Le harcèlement moral de la part du manager

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Le harcèlement moral de la part du manager

Contexte de l’affaire

La société d’exploitation des lignes touristiques (SELT) a engagé M. [N] [J] en tant que conseiller vendeur terrain par un contrat saisonnier à durée déterminée, qui a été prolongé par un contrat à durée indéterminée. Les relations de travail étaient régies par la convention collective nationale des transports routiers.

Procédure disciplinaire et licenciement

M. [J] a été convoqué à un entretien préalable le 12 mars 2020, suivi d’une mise à pied conservatoire. La procédure disciplinaire a été suspendue le 17 mars 2020, puis un nouvel entretien a été programmé en vidéo-conférence pour le 22 avril 2020, auquel M. [J] ne s’est pas présenté. Il a été licencié pour faute grave par lettre datée du 25 avril 2020.

Contestation du licenciement

M. [J] a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes de Paris, demandant des rappels de salaires et des dommages-intérêts. Le jugement du 1er décembre 2021 a débouté M. [J] de ses demandes et l’a condamné à verser 100 euros à la SELT au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Appel de M. [J]

M. [J] a interjeté appel le 20 décembre 2021, demandant l’infirmation du jugement et la reconnaissance de harcèlement moral, ainsi que des indemnités pour licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse. Il a également sollicité des dommages-intérêts pour inexécution de bonne foi du contrat de travail.

Réponse de la SELT

La SELT a demandé la confirmation du jugement de première instance, tout en contestant les demandes de M. [J] et en réclamant le remboursement d’un trop-perçu de salaire.

Harcèlement moral

M. [J] a allégué avoir subi du harcèlement moral de la part de son manager, avec des comportements inappropriés et des accusations de harcèlement sexuel. Des éléments de preuve ont été présentés, y compris des courriels et des témoignages, qui ont corroboré ses allégations.

Nullité du licenciement

M. [J] a soutenu que son licenciement était nul en raison de la dénonciation de harcèlement moral. La SELT a justifié le licenciement par des comportements inappropriés de M. [J] à l’égard de collègues féminines, qui ont été documentés lors d’une enquête interne.

Conséquences financières

Le tribunal a statué sur les indemnités dues à M. [J], y compris l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité de licenciement, et les rappels de salaire. La SELT a également été condamnée à rembourser les indemnités de chômage versées à M. [J].

Décision finale

La cour a infirmé le jugement de première instance sur plusieurs points, notamment en ce qui concerne le harcèlement moral et le licenciement sans cause réelle et sérieuse, tout en confirmant d’autres aspects. M. [J] a été condamné à rembourser un trop-perçu de salaire à la SELT.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

6 novembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
22/00101
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 6

ARRET DU 06 NOVEMBRE 2024

(n°2024/ , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/00101 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CE44D

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Décembre 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 20/05412

APPELANT

Monsieur [N] [J]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Nicolas BORDACAHAR, avocat au barreau de PARIS, toque : D1833

INTIMEE

S.A.S. SOCIETE D’EXPLOITATION DES LIGNES TOURISTIQUES

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Virginie DELESTRE de la SELARL NOMOS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0237

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Septembre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane THERME, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre et de formation

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Gisèle MBOLLO

ARRET :

-Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre et par Gisèle MBOLLO, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige

La société d’exploitation des lignes touristiques, ci-après la SELT, a engagé M. [N] [J] par un contrat saisonnier à durée déterminée du 26 mars 2018 au 4 novembre 2018 en qualité de ‘conseiller vendeur terrain’. Par avenant du 5 novembre 2018 le contrat s’est poursuivi dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des transports routiers et auxiliaires de transports.

La société d’exploitation des lignes touristiques occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Par lettre notifiée le 4 mars 2020, M. [J] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 12 mars 2020, et a été mis à pied à titre conservatoire.

Par courriel du 17 mars 2020, la SELT a suspendu la procédure disciplinaire engagée à l’encontre de M. [J].

Par courriel du 15 avril 2020, M. [J] a de nouveau été convoqué à un entretien préalable fixé au 22 avril 2020 en video-conférence.

Le 22 avril 2020, à la date et heure fixées pour l’entretien préalable, M. [J] n’était pas en ligne.

M. [J] a été licencié pour faute grave par lettre datée du 25 avril 2020.

Le 31 juillet 2020, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour contester le licenciement et former des demandes de rappels de salaires et de dommages-intérêts.

Par jugement du 1er décembre 2021, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud’hommes a rendu la décision suivante :

« DEBOUTE Monsieur [N] [J] de l’ensemble de ses demandes

CONDAMNE Monsieur [N] [J] à titre reconventionnel à payer à la SAS SOCIETE D’EXPLOITATION DES LIGNES TOURISTIQUES la somme suivante :

– 100 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile

DEBOUTE la SAS SOCIETE D’EXPLOITATION DES LIGNES TOURISTIQUES du surplus de ses demandes

CONDAMNE Monsieur [N] [J] aux dépens.»

M. [J] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 20 décembre 2021.

Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 1er mars 2022, auxquelles la cour se réfère expressément pour l’exposé des moyens, M. [J] demande à la cour de :

‘- INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes,

– INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a condamné Monsieur [J] à verser à la société SELT la somme de 100 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

Et statuant de nouveau,

A titre principal :

– CONDAMNER la société SELT à verser à Monsieur [J] la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– PRONONCER la nullité du licenciement de Monsieur [J],

En conséquence :

– CONDAMNER la société SELT à verser à Monsieur [J] les sommes suivantes :

Indemnité pour licenciement nul : 18 516,72 €

Indemnité légale de licenciement : 1 205,51 €

Indemnité compensatrice de préavis : 4 629,18 €

Congés payés afférents : 462,91 €

Rappel de salaire sur mise à pied conservatoire : 740,60 €

Congés payés afférents : 74,06 €

A titre subsidiaire :

– PRONONCER le caractère sans cause réelle et sérieuse du licenciement de Monsieur [J],

En conséquence :

– CONDAMNER la société SELT à verser à Monsieur [J] les sommes suivantes :

Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 8 101,06 €

Indemnité légale de licenciement : 1 205,51 €

Indemnité compensatrice de préavis : 4 629,18 €

Congés payés afférents : 462,91 €

Rappel de salaire sur mise à pied conservatoire : 740,60 €

Congés payés afférents : 74,06 €

En tout état de cause :

– DEBOUTER la société SELT de ses demandes reconventionnelles,

– CONDAMNER la société SELT à verser à Monsieur [J] la somme de 8 000 € pour inexécution de bonne foi du contrat de travail.

– CONDAMNER la société SELT à verser à Monsieur [J] la somme de 2 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Monsieur [J] sollicite également qu’il soit ordonné :

– La remise d’un bulletin de salaire récapitulatif conforme au jugement sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du 8ème suivant la notification de la décision,

– La prise en charge des éventuels dépens de l’instance par la société intimée.»

Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 27 mai 2022, auxquelles la cour se réfère expressément pour l’exposé des moyens, la société d’exploitation des lignes touristiques demande à la cour de :

« – Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a débouté Monsieur [J] de l’ensemble de ses demandes ;

– Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a condamné M. [J] à 100 € au titre de l’article 700 du CPC;

– Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a débouté la société de sa demande de condamnation de Monsieur [J] à lui verser la somme de 1 949,60€ bruts relative en remboursement du trop-perçu de salaire pour les arrêts de travail du 17 octobre 2019 au 27 février 2020 non couverts par la CPAM. ;

Et statuant à nouveau,

– Débouter Monsieur [J] de l’intégralité de ses demandes,

En tout état de cause,

– Condamner Monsieur [J] à rembourser à la société SELT le trop-perçu de salaire de 1 949,60€ bruts pour les arrêts de travail du 17 octobre 2019 au 27 février 2020 non couverts par la CPAM,

– Condamner Monsieur [J] à verser à la société la somme de 3 000€ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile afférente à la présente cause d’appel,

– Condamner Monsieur [J] aux entiers dépens. »

L’ordonnance de clôture a été rendue le 02 juillet 2024.

Motifs

Sur le harcèlement moral

L’article 1152-1 du code du travail dispose que :

‘Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.’

En application de l’article L. 1154-1 du code du travail, alors applicable, il incombe au salarié qui l’invoque de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Dans cette hypothèse, il incombera à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [J] expose avoir fait l’objet d’un harcèlement moral de son manager, M. [M] par des remarques déplacées, des agressions verbales, une pression au travail, un espionnage du salarié.

Il explique avoir saisi le comité conformité éthique de l’entreprise puis le responsable hiérarchique pour signaler les mauvais comportements de son manager, mais que la situation a empiré, ce dernier l’ayant accusé de harcèlement sexuel, devant plusieurs collègues de travail.

M. [J] produit le mail adressé le 1er octobre 2019 à ‘Open Tout Ethique’ dans lequel il signale subir des mauvais comportements ; il fait ensuite état de harcèlement dans un mail du 3 octobre dans lequel il confirme le rendez-vous avec cet interlocuteur. Il verse également aux débats le mail qu’il a adressé à un responsable de l’entreprise le 09 octobre 2019, dans lequel il indique que son manager l’a menacé avec des ciseaux, ainsi que des collègues, en leur indiquant de ne plus toucher la main d’un stagiaire lors d’une réunion du 06 août, puis l’a personnellement accusé de harcèlement sexuel.

M. [J] a effectué une déclaration de main courante le 22 novembre 2019 dans laquelle il indique que son chef de service lui met la pression, le prend en photo sur son lieu de travail, le suit partout, le surveille, est venu chez lui à son domicile, l’a accusé de harcèlement sexuel.

Les échanges de mails avec les personnes du comité éthique comportent des pièces jointes, notamment une attestation de son épouse et des photographies de planning. Si ces pièces jointes ne sont pas exploitables, en raison de la qualité du document, le mail indique que son épouse était présente lorsque son manager est venu le voir à l’hôpital ainsi que chez eux, que ses objectifs étaient affichés à la vue de tous dans les locaux et que ses plannings étaient changés au dernier moment.

M. [J] a été placé en arrêt de travail du 17 octobre 2019 au 27 février 2020. Le certificat initial indique un traumatisme psychologique au travail.

Dans ses écritures M. [J] cite la lettre de licenciement de M. [M] datée du 18 décembre 2019 qui est versée aux débats par l’employeur, licenciement pour cause réelle et sérieuse. Après des entretiens avec les salariés de l’entreprise, l’employeur a retenu une attitude agressive et intimidante de ce manager envers les subordonnés, notamment des menaces avec une paire de ciseaux le 06 août 2019, un mode de communication agressif, une atteinte à la vie privée d’un salarié en se rendant dans sa chambre d’hôpital et à son domicile, une communication tardive des plannings, la surveillance et des prises de photos des subordonnés.

Les griefs de cette lettre de licenciement, qui résultent de plusieurs auditions, démontrent la matérialité de plusieurs faits présentés par M. [J]. Pris dans leur ensemble, ils laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

La SELT conteste tout harcèlement moral et explique que le manager de M. [J] a découvert le comportement de ce dernier à l’égard des personnes de sexe féminin et qu’il a souhaité y mettre fin, mais de façon inappropriée, motif pour lequel ce responsable a été licencié. Elle explique avoir pris des dispositions pour faire cesser ce comportement et souligne que M. [J] n’a pas fait état de faits de harcèlement moral lors de la visite de reprise avec le médecin du travail le 03 mars 2020, à l’issue de laquelle un avis d’aptitude a été émis.

Si l’employeur justifie avoir mis en place des organes pour prendre en charge les situations des salariés, avoir diligenté une enquête lorsque les faits lui ont été signalés, puis avoir sanctionné le salarié mis en cause, cela ne constitue pas des justifications objectives au comportement que M. [J] a subi de son manager.

Le harcèlement moral de M. [J] doit être retenu.

La SELT sera condamnée à payer à M. [J] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le harcèlement moral subi.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la nullité du licenciement

M. [J] fonde sa demande de nullité du licenciement sur les articles L. 1152-1 et article L. 1152-2 du code du travail. L’article L. 1152-2 dispose que ‘Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.’

M. [J] explique que le licenciement a été prononcé alors qu’il avait signalé le harcèlement subi, et dans un contexte de harcèlement moral.

La lettre de licenciement du 25 avril 2020 indique : ‘Suite à votre alerte éthique initiée le 1er octobre 2019 et mettant en cause votre supérieur hiérarchique, une enquête initiale a été diligentée. A la suite de cette enquête ayant impliqué l’audition d’un certain nombre de personnes au sein de la société, il en résulte que des faits fautifs étaient établis. Nous avons donc été conduits à rompre le contrat de travail de votre supérieur. Néanmoins et dans le cadre de sa défense, celui-ci a porté à son tour des accusations à votre encontre. Compte tenu du contexte, ces accusations devaient être apporéhendées avec précautions.

Néanmoins, compte tenu de la potentielle gravité des accusations formulées, une nouvelle enquête interne s’avérait indispensable, ce d’autant que votre supérieur ne dénonçait pas une situation le concernant personnellement mai dont des tiers aurait été victimes, en l’occurrence des stagiaires.

Cette enquête a pris plusieurs semaines, les stagiaires ayant quité la société depuis plusieurs mois et a été finalisée le 26 février. In fine 9 stagiaires ont pu être entendus, ainsi que Madame [R], directrice marketing et commerciale.

Il ressort des entretiens individuels menés que vous avez commis des manquements que nous ne pouvons pas accepter :

1 Des propos sexistes …

2 Des contacts physiques inappropriés…

3 Des propositions ou des demandes déplacées excédant le cadre professionnel…

4 Des comportements de nature sexuelle ou comportement à connotation sexuelle…

La présente mesure de licenciement pour faute grave s’avère donc pleinement justifiée.’ Chacun de ces comportements est détaillé dans le courrier.

La lettre de licenciement ne fait référence aux faits dénoncés par M. [J] que pour expliquer l’origine de l’enquête qui a été menée, sans que la révélation de ces faits ne constitue un quelconque motif du licenciement.

Il y a lieu de vérifier si les faits reprochés à M. [J] dans le lettre de licenciement constituent, ou non, un motif réel et sérieux de licenciement.

M. [J] fait valoir en premier lieu qu’il n’a jamais été destinataire de la lettre de licenciement, n’ayant appris celui-ci qu’à la réception des documents de fin de contrat le 12 mai 2020. Il explique que la lettre de licenciement produite par l’employeur ne lui est pas parvenue et n’a pas été adressée à la bonne adresse.

La SELT expose avoir notifié le licenciement par lettre recommandée avec avis de réception, qu’un avis de passage a été déposé par les services en charge da la distribution, et que la lettre de licenciement a également été adressée par mail au salarié.

La lettre de licenciement indique comme adresse : ‘[Adresse 5]’ ; le bordereau d’expédition de la lettre recommandée avec avis de réception mentionne quant à lui ‘[Adresse 5]’.

Le suivi du courrier par les services de La Poste indique qu’il n’a pas été distribué à son destinataire mais qu’il est resté disponible dans le point de retrait indiqué sur l’avis de passage.

La lettre de licenciement n’a pas été expédiée à l’adresse exacte du salarié, alors que l’employeur avait connaissance de celle-ci, [Adresse 1] à [Localité 4], dès lors qu’elle est indiquée sur l’avenant transformant le contrat de travail saisonnier en contrat de travail à durée indéterminée ainsi que sur les bulletins de salaire.

L’employeur a adressé un mail le 30 avril 2020 comportant en pièces jointes quatre documents intitulés ‘notification Licenciement [J]’. Outre qu’il ne s’agit pas d’un mode valable de notification, la date d’envoi est postérieure à celle de la lettre de licenciement, qui est du 25 avril 2020, et la réception par M. [J] de ce message, qui a été adressé à un destinataire dénommé ‘[S] [I]’, n’est pas démontrée.

Faute pour l’employeur de justifier qu’il a régulièrement notifié la lettre de licenciement au salarié, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il appartient ainsi à la SELT de démontrer l’absence de lien entre les dénonciations par le salarié de faits de harcèlement moral et le licenciement prononcé et qu’il était justifié par des motifs objectifs.

La SELT verse aux débats le compte-rendu d’entretien entre M. [J], d’une part, et d’autre part une référente éthique et une membre de la DRH Corporate, qui a été signé le 06 novembre 2019. L’entretien a eu lieu après l’alerte faite par M. [J] le 1er octobre 2019 concernant les agissements de son supérieur hiérarchique.

L’employeur produit la lettre de licenciement du manager de M. [J], mesure prononcée le 18 décembre 2019 en raison du comportement de celui-ci à l’égard des salariés qui a été qualifié de management totalement inapproprié.

L’intimée produit des comptes-rendus d’entretien qui ont eu lieu au cours du mois de janvier 2020 entre d’une part deux personnes ayant la qualité de référente éthique et d’autre part plusieurs personnes qui ont exercé au sein de l’entreprise, avec M. [J]. Si l’appelant fait justement valoir que plusieurs documents ne comportent pas de signature, d’autres sont cependant signés par les personnes présentes lors de l’entretien, et ont ainsi une valeur probante.

L’une des deux responsables éthiques indique en liminaire de chaque compte-rendu qu’elle a été informée de comportements imputés à M. [J] à l’occasion de la procédure engagée à l’encontre de son supérieur.

Mme [R] a ainsi indiqué que des personnes de sexe féminin se sont plaintes du comportement de deux hommes, parmi lesquels M. [J], ce qui est remonté au supérieur de M. [J] et à la direction. Elle expose que M. [J] complimentait de façon insistante, disait que les filles étaient jolies, touchait l’épaule ou le bras, ce qui était gênant. Elle précise qu’il se comportait comme cela avec toutes les filles et qu’il aurait déjà proposé à l’une d’entre elles de venir chez lui. Elle ajoute qu’à la suite de la procédure engagée contre le responsable de M. [J], un vendeur était venu la voir pour lui expliquer qu’ils pourraient porter plainte contre M. [J].

M. [L], qui a été en stage au cours de l’été 2019 indique avoir constaté les comportements de certains vendeurs, parmi lesquels M. [J], qui étaient qualifiés de ‘lourds’ par les stagiaires féminines : bises appuyées, poignées de main prolongées et appuyées, passage du bras sur l’épaule, compliments, toucher les vêtements, comportements qu’il explique avoir personnellement vus. Il ajoute que des stagiaires se sont plaintes que M. [J] les aurait invitées à dormir chez lui, qu’elles étaient mal à l’aise et ne voulaient pas en parler par peur des représailles, mais qu’elles en ont quand même fait état au manager, qui a convoqué M. [J] ainsi que l’autre vendeur mis en cause.

Mme [D] explique que M. [J] était tactile, qu’il a posé sa main sur son ventre après la pause déjeuner et que ce ce que cela signifiait n’était pas clair. Il résulte de son compte-rendu que d’autres stagiaires féminines ont subi ce type de comportement.

Mme [K] explique avoir subi des comportements d’un conducteur, et qu’il y avait des rumeurs sur M. [J] qui aimait faire des câlins et des bisous, qu’il aurait mis la main sur la cuisse d’une autre stagiaire.

Les autres documents de retranscription d’entretiens ne sont pas signés par les personnes qui y ont participé, et sont ainsi dépourvus de valeur probante.

Il résulte de ces éléments que l’employeur a réagi aux faits qui ont révélés par l’appelant concernant son supérieur en ouvrant une enquête qui a abouti au licenciement de ce dernier, et qu’à cette occasion des faits susceptibles d’être reprochés à M. [J] ont été portés à sa connaissance ; il a en conséquence initié une seconde enquête, distincte. Le licenciement de M. [J] à l’issue de celle-ci était ainsi fondé sur son comportement apparu à la SELT au cours de la procédure disciplinaire de son supérieur, et non en raison de la dénonciation du harcèlement.

Par ailleurs, l’employeur disposait de plusieurs témoignages concordants sur le comportement particulier de M. [J] à l’égard des employées féminines, ce qui constituait un fait objectif qui justifiait le licenciement de sorte que cette décision n’a pas été prononcée dans le cadre du harcèlement moral subi par le salarié et est dénuée de tout lien avec un harcèlement.

La demande de nullité du licenciement doit être rejetée.

La demande de dommages-intérêts pour nullité du licenciement doit être rejetée. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Le licenciement prononcé sans notification régulière au salarié, en raison d’une erreur de l’employeur, est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les conséquences financières

La durée du préavis de M. [J] était de deux mois. Compte tenu du salaire de base de 1 604,67 euros et des primes versées chaque mois, M. [J] aurait au moins perçu un salaire de 4 629,18 euros au cours du préavis. La SELT doit être condamnée au paiement de cette somme, outre 462,91 euros au titre des congés payés afférents.

M. [J] avait une ancienneté de deux années et un mois au moment de la rupture du contrat de travail. Sur la base d’un revenu mensuel moyen de 2 314,59 euros la SELT doit être condamnée à lui payer la somme de 1 205,51 euros au titre de l’indemnité de licenciement.

M. [J] a été mis à pied à titre conservatoire entre le 04 mars et le 17 mars 2020. La SELT doit en conséquence être condamnée à lui payer la somme de 740,60 euros au titre du rappel de salaire et 74,06 euros au titre des congés payés afférents.

M. [J] ayant une ancienneté de deux années complètes au moment du licenciement l’indemnité doit être comprise entre 3 mois et 3,5 mois de salaire brut. Compte tenu de sa situation, la SELT sera condamnée à lui verser la somme de 7 500 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé de ces chefs.

En application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail la SELT doit être condamnée à rembourser à France travail les indemnités de chômage payées entre le jour du licenciement et le jugement, dans la limite de six mois.

Il sera ajouté au jugement.

Sur l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail

M. [J] fait valoir qu’il n’a pas été destinataire de la lettre de licenciement en raison d’une adresse incomplète, qu’il a été choqué par les accusations de harcèlement sexuel et qu’il n’a pas fait l’objet d’un entretien annuel d’évaluation.

La SELT justifie des raisons pour lesquelles une procédure disciplinaire a été engagée à l’encontre de M. [J] par les déclarations concordantes de plusieurs personnes.

L’erreur d’expédition de la lettre de licenciement et l’absence d’entretien d’évaluation ne caractérisent pas une exécution de mauvaise foi du contrat de travail.

M. [J] doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de remboursement de maintien de salaire

La SELT forme une demande de remboursement du maintien de salaire qui a été versé à M. [J] pendant la période qui avait été déclarée comme accident du travail, mais qui n’a pas été reconnue comme telle par la caisse primaire d’assurance maladie.

Une déclaration d’accident du travail a été établie par le service des ressources humaines de la SELT pour un arrêt maladie de M. [J] à compter du 27 octobre 2019 signalée comme accident du travail le 29 novembre, en raison d’une détérioration des conditions de travail.

Les bulletins de salaire de M. [J] des mois de décembre 2019 et janvier 2020 indiquent une prise en charge du maintien de salaire au titre de la garantie accident du travail, avec un taux spécifique.

Par courrier du 21 août 2020 la caisse primaire d’assurance maladie a notifié une décision de refus de prise en charge du caractère professionnel de l’accident.

La SELT est ainsi fondée à demander le remboursement de la part de maintien du salaire correspondant au surplus qui a été versé au salarié au titre de l’accident du travail.

Contrairement à ce que soutient M. [J], la comparaison des bulletins de paie de la période concernée et du bulletin de paie récapitulatif établi le 1er janvier 2021 permet de vérifier le montant correspondant à la différence entre ce qui a été versé au titre de la prise en charge spécifique de l’accident du travail et ce qui aurait dû être versé en complément au titre d’un arrêt maladie simple.

M. [J] doit ainsi être condamné à payer à la SELT la somme de 1 949,60 euros en remboursement du trop-perçu de maintien de salaire.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la remise de documents

Il est ordonné à la SELT de remettre à M. [J] un bulletin de paie conforme à la présente décision, sans que le prononcé d’une astreinte ne soit nécessaire.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La SELT qui succombe supportera les dépens de première instance et d’appel et la charge de ses frais irrépétibles et sera condamnée à verser à M. [J] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné M. [J] à verser à la SELT la somme de 100 euros au titre des frais irrépétibles.

Par ces motifs,

La cour,

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes sauf en ce qu’il a débouté M. [J] de sa demande de dommages-intérêts pour nullité du licenciement et de dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Juge le licenciement de M. [J] sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société d’exploitation des lignes touristiques à payer à M. [J] les sommes suivantes :

– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le harcèlement moral subi,

– 4 629,18 au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et 462,91 euros au titre des congés payés afférents,

– 1 205,51 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

– 740,60 euros au titre du rappel de salaire pendant la mise à pied à titre conservatoire et 74,06 euros au titre des congés payés afférents,

– 7 500 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Condamne M. [J] à payer à la société d’exploitation des lignes touristiques la somme de 1 949,60 euros en remboursement du trop-perçu de maintien de salaire

Ordonne à la société d’exploitation des lignes touristiques de remettre à M. [J] un bulletin de paie conforme à la présente décision et dit n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte,

Ordonne à la société d’exploitation des lignes touristiques de rembourser à France travail les indemnités de chômage versées à M. [J] , du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de six mois des indemnités versées,

Condamne la société d’exploitation des lignes touristiques aux dépens de première instance et d’appel,

Condamne la société d’exploitation des lignes touristiques à payer à M. [J] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société d’exploitation des lignes touristiques de sa demande au titre des frais irrépétibles.

La Greffière La Présidente


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