Saisi pour apprécier la conformité à la Constitution de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public (CAP) et de l’affectation d’une fraction de la TVA, le Conseil constitutionnel en a validé le principe sous réserve que le montant attribué chaque année par la loi de finances à l’audiovisuel public permette à ce secteur « d’exercer les missions de service public qui [lui] sont confiées ».
L’évolution des modalités de financement de l’audiovisuel public avait revêtu un caractère d’urgence.
La loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public vise à assurer le financement de France Médias Monde, de France Télévisions, de l’INA, de Radio France et de TV5 Monde par l’affectation d’impositions de toutes natures, et à financer Arte France au moyen d’un prélèvement sur recettes.
Sommaire
Le financement de l’audiovisuel public validé par le Conseil constitutionnel
La loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
L’affectation de certaines ressources aux organismes du secteur public
Aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle n’interdit d’affecter le produit d’une imposition à un établissement public ou à une personne privée chargée d’une mission de service public.
Dès lors, il était loisible au législateur organique de permettre l’affectation de certaines ressources aux organismes du secteur public de la communication audiovisuelle à raison des missions de service public qui leur sont confiées. À cet égard, la garantie des ressources du secteur de l’audiovisuel public constitue un élément de son indépendance, laquelle concourt à la mise en œuvre de la liberté de communication.
La loi organique soumise à l’examen du Conseil constitutionnel a été prise sur le fondement du dix-neuvième alinéa de l’article 34 de la Constitution, selon lequel « Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l’État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique », et du premier alinéa de son article 47, qui dispose que « Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique ». Elle a été adoptée dans le respect des règles de procédure prévues par les trois premiers alinéas de l’article 46 de la Constitution.
L’article unique de la loi organique déférée modifie le paragraphe II de l’article 2 de la loi organique du 1er août 2001 relatif aux conditions dans lesquelles des impositions de toutes natures peuvent être directement affectées à certaines personnes morales autres que l’État.
Il prévoit qu’un montant déterminé d’une imposition de toute nature peut être directement affecté aux organismes du secteur public de la communication audiovisuelle sous les réserves prévues au paragraphe III de cet article et aux articles 34 à 51 de la même loi organique.
Il ressort de ces dispositions que l’affectation totale ou partielle à un tiers d’une ressource établie au profit de l’État ne peut résulter que d’une disposition d’une loi de finances, que la perception d’une telle imposition doit être autorisée par la loi de finances et que le projet de loi de finances de l’année doit être accompagné d’une annexe explicative comportant la liste et l’évaluation, par bénéficiaire ou catégorie de bénéficiaires, des ressources affectées à des personnes morales autres que l’État.
L’audiovisuel public se compose de cinq sociétés
L’audiovisuel public, qui se compose de cinq sociétés (Arte France, France Médias Monde, France Télévisions, Radio France et TV5 Monde) et d’un établissement public industriel et commercial (l’Institut national de l’audiovisuel – INA) a été confronté à une situation d’urgence financière.
Depuis trois ans, à la suite de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public (CAP, antérieurement connue sous le nom de « redevance audiovisuelle ») par la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, ce secteur est principalement financé par l’affectation d’une fraction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025
Cependant, à droit organique constant, ce mode de financement ne pourra pas être reconduit en 2025. Dans cette perspective, le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 a prévu à hauteur de 4 029,13 millions d’euros un financement de l’audiovisuel public par une mission budgétaire classique (la mission Audiovisuel public) ce qui suscite des inquiétudes au regard de la nécessaire indépendance de ce secteur.
La création de cette mission budgétaire a été présentée comme étant temporaire dans l’attente d’une possible modification de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf) devant permettre un financement durable de l’audiovisuel public par l’affectation à son profit d’une fraction ou d’un montant déterminé d’une imposition de toute nature.
Dans cette perspective, le PLF pour 2025 a maintenu l’existence du compte de concours financiers Avances à l’audiovisuel public qui retrace, depuis 2006, les ressources affectées à ce secteur par le biais de la CAP (jusqu’en 2021) puis, depuis 2022, par l’affectation d’un montant déterminé de TVA. Ce compte de concours financiers, qui n’est pour l’instant – et logiquement – doté d’aucun crédit, pourrait retracer les ressources correspondant au montant de l’imposition de toute nature appelé à être affecté aux entités de l’audiovisuel public en cas de modification de la Lolf.
Après une première tentative inaboutie de réforme de ce texte par l’Assemblée nationale au printemps 2024, le Sénat a adopté – à la quasi-unanimité ([3]) – le 23 octobre 2024 une proposition de loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public faisant suite au dépôt, le 10 juillet 2024, d’une proposition de loi organique par M. Cédric Vial et plusieurs de ses collègues.
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte par le Gouvernement le 2 octobre 2024. La proposition de loi organique adoptée par le Sénat modifie l’article 2 de la Lolf pour permettre l’affectation directe d’un montant déterminé d’une imposition de toute nature – c’est-à-dire l’affectation directe d’ « un prélèvement perçu par voie d’autorité au profit de personnes publiques ou de personnes privées chargées d’une mission de service public » – aux organismes du secteur public de la communication audiovisuelle.
Le 15 octobre 2024, l’Assemblée nationale a décidé de créer une commission spéciale chargée d’examiner ce texte, laquelle a tenu sa réunion constitutive le 5 novembre 2024 puis a organisé des auditions les 6, 7 et 12 novembre 2024.
Les travaux de la commission spéciale ont pris place dans un calendrier parlementaire particulièrement contraint puisque, pour être effective en 2025 sans encourir de risque juridique, la proposition de loi organique doit être définitivement adoptée par le Parlement, examinée par le Conseil constitutionnel puis promulguée avant l’achèvement de la première lecture du PLF pour 2025 par le Sénat. À défaut, le Parlement ne serait pas certain de pouvoir mettre ce texte en cohérence avec la Lolf ainsi modifiée.
Lors de son audition, Mme Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles, a considéré que la promulgation de la PPLO devait intervenir fin novembre 2024 au plus tard.
Dans ce contexte particulier, dans le prolongement du souhait exprimé unanimement par les dirigeants de l’audiovisuel public auditionnés le 7 novembre 2024 et conformément à la recommandation de son rapporteur, la commission spéciale a adopté sans modification la proposition de loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public, en dépit de certains ajustements – mineurs néanmoins – qui auraient pu être apportés à la rédaction retenue par le Sénat.
L’affectation d’un montant de TVA
Depuis 2022 et la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, le financement de l’audiovisuel public repose principalement, mais de manière non exclusive, sur l’affectation d’un montant de TVA.
La redevance audiovisuelle puis la contribution à l’audiovisuel public
Instituée en 1933 pour financer les dépenses de la radiodiffusion puis étendue en 1949 aux récepteurs de télévision, la redevance audiovisuelle, a été supprimée – sous sa nouvelle dénomination, en vigueur depuis 2009, de contribution à l’audiovisuel public – par l’article 6 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022. Cette mesure, destinée à redonner du pouvoir d’achat aux redevables, a accompagné la suppression de la taxe d’habitation à laquelle le recouvrement de la CAP était adossé.
En 2021, dernière année d’existence de la CAP, ses principales caractéristiques étaient les suivantes :
– 60 000 entreprises (essentiellement du secteur de l’hôtellerie, des cafés et de la restauration) et 27,61 millions de foyers étaient assujettis à son paiement ; un cinquième de ces foyers (soit 4,63 millions de foyers) bénéficiaient cependant d’un dégrèvement compensé aux entités concernées par le budget de l’État ;
– le montant de la CAP s’établissait à 138 euros dans l’hexagone et à 88 euros dans les outre-mer ;
– le produit brut de la CAP représentait 3 217 millions d’euros, dont 107 millions d’euros perçus auprès des professionnels et 3 110 millions d’euros perçus auprès des particuliers. Son produit net s’élevait à 3 188 millions d’euros ; l’écart entre les encaissements bruts et nets résultant du prélèvement opéré par l’État au titre des frais d’assiette et de recouvrement ([10]) ;
– les sommes nettes perçues au titre de la CAP étaient versées aux entités de l’audiovisuel public par l’entremise du compte de concours financiers Avances à l’audiovisuel public institué par l’article 46 (VI) de la loi n° 2005‑1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.
Si le mode de financement de l’audiovisuel public reposait principalement sur la CAP, il s’appuyait aussi sur les ressources propres de ces sociétés et établissement ainsi que sur des ressources publiques complémentaires.
Chaque année, l’État compensait les dégrèvements de CAP et l’éventuel décalage entre le montant prévisionnel de la CAP et les recettes effectivement collectées.
En 2021, une dépense de 531 millions d’euros avait été engagée sur ce fondement. Par ailleurs, l’État a pu ponctuellement souscrire des augmentations de capital en faveur des sociétés de l’audiovisuel public. France Télévisions a par exemple bénéficié d’une augmentation de capital en 2020 (17 millions d’euros) et 2021 (15,2 millions d’euros) ([12]) tout comme Radio France en 2020 (17,7 millions d’euros) ([13]) et 2021 (18,54 millions d’euros).
Jusqu’en 2019, l’État a également compensé à France Télévisions la suppression de la publicité entre 20 heures et six heures.
Enfin, en 2021, l’État a mobilisé 68 millions d’euros en faveur des six entités de l’audiovisuel public dans le cadre du plan de relance.
Le versement d’une fraction du produit de la TVA depuis 2022
Pour compenser la perte de recettes pour l’audiovisuel public induite par la suppression de la CAP, l’article 6 de la loi de finances rectificative précitée a prévu, dès l’exercice 2022, l’affectation d’une fraction du produit de la TVA au bénéfice des six entités de ce secteur. Cette mesure respectait le cadre alors posé par l’article 2 de la Lolf qui autorisait l’affectation directe à un tiers d’une imposition de toute nature (comme la TVA) « à raison des missions de service public [lui étant] confiées ».
La conformité à la Constitution de la suppression de la CAP
Saisi pour apprécier la conformité à la Constitution de la suppression de la CAP et de l’affectation d’une fraction de la TVA, le Conseil constitutionnel en a validé le principe sous réserve que le montant attribué chaque année par la loi de finances à l’audiovisuel public permette à ce secteur « d’exercer les missions de service public qui [lui] sont confiées ».
Cette exigence de moyens vise à assurer le bon exercice de « la libre communication des pensées et des opinions » protégée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
La fraction de TVA affectée en 2022 à l’audiovisuel public (3 585 millions d’euros) répondait à cette condition. Ce mode de financement a été reconduit en 2023 (à hauteur de 3 815,71 millions d’euros) et en 2024 (à hauteur de 4 026,73 millions d’euros).
À l’instar de la CAP, l’affectation d’une fraction de TVA constitue la principale ressource de l’audiovisuel public. En 2023, les versements effectués depuis le compte de concours financiers Avances à l’audiovisuel public ont ainsi représenté 67 % des ressources de TV5 Monde, 70 % des ressources de l’INA, 84 % des ressources de Radio France, près de 85 % du chiffre d’affaires diffuseur de France Télévisions, 95 % des ressources de France Médias Monde et 98,7 % des ressources d’Arte France ([20]).
En complément, d’autres ressources publiques ont été apportées depuis 2022 à l’audiovisuel public. L’État a ainsi souscrit de nouvelles augmentations de capital en faveur de France Télévisions (à hauteur de 49,4 millions d’euros) ([21]), de Radio France (à hauteur de 22,9 millions d’euros) et de France Médias Monde (à hauteur de 1,6 million d’euros).
Des crédits budgétaires ont par ailleurs été versés dans le cadre du plan de relance. L’INA a par exemple bénéficié de 22 millions d’euros au titre de la rénovation énergétique de ses bâtiments. À l’inverse, aucune ressource n’a pour l’heure été enregistrée dans le cadre du dispositif ouvert par l’article 162 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 de remboursement des avances accordées à l’audiovisuel public pour soutenir des actions de transformation.
Le secteur de l’audiovisuel public bénéficie également toujours de ressources propres liées à la publicité, aux recettes commerciales, aux activités de valorisation ou de formation ; l’ampleur de ces ressources propres dépendant du modèle économique de chaque établissement.
L’affectation, depuis 2022, d’une fraction du produit de la TVA à l’audiovisuel public constitue – comme précédemment par le biais de la CAP – le mode de financement principal, mais non exclusif, de ce secteur. À droit organique constant, ce mode de financement ne pourra cependant pas être reconduit à compter du 1er janvier 2025.
A droit organique constant, l’affectation, totale ou partielle, d’une imposition de toute nature, en faveur de l’audiovisuel public ne peut pas être prolongée au-delà du 31 décembre 2024
La dernière révision de la Lolf a conduit à un encadrement strict des possibilités d’affectation à des tiers d’impositions de toutes natures
Comme cela avait été souligné lors de l’examen au Parlement du projet de loi de finances rectificative pour 2022, l’affectation d’une fraction de TVA en faveur de l’audiovisuel public ne pouvait être, à droit organique constant, qu’une solution temporaire ne pouvant perdurer au-delà du 31 décembre 2024.
En effet, l’article 3 de la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques a modifié à compter du dépôt du PLF pour 2025 les conditions d’affectation d’une imposition de toute nature à un tiers autre que les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les organismes de sécurité sociale mentionnés à l’article 2 de la Lolf.
Alors qu’antérieurement une telle affectation était possible « à raison des missions de service public […] confiées » à un tiers (cf. supra), la nouvelle rédaction de l’article 2 subordonne, à compter du dépôt du PLF pour 2025, l’affectation à un tiers (autre que les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les organismes de sécurité sociale) d’une imposition de toute nature établie au profit de l’État au respect des trois conditions cumulatives suivantes : l’existence d’une personnalité morale ; l’exercice par le bénéficiaire d’une mission de service public ; l’existence d’un lien entre la mission financée et l’imposition affectée.
Le lien entre TVA et missions de service public
Cependant, si l’audiovisuel public satisfait les deux premières conditions – les six entités le composant sont dotées de la personnalité morale et exercent une mission de service public –, il ne satisfait en revanche pas la dernière puisqu’aucun lien n’existe entre leurs missions de services publics et la TVA.
Conscients du caractère temporaire du mode de financement institué en 2022, plusieurs parlementaires ont déposé des propositions de loi organique visant à en assurer la pérennisation ou à en modifier le contenu.
Le 25 juillet 2022, M. le député Bruno Studer a déposé une proposition de loi organique visant à garantir le financement indépendant de l’audiovisuel public en instituant un « prélèvement sur les recettes de l’État au profit des entreprises qui bénéficiaient jusque-là de la CAP ».
Le 6 juin 2023, MM. Quentin Bataillon et Jean-Jacques Gaultier, députés, ont déposé une proposition de loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public autorisant l’affectation directe d’impositions de toutes natures aux organismes de l’audiovisuel public et instituant un prélèvement sur recettes en faveur d’Arte France.
Le 10 mai 2024, MM. Quentin Bataillon, Bruno Studer et Jean-Jacques Gaultier ont déposé une proposition de loi organique relative à l’extension des prélèvements sur les recettes de l’État au profit des organismes du secteur audiovisuel public. Le Gouvernement avait engagé la procédure accélérée sur ce texte et une commission spéciale avait été constituée à l’Assemblée nationale pour l’examiner avant de voir ses travaux être interrompus par la dissolution décidée le 9 juin 2024.
Le 10 juillet 2024, M. Cédric Vial et plusieurs de ses collègues sénateurs ont déposé une proposition de loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public.
Le 20 juillet 2024, Mme la députée Constance Le Grip a déposé une proposition de loi organique relative à l’extension des prélèvements sur les recettes de l’État au profit des organismes du secteur audiovisuel public dans le but de financer l’ensemble des acteurs de l’audiovisuel public par un prélèvement sur recettes.
Par ailleurs, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, plusieurs parlementaires ont proposé d’instituer une forme rénovée de CAP.
Dans l’attente d’une modification de la Lolf, une mission budgétaire classique a été prévue dans le projet de loi de finances pour 2025
La protection constitutionnelle de l’indépendance de l’audiovisuel public
La Constitution, telle qu’interprétée par le Conseil constitutionnel, et le droit communautaire posent un principe d’indépendance de l’audiovisuel public. Si ce principe n’impose pas stricto sensu une obligation de financement par une ressource affectée plutôt que par des crédits budgétaires, cette orientation permet incontestablement de renforcer cette indépendance.
Le Conseil constitutionnel protège l’indépendance de l’audiovisuel public tout en laissant, sous son contrôle, le législateur libre de déterminer la nature des ressources mises à disposition de ce secteur.
Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel s’est attaché à préserver le pluralisme au sein de l’audiovisuel. En 1982, à l’occasion de l’examen de la loi sur la communication audiovisuelle, il a ainsi élevé « la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels » au rang d’objectif de valeur constitutionnelle.
Ultérieurement, en 2000, il a souligné que le respect « de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie ; que la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s’adressent les moyens de communication audiovisuels n’était pas à même de disposer, aussi bien dans le cadre du secteur privé que dans celui du secteur public, de programmes qui garantissent l’expression de tendances de caractère différent » ([36]).
Dans un second temps, le Conseil constitutionnel s’est référé à l’indépendance de l’audiovisuel public. En 2009, à l’occasion sa décision n° 2009‑577 DC sur la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, il a ainsi souligné que « la garantie des ressources de l’audiovisuel public constitue l’un des éléments assurant son indépendance ».
Cette affirmation n’a cependant pas conduit le Conseil constitutionnel à imposer au législateur de déterminer un mode particulier de financement de l’audiovisuel public. En 2022, lors de l’examen de la loi de finances rectificative supprimant la CAP, il a ainsi refusé d’élever au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République le financement de ce secteur par une redevance.
En revanche, la liberté du législateur n’est pas absolue puisque les établissements de l’audiovisuel public doivent disposer d’un montant de recettes leur permettant « d’exercer les missions de service public qui leur sont confiées ».
Le droit communautaire protège également, de manière plus précise, l’indépendance de l’audiovisuel public sans imposer non plus un mode de financement particulier.
Comme M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur de la commission des finances du Sénat, l’a souligné dans son rapport, « les textes fondamentaux européens protègent l’indépendance, y compris financière, des services publics audiovisuels sur le fondement de la liberté d’expression et de communication. Le considérant unique du protocole n° 29 annexé au Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne précise que « la radiodiffusion de service public dans les États membres est directement liée aux besoins démocratiques, sociaux et culturels de chaque société ainsi qu’à la nécessité de préserver le pluralisme dans les médias ».
Le récent règlement (UE) 2024/1083 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur et modifiant la directive 2010/13/UE (dit Media Freedom Act) renforce la protection de cette indépendance. Si ce règlement – dont la grande majorité des dispositions sera applicable à compter du 8 août 2025 – n’impose pas un mode de financement particulier, il affirme avec force le principe d’indépendance des services de médias publics. Dans ce règlement de 37 pages, le mot « indépendance » apparaît ainsi à 107 reprises.
L’article 5 de ce texte dispose en son point 3 que les « procédures de financement garantissent que les fournisseurs de médias de service public disposent de ressources financières suffisantes, durables et prévisibles correspondant à l’accomplissement de leur mission de service public et leur permettant de se développer dans le cadre de celle-ci. Ces ressources financières sont de nature à permettre que l’indépendance éditoriale des fournisseurs de médias de service public est préservée ».
Le paragraphe 31 de ce règlement souligne en outre qu’il convient « de veiller à ce que, sans préjudice de l’application des règles de l’Union en matière d’aides d’État, les fournisseurs de médias de service public bénéficient de procédures de financement transparentes et objectives, qui garantissent des ressources financières suffisantes et stables pour l’accomplissement de leur mission de service public ».
La proposition de loi organique favorise le respect de ces règles constitutionnelles et communautaires. En écartant la perspective d’une budgétisation de l’audiovisuel public porteuse de certains risques, ce texte renforce leur indépendance financière.
Une budgétisation porteuse de certains risques
L’hypothèse d’un financement durable de l’audiovisuel public par des crédits budgétaires avait été envisagée en 2022 par le Gouvernement au moment de la suppression de la CAP avant que le Parlement ne décide de lui substituer l’affectation d’une fraction de TVA.
Un financement durable de l’audiovisuel public par des crédits budgétaires soulève en effet plusieurs objections. Cette solution renforcerait les possibilités de régulation budgétaire infra-annuelle ; accroîtrait les risques d’atteinte à l’indépendance éditoriale de l’audiovisuel ; pourrait s’accompagner d’une réduction des moyens de l’audiovisuel public ; nuirait à la crédibilité de ce secteur en favorisant son assimilation à un média d’État.
Une budgétisation renforcerait les possibilités de régulation infra-annuelle. Un audiovisuel public financé par des crédits budgétaires serait à tout moment à la merci d’un décret de virement, de report ou d’annulation des crédits.
La budgétisation accroîtrait les risques d’atteinte à l’indépendance éditoriale de l’audiovisuel public. Comme le rappelle le règlement précité du 11 avril 2024, « les fournisseurs de médias de service public peuvent être particulièrement exposés au risque d’ingérence, compte tenu de leur proximité institutionnelle avec l’État et du financement public qu’ils reçoivent ». Plus un média dépend directement de l’État pour son financement, plus celui-ci peut être tenté de peser sur sa ligne éditoriale.
La budgétisation pourrait s’accompagner d’une réduction des moyens de l’audiovisuel public. Dans une récente contribution apportée à M. Aymeric Caron, rapporteur pour avis des crédits de la mission Audiovisuel public sur le PLF 2025, France Télévisions a fait observer que « dans les pays ayant rebudgétisé le financement de leur audiovisuel public, les dotations ont en moyenne baissé de 7 % (contre + 6 % pour ceux financés par une taxe affectée) » ([42]).
Enfin, la budgétisation nuirait à la crédibilité de l’audiovisuel public en favorisant son assimilation à un média d’État. Cette crainte concerne tout particulièrement France Médias Monde et, à un degré moindre, TV5 Monde. À de nombreuses reprises, il a par exemple été rappelé qu’en 2023 Radio France internationale a failli perdre sa licence de diffusion sur le réseau FM à Berlin après que l’Autorité de régulation des médias de la région Berlin-Brandebourg a craint que la budgétisation envisagée pour se substituer à la redevance ne conduise cette antenne à méconnaître la jurisprudence allemande relative à « l’obligation d’éloignement vis-à-vis de l’État » (la Staatsferne). L’atteinte portée à la crédibilité de l’audiovisuel public serait particulièrement sensible dans les territoires où la France est victime d’actions massives de désinformation.
L’affectation d’un montant déterminé d’une imposition de toute nature : un mode de financement est donc préférable au financement par un prélèvement sur recettes ou par une nouvelle contribution à l’audiovisuel public
Sécuriser le financement de l’audiovisuel public
La mesure législative consiste désormais à sécuriser le financement de ce secteur en imposant à l’État de verser ces ressources en totalité, dès le début de l’année considérée.
En application du 2 du VI de l’article 46 de la loi n° 2005‑1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006, les avances du compte de concours financiers Avances à l’audiovisuel public sont « versées chaque mois aux organismes bénéficiaires à raison d’un douzième du montant prévisionnel des recettes du compte ».
Autrement dit, chaque entité de l’audiovisuel public reçoit, douze versements par an représentant chacun un douzième de sa dotation. Cette modalité de fonctionnement expose l’audiovisuel public à des mesures de régulation budgétaire. Tant que la totalité de la dotation n’est pas versée, celle-ci peut être diminuée comme l’a montré le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits. Seule une modification de cette disposition, qui n’est pas de nature organique, proscrirait toute régulation infra-annuelle. Les fonds versés ne pourraient pas être repris.
La mesure pratique envisagée concerne aussi le respect de la trajectoire financière prévue dans les contrats d’objectifs et de moyens (COM) conclus entre l’État et chacune des entités de l’audiovisuel public concernées.
Comme le paragraphe 31 du règlement (UE) 2024/1083 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 le souligne, le financement de l’audiovisuel public « devrait être déterminé et alloué, de préférence, sur une base pluriannuelle, […] afin d’éviter les risques d’influence indue liés à des négociations budgétaires annuelles ». En Allemagne, les moyens de l’audiovisuel public sont ainsi fixés pour une période de quatre ans.
En France, le principe constitutionnel d’annualité budgétaire s’oppose à une pluri-annualité budgétaire contraignante. Seules des trajectoires financières indicatives peuvent être conclues sous la forme de dispositions des COM.
L’exécution des derniers COM s’est malheureusement très régulièrement écartée des prévisions initiales. Le respect des trajectoires financières annoncées constituerait un progrès essentiel pour l’audiovisuel public. L’absence de visibilité porte gravement atteinte à la bonne gestion de ce secteur.
En dépit de ces différents tempéraments, le rapporteur invite la commission spéciale à adopter, sans modification, l’article premier de la proposition de loi organique.
La loi de finances rectificative pour 2022 a supprimé, à compter du 1er janvier 2022, la contribution à l’audiovisuel public (CAP). Le débat parlementaire a conduit au maintien du compte de concours financier, par une fraction du produit de la TVA venant se substituer à la CAP.
Toutefois, ce mode de financement était, dès le départ, provisoire. En effet, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001, modifiée par l’article 3 de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, dispose que l’affectation d’une taxe à un tiers autre que les collectivités territoriales, établissements publics et organismes de sécurité sociale est possible uniquement si ces deux conditions cumulatives sont respectées : disposer de la personnalité morale et un lien existant entre la taxe et la mission de service public.
Cette disposition rentrera en vigueur lors du dépôt du projet de loi de finances pour l’année 2025. Les sociétés de l’audiovisuel public ne répondant pas à ces deux conditions cumulatives, il n’était pas possible de pérenniser, en l’état actuel du droit, leur financement par une fraction du produit de la TVA.
Cette pérennisation du mode de financement de l’audiovisuel public par une fraction du produit de la TVA poursuit d’abord une visée démocratique essentielle.
Elle garantit en effet l’indépendance des médias de service public et concourt à la libre communication des pensées et des opinions, consacrée à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et au pluralisme des médias, défini par le Conseil constitutionnel comme une condition d’exercice de la démocratie. Elle permet aux citoyens d’accéder à une pluralité d’opinions et de sources fiables dans un contexte de manipulations de l’information, d’origine nationale comme internationale.
Cette pérennisation des modalités de financement de l’audiovisuel public par une fraction du produit de la TVA poursuit ensuite un objectif économique. Elle permet à l’audiovisuel de continuer à peser dans l’espace informationnel français et international, dans lequel la concurrence de médias en ligne et des grandes plateformes s’intensifie, et de maintenir le niveau de soutien à la création française et européenne.
Elle garantit aussi l’équilibre du paysage audiovisuel français, face à des acteurs privés puissants qui se financent principalement sur la ressource publicitaire, dans un marché économique déjà contraint.
Sans modification de la LOLF dans les délais impartis, le financement de l’audiovisuel public aurait été assuré par le budget général de l’État et non plus par une ressource affectée, comme c’est le cas aujourd’hui.
Cette situation aurait eu des conséquences importantes pour les sociétés de l’audiovisuel public, notamment sur l’influence de la France sur le plan international.
En effet, les sociétés d’audiovisuel public auraient été considérées comme des médias d’État (notamment en Allemagne sur le land de Berlin pour RFI ou s’agissant des possibilités de diffusion de France Média Monde) et auraient subi, notamment, une perte de référencement sur YouTube en passant de service public d’information à un service gouvernemental.
A noter que le règlement européen sur la liberté des médias (« Media Freedom Act »), récemment adopté par l’Union européenne, est d’application directe en France. Son article 5 dispose que « les États-membres veillent à ce que les procédures de financement des médias de service public soient fondées sur des critères transparents et objectifs préalablement établis (…), garantissant des ressources financières suffisantes, durables et prévisibles correspondant à l’accomplissement de leur mission de service public, et leur permettant de se développer dans le cadre de celle-ci (…) et de nature à permettre que leur indépendance éditoriale soit préservée ».
Le risque lié à la budgétisation du financement des médias de service public a également été relevé dans une étude de la Commission européenne, commandée par la DG CONNECT et publiée en janvier 2024. Elle a souligné les risques « d’interférence politique » et de baisse des ressources qui sont associés à ce mode de financement.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a reconnu en 2009 la « garantie des ressources de l’audiovisuel public comme un élément constitutif de son indépendance », de même que sa décision du 12 août 2022 a consacré « qu’il incombera au législateur (…) pour la période postérieure au 31 décembre 2024 de fixer le montant des recettes afin que les sociétés de l’audiovisuel public soient à même d’exercer les missions de service public qui leur sont confiées. »
Concernant ARTE, la chaîne culturelle européenne a été créée par un traité international, conclu le 2 octobre 1990 entre la France et les États fédérés de la République fédérale d’Allemagne, puis ratifié. Comme tous les traités, il s’impose aux lois organiques et ordinaires nationales, en application de l’article 55 de la Constitution.
Ce Traité prévoit et organise l’indépendance éditoriale et financière de chacune des composantes de la chaîne (groupement européen d’intérêt économique -GEIE-, pôle allemand, pôle français). Il résulte ainsi d’une norme internationale que le pôle d’ARTE-France est tenu de fournir les programmes et les moyens financiers nécessaires au fonctionnement de la chaîne franco-allemande, dans une proportion strictement équivalente à celle de la partie allemande, sur la base du budget arrêté par l’assemblée générale du GEIE.
La création d’un PSR contribue au respect des engagements internationaux de la France en assurant l’indépendance financière de la chaîne et la parité de l’apport de l’État français au financement du GEIE. À noter qu’ARTE-France bénéficie d’un contrat d’objectifs et de moyens signé avec l’État et est soumis au contrôle des rapporteurs spéciaux du budget et de la Cour des comptes.
La distinction du financement des principales entités de l’audiovisuel public et d’ARTE-France a du sens compte tenu de la durée de validité des documents stratégiques qui lient ces entités à l’État et déterminent la trajectoire de leur financement : quatre ans pour ARTE-France, cinq ans pour les autres entités.