La responsabilité des experts-comptables

·

·

La responsabilité des experts-comptables

La Sci Le Pressoir, gérée par M. [B] [M], a engagé M. [W] [H] comme expert-comptable par une lettre de mission en septembre 2010. En juillet 2020, la Sci a résilié unilatéralement le contrat, invoquant des manquements de M. [W] [H]. Ce dernier a réclamé le paiement de 36 720 euros pour des honoraires impayés, puis a assigné la Sci devant le tribunal en février 2022. M. [W] [H] est décédé en avril 2022, et ses ayants droit ont repris la procédure en septembre 2022. La clôture de la mise en état a été ordonnée en février 2024. En mai 2024, la Sci a demandé la révocation de cette ordonnance pour produire un jugement d’un tribunal de proximité, tandis que les consorts [H] ont contesté cette demande. Les consorts [H] réclament des paiements pour les honoraires dus et des dommages, tandis que la Sci conteste la validité de ces demandes, invoquant la prescription et des manquements de M. [W] [H]. La Sci demande également des réparations pour la rétention abusive de documents comptables.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

24 septembre 2024
Tribunal judiciaire d’Évreux
RG
22/03043
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE D’ EVREUX

AUDIENCE PUBLIQUE – CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 24 SEPTEMBRE 2024

MINUTE N° : 2024/

N° RG 22/03043 – N° Portalis DBXU-W-B7G-HA7A
NAC : 56B Demande en paiement du prix, ou des honoraires formée contre le client et/ou tendant à faire sanctionner le non-paiement du prix, ou des honoraires

CONTENTIEUX – Chambre 1

DEMANDEURS :

Madame [L] [T],
Née le 03 juin 1934 à [Localité 9]
Retraitée
demeurant [Adresse 1] –
[Localité 6]

Madame [P] [H],
Née le 5 décembre 1958 à [Localité 11]
Finance partner
demeurant [Adresse 7] [Localité 10] ([Localité 10])

Monsieur [D] [H],
Né le 01 mars 1960 à [Localité 8]
Agent d’assurance
demeurant [Adresse 3]
– [Localité 5]

Représentés par Me Philippe BERTEAUX, membre de la société WB LEGAL avocat au barreau de PARIS (avocat plaidant) et par Me Laurent SPAGNOL,membre de la Société d’avocats SPAGNOL DESLANDES MELO, avocat au barreau de l’EURE (avocat postulant)

DEFENDEUR :

La S.C.I. LE PRESSOIR
Immatriculée au RCS D’EVREUX sous le numéro 525 204 541.
Prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié audit siège
Ayant son siège social sis [Adresse 4] – [Localité 2]

Représentée par Me Ondine PREV0TEAU, avocat au barreau de LILLE(avocat plaidant) et par Me Jamellah BALI,membre de la SCP BALI COURQUIN JOLLY PICARD avocat au barreau de l’EURE(avocat postulant)

N° RG 22/03043 – N° Portalis DBXU-W-B7G-HA7A – jugement du 24 septembre 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Lors des débats : Madame Marie LEFORT, Présidente, qui a entendu les plaidoiries comme juge rapporteur, sans opposition des parties et en a rendu compte lors du délibéré à la collégialité constituée de :

– Madame Marie LEFORT, présidente
– Madame Béatrice THELLIER, juge
– Madame Anne-Caroline HAGTORN, juge

lesquelles ont délibéré conformément à la loi

en présence de :
[K] [O], auditrice de justice

GREFFIER : Madame Aurélie HUGONNIER

en présence de :
[N] [X], greffier stagiaire

DÉBATS :

En audience publique du 11 Juin 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré au 24 septembre 2024.

JUGEMENT :

– au fond,
– contradictoire, rendu publiquement et en premier ressort,
– mis à disposition au greffe,
– rédigé par Madame Marie LEFORT,
– signé par Madame Marie LEFORT, première vice-Présidente et Madame Aurélie HUGONNIER, greffier

EXPOSE DU LITIGE

La Sci Le Pressoir a pour activité principale l’acquisition et l’exploitation par bail, location ou autrement, de tous biens ou droits immobiliers. Elle fait partie d’un groupe de sociétés dont le gérant est M. [B] [M].
Par lettre de mission du 14 septembre 2010, M. [B] [M] a fait appel aux services de M. [W] [H], en sa qualité d’expert-comptable, afin que celui-ci réalise différentes prestations comptables pour le compte de la Sci Le Pressoir.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 08 juillet 2020, la Sci a mis fin unilatéralement à la relation contractuelle liant les parties reprochant à M. [W] [H] divers manquements.
Il est précisé dans ce courrier que la résiliation a pris effet immédiatement.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 03 décembre 2020, M. [W] [H] a mis en demeure la Sci Le Pressoir de lui payer la somme de 36 720 euros au titre du solde des honoraires dus pour les prestations comptables réalisées entre 2014 et 2019.
Par acte de commissaire de justice délivré le 22 février 2022, M. [W] [H] a assigné la Sci Le Pressoir devant le tribunal judiciaire d’Evreux afin d’obtenir le paiement de la somme susvisée, ainsi que l’indemnisation de ses préjudices.
M. [W] [H] est décédé le 17 avril 2022.
Par ordonnance du 09 mai 2022, le juge de la mise en état a constaté l’interruption de l’instance.
Le 09 septembre 2022, Mme [L] [T], Mme [P] [H] et M. [D] [H] (ci-après dénommés les consorts [H]) en leur qualité d’ayant-droit de M. [W] [H], ont repris la procédure et déposé des conclusions valant réinscription au rôle.
La clôture de la mise en état a été ordonnée le 19 février 2024.
Par conclusions d’incident notifiées par voie électronique le 15 mai 2024, la Sci Le Pressoir a sollicité la révocation de l’ordonnance de clôture afin de lui permettre de produire le jugement rendu par le tribunal de proximité de Louviers le 09 février 2024.
Dans leurs écritures en réponse notifiées par voie électronique le 22 mai 2024, les consorts [H] ont conclu au rejet de la demande de révocation de l’ordonnance de clôture.

PRÉTENTIONS ET MOYENS ET MOYENS DES PARTIES

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 06 novembre 2023, Mme [L] [T], Mme [P] [H] et M. [D] [H] demandent au tribunal de :
condamner la Sci le Pressoir à leur payer la somme de 36 720 euros TTC au titre des honoraires impayés de M. [W] [H],condamner la Sci Le Pressoir à leur payer la somme de 3 960 euros correspondant à six mois de prestations comptables au titre de la rupture du contrat sans préavis, assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 03 décembre 2020,débouter la Sci le Pressoir de ses demandes,condamner la Sci le Pressoir à leur payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Pour s’opposer à la demande de révocation de l’ordonnance de clôture, ils soutiennent, au visa de l’article 803 du code de procédure civile, que la Sci Le Pressoir avait, à la date de l’ordonnance de clôture, connaissance du jugement rendu par le tribunal de proximité de Louviers et que cette décision ne présente pas de lien avec la présente procédure de sorte que la preuve d’une cause grave n’est pas rapportée.
Pour s’opposer à la demande d’irrecevabilité, ils exposent, au visa de l’article 2240 du code civil, que le délai de prescription de la demande en paiement au titre du solde des honoraires a été valablement interrompu par le versement de six acomptes par la Sci Le Pressoir entre le 05 juillet 2018 et le 05 décembre 2018 ; que par ailleurs, en application de l’article 1342-10 du code civil, la Sci Le Pressoir n’ayant pas demandé d’affectation spéciale lors du paiement partiel, l’imputation de sa créance doit se faire sur l’échéance la plus ancienne, soit sur les honoraires au titre des travaux comptables de 2014, de sorte que l’action en paiement portant sur les honoraires dus au titre des années 2014 et 2015 n’est pas prescrite.
Au soutien de leur demande en paiement de la somme de 36 720 euros, ils font valoir, au visa de l’article 1103 du code civil, que la Sci Le Pressoir a manqué à son obligation de paiement des honoraires de M. [W] [H] malgré les relances qui lui ont été adressées et que M. [B] [M] a accepté les termes de la lettre de mission signée le 14 septembre 2010.
En réponse aux moyens soulevés par la Sci Le Pressoir, ils soutiennent que M. [W] [H] a établi la présentation des comptes annuels, la comptabilité et les déclarations fiscales pour le compte de la Sci le Pressoir au titre des années 2014 à 2019.
Ils précisent que le mode de facturation des honoraires était contractuellement prévu dans la lettre de mission du 14 septembre 2010 et qu’en toute hypothèse, les règlements partiels, sans contestation de la part de la Sci Le Pressoir, ainsi que la signature du relevé d’honoraires du 31 octobre 2019 par M. [B] [M] valent acceptation tacite du montant des honoraires.
S’agissant des manquements contractuels allégués par la Sci Le Pressoir pour justifier la résiliation immédiate du contrat ils affirment que ceux-ci ne concernent que la Sas Arts Square et ne peuvent de ce fait être invoqués.
Pour s’opposer à la demande reconventionnelle en dommages et intérêts au titre de la rétention abusive des documents comptables, ils soutiennent, au visa de l’article 5 des conditions générales de la lettre de mission du 14 septembre 2010, qu’en l’absence de paiement des honoraires, le droit de rétention des documents exercé par M. [W] [H] était légitime. Ils précisent que l’ensemble des documents litigieux ont été restitués et qu’en toute hypothèse, la Sci Le Pressoir ne justifie pas du préjudice subi.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 05 février 2024, la Sci le Pressoir sollicite du tribunal de :
déclarer Mme [L] [T], Mme [P] [H] et M. [D] [H] prescrits en leur demande en paiement du solde des honoraires, débouter Mme [L] [T], Mme [P] [H] et M. [D] [H] de leurs demandes,à titre reconventionnel, condamner Mme [L] [T], Mme [P] [H] et M. [D] [H] à lui payer la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi au titre de la rétention abusive des documents comptables, condamner Mme [L] [T], Mme [P] [H] et M. [D] [H] à lui payer la somme de 2 160 euros au titre de la surfacturation abusive, condamner Mme [L] [T], Mme [P] [H] et M. [D] [H] à lui payer la somme de 10 000 euros pour procédure abusive,condamner Mme [L] [T], Mme [P] [H] et M. [D] [H] à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens. Au soutien de sa demande de révocation de l’ordonnance de clôture, la Sci Le Pressoir fait valoir, au visa de l’article 803 du code de procédure civile, que par jugement du 09 février 2024, le tribunal de proximité de Louviers a débouté les héritiers de M. [W] [H] de leur demande en paiement des honoraires de ce dernier formée contre la Sci L’atelier, laquelle est membre du groupe de sociétés auquel la Sci Le Pressoir appartient.
Elle ajoute que cette décision lui a été communiquée postérieurement à l’ordonnance de clôture et que la production de cette pièce présente un intérêt pour l’issue du présent litige et pour une bonne administration de la justice afin d’éviter une contradiction de décisions.
Au soutien de sa demande d’irrecevabilité, elle expose, au visa de l’article 2224 du code civil, que l’action en paiement concernant les notes d’honoraires des 28 janvier 2015 et 12 septembre 2016 est prescrite pour la somme de 14 400 euros.
En réponse aux moyens soulevés par les consorts [H], elle soutient d’abord que les six règlements litigieux ne correspondent pas à un acompte sur la note d’honoraires globale établie par M. [W] [H], de sorte qu’ils ne valent pas reconnaissance de la dette et qu’ils n’ont pas pu interrompre valablement le délai de prescription.
Elle ajoute ne pas avoir été en mesure de procéder à l’imputation spéciale de ses règlements sur les factures les plus anciennes.
Pour s’opposer à la demande en paiement de la somme de 36 720 euros, elle expose d’abord que les consorts [H] ne rapportent pas la preuve qui leur incombe de l’existence des prestations comptables réalisées pour les années 2014 à 2019, de sorte que la créance réclamée n’est pas justifiée en son principe.
Elle soutient ensuite que la lettre de mission du 14 septembre 2010 prévoit que les honoraires sont déterminés au temps passé, alors même que les factures d’honoraires font état d’une rémunération forfaitaire, de sorte que la créance réclamée n’est pas justifiée en son montant.
Elle ajoute que les règlements partiels, ainsi que la signature de M. [B] [M] sur le relevé des honoraires du 31 octobre 2019 ne peuvent valoir reconnaissance du montant total des honoraires réclamés par les ayants droit [H].
Pour s’opposer à la demande en paiement pour la somme de 3 960 euros, elle soutient, au visa de l’article 1184 ancien du code civil, que M. [W] [H] a commis de nombreux manquements au titre de la gestion comptable de la Sci Le Pressoir et des autres sociétés du groupe, de sorte que la résiliation sans préavis du contrat était justifiée.
Elle ajoute que la somme réclamée n’est pas justifiée dans son quantum.
Au soutien de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 5 000 euros, elle reproche d’abord à M. [W] [H], au visa de l’article 168 du décret n°2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l’exercice de l’activité d’expertise-comptable, d’avoir procédé à une rétention abusive de documents comptables lui appartenant.
Elle fait ensuite valoir que cette faute lui a causé un préjudice de désorganisation dès lors que l’entreprise Terre d’Entrepreneurs, qui a repris la gestion comptable et sociale du groupe dirigé par M. [B] [M], n’a pu avoir de visibilité sur la situation financière de la Sci Le Pressoir pour établir les comptes de gestion.
Au soutien de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 2 160 euros, elle invoque un abus dans la fixation de ses honoraires commis par M. [W] [H] au titre des années 2014 à 2018. Elle précise que la juste rémunération de l’expert-comptable doit être fixée à la somme forfaitaire de 3 840 euros HT pour les quatre années de prestations comptables réalisées, de sorte qu’il existe un trop-perçu d’honoraires à hauteur de la différence.

MOTIFS

1.Sur la demande de révocation de l’ordonnance de clôture
En application de l’article 803 du code de procédure civile, l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue. L’ordonnance de clôture peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l’ouverture des débats, par décision du tribunal.
En l’espèce, la Sci Le Pressoir se prévaut d’un jugement rendu par le tribunal de proximité de Louviers, le 09 février 2024, dont il ressort que les ayants droit [H] ont été déboutés de leur demande en paiement d’honoraires au titre des prestations comptables exécutées par M. [W] [H] au profit de la Sci L’Atelier.
Toutefois, cette décision a été rendue avant la clôture de l’instruction du 19 février 2024 et la Sci Le Pressoir n’établit pas qu’elle aurait été empêchée d’en avoir connaissance à cette date ou à tout le moins jusqu’à la clôture.
En tout état de cause, la décision rendue le 09 février 2024 n’a pas le même objet que la présente procédure et ne concerne pas les mêmes parties, peu important que la Sci L’atelier soit membre du groupe de sociétés auquel appartient la Sci Le Pressoir, de sorte qu’il n’est pas démontré que la production de cette décision a un intérêt pour l’issue du présent litige.
Il s’ensuit que la demande de révocation de l’ordonnance de clôture n’est pas fondée.
La Sci Le Pressoir sera déboutée de sa demande de ce chef et il y a lieu de rejeter la communication de la pièce correspondant au jugement du 9 février 2024.

2.Sur la recevabilité de la demande en paiement au titre du solde des honoraires
1L’article 789 du code de procédure civile dispose que lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :

1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et les incidents mettant fin à l’instance ;

2° Allouer une provision pour le procès ;

3° Accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l’exécution de sa décision à la constitution d’une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522 ;

4° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d’un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;

5° Ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction ;

6° Statuer sur les fins de non-recevoir.

S’agissant des fins de non-recevoir, les dispositions susvisées s’appliquent aux procédures introduites à compter du 1er janvier 2020.

Il en résulte que le tribunal est incompétent pour statuer sur la fin de non- recevoir soulevée par la Sci Le Pressoir dans ses conclusions au fond et que la demande de ce chef est irrecevable.

3.Sur le bien-fondé des demandes en paiement
En application des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Sur la demande en paiement au titre du solde des honoraires d’expert-comptable
Selon l’article 158 du décret du 30 mars 2012 relatif à l’exercice de l’activité d’expertise comptable, les honoraires sont fixés librement entre le client et les experts-comptables ou les professionnels ayant été autorisés à exercer partiellement l’activité d’expertise comptable en fonction de l’importance des diligences à mettre en œuvre, de la difficulté des cas à traiter, des frais exposés ainsi que de la notoriété de l’expert-comptable ou du professionnel.
Ils peuvent être fixés soit sur une base forfaitaire, soit en fonction du temps réel passé sur le dossier facturé.
En l’espèce, il ressort des pièces du dossier, et notamment de la lettre de mission du 14 septembre 2010, que M. [W] [H] s’est engagé auprès de la Sci Le Pressoir à réaliser les prestations contractuelles suivantes :
l’établissement de la comptabilité,l’établissement des déclarations fiscales,le suivi en matière juridique.Il est précisé dans le tableau annexé à cette lettre de mission la répartition des travaux comptables entre la Sci Le Pressoir et M. [W] [H], l’intervention de ce dernier portant exclusivement sur les prestations suivantes :
la tenue des journaux banque,la tenue des journaux caisse,la tenue des journaux d’opération diverses,l’enregistrement des factures de vente,l’établissement et le contrôle des états de rapprochements bancaires,l’établissement et la présentation des états comparatifs en fin d’exercice,la révision des comptes annuels,la tenue des registres légaux.Il est également précisé que M. [W] [H] pouvait intervenir de manière complémentaire pour établir le budget prévisionnel de la Sci Le Pressoir à la demande de celle-ci.
Les consorts [H] produisent les pièces suivantes :
le grand livre des comptes, les liasses fiscales de l’année 2015 et la déclaration de l’impôt sur les sociétés pour les revenus de l’année 2015, dont il ressort que M. [W] [H] a réalisé les diligences comptables, juridiques et fiscales qui lui incombaient au titre de l’année 2015. le procès-verbal de constat d’huissier établi le 15 mars 2023 par Me [F], mandaté par M. [B] [M] pour récupérer les documents comptables stockés dans le cabinet de M. [W] [H], qui fait état de plusieurs cartons d’archives contenant des documents comptables établis pour le compte de la Sci Le Pressoir entre 2013 et 2015 et dont le contenu a été vérifié ; ce procès-verbal d’huissier fait également état de la présence d’autres cartons contenant les bilans comptables au titre des années 2015 à 2019, ainsi que les documents nécessaires à l’établissement des déclarations fiscales de la Sci Le Pressoir au titre des années 2016 à 2020. Au regard de ces éléments, les consorts [H] rapportent la preuve qui leur incombe de la réalisation effective par M. [W] [H] des prestations comptables et fiscales de la Sci Le Pressoir entre 2014 et 2019 conformément à son engagement contractuel.
Il s’ensuit que la créance au titre des honoraires d’expert-comptable pour les années 2014 à 2019 est certaine et exigible en son principe.
S’agissant du montant, il est mentionné dans la lettre de mission du 14 septembre 2010 que « les honoraires sont déterminés au temps passé et suivant le barème ci-dessous :
TAUX HORAIRE H.T. BASE SUR L’ANNEE 2011
Expertise 90.00 euros
Social et comptable 42.00 euros
Révision 60.00 euros
Secrétariat 60.00 euros.
Ces taux horaires feront l’objet d’une révision annuelle en fonction de l’évolution de coût de la vie. A la demande, un état des heures pourra être fourni pour chaque discipline. La continuation de la mission implique le paiement régulier des honoraires. »
Il ressort de l’article 5 des conditions générales d’intervention annexées à la lettre de mission, intitulé « HONORAIRES », que :
« Le membre de l’Ordre reçoit du client des honoraires librement convenus qui sont exclusifs de toute autre rémunération, même indirecte. Il est remboursé de ses frais de déplacement et débours. Des provisions sur honoraires peuvent être demandées périodiquement.
En cas de non-paiement des honoraires, le membre de l’Ordre bénéficie du droit de rétention dans les conditions de droit commun ».
Les consorts [H] produisent un relevé d’honoraires du 31 octobre 2019 dont il ressort que :
les factures d’honoraires au titre des prestations comptables réalisées entre 2014 et 2018 ont été comptabilisées à hauteur de 36 000 euros TTC, ces montants étant justifiés par les factures versées aux débats,la facture d’honoraires au titre des prestations comptables réalisées pour l’année 2019 a été comptabilisée à hauteur de 6 600 euros HT, soit 7 920 euros TTC, ce montant étant justifié par la facture du 31 octobre 2019 versée aux débats,les paiements effectués par la Sci Le Pressoir entre le 05 juillet et le 05 décembre 2018 ont été déduits à hauteur de 7 200 euros, ces règlements n’étant pas contestés par la Sci Le Pressoir. Il ressort des factures qui ont été émises entre le 28 janvier 2015 et le 29 mars 2019, que les honoraires de l’expert-comptable ont été fixés sur une base forfaitaire de 6 000 euros HT par année, ce qui est contraire aux dispositions contractuelles de la lettre de mission du 14 septembre 2010, laquelle prévoit expressément la fixation des honoraires au temps passé.
Il ressort également de la facture du 31 octobre 2019 que les honoraires de l’expert-comptable ont été fixés sur une base forfaitaire de 6 600 euros HT pour l’année 2019, ce qui est contraire aux dispositions contractuelles de la lettre de mission.
Le paiement partiel d’une facture d’honoraires, après service rendu, ne vaut acceptation de l’honoraire qu’à hauteur de ce qui a été payé, à défaut de toute autre manifestation de la volonté du débiteur de payer le reliquat, de sorte que les six règlements versés par la Sci Le Pressoir pour un montant total de 7 200 euros ne suffisent pas à établir son acceptation du solde réclamé à hauteur de 36 720 euros.
Ces paiements partiels ne suffisent pas davantage à établir l’acceptation non équivoque de la Sci Le Pressoir des modalités de facturation des honoraires de l’expert-comptable selon une base forfaitaire.
La signature du relevé d’honoraires du 31 octobre 2019 par M. [B] [M], en l’absence de mention « bon pour accord », ne suffit pas non plus à établir la volonté du débiteur de payer le reliquat des honoraires facturé par M. [W] [H].
Il ressort d’ailleurs des mails et des courriers échangés entre M. [W] [H] et M. [B] [M] courant 2020 que le groupe de sociétés dont fait partie la Sci Le Pressoir connaissait des difficultés financières importantes depuis plusieurs années et que les désaccords des parties se sont cristallisés en 2020 autour de la facturation des honoraires d’expert-comptable que la Sci Le Pressoir estimait être disproportionnés.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le solde d’honoraires réclamés n’est pas justifié par les dispositions contractuelles ni par une reconnaissance du débiteur.
Par conséquent, les consorts [H] seront déboutés de leur demande en paiement de ce chef.
Sur la demande en paiement au titre de la rupture sans préavis du contrat
En application de l’article 1224 du code civil, la résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice.
L’article 2 des conditions générales d’intervention annexées à la lettre de mission du 14 septembre 2010, intitulé « DUREE DE LA MISSION » prévoit que :
« Les missions sont confiées pour une durée indéterminée. Le client ne peut interrompre la mission en cours qu’après en avoir informé l’expert-comptable, par lettre recommandée avec accusé de réception, six mois avant la date d’effet de la rupture et sous réserve de lui régler les honoraires dus pour les travaux déjà effectués, et ceux restant à courir jusqu’à la fin du délai de prévenance.
Lorsque la mission est suspendue pour cause de force majeure, les délais de remise des travaux seront prolongés pour une durée égale à celle de la suspension. Pendant la période de suspension, les dispositions des articles 3, 4 et 5 suivants demeurent applicables ».
En l’espèce, il ressort des pièces du dossier, et notamment de la lettre recommandée avec accusé de réception du 08 juillet 2020, que la Sci Le Pressoir a mis fin unilatéralement, sans préavis, à la relation contractuelle liant les parties.
Dans cette lettre, il est fait référence, de manière générale, à des manquements contractuels commis par M. [W] [H] dont le contexte et le contenu ne sont toutefois pas précisés.
Dans ses dernières conclusions, la Sci Le Pressoir invoque les manquements contractuels suivants :
une erreur d’imputation d’une charge exceptionnelle de 138 923 euros dans le compte de résultat de l’exercice comptable 2019, une erreur sur les bulletins de paie d’un membre du personnel de la Sas Arts Square ayant généré un trop-perçu de salaire de 1 304,68 euros,des irrégularités au titre de la gestion du personnel de la Sas Arts Square, notamment des modifications injustifiées de taux horaires et des oublis de versement de prime annuelle conventionnelle. Toutefois, il ressort des mails échangés courant 2020 entre l’entreprise Terre d’Entrepreneurs, mandatée pour reprendre la gestion comptable de la Sci Le Pressoir, et M. [B] [M], que les manquements contractuels allégués concernent exclusivement la Sas Arts Square, peu important que celle-ci soit membre du groupe de sociétés auquel appartient la Sci Le Pressoir.
Il en résulte que l’existence de manquements graves justifiant la rupture unilatérale sans préavis du contrat liant les parties n’est pas établie.
Il s’ensuit que la rupture injustifiée du contrat est abusive et que la créance réclamée par les consorts [H] est fondée en son principe.
La somme de 3 960 euros réclamée à titre de dommages et intérêts est donc justifiée, tant en son principe qu’en son montant.
La Sci Le pressoir sera donc condamnée au paiement de cette somme au profit des consorts [H].
Les intérêts au taux légal sont dus à compter du jugement conformément à l’article 1231-7 du code civil.

4.Sur les demandes reconventionnelles en dommages et intérêts
Sur la demande en dommages et intérêts au titre de la rétention abusive des documents comptables par M. [W] [H]
En application de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il appartient au demandeur de rapporter la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre cette faute et le préjudice subi.
Selon l’article 1948 du même code, le dépositaire peut retenir le dépôt jusqu’à l’entier paiement de ce qui lui est dû à raison du dépôt.
L’article 168 du décret du 30 mars 2012 relatif à l’exercice de l’activité d’expertise comptable prévoit que l’expert-comptable informe le président du conseil régional de l’ordre de la circonscription dans laquelle il est inscrit de tout litige contractuel qui le conduit à envisager de procéder à la rétention des travaux effectués faute de paiement des honoraires par le client.
Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le droit de rétention des documents comptables est soumis aux conditions particulières suivantes :
l’existence d’une créance certaine, liquide et exigible,la rétention de documents incorporant un travail de la part du professionnel,un lien entre la nature des documents retenus et la mission réalisée par le professionnel.Enfin, l’application du droit de rétention par l’expert-comptable impose le respect de différentes formalités tenant à l’épuisement préalable des voies de conciliation possibles, à l’information du client par lettre recommandée avec accusé de réception de l’exercice de son droit de rétention et à l’information du président du conseil régional du litige contractuel l’amenant à exercer ce droit.
En l’espèce, il ressort des pièces du dossier, notamment de la lettre recommandée du 08 juillet 2020 et des mails échangés entre M. [W] [H] et l’entreprise Terre d’Entrepreneur entre septembre 2020 et mai 2021, que la transmission des documents comptables détenus par M. [W] [H] a été sollicitée postérieurement à la rupture des relations contractuelles, de sorte que la responsabilité de l’expert-comptable ne peut être engagée que sur le fondement délictuel.
Il ressort des échanges de mails susvisés et du procès-verbal de constat du 15 mars 2023, que M. [W] [H] a tardé à restituer certains documents comptables et financiers à la Sci Le Pressoir malgré les relances qui lui ont été adressées.
Les consorts [H] ne rapportent pas la preuve qui leur incombe de l’information du président du conseil régional du litige ayant amené M. [W] [H] à exercer son droit de rétention des documents comptables, ni même de l’information préalable de la Sci Le Pressoir par lettre recommandée avec accusé de réception de son intention de se prévaloir de ce droit.
Toutefois, dès lors qu’ils faisaient valoir en justice que la rupture contractuelle était abusive, ce qui a été reconnu, il ne saurait être considéré que la rétention des documents comptables et financiers en cause est abusive.
La Sci Le Pressoir sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.
Sur la demande en dommages et intérêts au titre de la surfacturation des honoraires d’expertise-comptable
Selon l’article 1165 du code civil, dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation.
En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat.
En l’espèce, le montant des honoraires réclamés n’ayant pas été considéré comme justifié contractuellement, la Sci Le Pressoir ne subit aucun préjudice. Elle sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.
Sur la demande en dommages et intérêts au titre de la procédure abusive
En l’espèce, dès lors que le principe de la créance des consorts [H] et le caractère abusif de la rupture du contrat ont été reconnus, la procédure ne saurait être considérée comme abusive.
La Sci Le Pressoir sera donc déboutée de sa demande à ce titre.

5.Sur les frais du procès et l’exécution provisoire
Sur les dépens
En application de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
La Sci Le Pressoir qui succombe principalement à l’instance sera condamnée aux dépens.
Sur les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile
En vertu de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
La Sci Le Pressoir sera condamnée à payer aux consorts [H] une indemnité de 3 000 euros de ce chef et sera déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,
DEBOUTE la Sci Le Pressoir de sa demande de révocation de l’ordonnance de clôture formée dans ses conclusions d’incident notifiées le 15 mai 2024 et rejette la communication de la pièce correspondant au jugement du 9 février 2024 ;
DECLARE IRRECEVABLE la fin de non-recevoir soulevée par la Sci le Pressoir au titre de la prescription de l’action en paiement du solde des honoraires ;

DEBOUTE Mme [L] [T], M. [D] [H] et Mme [P] [H] de leur demande en paiement de la somme de 36 720 euros au titre du solde des honoraires d’expert-comptable de M. [W] [H] ;
CONDAMNE la Sci Le Pressoir à payer à Mme [L] [T], M. [D] [H] et Mme [P] [H] unis d’intérêt la somme de 3 960 euros au titre de la rupture abusive du contrat de prestations comptables et fiscales, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
DEBOUTE la Sci Le Pressoir de ses demandes au titre de la rétention abusive des documents comptables, de la surfacturation abusive et pour procédure abusive ;
CONDAMNE la Sci Le Pressoir aux dépens de l’instance ;
CONDAMNE la Sci Le Pressoir à payer à Mme [L] [T], M. [D] [H] et Mme [P] [H] unis d’intérêt une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toute autre demande ;
RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.

En foi de quoi, le présent jugement a été signé par la Présidente et le greffier.

Le greffier, La Présidente,

Aurélie HUGONNIER Marie LEFORT


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x