Le présentateur TV n’est pas artiste-interprète

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Le présentateur TV n’est pas artiste-interprète
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Le présentateur TV, tout aussi sympathique qu’il soit, n’a pas la qualité d’artiste-interprète.

L’article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle définit l’artiste-interprète comme la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes.

Au cas présent, l’intéressé a présenté les 40 épisodes de la série documentaire Villages de France. Pour autant, il n’est évidemment pas l’interprète de ces documentaires en eux-mêmes, qui n’existaient pas au moment où il y a contribué, de la même manière qu’un musicien qui interprète une oeuvre musicale n’est pas l’interprète du film de captation du concert (il a des droits sur la diffusion de ce film mais seulement parce qu’il s’agit de la captation de son interprétation de l’oeuvre musicale, pas parce qu’il serait l’interprète du film lui-même). Il ne peut être l’artiste-interprète que d’une oeuvre préexistante qu’il exécute (à l’instar d’un musicien jouant un morceau ou d’un comédien jouant un scénario) ou d’une oeuvre qu’il crée en même temps qu’il l’exécute (à l’instar d’une improvisation).

Il en irait différemment si l’intervention du présentateur dans chaque documentaire constituait une oeuvre en elle-même mais, outre que ce n’est pas allégué (le demandeur invoquant non pas une création originale distincte dans chaque documentaire mais un format unique et général), il est difficile de voir en quoi sa prestation de présentation, certes animée, chaleureuse et plus généralement empreinte des qualités que M. [Y] explicite, constituerait en soi une oeuvre de l’esprit formellement identifiée et portant l’empreinte de la personnalité de son auteur. Les différentes qualités qu’il explique avoir mises en oeuvre dans son travail pour la série en cause relèvent d’idées, de concepts, d’un savoir-faire professionnel, qui ne sont pas appropriables et ne constituent pas une oeuvre d’art.

En la cause, le fait que le contrat conclu entre le présentateur et le producteur des documentaires mentionne une cession des droits de fixation, de reproduction et de communication au public, qui certes évoquent les droits voisins de l’artiste-interprète, est sans incidence sur le fait qu’existe, ou non, une interprétation, et ce d’autant moins que ce contrat est ambigu, la seule référence à ce type de droits voisins étant contrebalancée par l’absence d’application du régime correspondant, comme le fait remarquer le demandeur lui-même qui critique l’absence de la rémunération distincte indispensable à la cession des droits voisins de l’artiste-interprète.

Dès lors, faute d’oeuvre interprétée, le présentateur ne détient pas de droit d’artiste-interprète sur les épisodes en question.

Résumé de l’affaire : La société Arte France a diffusé entre 2012 et 2018 une série documentaire intitulée « Villages de France », coproduite avec une société dissoute dont elle a acquis les droits. M. [Y], présentateur de la série, conteste les rediffusions, arguant qu’elles violent ses droits d’auteur sur le format de l’émission et les photographies qu’il a prises, ainsi que ses droits voisins d’artiste-interprète et son droit à l’image. Après des échanges infructueux, il a assigné Arte en juin 2022, demandant des réparations financières et l’interdiction des rediffusions. Arte, en réponse, conteste les accusations, soulève des fins de non-recevoir et réclame également des frais. M. [Y] soutient que la prescription ne s’applique pas, invoquant un délit continu, et affirme que son format est original et qu’il a joué un rôle clé dans la création de la série. Arte, de son côté, argue que M. [Y] n’a pas prouvé l’originalité de son format et conteste la qualité de ses photographies, tout en affirmant qu’il a cédé ses droits à la SCAM. La société remet également en question la qualité d’artiste-interprète de M. [Y] et soulève des objections sur la prescription des demandes.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

20 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
22/08144
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

N° RG 22/08144 –
N° Portalis 352J-W-B7G-CXDTC

N° MINUTE :

Assignation du :
30 Juin 2022

JUGEMENT
rendu le 20 Septembre 2024
DEMANDEUR

Monsieur [M] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Maitre Alain HAZAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0539

DÉFENDERESSE

S.A. ARTE FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Maître Delphine LEFAUCHEUX de la SELARL KOHN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0233

Copies éxécutoires délivrées le :
– Maître HAZAN #P539
– Maître LEFAUCHEUX #P233

Décision du 20 Septembre 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 22/08144 – N° Portalis 352J-W-B7G-CXDTC

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Vera ZEDERMAN, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistés de Monsieur Quentin CURABET, greffier

DEBATS

A l’audience du 22 Mars 2024 tenue en audience publique, avis à été donné aux avocats que la décision serait rendue le 31 Mai 2024 puis prorogé en dernier lieu au 20 septembre 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

1. La société Arte France (la société Arte) a diffusé, en 2012 puis à nouveau jusqu’en 2018, les 40 épisodes d’une série documentaire intitulée « Villages de France », qu’elle a coproduite avec une société aujourd’hui dissoute et dont elle a racheté les droits.

2. M. [Y], présentateur de cette série, estimant que seule une première diffusion était autorisée, reproche à la société Arte d’avoir procédé à de nombreuses rediffusions, ce qui constituerait, en premier lieu, la contrefaçon de ses droits d’auteur sur, d’une part, le format de la série dont il affirme être à l’origine, d’autre part les photographies qu’il a prises durant le tournage et qui ont été intégrées dans les films, en deuxième lieu la contrefaçon des droits voisins d’artiste-interprète qu’il dit détenir du fait de sa prestation, en troisième lieu la violation de son droit à l’image.

3. Après plusieurs échanges infructueux, il a assigné la société Arte le 30 juin 2022. L’instruction a été close le 2 juin 2023.

Prétentions des parties

4. M. [Y], dans ses dernières conclusions (7 avril 2023), demande la condamnation de la société Arte à lui payer 5% des recettes nettes réalisées depuis le 30 juin 2012 en réparation de la contrefaçon de son format documentaire, 50 000 euros en réparation de la contrefaçon de ses photographies, « la somme qu’il lui conviendra de fixer » au titre des salaires qui lui sont dus en tant qu’artiste interprète et, à ce même titre, 500 euros par épisode rediffusé depuis le 30 juin 2012, 10 000 euros en réparation de la violation de son droit à l’image, l’interdiction de rediffuser les épisodes, sous astreinte, enfin 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

5. La société Arte, dans ses dernières conclusions (4 mai 2023), soulève des fins de non-recevoir, résiste aux demandes sur le fond et réclame elle-même 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Moyens des parties

6. M. [Y] conteste la prescription, exposant qu’il ignorait les diffusions avant l’envoi de sa mise en demeure en 2019 et que la contrefaçon est « un délit civil continu » de sorte que la prescription n’a pu courir qu’après la dernière rediffusion, en 2018. Subsidiairement, il fait valoir qu’à tout le moins la prescription ne peut pas être acquise pour les rediffusions réalisées moins de 5 ans avant l’assignation, soit après le 30 juin 2017 (ce qui concerne 366 rediffusions).

7. Sur le droit d’auteur, M. [Y] invoque le « format » de l’émission, qui est original, selon lui, au regard de sa description précise dans le dossier de presse (sans qu’il soit besoin d’une bible), qui en fait ressortir les caractéristiques principales que sont le concept, l’enchainement et la structuration de l’émission, à savoir le village en tant que lieu de proximité, « dans le coeur » de chacun, dont le présentateur dévoile « l’âme » en rencontrant des habitants, des spécialistes et des passionnés, l’architecture, l’histoire, les légendes, la gastronomie, la faune et la flore, en étant accompagné par un drone qui « s’inscrit comme élément de narration », avec des angles surprenants, des « prises de vues inédites et spectaculaires », le drone survolant des hautes falaises, des lacs ou des rivières, slalomant dans les rues, tournoyant autour d’un clocher, pénétrant dans la cour d’un château. Le générique résume également, expose-t-il, le format de l’émission, avec la découverte du village par un point de vue aérien, la présentation de M. [Y] en tant que photographe, qui est montré « en train de capturer le spectateur derrière son appareil photo », puis en tant que « passeur de l’émission », en train d’interroger un habitant du village.

8. Il affirme être l’auteur de ce format, au regard de la convention de collaboration qui lui donnait notamment pour mission de préparer l’émission et d’assurer la voix hors champ et ainsi un rôle prépondérant à l’écran et en coulisse puisqu’il était seul chargé de préparer les sujets, au-delà du rôle d’un simple présentateur. Il affirme en outre avoir « pris en main » le projet d’émission qui avait connu deux échecs successifs avant son intervention et avoir mis en place des « concepts originaux », tels que la personnification de l’émission et l’incarnation de l’atmosphère de la série, la mise en scène du drone, l’utilisation de plus de 453 photographies afin d’enrichir la narration et la « grammaire filmique », ce qu’il qualifie de « révolutionnaire », avec des photographies prises par un boitier Canon 5D (« référence » des professionnels à l’époque), une grande ouverture de diaphragme, une faible profondeur de champ, des couleurs saturées, « généreuses et oniriques » offrant un point de vue que l’oeil humain n’aurait pas vu naturellement, et estime avoir été le seul, à l’époque, à être capable d’élaborer un tel concept, que seul un photographe pouvait mettre en place, tandis qu’aucune compétence particulière n’était attendue du réalisateur. Il ajoute que sa compétence de photographe et ses photographies ont été mises en avant dans le dossier de presse, qui le présentait comme « passionné de photographie ». Il souligne enfin qu’il ne s’agit pas de simples idées car celles-ci sont matérialisées dans chacun des 40 épisodes, « conférant à la série sa substantifique moelle ».

9. Sur les photographies, M. [Y], qui soutient que son adhésion à la SCAM ne le prive pas de l’exercice de ses droits d’auteur, les statuts de cette société ne le prévoyant pas, expose qu’elles ont été pensées pour rythmer les séquences des émissions, transmettre un message (présentation d’un individu, représentation d’une action particulière, description d’un savoir-faire, spécificités géographiques d’un lieu). Il présente en particulier 45 photographies représentatives de ses choix arbitraires et partis-pris esthétiques, qui ressortent selon lui de la comparaison avec les arrêts sur image des passages correspondants des émissions. Il met en avant l’utilisation de la contre-plongée, d’un fond flouté pour attirer le regard vers le premier plan et accentuer le caractère secondaire des intervenants, la surexposition pour évoquer un univers fantastique. Il conteste l’argument tiré de ce que ses choix relèveraient du fonds commun de la photographie, estimant que l’originalité ne suppose pas de « révolutionner » les techniques photographiques, qu’il est inopérant de se fonder sur d’autres photographies dont les sujets sont similaires alors que ce sont les partis-pris qui importent.

10. Il fait valoir que la convention de collaboration prévoyait seulement une « première diffusion », qui a eu lieu du 7 mai au 30 juin 2012, alors que ses relevés SCAM lui ont révélé que les 40 épisodes ont continué à être diffusés, à plus de 25 reprises, jusqu’en 2018.

11. Il revendique par ailleurs des droits voisins d’artiste-interprète sur sa prestation de présentateur, aux motifs que les présentateurs ne sont pas exclus par principe du statut d’artiste-interprète, que ses interprétations portent la marque de sa personnalité dans les phrasés et les tons adoptés, rendant sa prestation unique et non interchangeable et ayant précisément motivé le choix de faire appel à lui, que de son interprétation ressort son « franc-parler caractéristique », sa capacité à établir un contact amical, des échanges authentiques, rythmés par son humour et sa répartie et qui permettent d’incarner l’esprit de la série dans laquelle il est présent 80% du temps, à l’écran ou en voix hors champ, enfin que l’article 5 du contrat qu’il a conclu avec le producteur fait référence à l’existence de ses droits voisins, l’article 6 prévoyant la rémunération de sa prestation et de la cession de ses droits de fixation, de reproduction et de communication au public de sa prestation. Or, expose-t-il, cette clause de rémunération est manifestement nulle car la rémunération de la cession de ses droits sur l’oeuvre n’est pas distincte de la rémunération de sa prestation artistique.

12. Il invoque également son droit à l’image et estime que l’utilisation de son image et de sa voix par les multiples rediffusions non autorisées violent ce droit, ajoutant qu’il « n’y a aucune justification pour que [lui], intervenant clef de l’émission, ne perçoive pas les fruits des diffusions successives des épisodes dans lesquels il apparait. »

13. En réparation, il invoque, pour le droit d’auteur, un préjudice forfaitaire de 5% des recettes nettes, outre 50 000 euros pour les photographies. Pour son droit voisin d’artiste-interprète, il fait valoir que l’annexe IV de la convention collective des artistes-interprètes engagés pour des émissions de télévision prévoit un salaire complémentaire pour toute nouvelle diffusion. Il estime, s’agissant de la compétence, que la société Arte n’ayant pas maintenu son exception d’incompétence devant le juge de la mise en état, elle n’est plus recevable à l’invoquer devant le tribunal. Il réclame en outre une rémunération distincte de la cession de ses droits d’artiste-interprète à hauteur de 500 euros par épisode rediffusé « compte tenu des usages et de la situation », soit 269 500 euros au total. S’agissant de l’utilisation de son image sans son autorisation, il demande 10 000 euros.

14. En réponse, la société Arte estime que M. [Y] n’apporte pas la preuve de l’existence d’un « format », de l’originalité de celui-ci et de sa paternité à son égard. En effet, expose-t-elle, la production de la série n’a pas été précédée d’une bible ou d’un format dont elle serait l’adaptation et ni la convention de coproduction ni les droits cédés à ce titre n’en mentionnent aucun, outre que les éléments d’un format tel que défini selon la jurisprudence citée par le demandeur lui-même, à savoir un mode d’emploi décrivant un déroulement formel et formant le cadre de l’oeuvre, ne se retrouvent pas dans le dossier de presse qu’il invoque, tandis que le « descriptif des caractéristiques et spécificités » qu’il produit a été, selon elle, rédigé pour les besoins du procès.

15. Sur l’originalité et la paternité alléguée de M. [Y], elle fait valoir qu’il s’agit seulement d’idées, non protégeables, dont rien ne prouve au demeurant que M. [Y] fût à l’origine, en l’absence de divulgation à son nom ou de toute autre preuve, les idées qu’il invoque pouvant avoir été émises par la rédactrice en chef de la série ou par l’un des journalistes ou réalisateurs.

16. Sur les photographies, la société Arte, qui en conteste l’originalité, soutient qu’il s’agit de clichés pris sur le vif lors du tournage des épisodes, donc soumis aux seuls choix du réalisateur de l’épisode concerné s’agissant du sujet, de la composition et de la mise en scène, sans souci apparent de cadrage ou de parti pris esthétique ; qu’il ne s’agit que de gros plans de ce qui est filmé par la caméra, avec, pour certaines photos, l’application d’un savoir-faire technique, non protégeable, ou de choix esthétiques banals. Elle ajoute qu’en toute hypothèse, M. [Y] a fait apport à la SCAM des droits d’auteurs sur ses photographies et n’a donc plus qualité à agir à ce titre ; qu’elle-même a passé des accords généraux avec la SCAM lui permettant d’utiliser toutes les oeuvres de son répertoire ; que l’article 7.1 du règlement de la SCAM prévoit, pour les oeuvres du type de celles en cause, l’apport en propriété par l’auteur du droit d’autoriser ou interdire la reproduction ou la représentation, notamment, par transmission audiovisuelle telle que la radio-télévision ; que M. [Y] a ainsi perçu des droits pour ses photographies au titre des diffusions et rediffusions du programme en cause et est donc, selon elle, de mauvaise foi à demander une condamnation pécuniaire au même titre.

17. La société Arte soulève par ailleurs l’irrecevabilité de M. [Y] à raison de l’absence de mise en cause des coauteurs de la série.

18. Elle l’estime encore irrecevable au titre des droits voisins faute pour lui, selon elle, de justifier de la qualité d’artiste-interprète, car il a été engagé comme présentateur, pas comme artiste-interprète, précisant qu’il ne s’agissait pas pour lui de « représenter, chanter, réciter, déclamer, jouer ou exécuter de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes » selon la définition de l’article L. 212-1, qu’il n’existe pas d’oeuvre littéraire ou artistique préexistante à ses prestations de présentateur, aucun scénario par exemple. Elle précise que si les présentateurs peuvent être des « artistes du spectacles », ils ne sont pas pour autant des « artistes-interprètes », fait valoir que les prestations de M. [Y] lorsqu’il était présentateur météo ont été précédemment jugées (lors d’un litige entre son employeur et l’URSSAF) comme n’étant pas même artistiques nonobstant la modulation de la voix qu’il allègue encore au cas présent et elle estime qu’il en va de même pour la série en cause.

19. Elle invoque en outre la prescription des demandes se rattachant à des rediffusions antérieures au 30 juin 2017. Elle soutient que la prescription applicable est la prescription de droit commun qui implique que chaque acte constituant une contrefaçon, donc chaque rediffusion, fait courir un nouveau délai de prescription ; qu’il incombe au demandeur prétendant avoir ignoré les faits de prouver cette ignorance ; que M. [Y] ne pouvait ignorer les rediffusions car la chaine Arte est connue et diffuse en clair ses programmes qui sont annoncés à l’avance, outre qu’il a reçu les relevés de la SCAM au fur et à mesure des diffusions.

20. Sur le droit à l’image, la société Arte estime la demande de mauvaise foi dès lors que M. [Y] a été engagé pour être présentateur des épisodes et payé pour ce faire.

21. Elle critique subsidiairement l’absence de justification des montants demandés, outre que, s’il fallait y voir une demande de salaire complémentaire, le présent tribunal devrait déclarer d’office son incompétence, s’agissant d’une compétence exclusive, d’ordre public, du conseil des prud’hommes en application de l’article L. 1411-1 du code du travail.

MOTIVATION

I . Demandes en contrefaçon du format de l’émission

22. Conformément à l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur l’œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.

23. En application de la directive 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, l’existence d’une œuvre, qui conditionne la protection encadrée par ce texte, implique un objet original, c’est-à-dire une création intellectuelle propre à son auteur, qui en reflète la personnalité en manifestant ses choix libres et créatifs ; et cet objet doit être identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité, ce qui exclut une identification reposant essentiellement sur les sensations de la personne qui perçoit l’objet (CJUE, 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, points 29 à 35).

24. Par ailleurs, la propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts, mais seulement la forme originale sous laquelle ils se sont exprimés (Cass. 1re Civ., 29 novembre 2005, n°04-12-721 ; 1re Civ., 16 janvier 2013, n°12-13.027).

25. Au cas présent, M. [Y] invoque un « format » défini par trois éléments, à savoir l’idée du village comme lieu de proximité, la configuration du programme selon laquelle M. [Y] dévoile « l’âme du lieu », la structure et l’enchainement de l’émission avec l’usage d’un drone comme « élément de narration ». Ces éléments et leur déclinaison telle que la décrit le demandeur (cf ci-dessus point 7) relèvent du concept, personne ne pouvant s’approprier la rencontre de villageois, spécialistes ou passionnés d’un lieu pour en faire ressortir une atmosphère intéressante en décrivant ses caractéristiques, avec des prises de vues aériennes en montrant le manipulateur de l’engin volant.

26. Au demeurant, ce « format » tel que le revendique M. [Y] n’est que l’énumération ex post de certaines caractéristiques des épisodes de la série documentaire « Villages de France », sans formalisation concrète, ce qui ne permet pas d’en faire un objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité.

27. Le demandeur échoue donc à établir l’existence d’une oeuvre protégeable par le droit d’auteur. Ces demandes en ce sens sont, par conséquent, rejetées.

II . Demandes en contrefaçon des photographies

1 . Droit d’agir

28. En application de l’article 31 du code de procédure civile, l’action est libre par principe, seulement soumise à un intérêt légitime. Par exception, elle peut être réservée aux seules personnes que la loi qualifie pour élever ou combattre une prétention ou défendre un intérêt déterminé.

29. Le code de la propriété intellectuelle ne limite pas expressément le droit d’agir en contrefaçon de droit d’auteur (comme il le fait par exemple pour les titres de propriété industrielle). L’article L. 331-1, 2e et 3e alinéas, vise ainsi seulement deux cas particuliers dont il clarifie le régime, ce dont on ne peut dégager a contrario une règle générale sans violer le principe d’interprétation stricte des exceptions. Une telle interprétation laisserait également de très nombreux cas sans réponse au regard de la grande variété et complexité des situations possibles d’exercice et de transmission des différents droits d’auteur.

30. De même, l’article L. 332-1, lorsqu’il dispose que « tout auteur d’une œuvre protégée par le livre Ier de la présente partie, ses ayants droit ou ses ayants cause peuvent agir en contrefaçon », ne peut être interprété comme prévoyant implicitement une restriction générale au droit d’agir en contrefaçon. En effet, d’une part, cet article concerne seulement la saisie-contrefaçon ; d’autre part, il n’indique pas que « l’action en contrefaçon est exercée par » les personne qu’il qualifie, mais de manière plus ouverte que « tout auteur [etc] peut agir en contrefaçon ». Il ne peut donc en résulter une exception au principe de la liberté d’action. Il résulte seulement de cette disposition que la saisie-contrefaçon n’est ouverte qu’aux personnes pouvant se prévaloir d’un droit d’auteur (livre I) à l’exception des droits voisins.

31. L’action en contrefaçon de droit d’auteur (hormis la saisie-contrefaçon) n’est donc pas une action réservée. Le demandeur en contrefaçon n’a donc pas à prouver sa qualité, mais seulement son intérêt.

32. Un tel intérêt, qui n’est pas soumis à la preuve du bienfondé de l’action, est suffisamment caractérisé par l’invocation d’un préjudice personnel imputé au défendeur, ce qui est le cas ici. Le moyen relatif à la titularité n’a donc lieu d’être examiné que dans la mesure où il est susceptible de faire obstacle aux demandes, sur le fond.

2 . Droit d’interdire

33. Il est constant que M. [Y] a apporté les photographies en cause à la Société civile des auteurs multimédia (la SCAM) et qu’il a reçu des redevances de la part de celle-ci du fait des rediffusions des épisodes contenant ses photographies. Or, comme le souligne la société Arte, non contredite sur ce point, l’article 7 des statuts de la SCAM prévoit que l’apport des oeuvres dont la première exploitation est réalisée par un moyen audiovisuel est l’apport en propriété du droit d’autoriser ou interdire la reproduction ou la représentation.

34. C’est donc la SCAM qui a licitement autorisé la société Arte (ou la personne aux droits de la quelle se trouve celle-ci) à représenter les photographies en cause et en a perçu les droits correspondants.

35. La demande de M. [Y], qui revient à chercher une interdiction qu’il n’est pas en droit d’imposer et une rémunération qu’il a déjà perçue via la SCAM, est ainsi à double titre manifestement malfondée.

III . Demande fondée sur le droit voisin d’artiste-interprète

36. L’article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle définit l’artiste-interprète comme la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes.

37. Au cas présent, M. [Y] a présenté les 40 épisodes de la série documentaire Villages de France. Pour autant, il n’est évidemment pas l’interprète de ces documentaires en eux-mêmes, qui n’existaient pas au moment où il y a contribué, de la même manière qu’un musicien qui interprète une oeuvre musicale n’est pas l’interprète du film de captation du concert (il a des droits sur la diffusion de ce film mais seulement parce qu’il s’agit de la captation de son interprétation de l’oeuvre musicale, pas parce qu’il serait l’interprète du film lui-même). Il ne peut être l’artiste-interprète que d’une oeuvre préexistante qu’il exécute (à l’instar d’un musicien jouant un morceau ou d’un comédien jouant un scénario) ou d’une oeuvre qu’il crée en même temps qu’il l’exécute (à l’instar d’une improvisation).

38. À cet égard, il invoque un format original dont il serait l’interprète. Toutefois, ainsi qu’il a été observé ci-dessus, ce format n’est pas une oeuvre formellement identifiée, mais la réunion abstraite de caractéristiques décrivant la participation de M. [Y] aux documentaires en cause. L’argumentaire du demandeur relève ainsi d’un raisonnement circulaire où l’oeuvre est définie, par abstraction au sein d’une oeuvre identifiée (le film documentaire), par rapport aux contours de la participation du demandeur, laquelle est alors qualifiée d’interprétation par rapport aux contours de l’oeuvre ainsi définie.

39. Il en irait différemment si l’intervention de M. [Y] dans chaque documentaire constituait une oeuvre en elle-même mais, outre que ce n’est pas allégué (le demandeur invoquant non pas une création originale distincte dans chaque documentaire mais un format unique et général), il est difficile de voir en quoi sa prestation de présentation, certes animée, chaleureuse et plus généralement empreinte des qualités que M. [Y] explicite, constituerait en soi une oeuvre de l’esprit formellement identifiée et portant l’empreinte de la personnalité de son auteur. Les différentes qualités qu’il explique avoir mises en oeuvre dans son travail pour la série en cause relèvent d’idées, de concepts, d’un savoir-faire professionnel, qui ne sont pas appropriables et ne constituent pas une oeuvre d’art.

40. Le fait que le contrat conclu entre M. [Y] et le producteur des documentaires mentionne une cession des droits de fixation, de reproduction et de communication au public, qui certes évoquent les droits voisins de l’artiste-interprète, est sans incidence sur le fait qu’existe, ou non, une interprétation, et ce d’autant moins que ce contrat est ambigu, la seule référence à ce type de droits voisins étant contrebalancée par l’absence d’application du régime correspondant, comme le fait remarquer le demandeur lui-même qui critique l’absence de la rémunération distincte indispensable à la cession des droits voisins de l’artiste-interprète.

41. Dès lors, faute d’oeuvre interprétée, M. [Y] ne détient pas de droit d’artiste-interprète sur les épisodes en cause et ses demandes en ce sens sont par conséquent rejetées.

IV . Demande fondée sur le droit à l’image

42. Le droit à l’image résulte du droit à la vie privée prévu par l’article 9 du code civil et consacré par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

43. Le demandeur fonde sa demande, en substance, sur le fait que l’article 6, « rémunération », de la « convention de collaboration » qu’il a conclue avec le producteur des documentaires prévoit que « le salaire de base fixé couvre, outre les prestations du contractant, une première diffusion ainsi que les utilisations de promotion du programme », ce qui exclurait a contrario toute autre diffusion ultérieure.

44. Cependant, l’article 5, « droit exploitation », du même contrat prévoit que M. [Y] « autorise les diffusions », au pluriel, des images le représentant par l’image et par le son ». Le contrat est ainsi ambigu et l’article 6, qui contient également des dispositions relatives aux droits voisins de l’artiste-interprète sans pour autant en appliquer le régime puisque, comme le relève le demandeur lui-même, il ne prévoit pas de rémunération distincte pour la cession de ces droits, est en lui-même peu cohérent. Le cumul de régimes ainsi évoqués sans réel effet dans le contrat et en particulier dans cet article 6 empêche d’interpréter celui-ci comme pouvant prévoir des limitations implicites résultant seulement d’interprétations a contrario.

45. Il faut à l’inverse retenir, comme le souligne la défenderesse, que le présentateur consent à l’utilisation de son image par « les diffusions » du programme auquel il contribue sans autre distinction ni limitation, en particulier de durée ou de nombre de diffusion, les rediffusions étant au demeurant une pratique usuelle.

46. Enfin, la rémunération du travail de M. [Y], en ce compris la valeur de son image, était fondée sur la participation à la préparation et au tournage des documentaires et rien ne justifie qu’il soit à nouveau rémunéré pour la simple rediffusion de la série.

47. La société Arte n’a donc pas violé le droit à l’image de M. [Y] en rediffusant la série en cause et la demande de M. [Y] en ce sens est rejetée.

IV . Dispositions finales

48. Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu’il détermine, en tenant compte de l’équité et de la situation économique de cette partie.

49. M. [Y] perd le procès et est donc tenu aux dépens, ainsi qu’à indemniser la défenderesse de ses frais qui peuvent être estimés à 5 000 euros.

50. L’exécution provisoire est de droit et rien ne justifie de l’écarter au cas présent.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal :

Rejette l’ensemble des demandes de M. [Y]

Condamne M. [Y] aux dépens ainsi qu’à payer 5 000 euros à la société Arte France au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 20 Septembre 2024

Le greffier La Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC


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