Le ton éditorial de France Dimanche validé par les juridictions
Le ton éditorial de France Dimanche validé par les juridictions
Ce point juridique est utile ?

La divulgation publique et volontaire d’informations privées par une personne (sur son état de santé ou sa santé psychologique par exemple) la prive du droit d’agir en atteinte à sa vie privée.

Affaire France Dimanche

En dépit des accroches de couvertures ambigues de France Dimanche (« Le compte à rebours avec la mort … »), aucune atteinte à la vie privée et au droit à l’image de Claire Chazal n’était caractérisée.

La contribution de l’information à un débat d’intérêt général

En premier lieu, s’agissant de la contribution de l’information à un débat d’intérêt général, l’atteinte portée à la vie privée d’une personne publique ou au droit dont elle dispose sur son image ne peut être légitimée par le droit à l’information du public que si le sujet à l’origine de la publication en cause relève de l’intérêt général et si les informations contenues dans cette publication, appréciée dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel elle s’inscrit, sont de nature à nourrir le débat public sur ce sujet (CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, T… et Hachette Filipacchi associés c. France [GC], n° 40454/07, §§ 99 et 100, § 102 ; CEDH, arrêt du 29 mars 2016, Bédat c. Suisse [GC], n° 56925/08, § 64 ; 1e Civ., 11 mars 2020, 19-13.716, publié au bulletin).

Il n’est pas contesté, en l’espèce, que ni les accroches de couverture, ni les articles ni les photographies ne contribuent à un débat d’intérêt général. Les thèmes abordés (la peur de la mort et de la vieillesse, l’anxiété et l’angoisse, et le fait de poser ou d’aimer marcher pieds nus) ne relèvent pas d’un débat d’intérêt général et présentent un caractère strictement privé.

La notoriété et le comportement de la “victime” sont déterminants

Toutefois, la notoriété de Mme [D] et son comportement antérieur incitent la cour à retenir que les informations telles qu’elles sont divulguées dans les trois magazines litigieux ne constituent ni des atteintes à la vie privée, ni des atteintes au droit à l’image de Mme [D].

Journaliste très populaire, à la tête du journal télévisé de TF1 pendant 20 ans, Mme [D] est une personnalité qui, si elle n’a aucune fonction officielle, n’en est pas moins très proche des médias, à la fois par sa profession, mais également par l’ensemble des très nombreuses déclarations, interviews et participations à des émissions télévisées qu’elle a bien voulu accorder.

S’agissant du magazine n°3740 paru du 4 au 10 mai 2018 comportant en première page de couverture une annonce sous le titre « Son terrible aveu – [C] [D] ‘ « Le compte à rebours avec la mort … » légendant une photographie en médaillon de Mme [C] [D], et un article sous le titre « [C] [D] terrifiée ! » et « Comme la journaliste vient de l’avouer, vieillir lui fait très peur », la cour constate que l’accroche incite le lecteur à faire un lien entre Mme [D] et la question du temps qui passe et de la mort sur un ton sensationnaliste et accrocheur. Les points de suspension laissent penser à une suite de la phrase qui incitent à aller lire l’article.

Comme l’a relevé le tribunal, le caractère ambigu de l’accroche, décelable facilement par le lecteur, ne permet pas de conclure à la révélation d’une information d’ordre privée voire trompeuse quant à la mort de Mme [D].

Divulgation d’informations générales ou connues

L’article quant à lui s’ouvre sur une réflexion générale sur la crainte du temps qui passe qui augmente au fur et à mesure que l’on vieillit, crainte présentée comme partagée par tout un chacun. Il fait ensuite référence à Mme [D] qui aborde ce thème dans son livre « Puisque tout passe » et dans une interview au magazine Elle parue le 27 avril 2018 visant à assurer la promotion de ce dernier. Force est de constater que l’article reprend la teneur de ses déclarations en interview, sans sous-entendu indiscret ou ironique, sans déformation de ses propos (certains sont d’ailleurs intégralement cités entre guillemets) et sans les sortir de leur contexte (puisqu’il est fait expressément mention de ladite interview).

Cet article ne divulgue aucune information sur la vie privée de Mme [D] dont elle n’aurait pas déjà fait état dans cet interview.

L’article comporte des termes visant l’exagération (ex : « ce cap laisse des traces dans son âme », « la peur de cesser de plaire, de ne pas voir grandir les siens, la prise de conscience que sa fin est de plus en plus proche (ce qui est, après tout, notre lot à tous dès l’instant de notre naissance) semble désormais la ronger »), qui sont conformes à la ligne éditoriale du magazine, sont connues de son lectorat et n’excèdent pas les limites permises dans une société démocratique.

En outre, la précision « (ce qui est, après tout, notre lot à tous dès l’instant de notre naissance) » dédramatise les propos et insiste sur le fait que ce type de réflexion est le lot de chaque être humain.

Dès lors, ni l’accroche de couverture, ni l’article ne constituent des atteintes à la vie privée.

Le respect de la vie privée

Pour rappel, l’article 9 du code civil dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée.

Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.

L’article 8, 1°, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales stipule que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».

L’article 10 de ladite Convention stipule par ailleurs que :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

  1. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

Le droit au respect de la vie privée et le droit au respect dû à l’image d’une personne, d’une part, et le droit à la liberté d’expression, d’autre part, ayant la même valeur normative, il doit être recherché un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, il conviendra de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme, que, pour procéder à la mise en balance des droits en présence, il doit être pris en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies.

Il résulte également de cette jurisprudence que la définition de ce qui est susceptible de relever de l’intérêt général dépend des circonstances de chaque affaire.

Chacun de ces critères doit en outre être examiné successivement (1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 16-28.741, Bull. 2018, I, n° 56 ; 1e Civ., 11 mars 2020, 19-13.716, publié au bulletin).

S’agissant de la notoriété et du comportement antérieur de la personne, la révélation antérieure par l’intéressé lui-même des informations litigieuses est un élément essentiel de l’analyse de l’immixtion reprochée à la société de presse dans certains aspects de la vie privée.

La publicité donnée par l’intéressé à des informations relevant de la sphère privée affaiblit le degré de protection à laquelle ce dernier peut prétendre au titre de sa vie privée, s’agissant désormais de faits notoires et d’actualité (CEDH, 23 juillet 2009 requête 12268/03 HFA Ici Paris / France (arrêt cité par Mme [D])).

Par ailleurs, la divulgation par titre de presse d’un fait présenté comme relevant de la vie privée porte atteinte à celle-ci, peu important que l’objet réel de l’information soit tout autre et accessible au lecteur qui se reporte aux développements intérieurs de la publication.

D’autre part, la reproduction d’une photographie illustrant une information illicite de vie privée méconnaît le droit de la personne concernée au respect de son image (Civ. 1e, 7 mars 2006, n°05-10.488).


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