Le Traitement Automatisé de Lutte contre la Fraude fiscale

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Le Traitement Automatisé de Lutte contre la Fraude fiscale

Ciblage de la fraude et valorisation des requêtes

L’Arrêté du 21 octobre 2024 modifie l’arrêté du 21 février 2014 portant création par la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) d’un traitement automatisé destiné à lutter contre la fraude fiscale. Ce traitement, dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes » (CFVR), a pour objectif de mieux cibler les actions de contrôle fiscal et de détecter les manquements ou fraudes éventuelles. Cet arrêté de 2024, qui vient affiner et préciser plusieurs aspects du traitement, a été soumis à l’avis de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL).

L’Arrêté du 21 octobre 2024 a modifié l’arrêté du 21 février 2014 portant création par la direction générale des finances publiques d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes

Le traitement en oeuvre permet désormais de modéliser et de visualiser les anomalies fiscales afin de programmer des opérations de recherche, de constatation ou de poursuite de manquements fiscaux et d’amélioration du respect des obligations fiscales des usagers.

Le traitement alimente les applications suivantes :

-GALAXIE s’agissant des données relatives aux liens des individus et des entités ;

-le module de diffusion du contrôle fiscal PILOT CF s’agissant des dossiers proposés pour contrôle.

Les droits d’accès et de rectification

Les droits d’accès et de rectification prévus aux articles 15 et 16 du règlement (UE) du 27 avril 2016 s’exercent auprès du bureau SJCF-1D (64-70, allée de Bercy, 75574 Paris Cedex 12) sauf en ce qui concerne les données issues des applications de consultation, de gestion et de contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques pour lesquelles ces droits s’exercent auprès du centre des finances publiques dont relève le requérant.


Les droits d’accès et de rectification peuvent faire l’objet de restrictions en application du premier alinéa de l’article 52 de la loi du 6 janvier 1978. La personne concernée par ces restrictions exerce ses droits auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés dans les conditions prévues à l’article 118 de la même loi.

Le droit à la limitation prévu à l’article 18 du règlement (UE) du 27 avril 2016 s’exerce auprès du bureau SJCF-1D. Le droit d’opposition prévu à l’article 21 du règlement (UE) du 27 avril 2016 susvisé ne s’applique pas au traitement.

Le Contexte et Objectifs du Traitement CFVR

Le CFVR a été mis en place pour améliorer l’efficacité des contrôles fiscaux. Il repose sur des techniques avancées de fouille de données (« datamining ») et utilise plusieurs bases de données internes et externes. Parmi ces bases figurent les fichiers des comptes bancaires et des contrats d’assurance-vie, mais aussi des données des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale (URSSAF).

Ce traitement aide à repérer les anomalies fiscales et à mieux cibler les contribuables, tant professionnels que particuliers, susceptibles de présenter des risques de fraude.

L’objectif principal du CFVR n’est pas de remplacer l’analyse humaine, mais de fournir des outils statistiques puissants pour optimiser l’intervention des agents fiscaux. En analysant des données sur les comportements fiscaux, les anomalies, et les incohérences, ce traitement permet de cibler plus efficacement les personnes physiques ou morales potentiellement fraudeuses.

Les Modifications Introduites par l’Arrêté du 21 octobre 2024

L’arrêté du 21 octobre 2024 vise à modifier plusieurs éléments du dispositif CFVR afin d’améliorer son efficacité et sa conformité avec les exigences du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Parmi les principales modifications, on trouve :

  1. Précision des Finalités du Traitement
    Le projet d’arrêté met en évidence la volonté de préciser les finalités du traitement, en mettant l’accent sur la modélisation et la visualisation des anomalies fiscales pour programmer des opérations de contrôle, de recherche et de constatation des manquements fiscaux. Cette clarification est nécessaire pour mieux aligner les pratiques avec les objectifs du RGPD.
  2. Modification des Destinataires des Données
    Les modifications apportées à l’arrêté de 2024 concernent aussi les destinataires des données issues du traitement. Ces données sont désormais partagées avec certains services et agents ayant des missions spécifiques au sein de l’administration fiscale. L’accès aux résultats du traitement sera restreint aux seuls agents ayant un besoin légitime d’accéder à ces informations, en fonction de leurs missions.
  3. Alimentation d’Outils Métiers
    Une autre modification importante est l’intégration des résultats du traitement CFVR dans plusieurs outils métiers utilisés par la DGFiP. Ces outils, tels que les applications GALAXIE et PILOT CF, permettent de visualiser les liens entre personnes physiques et morales et de suivre l’ensemble du processus de contrôle fiscal, respectivement.
  4. Régime Juridique du Traitement
    Le projet d’arrêté de 2024 vise à réévaluer le régime juridique applicable au CFVR, en remplaçant le régime de la directive Police-Justice par celui du RGPD. Cette réévaluation fait suite aux développements jurisprudentiels, tant en France qu’au niveau européen, qui estiment que la lutte contre la fraude fiscale relève désormais du RGPD.

Avis de la CNIL : Garanties de Protection des Données

La CNIL a analysé le projet d’arrêté et a rendu un avis favorable, tout en formulant plusieurs recommandations. Parmi les points clés soulevés par la CNIL :

  1. Respect des Principes de Protection des Données
    La CNIL rappelle l’importance de respecter les principes de protection des données « par conception » et « par défaut ». Cela inclut la limitation des destinataires des données aux seuls agents ayant besoin d’en connaître dans le cadre de leurs fonctions.
  2. Formation des Agents
    La CNIL insiste sur la nécessité de former les agents chargés de la programmation et du contrôle des données pour garantir une utilisation correcte et éthique des algorithmes et éviter les biais pouvant influencer les résultats des traitements.
  3. Transparence et Droit des Personnes
    En ce qui concerne les droits des personnes, la CNIL souligne l’importance d’une politique d’information claire et accessible concernant le traitement des données personnelles. Elle recommande une information préalable à l’ensemble des personnes concernées, en particulier lors des contrôles fiscaux.

Les Risques et Défis Liés à l’Utilisation de Traitements Automatisés

L’utilisation de traitements automatisés dans la lutte contre la fraude fiscale présente certains risques, notamment en raison des biais algorithmiques et des faux positifs qui peuvent survenir. La CNIL met en garde contre ces risques, en citant l’exemple des algorithmes utilisés aux Pays-Bas pour détecter des fraudes sociales, qui ont conduit à des décisions injustes et discriminatoires. Elle recommande donc un contrôle rigoureux et une formation des agents pour éviter que de tels biais n’affectent les résultats.


La CNIL considère que les modifications envisagées sont légitimes. A la lumière des récentes jurisprudences française et européenne s’agissant du régime juridique applicable aux traitements de l’administration fiscale, elle estime que le traitement CFVR relève du RGPD.


Elle rappelle la nécessité de respecter les principes de protection des données « par conception » et « par défaut » dans le développement des outils métiers à destination des agents de son administration. En particulier, les destinataires des résultats du traitement devront être limités à ceux qui ont besoin d’en connaître, eu égard à leurs missions respectives.


Il revient au ministère de faire preuve d’une grande prudence dans la conception et l’utilisation de ce type de traitements algorithmiques, compte tenu des risques qu’ils présentent et des biais dont ils peuvent souffrir. La CNIL recommande en particulier la mise en place de formations spécifiques permettant aux agents en charge de la programmation et des contrôles de maîtriser les principes des algorithmes utilisés.


A. – Le contexte


La lutte contre la fraude fiscale est un objectif de valeur constitutionnelle qui légitime certaines actions du Gouvernement et de l’administration en faveur d’une détection efficiente des manquements et des infractions prévus au code des impôts. Ces actions s’inscrivent dans la feuille de route gouvernementale de lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques, présentée en juin 2023.


Dans le but d’améliorer la programmation des contrôles fiscaux, le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique met en œuvre depuis 2014 le dispositif de « ciblage de la fraude et de valorisation des requêtes » (CFVR) faisant appel à des techniques de fouille de données (« datamining »).

Ce traitement, qui n’a pas pour but de remplacer l’analyse des agents, vise un meilleur ciblage du contrôle des particuliers et des professionnels qui pourraient se trouver en situation de manquement ou de fraude. Pour ce faire, le traitement CFVR fait appel, d’une part, à l’agrégation de plusieurs bases de données internes à la direction générale des finances publiques (DGFiP), comme les fichiers des comptes bancaires (traitement « FICOBA ») et des contrats de capitalisation et d’assurance-vie (traitement « FICOVIE »), et externes, telles que certaines données des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), et, d’autre part, à des modèles statistiques probabilistes reposant sur la recherche d’atypies ou d’incohérences, sur l’expérience acquise par la DGFiP ainsi que sur l’analyse de réseaux afin de faire apparaître de possibles liens entre des personnes physiques ou morales.

Le bureau en charge de la programmation des contrôles et de l’analyse des données au sein de la DGFiP (SJCF-1D) mène ces travaux visant à mieux caractériser une personne ou une entreprise potentiellement frauduleuse.
Initialement mis en œuvre en 2014 à titre expérimental, dans le cadre de la recherche de fraudes commises par les contribuables professionnels, le traitement CFVR a été pérennisé en 2015 pour ces contribuables et étendu concomitamment, à titre d’expérimentation, aux personnes physiques impliquées dans le fonctionnement des entités professionnelles.

Cette extension a elle-même été pérennisée en 2016, puis ce traitement a été élargi une nouvelle fois en 2017 aux particuliers à titre expérimental jusqu’en août 2019. Parallèlement, les finalités de ce traitement ont été étendues afin de permettre la détection anticipée des entreprises en difficulté ainsi que l’envoi automatique de demandes de compléments d’informations aux contribuables. Enfin, à titre expérimental, la loi a autorisé l’administration fiscale, à des fins de recherche d’infractions limitativement énumérées, à collecter et à exploiter les contenus librement accessibles et manifestement rendus publics par les utilisateurs sur les plateformes et les réseaux sociaux (article 154 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020). Chacune de ces modifications a fait l’objet d’un avis de la CNIL.


B. – L’objet de la saisine


La CNIL a été saisie pour avis, sur le fondement du 2° du I de l’article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, par le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, d’un projet d’arrêté modifiant l’arrêté du 21 février 2014 portant création par la direction générale des finances publiques d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes ».
Le projet d’arrêté :


– précise les finalités du traitement et modifie le régime juridique qui lui est applicable ;
– complète la liste des données à caractère personnel traitées ;
– reformule la présentation des destinataires des données à caractère personnel et précise les applications métiers qui seront alimentées par les résultats du traitement ;
– modifie les bases légales sur lesquelles reposent les droits des personnes concernées en cohérence avec le régime juridique choisi ;
– écarte l’objectif de mise en œuvre d’un dispositif de journalisation pour ce traitement, dont la date butoir était le 6 mai 2023.


Dans la mesure où le traitement CFVR est susceptible d’engendrer un risque élevé pour les droits et les libertés des personnes physiques, le ministère a réalisé une analyse d’impact relative à la protection des données à caractère personnel (AIPD) qui a été adressée à la CNIL avec la demande d’avis.

A titre liminaire :


– la CNIL rappelle l’engagement du ministère, tel que formalisé par la délibération du 12 septembre 2019 portant sur ce même traitement, « de lui communiquer régulièrement des bilans sur les conditions d’utilisation et d’exploitation [du] traitement [CFVR] et sur les coûts afférents » (CNIL, SP, 12 septembre 2019, traitement « CFVR », n° 2019-115, publié). Il était précisé qu’une telle transmission pouvait être annuelle. Bien que le ministère se soit engagé au cours de l’instruction à adresser ce bilan au plus tard au deuxième trimestre 2023, la CNIL constate l’absence de transmission des rapports de fonctionnement réguliers de ce traitement, et ce, d’autant plus que celui-ci est d’une complexité et d’une ampleur significatives ;


– dans la délibération n° 2018-346 du 8 novembre 2018, le ministère s’était engagé à édicter un « acte réglementaire dédié au traitement relatif à la détection anticipée des entreprises en difficulté » (CNIL, SP, 8 novembre 2018, traitement « CFVR », n° 2018-346). La CNIL constate, là encore, l’absence d’un tel acte. Compte tenu de la multiplicité des finalités du traitement CFVR, ce texte apparait nécessaire afin, d’une part, de rendre intelligibles les objectifs des traitements respectifs de CFVR et, d’autre part, de distinguer clairement les régimes juridiques applicables.


A. – Les finalités du traitement et le régime juridique applicable


L’article 1er du projet d’arrêté modifie les finalités du traitement qui viserait dorénavant à « modéliser et [à] visualiser les anomalies fiscales afin de programmer des opérations de recherche, de constatation ou de poursuite de manquements fiscaux et d’amélioration du respect des obligations fiscales des usagers. ». Cette finalité ne fait plus référence aux « actions de prévention, de recherche, de constatation ou de poursuites d’infractions pénales », telles que l’article 2 de l’arrêté du 21 février 2014 le prévoit dans sa version actuelle.


Le ministère précise que cette modification n’est pas un changement de nature du traitement CFVR mais permet de mieux rendre compte de ses finalités. Cette clarification, ainsi que sa lecture des jurisprudences française et européenne, conduisent le ministère à substituer le régime du RGPD au titre III de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, qui transpose la directive 2016/680 du 27 avril 2016 (dite « Police-Justice »), jusqu’alors applicable à ce traitement.
Plusieurs jurisprudences européennes précisent le régime juridique applicable aux traitements mis en œuvre par l’administration fiscale au titre de ses missions :


– la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) indique que les exceptions au champ d’application du RGPD, telles que prévues au 2 de l’article 2 de ce dernier, doivent « recevoir une interprétation stricte » (CJUE, grande chambre, 16 juillet 2020, Facebook Ireland et Schrems, C-311/18, EU:C:2020:559, point 84) ;


– dans sa décision Puškár du 27 septembre 2017, la CJUE a estimé que lorsque des données « sont collectées et utilisées aux fins de la perception de l’impôt et de la lutte contre la fraude fiscale », ces traitements relèvent de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995, texte de référence en termes de protection des données à caractère personnel jusqu’à l’entrée en vigueur du RGPD. Elle juge également que « même s’il n’apparaît pas exclu que lesdites données puissent être utilisées dans le cadre de poursuites pénales qui pourraient être exercées, en cas d’infraction dans le domaine fiscal, contre certaines personnes dont les noms figurent sur la liste litigieuse, les données en cause au principal n’apparaissent pas avoir été collectées dans l’objectif spécifique de l’exercice de telles poursuites pénales ou dans le cadre des activités de l’Etat relatives à des domaines du droit pénal » (CJUE, deuxième chambre, 27 septembre 2017, Puškár, C-73/16, EU:C:2017:725, points 40-44) ;


– la CJUE a confirmé cette jurisprudence, après l’entrée en vigueur du RGPD, dans sa décision Valsts ieņēmumu dienests du 24 février 2022. Elle a ajouté que la notion d’« autorité compétente », telle que précisée aux considérants 10 et 11 de la nouvelle directive Police-Justice, doit être comprise « en lien avec la protection des données à caractère personnel dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale et de la coopération policière, compte tenu des aménagements qui peuvent s’avérer nécessaires, à cet égard, en raison de la nature spécifique de ces domaines » (CJUE, cinquième chambre, 24 février 2022, Valsts ieņēmumu dienests, C-175/20 ; EU:C:2022:124, point 43).


Au niveau national, la Cour de cassation a, le 1er juin 2023, appliqué la jurisprudence européenne en indiquant qu’un traitement de données « mis en œuvre par l’administration fiscale aux fins d’obtenir l’autorisation de procéder à des opérations de visite et saisies sur le fondement de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, qui a pour finalité d’obtenir le droit de procéder à une mesure d’enquête pouvant donner lieu à la constatation d’une infraction ou d’un manquement à la législation fiscale, dans le but de percevoir l’impôt et de lutter contre la fraude fiscale, entre dans le champ d’application matériel du RGPD. » (Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, 1er juin 2023, pourvoi n° F 21-18.558, point 10).


Selon les éléments fournis par le ministère, le traitement CFVR n’a qu’à titre accessoire pour objet de détecter des manquements fiscaux susceptibles de donner lieu à une transmission au parquet en vue d’une poursuite pénale. Selon le ministère, moins de 700 infractions liées à la fraude fiscale seraient constatées par le juge chaque année, soit moins de 1 % des contrôles réalisés. La finalité principale du traitement est la constatation des manquements fiscaux dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale opérée par l’administration. En outre, le ministère souligne que l’extension régulière du champ du traitement CFVR, dans une période de facilitation de la correction des erreurs commises par les contribuables de bonne foi ouverte par la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance (dite loi « ESSOC »), le conduit également à considérer que la régularisation de la situation fiscale des redevables est une finalité importante du traitement.


Au regard de la jurisprudence européenne mentionnée ci-dessus, d’une part, l’administration fiscale ne semble pas constituer en l’espèce une « autorité compétente », au sens de la directive Police-Justice, lorsqu’elle agit au titre de ses missions de contrôle fiscal ; d’autre part, les finalités de régularisation ou de lutte contre la fraude fiscale relèvent d’après la CJUE du RGPD, sans qu’y fasse obstacle le fait que, dans certains cas, il y ait transmission au parquet.
Au vu de ces éléments, et plus particulièrement de l’évolution de la jurisprudence en la matière, la CNIL estime que le traitement CFVR est soumis au RGPD.

Elle souligne qu’il en résulte que les droits des personnes ne doivent pas faire l’objet des restrictions prévues par la directive Police-justice et ne peuvent être aménagé que lorsque cela pourrait nuire à l’objectif de lutte contre la fraude fiscale, en application des dispositions permettant des dérogations ou dans le cadre restreint de l’article 23 du RGPD. La CNIL sera attentive au respect des droits des personnes s’agissant notamment du recours à ces dérogations.
Dès lors que le traitement peut donner lieu à la saisine du parquet, et que cette transmission ne s’effectue pas dans des conditions de droit commun mais en fonction d’un choix propre de l’administration fiscale en application de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, la CNIL recommande, à titre de mesure de transparence, que cette finalité accessoire demeure mentionnée dans l’arrêté et invite le ministère à reformuler les finalités du traitement rédigées à l’article 1er du projet d’arrêté.


Enfin, la CNIL relève que, dans la mesure où le traitement CFVR comporte un objet pénal au sens du 2° du I de l’article 31 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, elle continuera d’être saisie par le ministère des futures modifications de ce traitement. La CNIL considère également que la transmission, à l’occasion de ces saisines, de l’AIPD afférente à ce traitement est une bonne pratique à laquelle elle est favorable.

Les catégories d’accédants et de destinataires


L’article 3 du projet d’arrêté précise que seuls les agents « territorialement compétents chargés de la gestion, de la programmation et du contrôle des dossiers des professionnels et des particuliers » seront rendus destinataires des « données personnelles strictement utiles à leur mission ».


En premier lieu, la CNIL remarque que l’AIPD fournie par le ministère procède à une distinction stricte du régime d’accès suivant, d’une part, la phase de développement des modèles algorithmiques et, d’autre part, la phase d’exploitation des résultats du traitement. Afin de garantir une plus grande lisibilité des principes régissant l’accès aux données du traitement CFVR, la CNIL considère que cette distinction, qu’elle accueille favorablement depuis le début de la mise en œuvre du traitement, pourrait expressément apparaître dans le projet d’arrêté.


En second lieu, elle remarque que, en y incluant la gestion des dossiers des particuliers, le ministère élargit significativement le nombre de services accédant aux dossiers ayant été ciblés par le traitement CFVR. Le ministère précise, dans la documentation fournie, qu’il s’agit notamment de prévoir l’accès des agents en charge du recouvrement et de ceux en charge du contentieux à certains éléments de ces dossiers. Le ministère indique également que les agents en charge du recouvrement et du contentieux n’auront pas accès à aux fiches produites par le service SJCF-1D, accompagnant les dossiers ciblés par le traitement CFVR.


Elle constate que les finalités du traitement, selon la nouvelle formulation du projet de texte, sont la modélisation et la visualisation des « anomalies fiscales afin de programmer des opérations de recherche, de constatation ou de poursuite de manquements fiscaux » et l’amélioration « du respect des obligations fiscales des usagers. ».

Compte tenu de ces finalités, la CNIL estime que seuls les agents en charge de la programmation et du contrôle devraient pouvoir avoir accès aux fiches afférentes au traitement CFVR produites par le service SJCF-1D. En conséquence, elle demande au ministère de modifier le projet d’arrêté afin de détailler les services pouvant avoir accès : aux différentes bases de données dans le cadre du développement des traitements algorithmiques de CFVR ; aux fiches produites par le service SJCF-1D ; ou seulement à certains éléments des dossiers ciblés par ce traitement, voire au dossier dans son ensemble.


Les mises en relation


L’article 3 du projet d’arrêté prévoit également, dans le cadre du projet « pilotage et analyse du contrôle » (PILAT) visant à moderniser et à simplifier le travail des agents de l’administration fiscale par le développement de nouveaux outils métiers, l’alimentation de deux nouvelles applications grâce aux résultats du traitement CFVR :


– l’application « GALAXIE », ayant déjà fait l’objet d’un avis de la CNIL (CNIL, SP, 17 février 2022, traitement « GALAXIE », n° 2022-025, publié), permettant de connaître les liens d’associés, d’actionnaires et de dirigeants entre, d’une part, des personnes physiques ou morales et, d’autre part, des sociétés (v. arrêté du 11 mars 2022 portant autorisation par la direction générale des finances publiques du traitement de données à caractère personnel dénommé GALAXIE). Le ministère précise que les liens identifiés entre des personnes morales ou physiques, par l’application CFVR, seront transmis à l’application « GALAXIE » afin d’être consultables par les agents chargés des opérations de validation et de contrôle ;


– l’application « PILOT CF » ayant pour objet le suivi de l’ensemble du processus de contrôle fiscal, le pilotage des services et le suivi d’activité pour les agents concernés et, enfin, le suivi statistique du contrôle. Le ministère précise que le bureau SJCF-1D intégrera, trimestriellement ou mensuellement, des listes de dossiers de contribuables professionnels et particuliers présentant des risques fiscaux détectés par le traitement CFVR.


Le ministère précise que la nouvelle application métier « VUE 360 » sera également alimentée par les résultats du traitement CFVR. Cette dernière application permet aux agents chargés du contrôle, afin d’appréhender les situations fiscales dans leur globalité, d’accéder à une vue d’ensemble des bases de données de la DGFiP dans lesquelles l’entreprise ou la personne physique en cause est présente.

Le ministère précise que des limitations, quant aux données visualisables et aux agents ayant accès à ces données, seront étudiées lors du développement de cet outil. Dans la mesure où cette application a, en l’état, pour seule fonctionnalité la visualisation des informations contenues dans les bases de données y étant adossées, sans stockage ni modification de ces informations, la CNIL constate qu’aucun traitement distinct n’est mis en œuvre.


En premier lieu, le traitement CFVR contient un grand nombre de données à caractère personnel. Dans le cadre de la refonte des applications métiers du ministère, la CNIL rappelle l’importance de la protection de la vie privée dès la conception et par défaut qui devra guider le développement de ces nouveaux outils. Elle accueille favorablement les mécanismes d’habilitation stricts mis en œuvre dans l’application « PILOT CF », permettant de dissocier les envois des listes de programmation en fonction des missions des agents, et appelle le ministère à mettre en place des méthodes équivalentes pour les autres applications métiers.


En deuxième lieu, concernant les formalités relatives aux outils métiers développés par le ministère, la CNIL prend acte de ce qu’une AIPD est en cours de rédaction concernant l’application « PILOT CF ». En application du 2° du I de l’article 31 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, il revient également au ministère de prendre l’arrêté d’autorisation de ce traitement de données à caractère personnel après avis motivé et publié de la CNIL.


En dernier lieu, le ministère précise que les dossiers des personnes physiques ou morales présentant des risques fiscaux identifiés par le traitement CFVR seront, eu égard aux enjeux et aux seuils préalablement fixés, intégrés dans l’outil « PILOT CF » par le bureau SJCF-1D. La CNIL appelle à une grande prudence dans la conception et l’utilisation de ce type d’algorithmes, eu égard aux risques qu’ils comportent et aux biais qu’ils peuvent présenter (v. CNIL, SP, 16 novembre 2023, traitement « dispositif ressources mensuelles », n° 2023-120).

L’exemple du traitement algorithmique déployé aux Pays-Bas pour détecter des situations de fraude à certaines prestations sociales a montré que la confiance accordée par une administration à un traitement algorithmique de détection de la fraude, sans précautions et contrôles humains suffisants, pouvait avoir des conséquences graves pour les personnes. Ces risques, notamment de discriminations, sont régulièrement rappelés par le Défenseur des droits (v. notamment le rapport « Algorithmes : prévenir l’automatisation des discriminations », 31 mai 2020).

Elle rappelle, qu’en application des articles 22 du RGPD et 47 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, aucune décision produisant des effets juridiques à l’égard d’une personne ou l’affectant de manière significative ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données à caractère personnel, y compris le profilage.


La CNIL estime que le déploiement de tels algorithmes devrait s’accompagner :


– d’une part, de formations spécifiques permettant aux agents en charge de la programmation et des contrôles de maîtriser les principes des algorithmes utilisés ;


– d’autre part, d’une documentation couvrant également le risque de biais algorithmiques prohibés pouvant entraîner des discriminations. Pour ce faire, il revient au ministère de mettre en place un ensemble de mesures et de tests afin d’avoir un suivi continu des performances et des évolutions des algorithmes à des fins d’analyse proactive permettant de mettre à jour l’émergence de tels biais.


En outre, la CNIL estime que les dossiers considérés comme à risque par le traitement CFVR, mais par la suite écartés par les services de la programmation et des contrôles :


– ne devraient plus apparaitre, pour les mêmes raisons, dans les applications de ciblage de la fraude. Il revient à l’administration d’améliorer en continue les performances des traitements algorithmes de détection de la fraude afin de réduire le risque de faux positifs ;


– ne doivent pas comporter une mention selon laquelle ces dossiers ont déjà fait l’objet, par le passé, d’un ciblage par les algorithmes du traitement CFVR. D’une manière générale, le fait de déjà avoir été ciblé à tort par les algorithmes ne devrait pas constituer un indice augmentant la probabilité d’être une nouvelle fois considéré comme un dossier à risque par le traitement CFVR.


Les droits des personnes concernées


L’article 4 du projet d’arrêté prévoit de modifier le fondement légal sur lesquels reposent les droits des personnes concernées, et ce, afin de prendre en compte le changement de régime juridique souhaité par le ministère.


En premier lieu, la CNIL remarque que, dans la mesure où le ministère n’est pas une juridiction financière, il ne peut se fonder sur le dernier alinéa de l’article 52 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée pour restreindre les droits d’accès et de rectification. Elle prend acte de l’intention du ministère de corriger la base légale sur laquelle il se fonde pour restreindre les droits d’accès et de rectification.


En second lieu, la CNIL constate que l’arrêté ne contient aucune dérogation ou aménagement au droit à l’information.

Si le ministère met en œuvre une politique d’information sur son site web, elle rappelle, qu’en application des articles 12 et suivants du RGPD, ces informations doivent être aisément accessibles pour toute personne, rédigées de manière intelligible, pédagogique et spécifique au traitement concerné. En conséquence, et compte tenu des enjeux importants du traitement CFVR en termes de protection des données à caractère personnel, la CNIL estime que la politique d’information du ministère pour ce traitement devra être complétée et être plus facilement accessible au grand public.


S’agissant de la finalité spécifique de la lutte contre la fraude, la CNIL rappelle qu’elle admet que l’information de la personne dont les données sont traitées puisse, dans certains cas, nuire aux finalités de détection et de redressement des cas de fraude. Elle estime cependant nécessaire de conjuguer l’information des personnes et l’efficacité de la lutte contre la fraude. A cette fin, elle recommande que la politique d’information soit mise en œuvre, a minima, en deux temps distincts :


– dans un premier temps, une information générale de l’ensemble des personnes concernées sur la possibilité d’utilisation de leurs données à des fins de lutte contre la fraude ;


– dans un second temps, une information spécifique des personnes effectivement contrôlées dès lors que cette information n’est plus susceptible de nuire à l’efficacité du contrôle, c’est-à-dire au plus tard lorsqu’en application des droits de la défense, il est procédé à un échange contradictoire avec la personne soupçonnée de fraude.


Elle invite donc le ministère à compléter le projet d’arrêté en ce sens.


La sécurité et la tenue d’un journal des opérations


En premier lieu, la CNIL prend acte de la mise en place d’une journalisation. Elle rappelle que le traitement de ces données a pour seule finalité la détection et la prévention d’opérations illégitimes sur les données du traitement. Si la mise en place de ces journaux et leur conservation sur trois années peuvent constituer des garanties fortes contre le détournement de finalités pour les personnes concernées par le traitement, la mise en œuvre d’un mécanisme proactif de contrôle automatique des données de journalisation, incluant la génération automatique d’alertes, est indispensable pour atteindre ce but.


En second lieu, la CNIL prend note que les modalités d’alimentation des applications « GALAXIE » et « PILOT-CF » sont satisfaisantes, les données étant mises à disposition sous forme de fichiers chiffrés avec des algorithmes et des procédures de gestion de clés, conformes à l’annexe B1 du référentiel général de sécurité (RGS), étant mises en œuvre.

Conclusion

L’arrêté du 21 octobre 2024 constitue une avancée importante dans la lutte contre la fraude fiscale, en améliorant les dispositifs existants de ciblage et de valorisation des requêtes. Cependant, il met également en lumière les défis liés à la protection des données personnelles, en particulier dans un contexte de traitements automatisés. La CNIL veille à ce que les principes du RGPD soient scrupuleusement respectés pour garantir la sécurité des données tout en optimisant l’efficacité des contrôles fiscaux. Les ajustements apportés par l’arrêté devraient permettre un meilleur équilibre entre la lutte contre la fraude et le respect des droits des citoyens.

Mots-clés : arrêté 21 octobre 2024, fraude fiscale, ciblage de la fraude, valorisation des requêtes, RGPD, CNIL, protection des données, administration fiscale, outils métiers DGFiP, algorithmes de détection de fraude.


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