gabarits.
La société Struktura justifie que les erreurs que peuvent comprendre ses gabarits allégués de copie se retrouvent sur des gabarits élaborés par des bureaux d’études concurrents. De même, elle établi que certains des schémas des gabarits allégués de copie se retrouvent dans des gabarits élaborés par des bureaux d’études concurrents. Il en est de même de la présentation des textes réglementaires, des charpentes, des légendes, des fondations et des légences matériaux.
Il apparaît ainsi que les similitudes dont se prévaut la société Ingedis proviennent de l’utilisation commune du même logiciel Revit, logiciel couramment utilisé par les bureaux d’études.
La société Ingedis a confié à un expert amiable une analyse comparative des gabarits argués de copie et des siens. Selon cet expert, il y aurait utilisation partielle ou entière du gabarit de production de la société Ingedis par la société Struktura. Selon lui, il s’agirait non seulement d’une compétence technique sur un logiciel tiers mais aussi d’un fichier de gabarit contenant le savoir et l’expertise de la société Ingedis. Il ajoute qu’un gabarit de production sur un outil comme Revit contient l’ensemble des compétences de l’équipe de production de l’entreprise.
Il apparaît cependant que la mise au point d’un gabarit résulte des réglages que peut effectuer le technicien qui l’utilise. M. [I] avait été recruté par la société Abak, devenue Ingedis, pour ses compétences en études de structures et son expérience antérieure de l’utilisation du logiciel Revit. Au sein de la société Ingedis il était chef de service Etudes Structures. Il avait ainsi une grande expérience de l’utilisation du logiciel en question. Après son départ de la société Ingedis, son obligation de non concurrence a été levée. Il était donc libre d’utiliser son savoir faire dans l’utilisation du logiciel Revit.
Outre le fait que les similitudes relevées par la société Ingedis dans ses gabarits et certains gabarits utilisés par la société Strukturane sont pas significatives, il est à noter que M. [I] a fait partie des utilisateurs du logiciel Revit ayant utilisé, et donc mis au point ou affiné, les gabarits en question. M. [I] cumule près de 20 ans d’expérience dans le domaine des bureaux d’études et utilise le logiciel Revit depuis plusieurs années. Il lui était donc loisible de développer librement et rapidement des gabarits au profit de la société Struktura, y compris en reprenant des idées et modes de présentation des gabarits ainsi que des pratiques de dessin lui étant propres qu’il avait utilisés alors qu’il était salarié de la société Ingedis. Dans ces circonstances, les similitudes entre les gabarits litigieux tendent encore moins à laisser supposer que la société Struktura a pu bénéficier de copies des gabarits de la société Ingedis que M. [I] aurait pris en copie et détournés.
Il apparaît ainsi que les simples similitudes relevées dans l’utilisation du logiciel Revit par les société Ingedis et Strukturane permettent pas de laisser supposer que M. [I] ait frauduleusement copié des gabarits mis au point et utilisés par la première ni qu’il ait utilisé, lui même ou la société Struktura, des informations ou renseignements confidentiels provenant de la société Ingedis.
Aucun motif légitime n’est établi. Cette absence suffit à motiver la rétractation de l’ordonnance sur requête.
Sur le caractère proportionné des mesures autorisées :
La société Strukturafait valoir que les mesures autorisées constituerait une mesure générale d’investigation disproportionnée. Elle précise que la saisie de gabarits utilisés par elle sur une année était disproportionnée alors que pour rechercher l’existence d’un détournement de gabarit il aurait suffit de vérifier le nom du gabarit source utilisé par la société Strukturadans le fichier de démarrage de ces dossiers.
L’ordonnance a notamment autorisé le commissaire de justice à rechercher, par toute méthode appropriée (mots clefs ou autre), les éléments de preuve suivants:
– Tous documents émis par, ou à entête de la société Abak Intenierie ou de la société Ingedis, en particulier les gabarits (matrices) qu’elles ont développés dans le logiciel Revit, sans limite de date dans le temps,
– Gabarits (matrices) réalisées dans le logiciel Revit par la société Strukturaou M. [I], depuis le 30 avril 2022, date à partir de laquelle M. [I] est sorti des effectifs de la société Ingedis, Mails, échanges de mails, messages (type SMS, MESSENGER, WHATSAPP, SIGNAL, TELEGRAM, etc.) de M. [I] et de la société Strukturaavec les clients de la société Ingedis, et avec les clients ou salariés de la société Ingedis, ce depuis le 30 avril 2022, date à partir de laquelle M. [I] est sorti des effectifs de la société Ingedic en lien avec le logiciel Revit,
– Correspondances téléphoniques de M. [I] avec les clients de la société Ingedis et avec les clients ou salariés de la société Ingedis, ce depuis le 30 avril 2022, date à partir de laquelle M. [I] est sorti des effectifs de la société Ingedis en lien avec le logiciel Revit.
Il apparaît ainsi que l’ordonnance a confié au commissaire de justice une mission générale de recherche d’éléments de preuve portant sur les gabarits, sans limitation de temps, et sur les relations de la société Struktura avec avec les clients de la société Ingedis. Aucune précision sur l’identité des clients de la société Ingedis n’a été apportée par l’ordonnace, ni aucune restriction quant aux moyens et méthodes d’investigation que pouvaient utiliser le commissaire de justice.
La mission demandait également au commissaire de justice de recueillir tous les éléments de preuves de nature à démontrer les agissements allégués dans la requête, concernant le logiciel Revit, sans pour autant préciser de quels agissements il s’agissait. Là encore, le commissaire de justice s’est vu confier une mission générale d’investigation non encadrée par le juge.
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Cette imprécision de l’étendue de la mission excédait ce qui était proportionné et a eu pour effet de confier au commissaire de justice un pouvoir d’appréciation que le juge ne pouvait pas lui déléguer.
Cette disproportion suffit en soi à justifier une rétractation de l’ordonnance.
Il y a donc lieu de confirmer l’ordonnance dont appel.
Sur l’abus du droit d’agir en justice :
Il n’est pas justifié que la société Ingedis ait agi en justice dans un but autre que celui de faire valoir ses droits en justice. Les demandes de paiement de dommages-intérêts formées contre elle seront rejetées.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner la société Ingedis aux dépens d’appel et à payer à la société Struktura et M. [I] la somme globale de 6.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour :
– Confirme l’ordonnance,
Y ajoutant :
– Rejette les autres demandes des parties,
– Condamne la société Ingedis à payer à la société Struktura Ingenierie et M. [I] la somme globale de 6.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamne la société Ingedis aux dépens d’appel.
Le Greffier, Le Président,