Le Contrat de Placement de consultant informatique : l’affaire Fujitsu

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Le Contrat de Placement de consultant informatique : l’affaire Fujitsu

Attention à bien stipuler au Contrat de Placement de main d’oeuvre si le consultant placé auprès du client doit assurer une présence permanente au sein des locaux du client.

En la cause, a été jugée fautive la résiliation du contrat de mission pour absence non justifiée.

Même si la présence du consultant était requise sur place, la société AVA2I ne produit aucun élément établissant que le consultant était tenu de se rendre tous les jours de la semaine dans les locaux de son client : aucun planning établi par la société Fujitsu n’a ainsi été communiqué.

La nature de la prestation, qui n’est pas exactement précisée dans le contrat, ne permet pas non plus d’induire la nécessité d’une présence physique continue, cela d’autant moins que la convention ne prévoit pas de rémunération forfaitaire, mais stipule que la prestation sera facturée sur la base d’un prix de vente par jour et n’impose pas de minimum de journées de prestation.

En tout état de cause, la lettre de résiliation de la mission n’a été précédée d’aucune mise en demeure impartissant au consultant de respecter une obligation d’assiduité, ni même d’un courriel d’avertissement

L’article 1224 du code civil dispose : « La résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice. »

En application de l’article 1226 du même code, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification ; sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.

Résumé de l’affaire : Un contrat de prestation de service a été signé le 14 juin 2019 entre la société AVA2I et M. [X] [P] pour des travaux informatiques destinés à la société Fujitsu. La prestation était facturée 350 € HT par jour et devait durer trois mois, renouvelables. La société AVA2I a mis fin au contrat par lettre recommandée le 3 septembre 2019, invoquant des absences injustifiées de M. [X] [P]. Ce dernier a ensuite réclamé le paiement de 1.550 € pour des prestations impayées et a assigné AVA2I devant le tribunal de commerce de Paris, demandant 8.400 € pour un mois de préavis et le montant impayé. Le tribunal a débouté M. [X] [P] de sa demande de préavis, a ordonné l’envoi d’une facture rectifiée de 1.400 €, et a condamné M. [X] [P] à payer 2.500 € à AVA2I. M. [X] [P] a fait appel, demandant la confirmation de ses demandes. La société AVA2I a demandé le rejet des demandes de M. [X] [P] et la confirmation du jugement. En appel, la cour a infirmé le jugement initial et a condamné AVA2I à verser à M. [X] [P] 8.400 € pour le préavis, 1.400 € pour les prestations, ainsi que des dépens et des frais.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

13 septembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
22/07718
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRET DU 13 SEPTEMBRE 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/07718 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFVOT

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Janvier 2022 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2021000781

APPELANT

Monsieur [X] [P]

[Adresse 2]

[Localité 4]

né le 18 Octobre 1987 à [Localité 4]

Représenté par Me Elie LELLOUCHE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1021

Assisté de Me Jean-Marc VILLESECHE, avocat au barreau d’AVESNES-SUR-HELPE

INTIMEE

S.A.S. AVA2I

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 3]

immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 821 870 631

Représentée par Me François ELBERG, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Caroline GUILLEMAIN, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Denis ARDISSON, Président de chambre,

Mme Marie-Sophie L’ELEU DE LA SIMONE, conseillère,

Madame CAROLINE GUILLEMAIN, conseillère,

Qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : M.Damien GOVINDARETTY

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Denis ARDISSON, Président de chambre et par Damien GOVINDARETTY, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCEDURE

Aux termes d’un contrat de prestation de service, conclu le 14 juin 2019, la société AVA2I, spécialisée dans le conseil et la réalisation de prestations informatiques, a sous-traité à M. [X] [P] des travaux informatiques, pour le compte de son client final, la société Fujitsu. Il était convenu que M. [X] [P] se rende dans les locaux de cette société, situés à Bruxelles, pour réaliser à bien sa mission.

Le contrat prévoyait que la prestation serait facturée sur la base d’un prix de vente de 350 € HT, par jour.

Il précisait, en son article 2, qu’il prendrait effet à la date du 17 juin 2019, pour une durée de trois mois renouvelables par tacite reconduction, et que chacune des parties pourrait y mettre fin, à tout moment, sous réserve du respect d’un préavis d’un mois.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, datée du 3 septembre 2019, la société AVA2I a indiqué à M. [X] [P] mettre fin immédiatement à sa mission, à la demande du client final, en raison d’absences injustifiées.

Selon un courrier recommandé, réceptionné le 6 mars 2020, M. [X] [P] a, par l’intermédiaire de son conseil, mis en demeure la société AVA2I de lui régler une somme de 1.550 € au titre du prix de ses prestations restées impayées.

Suivant exploit du 23 décembre 2020, M. [X] [P] a fait assigner la société AVA2I devant le tribunal de commerce de Paris afin notamment de la voir condamner à lui verser la somme de 8.400 € correspondant à l’équivalent d’un mois de préavis, outre la somme de 1.550 € au titre des prestations restées impayées.

Par un jugement en date du 26 janvier 2022, le tribunal a :

– Débouté M. [X] [P] de sa demande de paiement d’une indemnité de préavis,

– Enjoint M. [X] [P] d’adresser à la société AVA2I une facture rectifiée d’un montant de 1.400 € pour une bonne tenue de sa comptabilité,

– Débouté M. [X] [P] de ses autres demandes, fins et conclusions,

– Condamné M. [X] [P] à payer à la société AVA2I la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamné M. [X] [P] aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 € dont 11,60 € de TVA,

– Ordonné l’exécution provisoire.

M. [X] [P] a formé appel du jugement, par déclaration du 15 avril 2022.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique, le 16 avril 2024, il demande à la Cour, au visa des articles 1224 et suivants du code civil, de :

« Infirmer la décision entreprise, et statuant à nouveau,

Condamner la SAS AVA2i à payer à Monsieur [X] [P] la somme de 8.400 € au titre du préavis, laquelle portera intérêt au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance,

Condamner la SAS AVA2i à payer à Monsieur [X] [P] la somme de 1.400 € au titre des prestations réalisées impayées, laquelle portera intérêts au taux légal à compter du 06 mars 2020,

Condamner la SAS AVA2i à payer à Monsieur [X] [P] la somme de 2.500 € au titre de ses frais irrépétibles de première instance,

Condamner la SAS AVA2i à payer à Monsieur [X] [P] la somme de 2.500 € au titre de ses frais irrépétibles d’appel,

Condamner la SAS AVA2i aux dépens de première instance et d’appel. »

Dans ses dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 28 septembre 2022, la société AVA2I demande à la Cour, sur le fondement des articles 1103, 1104, 1224 et suivants du code civil et des articles 9 et 700 du code de procédure civile, de :

« DEBOUTER Monsieur [X] [P] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 26 janvier 2022 en toutes ses dispositions,

En toute hypothèse,

CONDAMNER Monsieur [X] [P] à payer à la société AVA2I, la somme de 6.000 €uros toutes taxes comprises, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens. »

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l’exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 25 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les demandes en paiement de M. [X] [P]

Enoncé des moyens

M. [X] [P] conteste le bien-fondé des motifs de la résiliation du contrat, en faisant valoir qu’aucune stipulation contractuelle n’imposait sa présence permanente dans les locaux de la société Fujitsu, et qu’il était libre d’organiser son planning d’intervention, en tant que sous-traitant ; il souligne, à cet égard, que le contrat n’imposait aucun minimum de jours de prestations. Il ajoute que la société AVA2I ne lui a fait part d’aucun reproche avant la résiliation du contrat, laquelle impliquait, en tout état de cause, une mise en demeure préalable. Il estime, en conséquence, être en droit d’obtenir une indemnité de préavis correspondant à 8.400 €. Il sollicite, en outre, le paiement du solde du prix de ses prestations, à hauteur de 1.400 €, tout en soulignant que ce montant n’est pas contesté par la société AVA2I, et qu’il a déjà émis une facture.

La société AVA2I prétend inversement que M. [X] [P] était, en application des articles 6 et 9 du contrat, tenu d’être présent dans les locaux du client final, afin d’effectuer sa mission, selon le planning communiqué par celui-ci. Elle explique qu’il s’est absenté à plusieurs reprises de son poste de travail sans justification, ce dont elle a été alertée par la société Fujitsu, qui a souhaité mettre fin à sa mission. Elle ajoute que M. [X] [P] a attendu le 28 janvier 2020 pour restituer le badge et l’ordinateur qui lui avaient été confiés, et qu’il a fait preuve d’un comportement violent à l’égard de l’un de ses collègues de travail. Elle considère que M. [X] [P] a commis ainsi des manquements graves et répétés à ses obligations contractuelles, qui l’ont contrainte à résilier le contrat sans préavis. Enfin, elle soumet le règlement du solde du prix de ses prestations, à l’envoi d’une facture rectifiée à hauteur de 1.400 €.

Réponse de la Cour

L’article 1224 du code civil dispose : « La résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice. »

En application de l’article 1226 du même code, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification ; sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.

Dans le cas présent, l’article 5 du contrat conclu le 14 juin 2019 stipule que le lieu principal de la prestation effectuée par le sous-traitant pour le client final Fujitsu se situe durant la première semaine dans les locaux de la société Total, localisés à [Localité 5], puis dans les locaux de la société pétrolière implantés à Bruxelles.

L’article 9.2 prévoit ensuite que les factures établies par le sous-traitant seront réglées, sous condition de validation du nombre de jours travaillés par le client.

Il est établi, au vu de ces stipulations, que M. [X] [P] avait l’obligation de se déplacer dans les locaux du client final, situés en Belgique, afin d’assurer sa prestation, ce que d’ailleurs ce dernier ne conteste pas. L’appelant, qui sollicite le paiement de sept jours de prestations au cours du mois d’août, ne remet pas non plus en cause l’existence de jours d’absence décomptés par la société AVA2I .

Cependant, comme le fait valoir M. [X] [P], à la différence d’un salarié, celui-ci intervenait uniquement en tant que sous-traitant, à titre indépendant, ce que rappelle l’article 3 de la convention, qui précise que le prestataire « exécutera ses prestations de services en toute indépendance, sans être subordonné de quelque manière que ce soit au Donneur d’ordre ».

Or, même si sa présence était requise sur place, la société AVA2I ne produit aucun élément établissant que M. [X] [P] était tenu de se rendre tous les jours de la semaine dans les locaux de son client  : aucun planning établi par la société Fujitsu n’a ainsi été communiqué. La nature de la prestation, qui n’est pas exactement précisée dans le contrat, ne permet pas non plus d’induire la nécessité d’une présence physique continue, cela d’autant moins que la convention ne prévoit pas de rémunération forfaitaire, mais stipule que la prestation sera facturée sur la base d’un prix de vente par jour et n’impose pas de minimum de journées de prestation.

En tout état de cause, la lettre de résiliation du 3 septembre 2019 n’a été précédée d’aucune mise en demeure impartissant à M. [X] [P] de respecter une obligation d’assiduité, ni même d’un courriel d’avertissement. La société intimée produit ainsi uniquement des courriers de mécontentement du client final, en date des 20 août et 3 septembre 2019, que celui-ci lui a adressés directement. De surcroît, la lettre de résiliation fait état uniquement d’un « défaut de présence », sans autre explication.

Et ce n’est que postérieurement à ses absences, que le client final a fait état, selon courriel adressé au donneur d’ordre, le 29 août 2019, réitéré le 10 mai 2021, de son comportement belliqueux à l’égard de ses collaborateurs, sans que les faits soient, d’ailleurs, matériellement établis.

Le grief tiré de l’absence de restitution en temps utile du matériel informatique et du badge de l’entreprise est lui-même indifférent, le manquement reproché à M. [X] [P] étant intervenu après la fin du contrat.

Dans ces conditions, la société AVA2I n’apparaît pas fondée à se prévaloir d’une inexécution contractuelle, qui serait à tout moins suffisamment grave, pour justifier la résolution du contrat aux torts de M. [X] [P].

La convention ayant été rompue sans respecter le délai de préavis d’un mois, prévu par l’article 2, il sera fait droit à la demande de M. [X] [P] en paiement de la somme correspondante de 8.400 €, laquelle portera intérêt au taux légal à compter du 23 décembre 2020, date de l’assignation.

La société AVA2I ne conteste pas être redevable d’une somme de 1.400 € au titre des prestations réalisées par M. [X] [P], durant le mois d’août 2019, à raison de sept jours facturés. Contrairement à ce qu’elle soutient, la société intimée ne peut prétendre se décharger de son obligation de paiement, au prétexte que M. [X] [P], qui sollicitait initialement une somme plus importante, n’aurait pas rectifié la première facture qu’il lui avait adressée, cette somme étant en tout état de cause exigible. Elle sera donc condamnée à payer à M. [X] [P] la somme de 1.400 € avec intérêt au taux légal à compter du 6 mars 2020, date de réception de la mise en demeure de payer.

Sur les autres demandes

La société AVA2I succombant au recours, le jugement sera infirmé en ce qu’il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

Il y a lieu par conséquent de condamner la société AVA2I aux dépens de première instance et d’appel. Il apparaît également équitable de condamner la société AVA2I à payer à M. [X] [P] la somme de 2.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, incluant les frais irrépétibles de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la Cour,

STATUANT A NOUVEAU,

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la SAS AVA2I à payer à M. [X] [P] la somme de 8.400 €, avec intérêt au taux légal à compter du 23 décembre 2020, au titre du préavis,

CONDAMNE la SAS AVA2I à payer à M. [X] [P] la somme de 1.400 € avec intérêt au taux légal à compter du 6 mars 2020, au titre des prestations réalisées,

CONDAMNE la SAS AVA2I aux dépens de première instance et d’appel,

CONDAMNE la SAS AVA2I à payer à M. [X] [P] la somme de 2.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER  LE PRESIDENT


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