Le correspondant de presse n’est pas journaliste

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Le correspondant de presse n’est pas journaliste
Ce point juridique est utile ?

La qualité de journaliste professionnel n’est reconnue au correspondant de presse qu’à la condition que celui-ci exerce sa profession à titre d’occupation principale, régulière et rétribuée, qu’il en tire le principal de ses ressources et qu’il reçoive des appointements fixes. (Soc., 24 mars 1994, pourvoi n° 91-18.625).


COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

17e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 7 JUIN 2023

N° RG 21/02327

N° Portalis : DBV3-V-B7F-UUT4

AFFAIRE :

[Y] [P]

C/

Société FRANCE MEDIAS MONDE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 juin 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE-

BILLANCOURT

Section : E

N° RG : 20/00434

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Sylvain ROUMIER

Me Franck LAFON

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [Y] [P]

né le 30 Janvier 1987 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Sylvain ROUMIER de la SELEURL CABINET ROUMIER, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2081, substitué à l’audience par Me Alexandre ABDILLAHI, avocat au barreau de PARIS.

APPELANT

****************

Société FRANCE MEDIAS MONDE

N° SIRET : 501 524 029

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Jean-marc COBLENCE de la SCP COBLENCE ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0053 – Représentant : Me Franck LAFON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618, substitué à l’audience par Me Hélène FONTANILLE, avocat au barreau de PARIS.

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 23 mars 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET,

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [P] a été engagé par la société France Medias Monde à compter du 19 janvier 2015 par divers contrats de pigiste. Il a été titulaire de la carte de presse à compter du 1er octobre 2015.

La société France Medias Monde (la société FMM) est un groupement de médias créé en avril 2008 ayant pour mission de superviser et coordonner les activités de radios et télévisions publiques détenues par l’État français et ayant une diffusion internationale. Elle regroupe les enseignes France 24, RFI et MCD.

L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective des journalistes.

Le 28 avril 2020, M. [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de requalifier la relation de travail le liant à la société France Medias Monde en contrat de travail à durée indéterminée depuis le 1er janvier 2015.

Par jugement du 17 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt (section encadrement) a :

– jugé que la relation de travail entre M. [P] et la société France Médias Monde s’analyse en un contrat à durée indéterminée,

en conséquence,

– ordonné la requalification en contrat à durée indéterminée à temps plein depuis le 1er janvier 2015 sur le poste de chef d’édition,

– fixé le salaire de référence à 3 367 euros bruts mensuels hors éléments variables de paye,

– fixé l’ancienneté professionnelle au 1er octobre 2015,

– condamné la société France Médias Monde à verser à M. [P] les sommes de :

. 3 156,29 euros à titre de rappel de salaires en sa qualité d’assistant d’édition, outre 315,63 euros à titre de congés payés afférents,

. 19 202,46 euros à titre de rappel de salaire en sa qualité de chef d’édition, outre 1 920,24 euros à titre de congés payés afférents,

. 4 000 euros à titre d’indemnités de requalification en contrat à durée indéterminée en vertu des articles L1245-2 et R1245-1 du code du travail,

. 3 367 euros à titre d’indemnités pour la méconnaissance de l’obligation de transmission des contrats à durée déterminée dans les délais légaux en vertu de l’article L1245-1 alinéa 2 du code du travail,

– ordonné l’exécution provisoire dans les limites fixées par l’article R 1454-28 du code du travail,

– assorti ces condamnations des intérêts au taux légal conformément à l’article 1231-6 du code civil,

– condamné la société France Médias Monde à verser à M. [P] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraire,

– condamné la société France Medias Monde aux entiers dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 19 juillet 2021, M. [P] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 14 mars 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [P] demande à la cour de :

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt du 17 juin 2021 notifié le 18 juin 2021, en ce qu’il a :

. jugé que la relation de travail avec la société France Médias Monde s’analyse en un contrat à durée indéterminée,

. ordonné la requalification en contrat à durée indéterminée à temps plein depuis le 1er janvier 2015 sur le poste de chef d’édition,

. condamné la société France Médias Monde à verser à M. [P] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– infirmer en ce qu’il a :

. fixé le salaire de référence à 3 367 euros bruts mensuels hors éléments variables de paie,

. fixé l’ancienneté professionnelle au 1er octobre 2015,

. condamné la société France Médias Monde à lui verser les sommes de :

* 3156,9 euros à titre de rappel de salaire en sa qualité d’assistant d’édition,

* 315,63 euros à titre de congés payés afférents,

* 19 202,46 euros à titre de rappel de salaire en sa qualité de chef d’édition outre 1 920,40 euros à titre de congés payés afférents

* 4 000 euros à titre d’indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée

* 3 367 euros à titre d’indemnité pour la méconnaissance des obligations de transmission des contrats à durée déterminée dans les délais légaux en vertu de l’article 1245-1 alinéa 2 du code du travail,

. l’a débouté de ses demandes de dommages-intérêts au titre de l’exécution loyale du contrat de travail sur le fondement 1103, 1104 et 1204 du code du civil,

. l’a débouté de ses demandes de dommages-intérêts relatives au manquement par la société France Médias Monde à son obligation de sécurité et de protection de la santé en violation des dispositions de l’article L.4121-1 du code du travail,

. l’a débouté de sa demande régularisation de sa situation auprès des organismes sociaux sous astreinte,

. l’a débouté de sa demande relative à l’exécution provisoire de plein droit en application des articles L.1245-2 et R.1245-1 du code du travail,

et statuant de nouveau

– demande en tout état de cause à la cour d’appel de Versailles l’entier bénéfice de ses demandes de première instance, y compris sur les quantums, telles que reprises comme suit :

– débouter la société France Medias Monde de toutes ses demandes, fins et prétentions,

à titre principal,

– juger que les emplois de « chef d’édition / journaliste rédacteur » occupés depuis son embauche sont des emplois normaux et permanents dans l’entreprise,

à titre subsidiaire,

– juger que la société France Medias Monde ne satisfait pas aux obligations formelles légales et conventionnelles propres au contrat à durée déterminée, étant dans l’incapacité de fournir des contrats à durée déterminée écrits, pour l’ensemble des périodes travaillées par le salarié, alors même que l’existence de ces contrats à durée déterminée avec toutes les mentions obligatoires est expressément mentionnée aux AEM destinées à Pôle emploi,

en conséquence,

– requalifier la relation de travail le liant et la société France Medias Monde en contrat de travail à durée indéterminée depuis l’origine, soit depuis le 1er janvier 2015 comme suit :

. « chef d’édition »,

. pour un salaire de 50 879 euros annuels correspondent à 4 240 euros mensuels bruts, auxquels il convient de rajouter le 13ème mois, soit au total 4 739,07 euros bruts mensuels,

. à temps plein, soit en moyenne 170 jours par an, soit la moyenne du temps de travail annuel des chefs d’édition travaillant à la fois en journée et le soir/nuit (pièce 13-2 pages 30 à 32),

en conséquence encore,

– fixer l’ancienneté professionnelle en sa qualité de journaliste (base de calcul de la prime d’ancienneté) à compter du 1er janvier 2015,

– condamner la société France Medias Monde à lui verser une indemnité de requalification conformément aux dispositions des articles R. 1245-1 et L. 1245-2 du code du travail, et pour compenser notamment l’abus de précarité dont il a été victime d’un montant de 30 709,17 euros,

– juger qu’il :

. n’a bénéficié d’aucune prévisibilité dans la fourniture de son travail par la société France Medias Monde en violation de l’article L. 3123-14 du code du travail,

. s’est tenu à l’entière disposition de la société France Médias Monde,

. de plus fort, n’a travaillé pour aucun autre employeur depuis son embauche,

en conséquence,

– requalifier la relation avec la société France Médias Monde en contrat à durée indéterminée à temps complet,

– condamner la société France Medias Monde à lui payer la somme de 89 878,56 euros à titre de rappels de salaire sur la base d’un temps plein, soit 170 jours par an et un montant de 4 739,07 euros mensuels (hors 13ème mois et prime de transport) correspondant à la moyenne des rémunérations pour le poste de chef d’édition homme, selon les NAO 2019, outre les congés payés afférents correspondants à la somme de 8 987,86 euros,

– juger que la société France Medias Monde a manqué à son obligation d’exécuter de bonne foi son contrat de travail en violation des articles 1104, 1217 et 1231-3 du code civil et de l’article L. 1222-1 du code du travail et de l’accord d’entreprise,

en conséquence,

– condamner la société France Médias Monde à lui verser la somme de 50 160 euros correspondant à 12 mois de salaire,

– juger que la société France Medias Monde a gravement manqué à son obligation de protection de sa santé physique en violation des dispositions de l’article L. 4121-1 du code du travail,

en conséquence,

– condamner la société France Medias Monde à lui verser la somme de 50 160 euros (12 mois de salaire), sur le fondement des articles 1240 code civil et 4121-1 du code du travail,

– juger que la société France Medias Monde a manqué à son obligation de transmettre les contrats à durée déterminée dans les délais légaux (article L. 1245-1alinéa 2 nouveau code du travail),

en conséquence,

– condamner la société France Medias Monde à lui payer la somme de 25 080 euros, à titre d’indemnité due par l’employeur en raison de la méconnaissance de l’obligation de transmission des contrats à durée déterminée dans les délais légaux (article L. 1245-1alinéa 2 nouveau code du travail),

– ordonner à la société France Medias Monde de régulariser sa situation auprès des organismes sociaux, Caisse de retraite CNAV, Caisse de retraite complémentaire, sous astreinte de 250 euros par jour de retard et par document,

. le tout sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par document,

– se réserver le contentieux de la liquidation des astreintes,

En tout état de cause

– dire que les condamnations prononcées seront assorties des intérêts au taux légal, et anatocisme conformément à l’article 1343-2 du code civil

– Condamner la société France Medias Monde à payer à M. [P] une somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner la société France Medias Monde aux entiers dépens ainsi qu’aux éventuels frais d’exécution

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société France Medias Monde demande à la cour de :

– confirmer le jugement du 17 juin 2021 du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il a :

. ordonné la requalification en contrat à durée indéterminée au poste de chef d’édition,

. fixé le salaire de base à 3 367 euros bruts mensuels

. fixé l’ancienneté professionnelle au 1er octobre 2015

. condamné la société France Médias Monde au paiement des sommes suivantes :

* 3 156,90 euros à titre de rappel de salaires sur le poste d’assistant d’édition,

* 315,63 euros au titre des congés payés afférents,

* 19 202,46 euros à titre de rappel de salaires sur le poste de chef d’édition,

* 1 920,40 euros au titre des congés payés afférents,

. débouté M. [P] de ses demandes de dommages et intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail,

. débouté M. [P] de ses demandes de dommages et intérêts relatives au manquement par la société à son obligation de sécurité et de protection de la santé,

– l’infirmer en ce qu’elle a condamné la société au paiement des sommes suivantes :

. 4 000 euros à titre d’indemnité de requalification,

. 3 367 euros à titre d’indemnité pour la méconnaissance des obligations de transmission des contrats à durée déterminée dans les délais légaux en vertu de l’article L.1245-1 du code du travail,

statuant à nouveau,

– limiter l’indemnité de requalification à la somme de 3 762,95 euros,

– débouter M. [P] de sa demande d’indemnité pour méconnaissance des obligations de transmission des contrats à durée déterminée dans les délais légaux en vertu de l’article L.1245-1 du code du travail,

– débouter M. [P] de ses autres demandes,

– condamner M. [P] au paiement d’une somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

subsidiairement, en cas de requalification en qualité de chef d’édition et de rappel de salaire sur ce poste sur toute la période non prescrite,

– limiter le rappel de salaires à la somme de 28 803,69 euros bruts, outre 2 880 euros au titre des congés payés afférents,

– condamner M. [P] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la requalification

. sur le principe de la requalification

Si l’employeur indique que le salarié ne s’est jamais tenu à sa disposition permanente, il sollicite néanmoins la confirmation de la décision des premiers juges requalifiant les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à temps complet.

Sans qu’il soit nécessaire de répondre aux moyens développés par les parties dans leurs conclusions à ce titre et qui sont donc devenus inopérants, le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a requalifié les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à temps plein à compter du 1er janvier 2015.

. Sur l’ancienneté du salarié

Le salarié se prévaut de son premier contrat de pigiste pour voir fixer son ancienneté au 1er janvier 2015, tandis que l’employeur retient la date d’obtention de la carte de presse française du salarié, le 1er octobre 2015.

Aux termes de l’article L.7111-3 du code du travail, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.

Selon l’articles 23 de la convention collective applicable ‘ Sera considéré comme temps de présence dans l’entreprise, pour le calcul de l’ancienneté, le temps passé dans les différents établissements de l’entreprise’.

Aux termes de l’article 24 de celle-ci, ‘Pour l’application des dispositions de l’article ci-dessus, on entend par présence pour le calcul de l’ancienneté du journaliste professionnel :

a) Dans la profession : le temps pendant lequel il a exercé effectivement son métier ;

b) Dans l’entreprise : le temps pendant lequel il est employé comme tel dans l’entreprise, quelles que puissent être les modifications survenant dans la nature juridique de celle-ci. Lorsqu’un journaliste remplaçant est titularisé sans qu’il y ait eu interruption de service, son ancienneté dans l’entreprise prend effet à la date de son remplacement. (…) on entend par présence pour le calcul de l’ancienneté du journaliste professionnel’.

La qualité de journaliste professionnel n’est reconnue au correspondant de presse qu’à la condition que celui-ci exerce sa profession à titre d’occupation principale, régulière et rétribuée, qu’il en tire le principal de ses ressources et qu’il reçoive des appointements fixes. (Soc., 24 mars 1994, pourvoi n° 91-18.625).

L’ancienneté dans la profession ne peut résulter du seul fait de la détention d’une carte de journaliste professionnel. (Soc., 18 juillet 2001, pourvoi n° 99-44.594).

Au cas présent, il n’est pas contesté que le salarié a occupé à titre principal, entre le 1er janvier et le 30 septembre 2015, de façon régulière et rétribuée par un salaire mensuel moyen sur la période de 1 945 euros un poste de chroniqueur au sein de la société France Medias Monde à raison de 15 journées de travail en moyenne par mois.

Le journaliste pigiste est assimilé à un journaliste professionnel permanent lui permettant de bénéficier de ce statut lorsque l’entreprise de presse lui fournit régulièrement du travail pendant une longue période, ce qui n’est d’ailleurs par contesté par l’employeur.

Les extraits d’un compte rendu de réunion de délégués du personnel du 24 mars 2017 indiquant que ‘ dans le but d’avoir un critère objectif, l’usage dans l’entreprise a toujours été la prise en compte de l’ancienneté de la carte de presse pour fixer l’indemnité professionnelle du journaliste’ et l’engagement unilatéral du 1er janvier 2019 à l’égard de l’ensemble des salariée qui, notamment, définit le calcul de la prime d’ancienneté sur remise de la carte de presse, ne trouvent pas ici à s’appliquer en raison des dispositions légales et conventionnelles précédemment rappelées, cet usage ayant été en outre invoqué postérieurement à l’année 2015.

Dès lors, la qualité de journaliste professionnel doit être reconnue au salarié depuis le 1er janvier 2015.

. sur le poste retenu au titre de la requalification

Les premiers juges ont ordonné la requalification du salarié sur le poste de chef d’édition à compter du 1er janvier 2015 à la demande du salarié, l’employeur affirmant que le salarié n’a occupé cette fonction qu’à compter du mois de juillet 2018, exerçant auparavant principalement la fonction d’assistant d’édition et plus ponctuellement celle de journaliste rédacteur et de chef de production.

Les bulletins de paye ne sont pas suffisamment précis sur la fonction occupée par le salarié pour être pertinents, seule y figurant la mention de l’emploi de ‘chroniqueur’ puis ‘journaliste’ à compter du 1er décembre 2016.

En revanche, le salarié reconnaît lui-même dans ses conclusions qu’il a été recruté en qualité de journaliste assistant d’édition, et qu’il a été affecté au poste de journaliste ‘ chef d’édition ‘ durant 39 jours en janvier 2018 puis plus majoritairement depuis janvier 2019, indiquant également qu’il a suivi une formation à partir de juillet 2018 pour être affecté au poste de journaliste Chef d’édition.

Dans ces conditions, il convient de requalifier la relation contractuelle au poste de journaliste assistant d’édition jusqu’au 30 juin 2018 puis au poste de chef d’édition à compter du 1er juillet 2018, infirmant la décision de ce chef.

En conséquence, il conviendra de confirmer le jugement en ce qu’il a requalifié a relation de travail en contrat à durée indéterminée à temps plein à compter du 1er janvier 2015.

Infirmant le jugement, l’ancienneté du salarié est fixée au 1er janvier 2015 et la requalification sur le poste de ‘ chef d’édition’ à compter du 1er juillet 2018.

Sur la rémunération mensuelle de référence

Le salarié affirme que son salaire brut de base doit être fixé selon le salaire moyen des chefs d’édition à temps plein que la société FFM communique dans le cadre des NAO 2019 correspondant aux salaires arrêtés au 31 décembre 2018 et incluant le traitement de base, la prime d’ancienneté, les droits d’auteurs mais sans les EVP (éléments variables de paye) et sans également le 13ème mois, soit un salaire moyen de 4 240 euros porté à 4 593,33 eurosen ce inclus le 13ème mois, puis à 4 739,07 euros , à plein temps, droits d’auteurs et prime d’ancienneté compris.

Le salarié expose que l’employeur produit un ‘pseudo panel anonyme et unilatéral’ et qu’il est inacceptable de faire entrer dans ce panel de comparaison des salariés ayant quatre ans et demi d’ancienneté, soit plus d’un tiers d’ancienneté de moins que lui, les données sont anonymes et ne sont donc pas vérifiables .

L’employeur objecte que le salarié prend comme référence la rémunération de l’année 2017 communiquée dans le cadre de la NAO, qui ne correspond plus à la politique salariale actuelle et qui n’est pas pertinente car cette référence ne distingue pas l’ancienneté des collaborateurs et les salaires qui y sont mentionnés incluent la prime d’ancienneté, variable selon les collaborateurs.

L’employeur explique qu’il calcule le salaire de référence d’après un panel de journalistes Chef d’édition dans le cadre de la première instance , qu’il a réactualisé,et qui s’élève à 3 352 euros bruts. L’employeur propose néanmoins de conserver le salaire proposé en première instance et qui a été retenu par les premiers juges à hauteur de 3367 euros bruts, précisant que contraindre l’entreprise à communiquer les salaires des intéressés porterait manifestement atteinte au principe de proportionnalité qui doit présider à l’administration de la preuve.

***

La requalification opérée a pour effet de replacer le salarié dans la situation qui aurait été la sienne s’il avait été recruté dès l’origine dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.

L’exercice est fictif et aucune des parties ne propose à la cour un calcul qui reconstitue le salaire au prorata de chaque année passée pour notamment calculer le rappel de salaire depuis le 1er janvier 2015.

Dans ses conclusions, l’employeur produit le tableau du panel de journalistes de chef d’édition ayant entre 2 ans et 8 ans d’ancienneté dont il ressort un salaire de base moyen de 3 367 euros que l’employeur propose de retenir, comme l’ont fait les premiers juges.

Ce tableau est également communiqué aux débats et il est mentionné que les données ont été extraites le 1er mai 2020.

Le responsable du contrôle de gestion sociale de la société France Medias Monde atteste que ce premier panel comprend tous les journalistes assistants d’édition et chefs d’édition et qu’il a été réalisé d’après une extraction du système d’information des ressources humaines au 1er mai 2020.

Le salarié, qui fait reposer le calcul du salaire moyen uniquement sur la NAO des postes de chef d’édition pour un homme en 2017, soit un salaire moyen annuel de 50 879 euros, ne prend pas en compte toute la période retenue précédemment par la cour pendant laquelle, de janvier 2015 à juin 2018, il a en réalité occupé un poste d’assistant d’édition, au salaire moyen de 38 379 euros.

Par ailleurs, si le panel est anonymisé, la moyenne des rémunérations annualisées dans le cadre des NAO l’est tout autant et sans précision aucune sur les conditions de reprise d’ancienneté, le panel de l’employeur ayant le mérite de préciser que le salaire moyen est calculé en comparant la situation de treize salariés ayant entre 2 et 8 ans d’ancienneté avec prise en compte du 13ème mois, la moyenne d’âge étant de 39 ans et l’ancienneté reprise de 7 ans.

Au 1er mai 2020, le salarié, âgé 33 ans, avait alors acquis une ancienneté de cinq années de sorte que la comparaison est utile.

Enfin, le salarié communique un tableau de rappel de salaire au titre de la requalification et retient un salaire brut mensuel de référence de 4 071euros de mai 2017 à décembre 2022, inférieur à celui indiqué dans la partie ‘Discussion’ de ses conclusions puis dans son dispositif, soit à 4 739,07 euros.

Toutefois, l’addition des rappels de salaire par année figurant dans ce tableau s’élève à la même somme que celle figurant dans le dispositif, soit 89 878,56 euros de sorte que le salarié forme de fait sa demande sur la base d’un salaire de base de 4 071 euros et non de 4 739,07 euros.

En outre, le salarié sollicite à la fois dans son dispositif de :

– ‘ requalifier la relation de travail le liant et la société France Medias Monde en contrat de travail à durée indéterminée depuis l’origine, soit depuis le 1er janvier 2015 comme suit :

. « chef d’édition »,

. pour un salaire de 50 879 euros annuels correspondent à 4 240 euros mensuels bruts, auxquels il convient de rajouter le 13ème mois, soit au total 4 739,07 euros bruts mensuels,’

– ‘requalifier la relation avec la société France Médias Monde en contrat à durée indéterminée à temps complet,

– condamner la société France Medias Monde à lui payer la somme de 89 878,56 euros à titre de rappels de salaire sur la base d’un temps plein, soit 170 jours par an et un montant de 4 739,07 euros mensuels (hors 13ème mois et prime de transport) correspondant à la moyenne des rémunérations pour le poste de chef d’édition homme, selon les NAO 2019, outre les congés payés afférents correspondants à la somme de 8 987,86 euros,’.

Tous ces éléments sont très contradictoires.

Dans ces conditions, les éléments produits par l’employeur offrent une comparaison plus pertinente que ceux du salarié, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu’il a fixé le salaire de base/ la rémunération mensuelle de référence est à 3 367 euros.

Sur l’indemnité de requalification

Le salarié soutient qu’il n’a eu aucune visibilité sur sa carrière et la poursuite ou non de son contrat de travail d’un mois sur l’autre voire d’une semaine sur l’autre et n’a pas pu bénéficier d’un contrat à durée indéterminée, ce qui constituait un obstacle pour entreprendre tout type de projet personnel.

L’employeur objecte que le salarié sollicite le bénéfice d’une indemnité correspondant à neuf mois de salaire et qu’il ne justifie pas d’un préjudice à cette hauteur.

***

Conformément à l’article L. 1245-2 du code du travail, le salarié peut prétendre à une indemnité de requalification dont le montant est égal au moins au dernier mois de salaire perçu avant la saisine du conseil de prud’hommes.

Au vu de la relative précarité des conditions d’emploi du salarié pendant cinq années, de ce qu’il ne démontre pas d’un quelconque impact de cette précarité, du dernier salaire reçu avant la saisine du conseil de prud’hommes, il lui sera alloué une indemnité de 4 000 euros.

Le jugement est donc confirmé sur le montant octroyé à titre d’indemnité de requalification.

Sur le rappel de salaire de mai 2017 à décembre 2022

Dans les limites du délai de prescription, le salarié ayant saisi le conseil de prud’hommes le 28 avril 2020, il réclame un rappel de salaire à compter du mois de mai 2017 jusqu’au mois de décembre 2022.

Comme indiqué précédemment, le calcul de la somme réclamée par le salarié a été effectué d’après un salaire de base de 4 071euros.

La cour ayant retenu un salaire de référence au titre de la requalification qui s’élève à la somme de 3 367 euros, le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a accordé au salarié, sur cette base, un rappel de salaire au titre de la qualité d’assistant, de 3 156,29 euros , puis de 19 202,46 euros au titre de la qualité de chef d’édition, outre les congés payés afférents respectivement de 315,63 euros et 1 920,24 euros.

Sur l’indemnité pour retard dans la remise des contrats

Le salarié se prévaut de la transmission tardive des contrats d’embaucheà de multiples reprises, l’employeur soutenant que le salarié ne justifie d’aucun préjudice à ce titre.

Aux termes de l’article L.1242-13 du code du travail, le contrat de travail est transmis au salarié, au plus tard, dans les deux jours ouvrables suivant l’embauche.

Aux termes de l’article L.1245-1, dans sa rédaction applicable au litige, en vigueur depuis le 22 décembre 2017, la méconnaissance de l’obligation de transmission du contrat de mission au salarié dans le délai fixé par l’article L. 1242-13 ne saurait, à elle seule, entraîner la requalification en contrat à durée indéterminée. Elle ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Toutefois, il n’y a pas lieu de sanctionner l’inobservation des règles relatives aux contrats à durée déterminée fournis tardivement par l’employeur dès lors que la requalification de ces contrats en contrat à durée indéterminée depuis le 1er janvier 2015 a été précédemment ordonnée par la cour, qui a ensuite alloué au salarié, en application de l’article L. 1245-2 précité, l’indemnité de requalification sollicitée à ce titre, laquelle ne saurait se cumuler avec l’indemnité prévue par l’article L. 1245-1 précité.

Par voie d’infirmation, le salarié sera débouté de sa demande d’indemnité pour retard dans la remise des contrats.

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail

Le salarié fait valoir qu’il n’a jamais été destinataire de la totalité de ses contrats de travail écrits, qu’il s’est retrouvé dans l’impossibilité de prévoir son temps de travail, que l’employeur n’a pas respecté les dispositions légales et conventionnelles sur le temps de repos hebdomadaire et quotidien ni celles relatives à l’accord d’entreprise FFM sur la charge de travail et la tenue d’entretien professionnel, qu’il a postulé en vain sur des postes en contrat à durée indéterminée entre 2015 et 2019 et qu’il n’a pas bénéficié de formation.

L’employeur conteste tous les griefs du salarié.

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L’article L. 1222-1 du code du travail prévoit que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

L’imprévisibilité et la modification de l’emploi du temps du salarié sont rapportés au dossier en ce qu’il travaillait de façon précaire. Le salarié n’a également pas bénéficié des entretiens prévus à l’accord d’entreprise sur le suivi et le contrôle de son activité, et n’a pas eu d’entretien professionnel annuel. Ces manquements sont donc établis.

S’agissant de la formation, le salarié reconnaît lui-même qu’il a bénéficié pendant deux années, de 2018 à 2020, de formations le préparant aux fonctions de chef d’édition, ce qui a permis qu’il occupe effectivement ce poste par la suite, ainsi qu’il a été dit précédemment.

Le préjudice moral, distinct de celui réparé par l’indemnité de requalification, qui est résulté des manquements de l’employeur tirés de l’absence de réponse aux demandes du salarié de contrat à durée indéterminée et d’absence de fomation, sera réparé par l’octroi de la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts .

Infirmant le jugement, il sera alloué au salarié la somme ainsi arrêtée à titre de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail.

Sur l’obligation de protection et de préservation de la santé

Le salarié expose qu’il n’a jamais bénéficié d’une visite médicale depuis son embauche jusqu’en juin 2020 ni d’un suivi médical alors même qu’il est majoritairement affecté à des colalborations de nuit, en alternance avec du travail de jour, l’employeur indiquant que ‘les cycles de travail ne sont pas formalisés dans l’entreprise’ (sic).

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Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Il ressort des pièces du dossier que :

– le salarié travaillait selon un cycle qui alternait les horaires de nuit et ceux de journée,

– l’employeur a demandé au salarié de prendre contact, pour la première fois, avec le médecin du travail le 12 juin 2020,

– le salarié a été amené, à plusieurs reprises, à travailler plusieurs jours sans interruption, jusque douze jours de suite en août 2016, à travailler de nuit et à reprendre quelques heures plus tard, et à travailler seize heures d’affilée le 26 décembre 2018.

Ces situations, qui caractérisent un manquement de l’employeur qui doit respecter l’obligation générale de sécurité laquelle se traduit par un principe de prévention de santé, causent un préjudice au salarié qui sera réparé par l’allocation d’une indemnité de 2 000 euros.

Par voie d’infirmation du jugement, il y a lieu de condamner l’employeur au paiement de cette somme.

Sur la remise des documents

Il convient d’enjoindre à l’employeur de remettre au salarié des bulletins de salaire conformes à la présente décision, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette mesure d’une astreinte ni de condamner l’employeur à régulariser, également sous astreinte, la situation du salarié auprès des organismes sociaux, l’émission de nouveaux bulletins de paye entraînant de fait ladite régularisation.

Sur les intérêts

Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l=employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d’orientation et les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu=ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

L’employeur qui succombe, doit supporter la charge des dépens et ne saurait bénéficier d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a fait droit à la demande du salarié au titre des frais irrépétibles.

Il est inéquitable de laisser à la charge du salarié les frais par lui exposés non compris dans les dépens, et de condamner en conséquence l’employeur au paiement d’une somme de 3 000 euros à ce titre en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu’il dit que que la relation de travail entre M. [P] et la société France Médias Monde s’analyse en un contrat à durée indéterminée, ordonne la requalification en contrat à durée indéterminée à temps plein depuis le 1er janvier 2015, fixe le salaire de référence à 3 367 euros bruts mensuels hors éléments variables de paye, condamne la société France Médias Monde à verser à M. [P] les sommes de 3 156,29 euros à titre de rappel de salaires en sa qualité d’assistant d’édition, outre 315,63 euros à titre de congés payés afférents, 19 202,46 euros à titre de rappel de salaire en sa qualité de chef d’édition, outre 1 920,24 euros à titre de congés payés afférents, 4 000 euros à titre d’indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée,, et en ce qu’il condamne la société France Médias Monde à verser à M. [P] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

INFIRME le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

FIXEl’ancienneté professionnelle de M. [P] au sein de la société France Médias Monde au 1er janvier 2015,

DIT que le contrat à durée indéterminée à temps plein est requalifié sur le poste d’assistant d’édition jusqu’au 30 juin 2018 puis sur le poste de chef d’édition à compter du 1er juillet 2015,

CONDAMNE la société France Medias Monde à verser à M. [P] les sommes suivantes :

– 2 000 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du code du travail,

– 3 000 euros de dommages-intérêts au titre de l’obligation de protection et de préservation de la santé,

DIT que les intérêts au taux légal sur les créances indemnitaires courront à compter du prononcé de la présente décision, et à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation à comparaître à l’audience de conciliation pour les créances salariales,

ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,

ORDONNE à la société France Medias Mondede remettre à M. [P] les bulletins de paie rectifiés conformes à la présente décision,

DEBOUTE M. [P] de sa demande de condamnation de la société France Medias Monde à régulariser sous astreinte sa situation auprès des organismes sociaux,

REJETTE la demande d’indemnité de M. [P] au titre de l’obligation de transmission des contrats à durée déterminée dans les délais légaux,

CONDAMNE la société France Medias Monde à verser à M. [P] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE toutes autres demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société France Medias Monde aux dépens d’appel,

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Marine Mouret, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


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