La protection de la vie privée des familles princières ne peut, compte tenu de la position officielle qu’ils occupent, s’entendre aussi strictement que s’ils étaient des citoyens anonymes.
Toute publication, même modestement, sans analyse de fond et avec un style et une forme légère propre à une ligne éditoriale que l’organe de presse est libre de définir sans s’exposer à un contrôle judiciaire, peut contribuer à un débat d’intérêt général. Encore faut-il cependant que ce débat soit identifiable et que ce rattachement soit possible à raison des éléments intrinsèques de la publication qui le rendent perceptible. En l’espèce, le récit des conditions de vie d’une membre de la famille princière en Suisse, les sentiments qu’elle éprouve pour son époux, la nature de leur relation, ainsi que l’évocation d’un moment de loisirs passé en famille, touchent au coeur de leur intimité sans être rattachés dans l’article litigieux à un quelconque débat d’intérêt général. Par ailleurs, s’il est justifié du fait que la principauté de Monaco, par l’intermédiaire de sa communication officielle ou des informations livrées, a rendu notoires un certain nombre d’éléments relatifs à la situation et à l’état de santé des membres de la famille princière, force est de constater que les informations que les demandeurs reprochent à la société éditrice d’avoir ici communiquées en dépassent largement les limites. Leur notoriété n’est ainsi nullement démontrée, pas plus que le consentement des demandeurs à les voir évoqués. L’atteinte portée au droit au respect de leur vie privée était donc caractérisée. Pour rappel, les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil garantissent à toute personne, quelles que soient sa notoriété, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, le respect de sa vie privée et de son image, et l’article 10 de ladite convention garantit l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers. Les droits ainsi énoncés ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre eux et de privilégier, le cas échéant, la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. Pour procéder à leur mise en balance, il y a lieu, suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de la publication ainsi, le cas échéant, que les circonstances de la prise des photographies. La combinaison de ces deux principes à valeur normative conduit à limiter le droit à l’information du public d’une part, pour les personnes publiques, aux éléments relevant de la vie officielle, et d’autre part, aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général. Ainsi chacun peut s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de sa vie professionnelle ou de ses activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur sa vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir. S’agissant spécifiquement des personnalités publiques, aux termes de son arrêt Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France du 10 novembre 2015, la CEDH a précisé : – au titre des principes généraux concernant le droit au respect de la vie privée (§83 à 87), que la garantie offerte à cet égard par l’article 8 de la Convention est principalement destinée à assurer le développement, sans ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans ses relations avec ses semblables et qu’il existe donc une zone d’interaction entre l’individu et des tiers qui, même dans un contexte public, peut relever de la vie privée, et ce y compris sur le plan de l’image d’un individu qui est l’un des attributs principaux de sa personnalité, en raison du fait qu’elle exprime son originalité et lui permet de se différencier de ses pairs. Elle ajoutait que, dans certaines circonstances, une personne, même connue du public, peut se prévaloir d’une « espérance légitime » de protection et de respect de sa vie privée et que la publication d’une photographie interfère dès lors avec la vie privée d’une personne même si elle est une personne publique. Elle soulignait l’importance d’avoir égard à la gravité de l’intrusion dans la vie privée et des répercussions de la publication pour la personne visée ; – au titre des principes généraux concernant le droit à la liberté d’expression (§88 et 89), que la liberté d’expression, qui comprend par ailleurs la publication de photographies présentant un intérêt public, constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun, et vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Elle ajoutait dans cette logique que la liberté d’expression est assortie d’exceptions qui appellent une interprétation étroite et que le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante. Elle indiquait que, si la presse ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et des droits d’autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’ intérêt général, et que, à la fonction de la presse qui consiste à diffuser des informations et des idées sur des questions d’intérêt général s’ajoute le droit pour le public d’en recevoir, ni la Cour, ni les juridictions internes ne pouvant se substituer à la presse dans le choix du mode de compte rendu à adopter dans un cas donné ; – au titre des principes généraux concernant la marge d’appréciation et la mise en balance des droits (§ 90 à 93), que les critères pertinents pour procéder à cette dernière sont la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de la publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies. Par ailleurs, elle précisait dans son arrêt Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande du 27 juin 2017 § 171) qu’ont trait à un intérêt général les questions qui touchent le public dans une mesure telle qu’il peut légitimement s’y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu’elles concernent le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité, et que, tel est le cas également des questions qui sont susceptibles de créer une forte controverse, qui portent sur un thème social important, ou qui ont trait à un problème dont le public aurait intérêt à être informé. Elle indiquait toutefois que l’intérêt public ne saurait être réduit aux attentes d’un public friand de détails quant à la vie privée d’autrui, ni au goût des lecteurs pour le sensationnel voire, parfois, pour le voyeurisme. |
Résumé de l’affaire : La société Prisma Média, éditrice du magazine Voici, a été assignée par M. [Z] [N], Mme [O] [Y] [N], ainsi que M. [D] [N] et Mme [E] [N], pour atteinte aux droits de la personnalité suite à la publication d’un article dans le numéro 1863 du magazine. Les demandeurs réclament des dommages-intérêts pour violation de leur droit à l’image et au respect de la vie privée, en raison de la publication de photographies et de détails sur leur vie intime sans consentement. Ils soutiennent que l’article ne contribue pas à un débat d’intérêt général et qu’il a un caractère calomnieux. Prisma Média, de son côté, argue que les demandeurs, en tant que personnalités publiques, ont une vie privée moins protégée et que l’article s’inscrit dans un contexte d’intérêt public. Le tribunal a finalement condamné Prisma Média à verser des sommes spécifiques à chaque demandeur pour préjudice, tout en rejetant certaines demandes.
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Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les atteintes aux droits de la personnalité évoquées dans ce jugement ?Les atteintes aux droits de la personnalité mentionnées dans ce jugement concernent principalement le droit au respect de la vie privée et le droit à l’image des demandeurs, M. [Z] [N], Mme [O] [N], ainsi que leurs enfants, M. [D] [N] et Mme [E] [N]. Selon l’article 9 du Code civil, « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Cela signifie que toute personne a le droit de protéger ses informations personnelles et son intimité contre les intrusions non autorisées. Dans le cas présent, les demandeurs soutiennent que la publication d’un article dans le magazine Voici a porté atteinte à leur vie privée en divulguant des détails intimes sur leur relation, leurs sentiments, et des moments de leur vie familiale sans leur consentement. De plus, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme stipule que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ». Cette disposition renforce la protection de la vie privée, même pour les personnalités publiques, en reconnaissant qu’il existe une zone d’interaction entre l’individu et des tiers qui peut relever de la vie privée. Les demandeurs affirment également que des photographies les représentant ont été publiées sans leur consentement, ce qui constitue une violation de leur droit à l’image, protégé par l’article 9 du Code civil. Ainsi, les atteintes aux droits de la personnalité sont caractérisées par la publication d’informations et d’images qui touchent à leur intimité, sans leur accord, et qui ne contribuent pas à un débat d’intérêt général. Comment le tribunal a-t-il évalué le préjudice subi par les demandeurs ?Le tribunal a évalué le préjudice subi par les demandeurs en tenant compte de plusieurs facteurs, conformément à la jurisprudence et aux dispositions légales applicables. D’abord, il a pris en considération le caractère particulièrement intime et désagréable des éléments relatés dans l’article, notamment ceux concernant la vie de couple des demandeurs et leur organisation familiale. L’article évoquait des détails sur leur séparation de fait et des moments privés de détente, ce qui a été jugé comme une intrusion dans leur vie privée. Ensuite, le tribunal a examiné le procédé de captation des photographies, qui ont été prises à leur insu, ce qui constitue une violation supplémentaire de leur droit à l’image. L’article 9, alinéa 2, du Code civil permet au juge de prendre toutes mesures propres à faire cesser l’atteinte et à réparer les conséquences dommageables. Le tribunal a également considéré l’ampleur de la diffusion de l’article, qui a été publiée dans un magazine à large lectorat, augmentant ainsi le préjudice moral ressenti par les demandeurs. L’importance de la visibilité du magazine Voici a été un facteur déterminant dans l’évaluation du préjudice. Enfin, le tribunal a noté que les demandeurs avaient déjà été victimes d’atteintes similaires par le passé, ce qui a contribué à un sentiment de harcèlement et de surveillance, aggravant leur préjudice. En conséquence, le tribunal a alloué des dommages-intérêts spécifiques à chaque demandeur, tenant compte de la nature et de l’ampleur des atteintes subies. Quelles sont les implications de la notoriété des demandeurs sur leur droit à la vie privée ?La notoriété des demandeurs, M. [Z] [N] et Mme [O] [N], a des implications significatives sur leur droit à la vie privée, comme le souligne la jurisprudence. En effet, selon l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le droit au respect de la vie privée est garanti à toutes les personnes, mais la portée de ce droit peut varier en fonction de la notoriété de l’individu. Les personnalités publiques, en raison de leur statut, peuvent voir leur vie privée exposée dans une certaine mesure, surtout lorsqu’il s’agit d’informations liées à leur vie officielle ou à des événements d’intérêt général. La Cour européenne des droits de l’homme a précisé dans son arrêt Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France que même les personnalités publiques peuvent avoir une « espérance légitime » de protection de leur vie privée. Cela signifie qu’il existe des limites à la divulgation d’informations sur leur vie personnelle, même si elles sont connues du public. Dans le cas présent, bien que M. [Z] [N] et Mme [O] [N] soient des figures publiques, le tribunal a jugé que les éléments divulgués dans l’article ne contribuaient pas à un débat d’intérêt général. Les détails concernant leur relation personnelle et leur vie familiale ne relèvent pas de leur vie publique et, par conséquent, leur droit à la vie privée doit être respecté. Ainsi, la notoriété des demandeurs n’a pas été considérée comme un motif suffisant pour justifier la publication d’informations intimes sans leur consentement, et le tribunal a affirmé leur droit à la protection de leur vie privée. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE NANTERRE
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PÔLE CIVIL
1ère Chambre
JUGEMENT RENDU LE
11 Septembre 2024
N° RG 23/08561 – N° Portalis DB3R-W-B7H-Y3UW
N° Minute :
AFFAIRE
[Z] [N], [O] [N], [D] [N], [E] [N]
C/
S.A.S. PRISMA MEDIA
Copies délivrées le :
DEMANDEURS
Monsieur [Z] [N]
domicilié chez Maître [I] [J]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Madame [O] [N]
domiciliée chez Maître [I] [J]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Monsieur [D] [N]
domicilié chez Maître [I] [J]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Madame [E] [N]
domiciliée chez Maître [I] [J]
[Adresse 2]
[Localité 3]
tous représentés par Me Jean-michel DARROIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0426
DEFENDERESSE
S.A.S. PRISMA MEDIA
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Jean-françois BLANC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0308
En application des dispositions des articles 871 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 Mai 2024 en audience publique devant :
Alix FLEURIET, Vice-présidente
Quentin SIEGRIST, Vice-président
magistrats chargés du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries au tribunal composé de :
Sandrine GIL, 1ère Vice-présidente
Quentin SIEGRIST, Vice-président
Alix FLEURIET, Vice-présidente
qui en ont délibéré.
Greffier lors du prononcé : Henry SARIA, Greffier.
prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.
La société Prisma Média est l’éditrice du magazine hebdomadaire Voici.
Par acte d’huissier délivré le 16 octobre 2023, M. [Z] [N], Mme [O] [Y] [N] née [W], ainsi que M. [D] [N] et Mme [E] [N], représentés par leur représentante légale, Mme [O] [Y] [N] née [W], ont assigné la société Prisma Média devant le tribunal judiciaire de Nanterre aux fins d’obtenir réparation d’atteintes aux droits de la personnalité qu’ils estiment avoir subies du fait de la publication d’un article dans le numéro 1863 daté du 18 au 24 août 2023 du magazine Voici, annoncé en page de couverture et illustré par plusieurs photographies les représentant.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 mars 2024, ils demandent au tribunal, au visa des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de :
– condamner la société Prisma Média à payer, à raison de la publication de l’article intitulé « [O] et [Z] – ensemble pour les enfants » dans le numéro 1863 du magazine Voici du 18 août 2023 :
– à M. [Z] [U] [T] [P] [N] la somme de 30 000 euros de dommages-intérêts au titre de la violation de son droit à l’image et la somme de 20 000 euros de dommages-intérêts au titre de la violation de son droit au respect de la vie privée,
– à Mme [O] [Y] [N] la somme de 30 000 euros de dommages-intérêts au titre de la violation de son droit à l’image et la somme de 20 000 euros de dommages-intérêts au titre de la violation de son droit au respect de la vie privée,
– à Mme [O] [Y] [N] en sa qualité de représentante légale de M. [D] [X] [F] [N] la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la violation du droit à l’image de ce dernier,
– à Mme [O] [Y] [N] en sa qualité de représentante légale de Mme [E] [A] [V] [N] la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la violation du droit à l’image de cette dernière,
– condamner la société Prisma Media à payer à chacun des demandeurs la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Prisma Media aux entiers dépens.
Au soutien de leurs prétentions, M. [Z] [N] et Mme [O] [N] font valoir que la société Prisma Média a porté atteinte à leur droit au respect de la vie privée en évoquant l’état d’esprit et les sentiments les plus intimes de cette dernière, ainsi que leur relation sentimentale et en dévoilant, sans leur consentement, les détails de leurs vacances passées en famille, sujets relevant de leur intimité ; qu’ainsi, l’article litigieux, qui ne contribue à aucun débat d’intérêt général, se contente d’alimenter, par des allégations calomnieuses, une polémique stérile, plusieurs fois démentie publiquement, sur leur prétendue séparation. Ils soutiennent également qu’il a été porté atteinte à leur droit à l’image par la publication sans leur consentement de plusieurs photographies prises à leur insu, au téléobjectif, les représentant dans des moments privés, de vacances en famille, dépourvus de tout lien avec leurs activités publiques ou officielles.
Au titre de la réparation de leur préjudice, ils soulignent le caractère particulièrement intime des éléments relatés dans l’article et le traitement mensonger voire calomnieux des sujets qui y sont abordés, la nature des images publiées, en décalage avec leur image officielle, ainsi que le ton graveleux, indélicat, sarcastique et dévalorisant des légendes accompagnant ces clichés, qui n’ont d’autre objet que de les porter en ridicule, l’ampleur de la diffusion de l’article, la réitération des atteintes portées à leurs droits de la personnalité par la société défenderesse et le sentiment de harcèlement, d’intrusion, voire de persécution qui en découlent et dont ils souffrent, se sentant épiés et surveillés même dans les instants de grande intimité, le moindre de leurs faits et gestes étant captés et détournés de leur contexte à des fins sensationnalistes, ainsi que le caractère intrusif du procédé par lequel ils ont été photographiés à leur insu, nécessitant qu’ils soient traqués dans l’espoir que soient saisis quelques instants de leur vie privée. Mme [O] [N] fait valoir qu’elle se trouve dans un état de santé fragile et que le sentiment de harcèlement dont elle souffre est particulièrement vif en raison de la publication de l’article litigieux.
[D] et [E] [N] soutiennent quant à eux qu’il a été porté atteinte à leur droit à l’image par la publication de plusieurs photographies les représentant dans des moments relevant de leur vie privée, et ce peu important que leur visage soit flouté dès lors qu’ils sont parfaitement identifiables. Au titre de la réparation de leur préjudice, ils font valoir qu’à l’âge de 9 ans, ils souffrent de se voir représentés partiellement dénudés, mais également qu’ils sont pleinement conscients du climat de harcèlement continu qui les entoure et qu’il est difficile pour eux d’être exposés à la curiosité du public, eu égard notamment à la frénésie médiatique dont leur mère a été la cible, rappelant qu’ils ont été séparés d’elle durant de nombreux mois.
Aux termes de ses conclusions notifiées par la voie électronique le 12 janvier 2024, la société Prisma Média demande au tribunal de :
– n’allouer à [Z] et [O] [N] d’autre réparation que de principe,
– les débouter, en leur qualité de représentants légaux de [D] et [E] [N], de leurs demandes.
La société Prisma Média rappelle en premier lieu que :
– M. [Z] [N] est le [K] de la [Localité 5], dont il est par essence
une personnalité publique majeure,
– Mme [O] [N], son épouse, participe en cette qualité à la vie publique monégasque, dont elle est également une personnalité incontournable,
– ils sont les parents de l’héritier du trône monégasque,
de sorte que, incarnant la vie publique d’un Etat, leur vie privée s’entend moins strictement que celle d’un anonyme.
Elle soutient qu’en l’espèce, l’article poursuivi s’inscrit dans le cadre d’un débat d’intérêt général nourri qui s’est noué en raison de l’absence prolongée de Mme [N] de la [Localité 5] et s’est prolongé pendant de longs mois après son retour ; que la presse est d’autant plus légitime à en rendre compte que la Principauté a communiqué à plusieurs reprises sur l’absence de Mme [N], que ce soit par le biais de communiqués du Palais princier ou d’interviews de M. [Z] [N] lui-même, précisément pour donner des informations, y compris de nature médicale, sur ce qu’elle considère donc elle-même comme un sujet nécessitant une communication officielle ; qu’ainsi toute la presse, nationale comme régionale, a fait état de la situation de Mme [N] ; qu’en particulier, le point de savoir si Mme [N] a conclu avec son époux un arrangement pour assurer sa représentation en Principauté relève en l’espèce moins de sa vie privée que de sa vie publique. Elle précise en conséquence que le point de départ de l’article, qui se fait l’écho d’une escapade en famille, dont il est relevé que Mme [N] a fait sa priorité et autour de laquelle elle a resserré les liens, ne peut être fautif, pas plus qu’il n’est, dans son détail, préjudiciable, les époux [N] s’en rapportant sur ce point à des considérations abstraites, telles “l’ampleur de la diffusion”, “le contenu” ou “la tonalité” de la publication.
S’agissant des demandes formées par [D] et [E] [N], la société éditrice soutient en premier lieu, qu’à l’âge de 9 ans, ils ne sauraient être lecteurs du magazine Voici, en deuxième lieu, qu’en tant qu’enfants du couple princier, ils sont par essence médiatiquement surexposés, et ce à l’initiative de leurs parents eux-mêmes, en troisième lieu, que leur visage a été flouté et enfin, qu’ils ne peuvent souffrir du rappel par l’article de moments heureux, en l’espèce de vacances passées avec leurs parents. Elle conclut en conséquence au rejet de leurs demandes.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 mai 2024.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour le plus complet exposé de leurs moyens, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
Les parties ayant régulièrement constitué avocat, le jugement, rendu en premier ressort, sera contradictoire en application de l’article 467 du code de procédure civile.
La publication litigieuse
L’hebdomadaire Voici n° 1863 daté du 18 au 24 août 2024 consacre à M. [Z] [N] , Mme [O] [N] et leurs deux enfants, un article de quatre pages illustré de plusieurs photographies les représentant.
L’article est annoncé en page de couverture sous le titre «[O] de [Localité 5] – Enfin en paix avec elle-même » et le texte suivant : « Depuis qu’elle a réglé ses problèmes de santé, la princesse réinvente sa vie avec [Z] et leurs deux enfants ». Cette annonce est accompagnée d’une photographie représentant Mme [O] [N] assise sur un bateau, les jambes dénudées et portant un t-shirt, en gros plan occupant la majeure partie de cette page, ainsi que d’une photographie de plus petite taille, superposée à la première et présentée sous forme de médaillon, figurant M. [Z] [N] et leur fille, [E] [N] côte à côte, tous deux vêtus d’une tenue de plage. Est également ajoutée en surimpression de la plus grande photographie un macaron supportant la mention « Photos Exclu ».
Développé en pages 4 à 7, l’article a pour titre « [O] et [Z] de [Localité 5] Ensemble pour les enfants », pour accroche « C’est pour [D] et [E] qu’ils se sont retrouvés en Corse » et pour chapô « Ils ne sont plus vraiment un couple, ne vivent plus sous le même toit, mais en famille et en vacances, le prince et son épouse savent faire preuve de complicité ».
Il est ainsi rédigé :
« L’été, cette douce parenthèse propice aux retrouvailles en famille… Le 12 août, [O], 45 ans, et [Z] de [Localité 5], 65 ans, ont pris la direction de la Corse avec leurs enfants à bord d’un magnifique yacht prêté par un ami. Et s’ils étaient accompagnés de tout leur staff (…) c’était pour mieux profiter de cette escapade avec [D] et [E], 8 ans. Au programme de leur semaine off ? Des baignades, des balades le long de la côte, des dîners avec quelques amis de passage…Enfin, de quoi faire taire les rumeurs de séparation, encore très vives à [Localité 5]. “La subtilité, c’est qu’ils sont toujours ensemble, mais chacun chez soi”, nous confirme un proche. Et en effet, depuis son retour d’Afrique du Sud, en novembre 2021, [O] a revu avec [Z] les modalités de sa nouvelle vie, à commencer par son installation en Suisse, où les enfants la rejoignent souvent. Elle ne vient sur le [Localité 6] que pour les cérémonies officielles et ça lui convient très bien comme ça.
Grâce à cette nouvelle organisation, [O] a pu trouver son équilibre
“Aujourd’hui, c’est un couple qui se donne des rendez-vous pour se voir”, poursuit notre source. Et c’est précisément ce qu’ils ont fait pour ces vacances, inscrites dans le planning à la suite des événements auxquels [O] a participé, comme le Gala de la Croix-Rouge monégasque du 29 juillet dernier. “Grâce à cette nouvelle organisation, elle a retrouvé un véritable équilibre. Leur entourage n’est pas dupe, c’est un couple d’apparat. Il y a néanmoins beaucoup d’affection entre eux”, nous assure notre témoin. Surtout, ils veulent tous les deux préserver [D] et [E]. En effet, [O], qui a durant de longs mois en 2021, été séparée d’eux, rattrape le temps perdu avec bonheur. Quant ils ont jeté l’encre en face des îles Sanguinaires en cette veille de 15 août, elle a adoré visiter l’endroit main dans la main avec son fils, ou encore faire du paddle avec sa fille. Comme n’importe quelle maman.
En mettant de l’espace entre eux, les deux époux se sont presque rapprochés
“[O] a beaucoup changé depuis qu’elle a surmonté ses démons. Elle s’est sociabilisée, s’est énormément ouverte aux autres, et quand elle est chez elle en Suisse, elle sort, voit ses copines, et cette liberté lui fait beaucoup de bien”, poursuit notre source. Ca se voit. Elle qui avait perdu beaucoup de poids ces trois dernières années a retrouvé des formes et un visage apaisée. “Quand elle vivait sur le [Localité 6], elle trouvait l’atmosphère parfois irrespirable et le quotidien ne l’intéressait pas du tout. Là, elle ne fait que passer, c’est beaucoup plus supportable.” Paradoxalement, en mettant de l’espace entre eux, ils se sont presque rapprochés. A tel point que [O] a même fini par accepter qu’[Z] ait eu des enfants illégitimes. “Elle est passée à autre chose. Tout ce qui lui importe, c’est l’équilibre de [D] et [E].” Alors plus que jamais, pendant ces vacances sur l’île de Beauté, le couple princier a opté pour une humeur pace et salute – paix et santé – si chère aux corses. Et les enfants ont adoré… »
L’article est illustré par six photographies issues d’une même série :
– la première représente Mme [O] [N] et M. [Z] [N] assis sur des chaises de plage ; elle a pour légende « La différence avec les couples de campeurs ? Eux, ils ont un assitant pour porter la glacière »,
– la deuxième figure Mme [O] [N] aidant son fils, [D], à retirer son t-shirt, ainsi que sa fille, [E] de profil ; elle a pour légende « Les enfants, c’est fait. Maintenant, il faut qu’elle aide [Z] à enfiler son short »,
– la troisième représente Mme [O] [N] s’étirant le dos, le buste plié vers l’avant et les bras relâchés, tandis que M. [Z] [N] apparaît de profil en arrière plan, vêtu d’un t-shirt, d’une serviette nouée autour de la taille et d’une casquette ; elle a pour légende « Faire de la gym avec [O] ? Non, [Z] va plutôt ouvrir une deuxième bière. »,
– la quatrième figure les demandeurs, les pieds dans l’eau, de profil et souriants, M. [Z] [N] ayant passé son bras autour des épaules de son épouse ; elle a pour légende « [O] se laisse à nouveau approcher…[Z] est si sexy avec sa serviette nouée autour de la taille. »
– la cinquième figure Mme [O] [N] debout sur un paddle, tandis que ses enfants paraissent jouer sur un second paddle ; elle a pour légende « Après un essai, le prof de paddle a pris une décision : finalement, ils vont faire une randonnée. »
– la sixième représente M. [Z] [N] dans un canoé et a pour légende « [Z] va à toute vitesse. Il faut dire qu’avec [O], il a appris à ramer ».
Les atteintes à la vie privée et au droit à l’image
Les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil garantissent à toute personne, quelles que soient sa notoriété, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, le respect de sa vie privée et de son image, et l’article 10 de ladite convention garantit l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers.
Les droits ainsi énoncés ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre eux et de privilégier, le cas échéant, la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.
Pour procéder à leur mise en balance, il y a lieu, suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de la publication ainsi, le cas échéant, que les circonstances de la prise des photographies.
La combinaison de ces deux principes à valeur normative conduit à limiter le droit à l’information du public d’une part, pour les personnes publiques, aux éléments relevant de la vie officielle, et d’autre part, aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général. Ainsi chacun peut s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de sa vie professionnelle ou de ses activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur sa vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.
S’agissant spécifiquement des personnalités publiques, aux termes de son arrêt Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France du 10 novembre 2015, la CEDH a précisé :
– au titre des principes généraux concernant le droit au respect de la vie privée (§83 à 87), que la garantie offerte à cet égard par l’article 8 de la Convention est principalement destinée à assurer le développement, sans ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans ses relations avec ses semblables et qu’il existe donc une zone d’interaction entre l’individu et des tiers qui, même dans un contexte public, peut relever de la vie privée, et ce y compris sur le plan de l’image d’un individu qui est l’un des attributs principaux de sa personnalité, en raison du fait qu’elle exprime son originalité et lui permet de se différencier de ses pairs. Elle ajoutait que, dans certaines circonstances, une personne, même connue du public, peut se prévaloir d’une « espérance légitime » de protection et de respect de sa vie privée et que la publication d’une photographie interfère dès lors avec la vie privée d’une personne même si elle est une personne publique. Elle soulignait l’importance d’avoir égard à la gravité de l’intrusion dans la vie privée et des répercussions de la publication pour la personne visée ;
– au titre des principes généraux concernant le droit à la liberté d’expression (§88 et 89), que la liberté d’expression, qui comprend par ailleurs la publication de photographies présentant un intérêt public, constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun, et vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Elle ajoutait dans cette logique que la liberté d’expression est assortie d’exceptions qui appellent une interprétation étroite et que le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante. Elle indiquait que, si la presse ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et des droits d’autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’ intérêt général, et que, à la fonction de la presse qui consiste à diffuser des informations et des idées sur des questions d’intérêt général s’ajoute le droit pour le public d’en recevoir, ni la Cour, ni les juridictions internes ne pouvant se substituer à la presse dans le choix du mode de compte rendu à adopter dans un cas donné ;
– au titre des principes généraux concernant la marge d’appréciation et la mise en balance des droits (§ 90 à 93), que les critères pertinents pour procéder à cette dernière sont la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de la publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies.
Par ailleurs, elle précisait dans son arrêt Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande du 27 juin 2017 § 171) qu’ont trait à un intérêt général les questions qui touchent le public dans une mesure telle qu’il peut légitimement s’y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu’elles concernent le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité, et que, tel est le cas également des questions qui sont susceptibles de créer une forte controverse, qui portent sur un thème social important, ou qui ont trait à un problème dont le public aurait intérêt à être informé. Elle indiquait toutefois que l’intérêt public ne saurait être réduit aux attentes d’un public friand de détails quant à la vie privée d’autrui, ni au goût des lecteurs pour le sensationnel voire, parfois, pour le voyeurisme.
Sur ce, il est constant que M. [Z] [N], [K] de la [Localité 5], est une personnalité publique majeure et que Mme [O] [N] occupe une position officielle au sein de la Principauté, en tant que Princesse consort ; que du fait de cette position, elle est amenée à prendre part, notamment au côté de son époux, à des événements et manifestations publics se déroulant dans la Principauté et faisant l’objet d’une couverture médiatique.
La protection de leur vie privée ne peut, compte tenu de la position officielle qu’ils occupent, s’entendre aussi strictement que s’ils étaient des citoyens anonymes.
En outre, il est exact que toute publication, même modestement, sans analyse de fond et avec un style et une forme légère propre à une ligne éditoriale que l’organe de presse est libre de définir sans s’exposer à un contrôle judiciaire, peut contribuer à un débat d’intérêt général. Encore faut-il cependant que ce débat soit identifiable et que ce rattachement soit possible à raison des éléments intrinsèques de la publication qui le rendent perceptible.
En l’espèce, s’il est vrai que la nature de la relation qui les unit et l’organisation qu’ils ont prétendument trouvée afin que Mme [N], qui vivrait désormais en Suisse, continue à assister aux cérémonies officielles ponctuant la vie publique monégasque, peuvent être considérés comme des sujets d’actualité, suscitant l’intérêt légitime du public, et apparaissent à ce titre évoqués, quoique très modestement dans l’article litigieux, lequel fait état de sa présence à divers événements officiels organisés sur le [Localité 6] et évoque ainsi un “couple d’apparat”, en revanche le récit des conditions de vie de Mme [N] en Suisse, les sentiments qu’elle éprouve pour son époux, la nature de leur relation, ainsi que l’évocation d’un moment de loisirs passé en famille, touchent au coeur de leur intimité sans être rattachés dans l’article litigieux à un quelconque débat d’intérêt général.
Par ailleurs, s’il est justifié du fait que la [Localité 5], par l’intermédiaire de sa communication officielle ou des informations livrées par M. [Z] [N] ou Mme [O] [N], a rendu notoires un certain nombre d’éléments relatifs à la situation et à l’état de santé de Mme [N], force est de constater que les informations que les demandeurs reprochent à la société éditrice d’avoir ici communiquées en dépassent largement les limites.
Leur notoriété n’est ainsi nullement démontrée, pas plus que le consentement des demandeurs à les voir évoqués.
L’atteinte portée au droit au respect de leur vie privée est caractérisée.
En outre, l’illustration de l’article litigieux par sept clichés au total, réalisés à leur insu et reproduits sans leur autorisation, viole le droit dont les intéressés disposent sur leur image.
S’agissant de [D] et [E] [N], s’il n’est pas contesté que leur visage est flouté sur les photographies publiées sans l’autorisation de leurs représentants légaux, pour illustrer l’article litigieux, ils y sont néanmoins parfaitement identifiables, leur identité étant mentionnée dans l’article. L’atteinte portée à leur droit à l’image est par conséquent caractérisée.
Le préjudice et les mesures de réparation
La seule constatation de l’atteinte par voie de presse au respect dû à la vie privée et à l’image ouvre droit à la réparation d’un préjudice qui, comme l’affirme la Cour de cassation, existe par principe et dont l’étendue dépend de l’aptitude du titulaire des droits lésés à éprouver effectivement le dommage.
La forme de la réparation est laissée à la libre appréciation du juge qui tient de l’article 9, alinéa 2, du code civil, le pouvoir de prendre toutes mesures propres à empêcher ou à faire cesser l’atteinte et en réparer les conséquences dommageables, l’évaluation du préjudice étant appréciée au jour où il statue.
Mme [O] [N] et M. [Z] [N]
1 – En l’espèce, l’étendue du préjudice moral causé à Mme [O] [N] et à M. [Z] [N] doit être appréciée en considération :
– du caractère particulièrement intime et désagréable de certains éléments relatés dans l’article, notamment au sujet de leur couple et de l’organisation de leur vie quotidienne, l’article faisant état d’une séparation de fait du couple et d’une organisation trouvée entre eux, destinée à permettre à Mme [N] de résider en Suisse tout en assurant sa présence aux différents événements organisés sur le [Localité 6], décrivant ses conditions de vie en Suisse, leurs sentiments intimes et évoquant des moments privés de détente et de loisirs en famille ;
– du procédé de captation de sept clichés photographiques d’illustration les représentant l’un et/ou l’autre dans un moment d’intimité, de détente et de loisirs passé en famille, en lui-même générateur d’un trouble par l’intrusion qu’il opère dans un moment de vie privée, le caractère public du lieu de fixation ne pouvant être regardé comme propre à annihiler le préjudice en résultant,
– du choix des photographies publiées, les représentant pour certaines en tenue de bain ou partiellement dénudés, dans un moment de détente et de loisirs passé en famille, en décalage avec leur image officielle,
– le ton moqueur des légendes accompagnant lesdits clichés, destiné à les tourner en ridicule,
– l’ampleur donnée à l’exposition des atteintes qui leur sont portées par l’annonce tapageuse de l’article en page de couverture du magazine, avec l’apposition du macaron « photo exclu » et par le biais de deux photographies les représentant l’un et l’autre, partiellement dénudés, notamment d’une photographie figurant Mme [O] [N] en gros plan, éléments destinés à attirer la curiosité des lecteurs, qu’il convient de mettre en perspective avec l’importance, non contestée, de la diffusion du magazine Voici, qui jouit d’une large visibilité et touche un public nombreux, l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat d’un magazine étant de nature à accroître le préjudice,
– l’amplification de cette diffusion par la publication des informations principales contenues dans l’article litigieux sur le site internet “Voici.fr”,
– la réitération des atteintes à leurs droits de la personnalité par la société éditrice, de nature à susciter un légitime sentiment de surveillance, étant précisé à cet égard que deux décisions antérieures de condamnation prononcées à l’encontre de cette dernière sont produites aux débats.
2 – S’agissant de Mme [O] [N] en particulier, il est ajouté que le préjudice qu’elle subit est d’autant plus intense qu’elle se trouve dans un état de santé encore fragile, sur lequel il a été officiellement communiqué, ce que la société éditrice n’ignore pas pour en avoir largement relayé les détails.
Par ailleurs, si la société Prisma Média soutient que postérieurement à la publication litigieuse, M. et Mme [N] ont, lors d’un entretien accordé au journal [Localité 5] Matin (édition n° 27547 du 12 septembre 2023), évoqué eux-mêmes leurs vacances, il convient de relever qu’ils se sont cantonnés à révéler qu’ils avaient séjourné durant trois semaines au mois d’août 2023 sur l’île de Beauté, sans évoquer leur relation de couple, leur prétendue organisation familiale ou encore les activités qui les occuppés lors de leurs vacances (“La famille princière s’est offert un break en Corse au mois d’août, une fois leurs tenues de soirées du gala de la Croix-Rouge monégasque rangées au dressing. Trois semaines pour décompresser avant une rentrée synonyme de reprise des activités tambour battant.”). D’autre part, il est mentionné dans la même publication que “l’épouse du souverain n’est toujours pas blindée contre les tsunamis médiatiques dont le couple fait régulièrement les frais comme récemment au mois d’août”, l’article mentionnant à cet égard “les paparazzis, les titres racoleurs des tabloïds, les rumeurs de tension dans le couple…”, ainsi que les confidences faites par M. [Z] [N] au quotidien italien Corriere della Sera (“[O] est toujours à mes côtés. Je ne comprends pas toutes ces rumeurs qui me blessent sur le fait qu’elle vit ailleurs, en Suisse, des rencontres sur rendez-vous pour nous voir. Ce sont des mensonges.”), ces éléments venant démontrer d’une part leur lassitude à voir leurs droits de la personnalité violés, ainsi que leur volonté de démentir les informations développées dans les publications telles que l’article litigieux, étant précisé que de tels démentis ne sont en tout état de cause pas de nature à mettre totalement fin au préjudice moral dont ils souffrent.
Par ailleurs, s’il est exact que plusieurs communiqués de presse officiels de la Principauté ont fait état au cours des dernières années de la situation de santé de Mme [N], de son besoin de bénéficier d’une période de convalescence après son retour d’Afrique du Sud ou encore de son retour à [Localité 5] après plusieurs mois d’absence, force est de constater qu’au regard de leur position au sein de la Principauté, des interrogations suscitées par l’absence de Mme [N] aux événements officiels, ainsi que des nombreuses rumeurs ayant circulé à ce sujet, une telle communication apparaissait légitime, sans qu’il puisse y être décelé une quelconque complaisance de l’intéressée à faire état de sa vie privée, la teneur des informations contenues dans lesdits communiqués apparaissant très mesurée, excluant toute évocation du couple qu’elle forme avec M. [Z] [N] ou encore de ses sentiments les plus intimes, notamment à l’égard de son mari.
Quant aux entretiens accordés à M. [Z] [N] dans différentes publications, au cours desquels il a pu évoquer des informations relevant de la vie privée de son épouse, ils ne démontrent en rien une moindre aptitude de Mme [N] à éprouver le dommage causé par l’atteinte à ses droits de la personnalité, lequel doit être apprécié en sa personne.
Et à cet égard, il est relevé que cette dernière ne s’est pas épanchée, dans les interviews qu’elle a accordées au journal [Localité 5]-Matin les 25 mai et 13 décembre 2022 qui lui sont opposés, sur les sujets qu’elle reproche à la société défenderesse d’avoir abordés dans l’article litigieux, en particulier sur une prétendue séparation du couple qu’elle forme avec M. [N], son installation en Suisse, la subsistance d’un rôle d’apparat auquel elle serait cantonnée au sein de la Principauté, de même qu’elle ne s’est attardée à évoquer sa vie privée et familiale qu’en des termes convenus, soulignant sa joie d’être de retour à [Localité 5] et de retrouver son époux et leurs enfants, qualifiant sa famille de “roc” pour elle.
3 – S’agissant de M. [Z] [N], il est exact qu’il s’est à plusieurs reprises exprimé dans les médias au sujet de l’état de santé de son épouse, de son absence en raison de cet état ou encore de sa vie de famille et de son couple, dépassant largement le cadre des propos contenus dans la communication officielle plus maîtrisée de la Principauté.
Cependant, l’incidence de ce constat sur l’évaluation de son préjudice moral doit être nuancée. En effet, d’une part, ses propos ont été tenus pour expliquer l’absence de son épouse, ainsi que pour démentir les rumeurs entourant son couple. D’autre part, il est relevé qu’il n’a livré aucun détail précis sur leur relation ou encore sur l’organisation de leur vie privée et familiale concomitamment à la parution de l’article. Enfin, il importe de rappeler que les prétendues informations dont il reproche le dévoilement à la société défenderesse n’ont nullement trait à l’état de santé de son épouse, qui constitue le sujet sur lequel il s’est le plus livré.
Ainsi, au regard des éléments qui précèdent et alors que Mme [O] [N] et M. [Z] [N] ne produisent aucun élément extrinsèque à l’article ou à leurs propres déclarations dans les médias, permettant d’apprécier plus avant la gravité particulière du préjudice qu’ils revendiquent, il y aura lieu de leur allouer les sommes suivantes :
– à Mme [O] [N], la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts au titre de la violation de son droit au respect de sa vie privée et la somme de 2 500 euros de dommages-intérêts au titre de la violation de son droit à l’image,
– à M. [Z] [N] la somme de 4 000 euros de dommages-intérêts au titre de la violation de son droit au respect de sa vie privée et la somme de 2 500 euros de dommages-intérêts au titre de la violation de son droit à l’image.
[D] et [E] [N]
En premier lieu, et contrairement à ce qui est soutenu en défense, [D] et [E] [N] sont, à l’âge de neuf ans, en capacité de lire la publication litigieuse, ou à tout le moins de prendre connaissance de sa page de couverture, de même qu’ils sont susceptibles, pour être scolarisés et fréquenter des enfants de leur âge, d’être reconnus par des camarades sur les photographies en cause.
En deuxième lieu, s’il est exact qu’ils sont médiatisés par leurs parents en raison de leur position dans le [Localité 5], c’est pour l’essentiel dans le cadre de leur participation à des événements officiels qu’ils sont habituellement photographiés – à l’exception d’une photographie produite en défense les représentant à la plage, mais prenant la pose, entièrement vêtus -, ce qui est sans aucun rapport avec l’exposition dont ils font l’objet dans la publication litigieuse, les dévoilant d’une part, profitant en toute insouciance de moments de détente et de loisirs, et d’autre part, en tenue de bain, partiellement dénudés.
Partant, il doit être retenu qu’ils subissent un préjudice moral résultant des atteintes causées à leur droit à l’image, dont l’étendue doit être appréciée en considération de :
– la nature des photographies en cause, les représentant dans des moments de détente et de loisirs, et en tenue de bain, partiellement dénudés,
– l’ampleur donnée à leur exposition par l’annonce sensationnaliste de l’article en page de couverture du magazine,
– l’importance, non contestée, de la diffusion du magazine Voici, qui jouit d’une large visibilité et touche un public nombreux, l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat d’un magazine étant de nature à accroître le préjudice.
En revanche, ils ne sont pas fondés à invoquer le trouble suscité par “la frénésie médiatique” dont leur mère ferait l’objet ou encore par leur séparation durant plusieurs mois, qui sont étrangers à l’atteinte causée spécifiquement à leur droit à l’image par la publication des photographies litigieuses.
Au regard des éléments qui précèdent et alors qu’il n’est produit aucun élément extrinsèque à l’article permettant d’apprécier plus avant la gravité particulière du préjudice qu’ils revendiquent, il y aura lieu de leur allouer à chacun la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi à la suite de l’atteinte portée au droit dont ils disposent sur leur image.
Les demandes accessoires
La société Prisma Média, qui perd le procès, sera condamnée aux dépens, ainsi qu’ à payer à Mme [O] [N] et à M. [Z] [N] la somme de 2 000 euros chacun, ainsi qu’à chacun de leurs enfants, représentés par Mme [O] [N], la somme de 1 000 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile, soit la somme totale de 6 000 euros.
Il sera rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision par application des dispositions de l’article 514 du code de procédure civile.
Statuant par décision contradictoire, rendue en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
Condamne la société Prisma Média à payer à Mme [O] [N], en réparation du préjudice causé par l’atteinte à ses droits de la personnalité par la publication du numéro 1 863 daté du 18 au 24 août 2023 du magazine Voici les sommes de :
– 5 000 euros au titre du droit au respect de sa vie privée,
– 2 500 euros au titre du droit sur son image,
Condamne la société Prisma Média à payer à M. [Z] [N], en réparation du préjudice causé par l’atteinte à ses droits de la personnalité par la publication du numéro 1 863 daté du 18 au 24 août 2023 du magazine Voici les sommes de :
– 4 000 euros au titre du droit au respect de sa vie privée,
– 2 500 euros au titre du droit sur son image,
Condamne la société Prisma Média à payer à M. [D] [N] et à Mme [E] [N], représentés par leur représentante légale, Mme [O] [N], la somme de 2 500 euros chacun, en réparation du préjudice causé par l’atteinte à leur droit à l’image, par la publication du numéro 1 863 daté du 18 au 24 août 2023 du magazine Voici,
Condamne la société Prisma Média à supporter les dépens de l’instance,
Condamne la société Prisma Média à payer en application de l’article 700 du code de procédure civile à :
– Mme [O] [N] la somme de 2 000 euros,
– M. [Z] [N] la somme de 2 000 euros,
– M. [D] [N], représenté par sa représentante légale, Mme [O] [N], la somme de 1 000 euros,
– Mme [E] [N], représentée par sa représentante légale, Mme [O] [N], la somme de 1 000 euros,
Rappelle que l’exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions est de droit.
Jugement signé par Sandrine GIL, 1ère Vice-présidente et par Henry SARIA, Greffier présent lors du prononcé.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,