La révocation abusive du gérant

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La révocation abusive du gérant

M. [T] [S] et Mme [K] [L] ont fondé la société Alliance Fleurs en 2015, avec Mme [L] comme gérante. En octobre 2020, lors d’une assemblée générale, Mme [L] a été révoquée de ses fonctions de gérante, son mari prenant sa place, alors qu’ils étaient en instance de divorce. En juin 2021, Mme [L] a assigné la société en justice, arguant d’une révocation abusive et demandant 30 000 euros de dommages et intérêts. Le tribunal de commerce de Bordeaux a rendu un jugement en juin 2022, condamnant la société à verser 12 000 euros à Mme [L] et 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, tout en déboutant Mme [L] du reste de ses demandes. La société a fait appel de ce jugement. Les parties ont tenté une médiation sans succès. Dans ses écritures, la société a soutenu que la révocation était justifiée, tandis que Mme [L] a demandé la confirmation du jugement initial et des indemnités supplémentaires pour privation de rémunération. L’affaire a été plaidée en mai 2024, sans la présence du conseil de la société appelante.
– Conformément à l’article L 223-25 du Code de commerce, le gérant peut être révoqué par décision des associés dans les conditions de l’article L. 223-29, à moins que les statuts prévoient une majorité plus forte. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages et intérêts.

– En application de l’article 17 des statuts, le gérant a droit à un traitement qui est fixé par décision ordinaire des associés ainsi qu’au remboursement de ses frais de représentation et de déplacement.

– Selon les dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, la société Alliance Fleurs sera condamnée à verser la somme de 3000 euros à Mme [K] [L].

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

2 septembre 2024
Cour d’appel de Bordeaux
RG
22/03095
COUR D’APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 02 SEPTEMBRE 2024

N° RG 22/03095 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MYWR

S.A.R.L. ALLIANCE FLEURS

c/

Madame [K] [L]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 juin 2022 (R.G. 2021F00631) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 28 juin 2022

APPELANTE :

S.A.R.L. ALLIANCE FLEURS, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]

représentée par Maître Nadine PLA de la SELARL NADINE PLA AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

Madame [K] [L], née le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 4], de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représentée par Maître Genséric ARRIUBERGE, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 mai 2024 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

M. [T] [S] et son épouse Mme [K] [L] ont créé, selon statuts du 10 novembre 2015, la société Alliance Fleurs, exerçant une activité de magasin de fleurs, M. [S] détenant 52% du capital et son épouse le surplus.

Madame [L] a été nommée gérante.

Lors de l’assemblée générale ordinaire du 27 octobre 2020, il a été mis fin au mandat de gérante de Mme [L] qui a été remplacée par son époux, étant précisé que le couple était en instance de divorce.

Par acte de commissaire de justice du 11 juin 2021, Mme [L] a assigné la société Alliance Fleurs devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de voir juger qu’elle avait été démise de ses fonctions de gérante sans justes motifs et de manière abusive et de voir ainsi condamner la défenderesse à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement contradictoire du 3 juin 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué comme suit :

Condamne la société Alliance Fleurs à régler à Madame [K] [L] la somme de 12.000 euros au titre des dommages et intérêts ;

Déboute Madame [K] [L] du surplus de ses demandes ;

Condamne la société Alliance Fleurs SARL à régler à Madame [K] [L] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Alliance Fleurs SARL aux entiers dépens de l’instance.

Par déclaration au greffe du 28 juin 2022, la SARL Alliance Fleurs a relevé appel du jugement et a intimé Mme [L].

Les parties ont été enjointes à entrer en médiation, sans qu’un accord ne soit trouvé.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 8 septembre 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Alliance Fleurs demande à la cour de :

Vu le code du commerce

Vu la jurisprudence

Vu les pièces du dossier

Constater que la révocation de Madame [K] [L] de ses fonctions de gérante repose sur de justes motifs ;

En conséquence :

Dire l’appel interjeté par la SARL Alliance Fleurs est recevable et bien fondé ;

Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 3 juin 2022 en ce qu’il a condamné la SARL Alliance Fleurs à verser à Madame [L] la somme de 12 000 euros, outre 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens ;

Débouter Madame [L] de l’ensemble de ses prétentions ;

Condamner Madame [K] [L] à verser à la SARL Alliance Fleurs un montant de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Madame [K] [L] aux entiers frais et dépens de la procédure dont distraction au profit de Maître Nadine PLA, Avocat au Barreau de Bordeaux.

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 28 novembre 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, Madame [K] [L] demande à la cour de :

Vu l’article L. 223-25 du code de commerce,

Vu la jurisprudence citée,

Vu le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 3 juin 2022 (RG2021F00631),

Vu les pièces versées au débats

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que madame [L] a été démise de ses fonctions de gérante sans justes motifs,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SARL Alliance Fleurs à lui payer la somme de 19.000 euros de dommages et intérêts pour révocation abusive et sans justes motifs,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [L] de sa demande indemnitaire pour privation abusive du droit à rémunération pour 2019 et 2020,

Condamner la SARL Alliance Fleurs à payer à Madame [L] de la somme de 19.000 euros à titre de dommages intérêts pour privation abusive du droit à rémunération pour 2019 et 2020.

Condamner la Sarl Alliance Fleurs à payer à Madame [L] de la somme supplémentaire de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel, outre les entiers dépens d’instance en ce compris les frais d’exécution ;

L’ordonnance de clôture est intervenue le 13 mai 2024 et l’affaire a été plaidée à l’audience du 27 mai 2024. Le conseil de l’appelante n’a pas comparu et n’a pas déposé ses pièces.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’appel principal :

1- L’appelante soutient que le tribunal a, à tort, retenu que la révocation de Mme [L] de ses fonctions avait été décidée sans juste motif. Elle fait ainsi valoir que la révocation de celle-ci a été motivée par de nombreux motifs graves démontrant l’intention de nuire de l’intimée, à savoir notamment un comportement agressif et inadapté envers les clients, le vol d’un vélo triporteur et d’un téléviseur, l’installation à son domicile d’un ordinateur aux frais de la société et l’embauche de complaisance de son fils.

2- L’intimée rétorque qu’il n’est justifié d’aucun juste motif à son encontre, que la société appelante ajoute de nouveaux motifs par rapport à ceux de son courrier du 7 octobre 2020 faisant état des motifs à l’origine de la révocation de son mandat et que cette révocation est une mesure de représailles à son action en divorce.

Sur ce :

3- Aux termes de l’article L 223-25 du code de commerce, le gérant peut être révoqué par décision des associés dans les conditions de l’article L. 223-29, à moins que les statuts prévoient une majorité plus forte. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages et intérêts.

4- En l’espèce, la société appelante ne produit aucune pièce justificative des griefs qu’elle allègue à l’encontre de l’intimée et qui démontrerait l’existence d’un juste motif de révocation.

5- La décision de première instance sera ainsi confirmée.

Sur l’appel incident :

6- L’intimée explique qu’elle n’a plus perçu de rémunération pour l’exercice de ses fonctions de gérante à compter de la date de sa séparation d’avec son conjoint, celui-ci abusant de sa position dominante dans la société pour refuser de voter sa rémunération pour les années 2019 et 2020. Elle explique qu’elle ne pouvait prétendre à une rémunération si celle-ci n’avait pas été votée.

7- L’appelante n’a pas répondu à cette prétention.

Sur ce :

8- L’article 17 des statuts stipule que le gérant a droit à un traitement qui est fixé par décision ordinaire des associés ainsi qu’au remboursement de ses frais de représentation et de déplacement.

9- En l’espèce, aucune rémunération n’a été fixée pour les années 2019 et 2020.

10- Mme [L] argue d’un ‘abus de position dominante’ de son conjoint, sans viser aucun texte. A la lecture des conclusions, il semblerait qu’elle vise en réalité un abus de majorité. Cependant, celle-ci n’a pas sollicité la nullité de la décision d’assemblée générale ayant rejeté la résolution fixée à sa demande visant à voir fixer sa rémunération et n’a pas attrait dans la cause M. [S] afin de voir engager sa responsabilité.

11- Les premiers juges ont pu ainsi à bon droit la débouter de sa demande.

Sur les demandes accessoires :

12- La société Alliance Fleurs qui succombe sera condamnée aux dépens d’appel.

13- Elle sera condamnée à verser la somme de 3000 euros à Mme [K] [L] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour

statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,

Confirme la décision du tribunal de commerce de Bordeaux du 3 juin 2022,

y ajoutant,

Condamne la société Alliance Fleurs aux dépens d’appel.

Condamne la société Alliance Fleurs à verser la somme de 3000 euros à Mme [K] [L] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


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