L’annulation d’un spectacle pour cause d’attentats : la garantie de l’assureur

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L’annulation d’un spectacle pour cause d’attentats : la garantie de l’assureur

Une lettre du Préfet enjoignant l’arrêt de toutes festivités suite à un attentat terroriste (Ville de Nice) emporte bien la garantie d’annulation de l’assureur (indépendamment des textes publiés au JORF).

En vertu de l’article 1353 alinéa 1er du code civil (ancien article 1315 alinéa 1er), il appartient à celui qui réclame l’exécution du contrat de prouver son existence, qu’il s’agisse de l’assuré, partie au contrat, ou du tiers lésé. Celui-ci doit prouver l’existence du contrat d’assurance, mais également l’adéquation des faits à la garantie d’assurance, ce qui suppose de rapporter aussi la preuve du sinistre et sa date.

En revanche, conformément à l’article 1353 alinéa 2 du même code (ancien article 1315 alinéa 1er), en vertu duquel il appartient au débiteur qui entend échapper au paiement de prouver sa libération, l’assureur doit prouver notamment l’exclusion de garantie dont il se prévaut, tout comme l’exécution de son obligation d’information et de conseil.

En l’espèce, la garantie annulation garantit le remboursement des pertes pécuniaires supportées par l’assuré dans les limites des capitaux et franchises contractuelles, « au cas où la manifestation assurée au contrat viendrait à être annulée, ajournée, écourtée, reportée partiellement ou totalement du fait de tout évènement non expressément exclu, survenu indépendamment et hors du contrôle » de l’assuré.

Sont exclues les pertes pécuniaires résultant de deuil national en France, en dehors des limites prévues par le décret d’application national (parution au JORF).

Pour faire valoir l’exclusion de garantie annulation, la société Albingia soutient que le décret prononçant le deuil national du 15 juillet 2016 et l’arrêté n°430-2016 du 16 juillet 2016 n’imposaient pas l’annulation de spectacles, et que l’arrêté n°430-2016 du 16 juillet 2016 n’est devenu exécutoire que le 19 juillet 2016, soit après l’expiration du contrat d’assurance prenant effet le 16 juillet 2016 à 23 heures 59.

Certes, dans sa lettre, le décret du 15 juillet 2016 portant déclaration de deuil national se borne à déclarer les 16, 17 et 18 juillet 2016 jours de deuil national sans faire interdiction expresse de maintenir les spectacles.

Néanmoins, il résulte des termes clairs tant de la lettre datée du 15 juillet 2016 du Préfet de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et du département des Bouches du Rhône que de l’arrêté n°430-2016 du 16 juillet 2016 du Maire de Nice, pris en exécution de ce décret et rappelés plus haut, qu’il ne s’agissait pas seulement de mettre les drapeaux en berne sur les bâtiments et édifices publics mais que le deuil national ainsi déclaré imposait aussi le report « dès à présent » de « tout évènement festif ou toute réjouissance publique » (lettre du Préfet des Bouches du Rhône) et, plus particulièrement, l’annulation du spectacle du « Celtic Legends » organisé par la société ALG (arrêté n°430-2016). L’annulation du spectacle du « Celtic Legends » a donc été imposée par ces autorités, dans le cadre du décret du 15 juillet 2016 portant déclaration de deuil national. La clause d’exclusion de garantie ne trouve donc pas à s’appliquer.

Cette annulation est intervenue de manière indépendante et hors du contrôle de l’assuré conformément à l’article 2.1 des conditions particulières de la garantie relatif à l’objet de la garantie annulation, de manière nécessaire et inévitable conformément aux dispositions de l’article 2.4 relatif à l’indemnisation. Enfin, il a été statué que l’annulation est intervenue le 16 juillet 2016, soit en cours de validité du contrat d’assurance.

En conséquence, la garantie annulation souscrite auprès de la société Albingia était due dans la limite de son plafond contractuel.

Résumé de l’affaire : La société Arts et Loisirs Gestion (ALG), organisatrice de spectacles, a été chargée par la ville de Carnoux-en-Provence d’organiser un concert du groupe « Celtic Legends » prévu le 16 juillet 2016. Ce concert a été annulé en raison des attentats survenus à Nice le 14 juillet 2016, entraînant des frais importants déjà engagés. ALG a déclaré un sinistre à son assureur, la société Albingia, qui a refusé de garantir l’annulation. En conséquence, ALG a assigné Albingia devant le tribunal de grande instance de Marseille, demandant le paiement de 52.000 euros, ainsi que des dommages et intérêts.

Le tribunal a condamné Albingia à verser 52.000 euros et 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, tout en ordonnant l’exécution provisoire. Albingia a interjeté appel, contestant la motivation du jugement et soutenant que l’arrêté municipal annulant l’événement n’était pas exécutoire au moment de l’annulation. Elle a également remis en question la qualité d’ALG à agir et le respect des conditions de la garantie d’assurance.

ALG a défendu sa position en affirmant que l’annulation était inévitable en raison de l’arrêté municipal et des directives de deuil national. L’affaire a été mise en délibéré et la cour a confirmé le jugement initial, précisant que la somme de 52.000 euros devait être considérée hors taxes et condamnant Albingia à verser 2.500 euros supplémentaires à ALG au titre de l’article 700, ainsi qu’aux dépens d’appel.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 septembre 2024
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG
19/19743
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4

ARRÊT AU FOND

DU 12 SEPTEMBRE 2024

N° 2024/

Rôle N° RG 19/19743 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFLGI

Société ALBINGIA

C/

SARL ARTS ET LOISIRS GESTION

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Agnès ERMENEUX

Me Olivier CASTEL

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 21 Novembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/06605.

APPELANTE

SA ALBINGIA,

demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP SCP ERMENEUX – CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE (avocat postulant) et plaidant par Me Evelyne NABA de la SCP NABA ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Stéphane LAGET, avocat au barreau de PARIS,

INTIMEE

SARL ARTS ET LOISIRS GESTION

, demeurant [Adresse 6]

représentée par Me Olivier CASTEL, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 21 Mai 2024 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Véronique MÖLLER, Conseillère a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Inès BONAFOS, Présidente

Mme Véronique MÖLLER, Conseillère

M. Adrian CANDAU, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Patricia CARTHIEUX.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Septembre 2024.

ARRÊT

FAITS, PROCEDURES, PRETENTIONS DES PARTIES

Exposant être organisatrice de spectacles, s’être vue confiée l’organisation d’un spectacle du groupe « Celtic Legends » par la ville de Carnoux-en-Provence prévu le 16 juillet 2016 et annulé en raison des attentats survenus à Nice le 14 juillet 2016, et avoir reçu un refus de garantie de la part de son assureur suite à sa déclaration de sinistre annulation alors que d’importants frais avaient été d’ores et déjà engagés, la société Arts et Loisirs Gestion (société ALG) a, par exploit d’huissier délivré le 30 mai 2017, assigné la société Albingia devant le tribunal de grande instance de Marseille, sur le fondement des articles 1101 et suivants du code civil, aux fins d’obtenir sa condamnation à lui payer, à titre principal, la somme de 52.000euros représentant le plafond de la garantie prévue au contrat, outre 6.000euros à titre de dommages et intérêts et 3.000euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, avec le bénéfice de l’exécution provisoire.

Par jugement en date du 21 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Marseille a condamné la société Albingia à payer la somme de 52.000euros en principal et 3.000euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les dépens, a ordonné l’exécution provisoire et a rejeté toute autre demande des parties.

Faisant application des articles 1103 et 1104 du code civil, le tribunal a retenu le caractère exécutoire de l’arrêté n°430-2016 du 16 juillet 2016 du maire de Carnoux-en-Provence annulant tout évènement festif, notamment le spectacle du « Celtic Legends » organisé pendant la période de deuil national du samedi 16 au lundi 18 juillet 2016 inclus, que la société ALG n’avait donc d’autres possibilités que d’annuler le spectacle prévu, alors que les différentes factures produites démontrent que des frais dépassant la somme de 64.000euros avaient été engagés.

Par déclaration d’appel enregistrée au greffe le 26 décembre 2019, la SA Albingia a interjeté appel de ce jugement.

L’affaire était enregistrée au répertoire général sous le n°RG19/19743.

Les parties ont exposé leur demande ainsi qu’il suit, étant rappelé qu’au visa de l’article 455 du code de procédure civile, l’arrêt doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens :

La SA Albingia (conclusions n°2 responsives et récapitulatives notifiées par rpva le 29 juin 2020) sollicite de la cour de :

Vu l’article 1er du code civil,

Vu les articles 9, 15, 455 du code de procédure civile,

Vu l’article 1353, alinéa let du code civil,

Vu les pièces régulièrement versées aux débats,

Vu le jugement dont appel, nullement voire insuffisamment motivé,

Reformer 1e jugement rendu par 1e TGI de [Localité 4] en date du 21 novembre 2019 sauf en ce qu’il a rejeté la demande à hauteur de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts

Et en conséquence

Juger que la société ALG n’est pas en droit d’obtenir de garanties de la part de la société ALBINGIA suite a 1’annu1ation du concert organise par la société CELTIC LEGENDS à [Localité 2] 1e 15 juillet 2016,

Débouter en conséquence la société ALG de sa demande de condamnation auprès de la société ALBINGIA à hauteur de 52 000 euros

Débouter de sa demande à hauteur de 6 000 € en réparation de son prétendu préjudice,

En toute hypothèse,

dire et juger que la société ALBINGIA ne pourra être tenu que dans les limites de sa police, notamment de son plafond.

Con’rmer le jugement en ce qu’il a débouté la société ALG de ses demandes à hauteur de 6.000 euros à titre de dommage et intérêts justi’ées par aucun élément

Débouter la société ALG de toutes ses demandes, ‘ns et prétentions, y compris sur 1e fondement des dépens et des frais irrépétibles,

Condamner la société ALG à payer à la société ALBINGIA une somme de 8 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et la condamner aux entiers dépens, de première instance et d’appel dont distraction de ces derniers au pro’t de Maître Agnès ERMENEUX, avocat aux offres de droit, en application de l’article 699 du CPC.

La société Albingia reproche d’abord au tribunal le manque de motivation de sa décision et de ne pas avoir répondu à ses arguments de fond.

Elle invoque le défaut de qualité et le défaut d’intérêt de l’intimé en ce que le contrat devait nécessairement relever du code des marchés publics.

Elle considère que l’arrêté n°430-2016 pris le 16 juillet 2016 par le Maire de [Localité 2] ne serait devenu exécutoire que le 19 juillet, soit alors que la police souscrite avait pris fin.

Sur le fond, la société Albingia fait valoir qu’il incombait à l’assuré de produire le contrat d’assurance et de rapporter la preuve de son contenu, en particulier s’agissant de la réunion des conditions requises pour mettre en jeu la garantie annulation. Or, la société ALG n’aurait pas produit l’intégralité de ce contrat. Elle ajoute que la seule production de factures ne suffit pas à prouver la mise en oeuvre de la garantie.

Elle considère que le décret prononçant le deuil national du 15 juillet 2016 ne contenait aucune interdiction de spectacles, de même que la circulaire du 15 juillet 2016 relative aux jours de deuil national en hommage aux victimes de l’attentat de [Localité 5]. Enfin, selon la société Albingia, l’arrêté du maire de [Localité 2] n’est devenu exécutoire que le 19 juillet 2016, soit à une date où la police souscrite n’était plus mobilisable puisqu’elle expirait le 16 juillet 2016 à 23 heures 59. Subsidiairement, la société Albingia fait valoir que le contrat conclu avec la mairie prévoyait une indemnisation en cas d’annulation par l’une ou l’autre partie, qu’elle n’aurait donc pas à mettre en oeuvre sa garantie.

Enfin, elle invoque l’exclusion prévue en cas de deuil national.

La société ALG Arts et Loisirs Gestion – ALG (conclusions d’appel notifiées par rpva le 30 mars 2020) sollicite de :

Vu les pièces versées au dossier et notamment

le contrat d’assurances souscrit par la SARL ALG auprès de la compagnie ALBINGIA,

le décret du 15 juillet 2016 du Préfet de la région PACA portant déclaration de deuil national,

l’arrêté n°430-2016 du 16 juillet 2016 de la ville de [Localité 2],

la déclaration de sinistre de la SARL ALG,

Vu les articles 455, 463 et 753 du code de procédure civile, 1101 nouveaux et suivant du Code civil, L221-2 et L221-8 du code des relations entre le public et l’administration,

Vu les pièces versées au dossier,

Vu la jurisprudence,

Confirmer le jugement en ce qu’il a :

Condamné la compagnie ALBINGIA à verser à la société ARTS ET LOISIRS la somme de 52.000 euros en principal, et celle de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamné la compagnie ALBINGIA aux dépens,

Ordonné l’exécution provisoire du jugement.

DIRE que le montant de 52.000 € s’entend hors taxes,

INFIRMER la décision entreprise en ce qu’il a rejeté la demande de réparation des préjudices de la société ARTS ET LOISIRS,

En conséquence,

CONDAMNER la compagnie ALBINGIA à payer à la SARL ALG la somme de 6.000 € en réparation de son entier préjudice,

LA CONDAMNER aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel et à lui payer la somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile en cause d’appel,

DEBOUTER la société ALBINGIA de toutes ses demandes, fins et conclusions.

La société ALG conteste le défaut de motivation invoqué par l’appelant sans qu’il n’en tire toutes les conséquences et soutient que le jugement est, au contraire, parfaitement motivé.

Sur le défaut de qualité et d’intérêt à agir, la société ALG fait valoir qu’elle a produit la décision du Maire de [Localité 2] du 23 mai 2016 de conclure avec elle un marché de fournitures et de service pour l’organisation d’une performance artistique le 16 juillet 2016 et que l’arrêté n°430-2016 du 16 juillet 2016 annulant tout évènement festif était d’exécution immédiate conformément aux dispositions de l’article L. 221-2 alinéa 2 du code des relations entre le public et l’administration dès lors qu’il vise expressément tout évènement festif et de réjouissance publique, notamment le spectacle du « Celtic Legends » organisé pour la période de deuil national du samedi 16 au lundi 18 juillet 2016, cela par exception au principe d’entrée en vigueur d’un texte règlementaire le lendemain du jour de l’accomplissement des formalités de publicité. Elle précise qu’un exemplaire de l’arrêté n°430-2016 du 16 juillet 2016 a été transmis à l’organisateur, ce qui corrobore sa publicité et son entrée en vigueur le même jour et non après l’échéance de la police d’assurance.

Sur le fond, la société ALG conclut que la société Albingia est mal fondée à invoquer le défaut de preuve du contenu de la police souscrite lorsqu’elle produit elle-même cette police aux débats. Elle ajoute que l’annulation du spectacle était inévitable compte tenu de l’arrêté municipal du 16 juillet 2016, transmis le jour même à l’organisateur, du décret du 15 juillet 2016 portant déclaration de deuil national et de la lettre du Préfet de région en date du 15 juillet 2016 rappelant à l’ensemble des maires de reporter « dès à présent » tout évènement festif durant la période de deuil national.

L’ordonnance de clôture est en date du 15 avril 2024.

L’affaire a été retenue à l’audience du 21 mai 2024 et mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 12 septembre 2024.

MOTIFS

Sur le défaut de qualité et d’intérêt :

L’article 31 du code de procédure civile dispose que « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ».

L’article L. 221-2 du code des relations entre le public et l’administration dispose que « L’entrée en vigueur d’un acte réglementaire est subordonnée à l’accomplissement de formalités adéquates de publicité, notamment par la voie, selon les cas, d’une publication ou d’un affichage, sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ou instituant d’autres formalités préalables.

Un acte réglementaire entre en vigueur le lendemain du jour de l’accomplissement des formalités prévues au premier alinéa, sauf à ce qu’il en soit disposé autrement par la loi, par l’acte réglementaire lui-même ou par un autre règlement. Toutefois, l’entrée en vigueur de celles de ses dispositions dont l’exécution nécessite des mesures d’application est reportée à la date d’entrée en vigueur de ces mesures. »

En l’espèce, la société Albingia fait valoir que la société ALG n’avait pas qualité ni intérêt à agir dès lors que le contrat qui la liait à la commune de [Localité 2] n’était pas produit aux débats et relevait nécessairement du code des marchés publics, et que, bien qu’ayant produit ledit contrat aux débats, il n’en demeure pas moins que l’arrêté n°430-2016 du 16 juillet 2016 du Maire de [Localité 2] ne serait entré en vigueur que le lendemain.

La société ALG a communiqué la décision n°22-2016 du 23 mai 2016 du Maire de [Localité 2] décidant de conclure avec cette société un marché de fournitures et de services pour l’organisation d’une performance artistique le 16 juillet 2016, pour le cinquantenaire de la commune. Le coût de cette prestation dite « clé en main » est fixé à la somme de 67.299euros HT, soit 71.000euros TTC. L’acte d’engagement pour le marché public n° M2016-13 est également produit aux débats. Il est daté du 23 mai 2016 et mentionne la performance du groupe « Celtic Legends » pour le 16 juillet 2016.

La société ALG produit en outre le contrat de cession en date du 14 avril 2016 par lequel la société ARA Productions Ltd, le producteur, cède les droits de représentation du spectacle « Celtic Legends » à la société ALG, l’organisateur, en contrepartie de la somme de 14.500euros HT.

La société ALG a souscrit à ce titre un contrat n°RS1605054 « Spectacles et Evènementiel » auprès de la société Albingia ayant pris effet le 07 juin 2016 à 09heures30 et expirant de plein droit le 16 juillet 2016 à 23heures 59, comprenant une garantie annulation avec un plafond de 52.000euros.

La présente procédure ayant pour objet l’exécution de ce contrat d’assurance, elle relève de la compétence des juridictions judiciaires. Le débat sur la nature du marché public est donc sans incidence en l’espèce.

Suite à l’attentat commis à [Localité 5] le 14 juillet 2016, les 16, 17 et 18 juillet 2016 ont été déclarés jours de deuil national en hommage aux victimes, par décret du 15 juillet 2016 portant déclaration de deuil national, publié au JORF n°0164 du 16 juillet 2016.

Par lettre datée du 15 juillet 2016, le Préfet de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et du département des Bouches du Rhône a écrit aux maires de ce département afin de leur signifier les termes du décret et leur demander de « veiller à faire reporter dès à présent tout évènement festif ou toute réjouissance publique qui seraient organisés dans votre commune ce soir et pendant cette période de deuil national ».

Par arrêté n°430-2016 du 16 juillet 2016, le Maire de [Localité 2] annulait « tout évènement festif ou toute réjouissance publique et notamment le spectacle du « Celtic Legends », organisé sur le territoire communal pendant la période de deuil national du samedi 16 au lundi 18 juillet 2016 inclus en hommage aux victimes de l’attentat commis à Nice le 14 juillet 2016 ».

Cet arrêté était affiché en mairie le même jour, soit le 16 juillet 2016, et était également transmis à l’organisateur de la manifestation ainsi qu’en témoigne l’attestation du Maire du 25 septembre 2018.

Il résulte de ces éléments que la commune de [Localité 2] avait confié à la société ALG l’organisation d’un spectacle prévue la 16 juillet 2016, durant lequel le groupe « Celtic Legends » devait se produire, et que ce spectacle a dû être annulé en exécution de l’arrêt n°430-2016 du 16 juillet 2016, entré en vigueur dès le 16 juillet 2016 ainsi que précisé expressément dans le décret conformément au décret du 15 juillet 2016 portant déclaration de deuil national et aux instructions du Préfet de Région.

La société ALG a donc intérêt et qualité à agir dans la présente procédure.

C’est donc à juste titre et avec une motivation suffisante que le tribunal de grande instance de Marseille a rejeté la fin de non-recevoir invoquée par la société Albingia au motif que la décision n°22-2016 du 23 mai 2016 du Maire de Carnoux décidant de conclure avec cette société un marché de fournitures et de services pour l’organisation d’une performance artistique le 16 juillet 2016 a été produite.

Sur la mise en oeuvre de la garantie annulation :

En vertu de l’article 1353 alinéa 1er du code civil (ancien article 1315 alinéa 1er), il appartient à celui qui réclame l’exécution du contrat de prouver son existence, qu’il s’agisse de l’assuré, partie au contrat, ou du tiers lésé. Celui-ci doit prouver l’existence du contrat d’assurance, mais également l’adéquation des faits à la garantie d’assurance, ce qui suppose de rapporter aussi la preuve du sinistre et sa date. En revanche, conformément à l’article 1353 alinéa 2 du même code (ancien article 1315 alinéa 1er), en vertu duquel il appartient au débiteur qui entend échapper au paiement de prouver sa libération, l’assureur doit prouver notamment l’exclusion de garantie dont il se prévaut, tout comme l’exécution de son obligation d’information et de conseil.

En l’espèce, la société ALG a communiqué les conditions particulières de son contrat d’assurance et la société Albingia a également produit les conditions générales et les conditions spéciales des garanties. La preuve de l’existence du contrat est donc établie. Le fait que la société Albingia soit à l’origine de la communication de ces documents en première instance n’est pas un motif de réformation du jugement, ce d’autant que l’assureur se prévaut d’une exclusion de garantie qu’il lui appartient de prouver en vertu des dispositions rappelées plus haut.

La garantie annulation garantit le remboursement des pertes pécuniaires supportées par l’assuré dans les limites des capitaux et franchises contractuelles, « au cas où la manifestation assurée au contrat viendrait à être annulée, ajournée, écourtée, reportée partiellement ou totalement du fait de tout évènement non expressément exclu, survenu indépendamment et hors du contrôle » de l’assuré.

Sont exclues les pertes pécuniaires résultant de deuil national en France, en dehors des limites prévues par le décret d’application national (parution au JORF).

Pour faire valoir l’exclusion de garantie annulation, la société Albingia soutient que le décret prononçant le deuil national du 15 juillet 2016 et l’arrêté n°430-2016 du 16 juillet 2016 n’imposaient pas l’annulation de spectacles, et que l’arrêté n°430-2016 du 16 juillet 2016 n’est devenu exécutoire que le 19 juillet 2016, soit après l’expiration du contrat d’assurance prenant effet le 16 juillet 2016 à 23 heures 59.

Certes, dans sa lettre, le décret du 15 juillet 2016 portant déclaration de deuil national se borne à déclarer les 16, 17 et 18 juillet 2016 jours de deuil national sans faire interdiction expresse de maintenir les spectacles. Néanmoins, il résulte des termes clairs tant de la lettre datée du 15 juillet 2016 du Préfet de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et du département des Bouches du Rhône que de l’arrêté n°430-2016 du 16 juillet 2016 du Maire de [Localité 2], pris en exécution de ce décret et rappelés plus haut, qu’il ne s’agissait pas seulement de mettre les drapeaux en berne sur les bâtiments et édifices publics mais que le deuil national ainsi déclaré imposait aussi le report « dès à présent » de « tout évènement festif ou toute réjouissance publique » (lettre du Préfet des Bouches du Rhône) et, plus particulièrement, l’annulation du spectacle du « Celtic Legends » organisé par la société ALG (arrêté n°430-2016). L’annulation du spectacle du « Celtic Legends » a donc été imposée par ces autorités, dans le cadre du décret du 15 juillet 2016 portant déclaration de deuil national. La clause d’exclusion de garantie ne trouve donc pas à s’appliquer.

Cette annulation est intervenue de manière indépendante et hors du contrôle de l’assuré conformément à l’article 2.1 des conditions particulières de la garantie relatif à l’objet de la garantie annulation, de manière nécessaire et inévitable conformément aux dispositions de l’article 2.4 relatif à l’indemnisation. Enfin, il a été statué que l’annulation est intervenue le 16 juillet 2016, soit en cours de validité du contrat d’assurance.

En conséquence, la garantie annulation souscrite auprès de la société Albingia est due dans la limite de son plafond contractuel.

Sur l’indemnisation au titre de la garantie annulation :

La société Albingia fait valoir que selon les dispositions de l’article VIII du contrat de cession conclu entre la société ARA Productions Ltd et la société ALG le 14 avril 2016 relatif aux responsabilités et assurances, chaque contractant avait l’obligation d’être bénéficiaire d’une police d’assurance responsabilité civile et être à jour de ses cotisations, sans viser spécifiquement un contrat couvrant le risque d’annulation. Ces dispositions prévoyaient ensuite que l’annulation par l’une ou l’autre des parties entrainera, pour la partie défaillante, l’obligation de verser à l’autre une indemnité calculée en fonction des frais engagés. La société Albingia déduit de ces dispositions qu’en cas d’annulation, ce sont les parties qui ont l’obligation d’indemniser et qu’elle n’a donc pas à mettre en oeuvre sa garantie.

Une telle interprétation est erronée. Ce contrat prévoit seulement, de manière classique en cas d’annulation, le versement, par la partie à l’origine de l’annulation, d’une indemnité correspondant aux frais engagés par l’autre, ce qui démontre de plus fort le préjudice de la société ALG qui devait ainsi supporter les frais engagés par la société ARA Productions Ltd en raison de l’annulation du spectacle.

Pour justifier l’étendue de son préjudice, la société ALG a communiqué le tableau récapitulatif des frais devant être facturés à la mairie de [Localité 2] annexé à l’acte d’engagement et revêtu du tampon « acte rendu exécutoire » du Maire daté du 23 mai 2016, pour un montant total de 71.000euros, ainsi que les factures correspondantes aux frais engagés pour un total de 64.821,07euros.

Il est, par ailleurs, précisé que le contrat de cession du 14 avril 2016 mettait à la charge de l’organisateur divers frais liés à l’organisation du spectacle tels que les frais de mise à disposition du personnel nécessaire aux chargement et déchargement, montage et démontage, à l’organisation des lieux, du prestataire du système son et éclairage selon une fiche technique précise, les billets d’avion [Localité 3]/[Localité 4] pour la troupe, les frais de restauration. Compte tenu de la date d’annulation : le jour du spectacle, il est évident que l’ensemble de ces frais a été payé.

En conséquence, le jugement attaqué sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Albingia à payer à la société ALG la somme de 52.000euros en principal correspondant au plafond de la garantie annulation.

Il est toutefois précisé que ce montant est un montant hors taxe ainsi que précisé dans les conditions particulières du contrat qui stipule que la valeur assurée est de 52.000euros HT de frais engagés irrécupérables.

Sur les dommages et intérêts :

La société ALG sollicite la somme de 6.000euros de dommages et intérêts en raison de la résistance abusive qu’elle reproche à la société Albingia dans l’exécution du jugement malgré son caractère exécutoire, ce qui lui a occasionné des frais. Elle fait ainsi valoir que, suite à la signification du jugement intervenue le 04 décembre 2019, elle a dû faire délivrer un commandement aux fins de saisie-vente le 14 janvier 2020, faire une saisie-attribution le 31 janvier suivant auprès de la Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne, dénoncée le 03 février 2020, et que ce n’est que suite à ces mesures, le 24 mars 2020, que les sommes ont finalement été versées.

Cependant, il résulte des justificatifs produits par la société Albingia qu’un sous-compte a bien été ouvert auprès de la Carpa pour ce dossier, conformément aux obligations règlementaires de maniement de fonds des avocats, et que la somme de 55.581,05euros y a été versée le 23 janvier 2020. Certes, ce versement intervient après la délivrance du commandement aux fins de saisie-vente, mais à peine plus d’un mois et demi après la signification du jugement et alors que l’intention de procéder au règlement est établie par l’ouverture du sous-compte Carpa dès le 26 décembre 2019.

La résistance abusive n’est donc pas démontrée et le jugement attaqué sera confirmé en ce qu’il n’a pas fait droit à cette demande.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Le jugement attaqué sera confirmé en ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La société Albingia, qui succombe, sera condamnée à payer à la société ALG une indemnité de 2.500euros pour les frais qu’elle a dû exposer en cause d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens d’appel avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, et après en avoir délibéré conformément à la loi,  

CONFIRME le jugement en date du 21 novembre 2019 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

PRECISE que la somme de 52.000euros allouée en principal doit s’entendre comme étant hors taxe,

CONDAMNE la société Albingia à payer à la société ALG la somme de 2.500euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

 

CONDAMNE la société Albingia aux entiers dépens d’appel.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Septembre 2024,

Signé par Madame Inès BONAFOS, Présidente et Patricia CARTHIEUX, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière, La Présidente,


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